Le roi de Patagonie
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Gros morceau ce soir, qui ne nous fait pas peur, Moi Antoine de Tounens roi de Patagonie, toujours Jean Raspail, toujours la folie des grandeurs, l'amour des Indiens et la générosité, qui signifie noblesse. Antoine sans son cochon, notaire en son étude après avoir été clerc de l'une à Périgueux, se fondant sur d'hypothétiques ascendances à sang bleu style Tess d'Urberville, se met en tête ce qui n'est pas si sot de conquérir pour la France un royaume au plein sud de l'Amérique du Sud, exactement deux royaumes qu'il fédèrera, l'Araucanie et la Patagonie, peuplées dit-on de farouches sauvages aujourd'hui exterminés par les vaillants conquérants j'ironise chiliens et argentins.
Nous sommes au XIXe siècle sous l'empereur Napoléon III qui voulut lui aussi conquérir un empire au Mexique ce dont il lui cuisit. Aidera-t-il son cousin prétendu, Antoine de Tounens, noble autant que moi, dans sa téméraire entreprise ? que nenni. Car lorsqu'on se nomme Maximilien, de la famille de l'Empereur, on reçoit des aides financières et militaires ; lorsqu'on est un fils de bouseux périgourdin qui a ruiné sa famille pour financer ses voyages, on n'obtient rien, que rebuffades, et insultes. Antoine de Tounens est fou, sa tentative tombe à faux, puisqu'on se concilie le plus possible les autres gouvernements d'Amérique Latine afin d'avoir les mains libres au Mexique. Partout on se moque de lui, d'autant qu'on relève la têteet proclame à qui le demande qu'il est réellement roi. Car ce n'est pas du tout pour la gloire de la France qu'il veut conquêter ; ce ne sont là que des prétextes pour être soutenu. En fait, et ce n'est pas si fou, Antoine, ce "huinca", ce chien d'étranger, ce chien de chrétien, comme l'appellent les sauvages, désire s'imposer à eux, leur tomber du ciel comme un conquistador d'antan pris pour un dieu, mais, renversant la tendance esclavagiste et massacreuse, veut les regrouper sous sa bannière bleu blanc vert et les constituer en royaume fédératif de tribus indiennes parfaitement indépendantes de la France. Aventurier soutenu, eût-il pu réussir ?
A ne considérer que la résolution, le panache et le goût du risque, sans nul doute. À mieux examiner les failles profondes d'une personnalité enfantine, on en doutera, et toutes les autorités françaises ou chiliennes en ont douté. Voici un rêveur, qui jette sur le papier toute une constitution, qui nomme un gouvernement composé des personnes de rencontre éphémère lui ayant témoigné quelque sympathie fût-ce apitoyée, qui organise une armée de parade, invente croix, décorations et uniformes, et qui s'embarque pour l'Amérique du Sud avec l'argent dilapidé de la famille paysanne. C'est une véritable folie traitée comme telle, le signe et l'apparence pris pour argent comptant, ce qui impressionnera quelque temps les Indiens, qui le proclameront effectivement roi de quelques jours. Jamais Antoine ne subira le ras-du-sol du réalisme, jamais ses rêves ni la royauté de l'enfant farouchement préservé ne cèderont face au mercantilisme, au scepticisme épais, aux duretés inouïes des prisons chiliennes. Malgré l'ambassadeur de France à Santiago qui tente de le raisonner, le gouvernement chilien l'arrêtera comme traître au Chili et agitateur, lui qui voulait sauver pendant qu'il était temps l'indépendance et la raide fierté de ses héros indiens, dont bien peu, mais avec quelle ferveur, l'auront compris.
Les Indiens ne sont plus, poru la plupart, que des éponges complaisamment imbibées d'alcool par les mercantis tueurs de peuples. Un seul, Quillapan, le soutiendra, le proclamera roi devant les autres plus ivres que vifs. L'alcool d'Antoine, c'est la gloire, et jusqu'au bout, dans ce village de naissance où la ruine l'a contraint de revenir crever, il la soutiendra, parmi les quolibets des paysans de Tourtoirac. Parcourons l'ouvrage où l'imagination galope comme un de ces chevaux qu'il a si bien domptés, lui cavalier né :
P. 47 : "J'ai dit la complicité qui nous liait, la volonté qu'il avait de forcer mon destin, de me faire échapper à ma condition paysanne, et sans doute, je l'ai compris plus tard, à certaines sombres pensées.
"L'été, pendant les vacances, nous partions plusieurs jours avec la carriola, allant de foire en foire au petit trot d'Artaban. Mon père était l'un des accordeurs les plus appréciés du pays."
La fiction romanesque utilise le récit rétrospectif du vieil homme de cinquante-huit ans, je veux dire prématurément vieilli par les fatigues et les avanies. Il nous retrace son enfance en un style et des termes qui n'eût pas désavoués Eugène Le Roy, auteur de Jacquou le Croquant. C'est pour nous l'exotisme au sein de la France, pour lui le quotidien dont il voudrait, dès l'enfance, s'affranchir, aidé par les folies auxiliatrices de son père auquel il voue l'admiration, lui le petit dernier à la couille flottante, car puceau il mourra, ce qui valut à l'auteur de fâcheuses déconvenues, car il l'avait imaginé... Une documentation inattaquable a présidé à ces reconstitutions d'une époque à présent plus lointaine que les Patagons, mais Raspail abomine le siècle ou veut l'abominer, se penche en nostalgique irrémédiable sur tout ce qui disparaît.