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Pro Marcello

 

Le champ d'honneur.JPG

Le Pro Marcello de Cicéron devrait se prononcer à l'italienne, ça aurait de la gueule, mais, selon nos philologues, il se prononce [Markello], et nous dirons, nous autres Français, au nominatif, Marcellus. De plus, il y en a deux, cousins germains, Caïus et Marcus. Mais pour les distinguer, l'un est un ami de César, l'autre un ennemi de César. Être ennemi de César, cela signifie montrer de l'amitié pour Pompée, républicain, magouilleur, prétentieux, plein de morgue, fourbe professionnel, et retournant sa veste chaque fois qu'il le faut, bref, la vraie bête politique. Or ce Marcus, ennemi de César, lui ressemblait. C'est curieux n'est-ce pas comme on déteste ceux qui ont finalement le même caractère que soi.

 

Cicéron était dans le même cas. Il choisit d'évoquer, du haut de la tribune, ledit Marcus, prorépublicain. Cicéron aimait la République, le Sénat, tout ce qui était sincère et légal. Or, il s'était vite rendu compte que le champion de la République et du Sénat, Pompée, ne valait pas grand-chose en tant qu'homme : bouffi d'orgueil, ne rêvant que d'écraser son adversaire sous le poids des procès, un type assez puant. Et Cicéron, malgré son républicanisme, aimait beaucoup César. Et réciproquement. L'avocat va donc remercier César d'avoir pardonné à Marcus Marcellus, un pro-Pompée, qui a préféré ses convictions républicaines personnelles à son indine représentant, faisant donc passer les convictions avant les sentiments personnels.

 

Cicéron a fait le contraire : il s'est rendu compte que le vilain candidat dictateur avait de la valeur, tandis que le gentil républicain, Pompée, n'était qu'un vil blaireau à la fin de sa carrière. Vous suivez bien la tactique de Cicéron ? Il défend un homme qui a conservé ses convictions, devant César, auquel il s'est rallié en soupirant comme une fiancée qui aime bien les grosses brutes. Comme ça, si le Marcellus vient faire ronron aux pieds de César, il aura suivi le même itinéraire que Cicéron ! Et Cicéron pourra dire : "Vous voyez bien ! Il n'y a pas que moi qui ait changé d'avis !" Ô combien tout cela est confus !

 

On dirait l'intérieur d'une âme humaine, tiens. Le discours, vous n'en entendrez pas une miette, car le sort m'a mené jusqu'au seuil, nec plus ultra, c'est-à-dire "et pas au-delà". Les discours de Cicéron m'ont toujours fait ronfler. Ce ne sont que longues périodes et balancements interminables, agrémentés d'arguments bidons, de mauvaise foi recouvrant la bonne foi ou l'inverse, de grandes envolées, de flatteries absolument immondes, car après la langue de Cicéron, les culs étaient bien propres. Et puis il me ressemble trop, voir plus haut – flagorneries mises à part bien entendu, eh, faut pas exagérer non plus. Mais pour les valses hésitation, les recroquevillements pas courageux en attendant que ça se passe, "qui des deux j'aime le mieux, papa ou maman", là, oui, je me retrouve bien, mais je ne suis pas le seul. Tel est le drame des intelligences supérieures (Cicéron, bien sûr, Cicéron...) qui cultivent la démocratie : ils sont déchirés entre la médiocrité, parfois, souvent, des représentants de ladite démocratie, et l'allure, le panache, des représentants du pouvoir personnel. Et voilà, sans aucun rapport avec la choucroute, comment de sincères démocrates, amoureux du peuple et de ses valeurs, en arrivent à se rouler admirativement aux pieds d'un Staline, d'un Mao, d'un Castro. Entre gens supérieurs, n'est-ce pas...

 

Nous ne parlons ici que des pourris de la tête, évidemment. Nous proposons une grille de lecture un peu élémentaire, mais qui n'a jamais été bien explorée à mon avis, et pas seulement parce qu'elle est nulle, mais parce qu'elle plongerait bien des gens dans l'embarras. De plus, Cicéron fut également courageux. Il est même mort de façon violente, parce qu'il s'était opposé au successeur de Jules César, mais après s'être réjoui de la mort de César (encore un qui s'aperçoit que le pouvoir, même d'un homme admirable, rend autoritaire, rend injuste, et fait perdre la tête à grands coups de poignards dans le buffet). Ah, si seulement César avait été un dictateur débonnaire, ou si les Républicains s'étaient montrés dignes, comme Caton !

 

Mais Caton manquait de souplesse. Au début, oui, César, avant de devenir maraud, s'était montré clément : le nommé Marcellus avait voulu le débarrasser de son proconsulat des Gaules, en accordant même le congé à son armée conquérante. "Viens César, à Rome, tout seul, comme ça nous pourrons te mettre en procès avec toutes les casseroles que tu te trimballes, et sans armée, tu finiras dans les chicanes et peut-être même en prison, gnak gnak gnak". César dit "Non", franchit le Rubicon et marche sur Rome. Il vainc celui-ci, il vainc celui-là. Vous savez ce que c'est, vous autres Français moyens, quand un vainqueur vainc, on se précipite à ses pieds, "J'étais avec l'autre mais je ne le ferai plus".

 

César, bienveillant avec ses compatriotes (avec les Gaulois, c'était une autre paire de toge), faisait les doux yeux de Raminagrobis : "Relève-toi mon enfant, va et ne pèche plus". Et les autres se relevaient les yeux humides, chantant les vertus de ce méchant si modéré, qui interdisait par exemple à ses soldats de circuler en armes dans les cités qu'il venait de reconquérir. Clémence louée partout, peut-être, sûrement même, manœuvrière, mais qui finissait par devenir sincère. Mais ceux qui ensuite revenaient en arrière n'avaient plus droit à l'indulgence. Cicéron, qui avait des relations amicales avec César, se méfia, puis relâcha sa méfiance. Il rentra chez lui, car il n'avait rien fait de trop grave, Pompée s'était fait un peu décapiter par les Egyptiens (il était courageux dans la fuite), mais ses fils combattaient encore en Espagne, et César, décidément partout à la fois, leur taillait croupières et culottes.

 

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