Il n'y a pas à déféquer : sur ces antennes, on aime Malicorne et Manset, on vous les ressort chaque semaine, et Marie-André itou. Mais on n'aime pas, mais alors pas du tout, Jacques Roubaud, et on vous le fera savoir dans notre "apparat critique". En revanche, que vous aimiez ou non notre feuilleton, il faudra bien que vous l'écoutiez, fût-ce d'une oreille distraite... A présent, retroussons nos manches, astiquons nos massues : nous avons un vieil étrillage à concocter, ce qui manque de charité, mais point d'excrément. Jacques Roubaud a commis un troisième volume des aventures d'Hortense, "L'exil d'Hortense", roman, chez Seghers. Vous me direz que de n'avoir pas lu les deux premers ne m'a pas permis de me faire un jugement.
Et moi je dis a contrario : heureusement que je m'en suis dispensé. Ce troisième sera mon dernier. Hortense est une femme, bien que son prénom provienne de saint Hortensius, évêque. Sa vie à elle se passe beaucoup moins chastement. Son excuse est qu'elle aime... Nous supposons que le modèle en fut Caroline Chérie. Soit. Mais Caroline fait rêver. Hortense fait chier. Hortense est trop visiblement la créature de Roubaud, vieux et chauve amateur de chats, que je hais. Roubaud par-ci, Roubaud par-là, prend un malin plaisir à intervenir en tous lieux en tous temps, déflaubertisant le roman, faisant exprès qu'on n'y croie pas. Il multiplie les parenthèses, se commente, glose son commentaire, et se livre à la critique exégétique de sa glose (n'ayez pas peur, ça ne mord pas), ce qui pourrait être facétieux, et tenir lieu de contrainte oulipienne certes ("parler sans cesse de soi sans contrainte"), si tout n'était si lourd et si plat comme l'épée de Charlemagne.
Le préjugé consiste à estimer qu'un défaut s'abolit s'il est dénoncé, puis si l'on dénonce sa dénonciation : vous me suivez toujours ? Eh bien pas du tout : si je vous dis que je suis con, ce n'est nullement une preuve que je ne le suis pas. Si je répète "C'est agaçant, hein ?", même si vous riez (deux fois, mais pas trente, monsieur Roubaud), ce ne sera pas moins agaçant. Si vous répétez 500 fois "Je connais la manière d'emmerder les gens", vous les emmerderez par le fait même de la répétition. Nous savons bien où le Sieur Roubaud a puisé son illustre domaine : dans la lettre Q, comme Queneau, lequel utilise sans cesse de telles astuces. Même si je n'apprécie pas toujours le grand Raymond, lui est toutefois reconnu sans ambages une extraordinaire finesse, un humour de sourire derrière la moustache, bref, une culture. LA PRINCESSE MAUVE www.anne-jalevski.com
Mais Roubaud en fait une tonne au gramme. Seuls des exemples tirés des pages multiples de 47 pourront vous convaincre.
/ Lecture de la p. 94 /
...or il se trouve que précisément ce passage, comme tout passage, fournit matière à abondance de commentaires. Voilà de la littérature professorale (de maths, soyons précis), destinée donc KOKO mentaires. Il en est des passages de Roubaud comme des femmes : infectes en général, elles sont toutes intéressantes à l'unité. Nous reconnaissons bien sûr un dialogue platonicien, une allusion à la pluralité des mondes si bien illustrée par H.G.Wells, un ton postvoltairien, voir un soupçon de Rabelais, par les ânes volants. Fort bien : monsieur le Prof, quelle culture ! Ce serait encore mieux (coup de pied de l'âne justement) si les personnages avaient quelque épaisseur.
Monsieur Roubaud ne veut pas qu'ils en aient, afin de parfaire un antiroman par contre-pied : au point que les amoureux d'Hortense, le bon et le méchant, sont le même en deux personnes. Ah mais ! ...mais on s'ennuie. Rien de plus balourd qu'un homme d'esprit qui veut être homme d'esprit. Voici un exemple particulièrement pesant d'humour étudiant ;
/ Lecture de la p. 141 /
C'est très intéressant à relire. Mais Queneau en mettrait dix lignes. Roubaud, quatre pages. Lourdes comme un pied de la tour Eiffel. Peu importe qu'on ne connaisse pas la suite de l'histoire. Nous connaissons ces procédés de lourdeur feinte et de repoussement de l'intrigue. Mais en croyant faire lourd, Roubaud fait lourd. Il écrit, mais ce n'est pas un compliment, comme on écrit à dix-huit ans. Ça ne me fait plus rire. Plus même la présence de l'auteur.
/ Lecture de la p. 188 /
Ces paragraphes paraissant pour la huitième fois, le lecteur avait parfaitement deviné qu'il s'agissait de l'auteur, en personnage du livre, intervenant avec son commentaire dans la destinée des héros, dont il prétend en cours de route ne rien savoir puisque le roman n'est pas fini, voyez l'astuce. L'ennui est que l'auteur ne se révèle qu'à la huitième fois, alors qu'il aurait encore pu surprendre à la quatrième. Deuxième degré dira-t-on, non: lourdeur encore. Nous avons omis tout ce qu'un "prière d'insérer" n'eût pas manqué de mentionner, comme la "richesse d'imagination" qui fait déboucher les héros en pleine intrigue de Shakespeare, ou la "culture", ou la "jonglerie" ; tout cela, Roubaud eût pu le faire.
Mais il se trouve qu'il gâcha tant de belles possibilités que nous n'avons pas énumérées ou à peine effleurées. Notre compte rendu ne rend pas compte – ha ha ! et si je vous le refaisais, le coup, à chaque coup, re-ha-ha ! - des astuces de composition, de langage ou autres, pour l'excellente raison qu'il ne veut pas vous allécher, lecteurs, car toutes ces promesses ne vous sont pas tenues. "Qui ne sut se borner...", etc., et nous nous bornerons donc là, tout simplement parce que L'exil d'Hortense nous a paru si long à lire. Profitez bien du reste de l'émission, et si vous n'avez pas chez vous deux payes d'agrégés, dispensez-vous d'acheter pour 98F foutus en l'air L'exil d'Hortense, de Jacques Roubaud.