Proullaud296

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Prélude à l'épopée

 

Hautes croix tendues en hosties, à contre-jour sur le soleil blafard, ciel gris ; croix enlierrées, grumeleuses, croix squameuses et lézardées, ronde des croix tout autour de ma tête dans la boue, minable sente herbue où je gis, ma jambe repliée sur le gras de ma cuisse – dalle de chair immobile et voguant – trois pas au-dessus des morts – je les entends là-dessous qui grignotent - "un crâne sous l'argile va cherchant" - croix inclinées sur mon berceau fangeux ne rien imaginer mon corps pèse et pose, immobile et voguant.

 

Je suis bien, la terre se chauffe, la boue s'agglutine, mes bottes sont lourdes. Ne pas déranger. A travers l'herbe alourdie montent les souffles qui chavirent, au ras du sol voiciles brins pubiens des rêches adolescentes, plus haut la pariétaire et le laiteron - les mouches qui bourdonnent, mouches saines, mouches de caveau dans mon cerveau torpide. Si quelqu'un survenait, au sol comme je suis, je serais obligé d'inventer un malaise. Ballet de croix lentement sur moi. Le soleil à travers la brume se fait insidieux. Il faut se lever. Et lentement, rassemblant mes gestes avec économie, ramenant mes longues jambes sous mon cul engourdi, ramant la boue de mes bras emplumés, comme englué, pétri de bave, j'émerge, les yeux collés, vacillant ; m'ébroue debout, les pieds dans la boue de mes bottes, le poil ébouriffé. Je passe une main hésitante sur ma tronche. Un pas, deux pas. Mes pieds sont transpercés. D'une touffe d'herbe je les bouchonne, me coupe le creux des doigts, peigne mes cheveux de l'autre main.

 

 

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À perte de vue semble-t-il ces croix, jusqu'à ce que j'aie, en les frottant, désembrumé mes cils collés comme au pinceau. Puis je m'étire. Il est sept heures. La fine pluie de l'aube drape sur mon front les pans du linceul. Croix celtiques (roues crucifiées à branches outrepassantes et moufflées de mousse) ; croix lépreuses, friables, meringues au goût d'hosties, où Jésus déploie son long corps de stuc aux mèches alignées – Nuit de Torôôple ciel se dégage –ma nuit, je l'ai passé sur la route là-bas rectiligne 25 bornes sous les pieds –de la hauteur où je suis, par-dessus le mur de clôture, je la vois qui s'enfonce au loin ;de loin contre le ciel plombé les croix m'avaient fait peur alors j'avais décidé d'y aller, là-haut, pour les toucher. Le vent souffla sur le soleil – puisà minuit tout s'éteignit, et tous les chiens se mirent à hurler - l'un d'eux s'est jeté sur la grille à deux doigts de ma joue, je me suis dirigé d'après le ciel moins sombre entre les cimes parallèles puis contre les lueurs plombées de l'aube, je m'étais effondrésur la porte puis deux mètres encore à quatre pattes dans la boue naissante et je suis tombé dans la boue naissante d'une pluie accrocheuse et maléfique, inconscient de sommeil à même l'allée, entre deux flaques. Les tombeaux sont des murs jetés bas, d'un temple à la mort jamais achevé en éternelle attente, pierres dansant sous le soleil levant.

 

Je frotte mes habits, renifle et mène grand tapage - sur toute la ligne se déclencha une série de raclements de gorge et de reniflements. Par un absurde respect de ces ultimes manifestations humblement humaines, les exécuteurs attendirent leur totale extinction avant de tirer leurs rafales – dernières brumes qui s'écharpent aux quatre coins des caveaux - ce sont des maisons qui bougent, des ours bougons qui s'étirent au soleil. Noirs, gris, moussus. L'un d'eux en ciment terne, fendu, militaire, gris acier. Des brises de fête circulent. Le soleil joue sur les marbres. Je suis dégueulasse et j'ai faim. Des appétits nécrophages me traversent, je boufferais jusqu'aux viscères étalés sur les dalles aux tons pourris de pieuvres suffocantes,je souris presque, Dieu quelle tension dans les zygomatiques.

 

L'allée principale se spatule autour du piédestal privé de sa croix hosannière, "Mission 1884" ; mes pieds s'alourdissent de son gravier. Puis une autre rangée, puis une autre, tournant le cul – je chie, appuyé à l'arrière d'un tombeau, l'étron jusqu'à terre, sous les yeux d'un crapaud figé – puis j'ai dansé, dans le jus charnu de mes bottes, pétrissant, de mes deux bras, tout un orchestre -mon père est mort à présent, mes bottes brillent de rosée, je suis bien propre. Sur les tombes les photographies jaunes et bistres exhibent ceux qui vont mourir, le nez rongé, les yeux troués, les enfants souffreteux - QU'EST-CE QUE VOUS FOUTEZ LA ? DEBOUT ! C'EST UN CIMETIERE ICI - DEGAGE ! (Grand-père c'est pas vrai ! ils t'ont bombardé gardien !) M'EN FOUS TU TE CASSES A PEINE RELÂCHÉ TU RAPPLIQUES POURQUOI ILS T'ONT LIBERE NOM DE DIEU

 

JE SORTIRAI SI JE VEUXje suis sorti, la grille a grincé mon rêve a cesséje longe le mur extérieur de meulières délitées. Trous plâtreux, fourmis - "que feriez-vous devant un mur infranchissable ?" je scrute les lichens et les insectes "Bonjour !"C'est à quelques mètres un petit homme jaune essoufflé qui me salue d'une voix rauque aiguë, tenant à la main sa bicyclette, pinces à vélo sur pantalons flottants, béret basque et col douteux d'ecclésiastique. Sous les sourcils en aigrettes ses yeux de chien me fixent avec une intensité joyeuse. "Vous n'êtes pas d'ici ?" Je mens : "Du Nord." Mal rasé, la pomme d'Adam saillante, des touffes de poils dans les oreilles, des yeux bleus délavés, une haleine anisetée s'échappe de ses lèvres coupantes. "Moi non plus je suis Breton" Rien à foutre. Dans le silence le pédalier croque un grain d'acier. "Vous avez de la famille là-dedans ? vous êtes le fils Ménestrel ?" - la démarche (je ne sais quoi dans les hanches d'une jambe sur l'autre, le pas hésitant - cou tendu les yeux dans le vague –- je ressemble à mon père – "Vous ne me reconnaissez pas ?

 

"Je suis le curé Meneau ! C'est moi qui fais le catéchisme aux enfants !" d'un ton pressant, comme si c'était la nouvelle du siècle "C'est bouillant à cet âge-là ! ça répond sans réfléchir !

 

      • Oui.

      • Ce n'est pas un endroit ici pour passer les vacances."

Sa voix gazouille. Sa voix glousse. Déglutit (la pomme d'Adam qui monte et qui descend) :

"Eh bien au revoir Monsieur Ménestrel, à bientôt !" Il me secoue la main sur une dernière bouffée de Ricard. Il s'enfonça du côté de l'aurore, et, autour de ses chevilles le falzar drapeautait

 

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