Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Gomorra

 

 

Ça commence très fort : lâcher de cadavres du haut d'une grue, par une porte de conteneur mal verrouillée, sur les quais de Naples. Ce sont des Chinois, dûment étiquetés, rapatriés dans leur pays pour y être ensevelis. Mais on les enterre à la sauvette, sans enquêter sur ce hideux trafic : la Camorra – que personne n'appelle plus ainsi – surveille attentivement ses exactions, et mieux vaut fermer les yeux. L'Italie, et plus particulièrement Naples, est la plaque tournante de tous les trafics illégaux venus d'Asie. Mieux vaut en être que de la combattre. Ces dénonciations sont d'utilité publique, et en même temps, ne pourront pas plus connnaître d'efficacité durable que la lutte contre les basses températures au pôle Sud. Le lecteur, l'enquêteur, sont fascinés.

 

C'est ainsi que le monde tourne, de complots en complots, et même les Kennedy, surtout les Kennedy, ont trempé dans la mafia, se sont fait descendre par la mafia. Rien de stupéfiant – pardon : plein de stupéfiants. Une fois de plus, rien ne sert d'éradiquer, tout repousse, reste à combattre sans trêve, et à décrire. Depuis, Saviano vit sous protection policière, et la corruption gangrène le monde depuis les siècles des siècles. Alors, prions – à moins que Dieu ne soit une arnaque, intellectuelle et sentimentale. Je vois une superposition d'individus, pyramidale, au-dessus de laquelle, parmi laquelle, se déverse un flot de glu puante inséparable. Je n'ai rien d'autre à apporter que mon existence, est-elle prouvée ? Je lis en italien, plus facilement cette fois, la puissance évocatrice est incomparable. Notre héros, comme la Tête de Turc, s'infiltre et bosse pour les Puissances.

 

Combien je préfère cette lutte, cette interminable adaptation, cette pressurisation à l'infini, jusqu'à la folie, des humains, à ces luttes pour l'égalité, la fraternité, le bien-être financier, pain béni des revendications bien-pensante ! Toujours l'humain a survécu, fût-ce sur le fumier de ses semblables. Mendiez, volez, tuez. Ne venez plus nous faire chier avec vos socialismes. Et si vous le devez, crevez. Vous n 'aviez qu'à vaincre. Le texte ? La description d'un patron chinois, qui n'avouera jamais être de la Triade : pensons aux interprètes sino-italiens - mais à trop réfléchir, qui ferait quoi que ce soit ? Nous sommes faits de pourriture : nous nous aimons pourtant, nous-mêmes et l'un l'autre. L'auteur, Saviano, possède le don d'écrire. D'évoquer, les gestes, les paroles : Euro, dollaro, yüan : ecco la mia Triada”. C'est autre chose que la Sainte Trinité. Autre chose qui ne laisse dans la cervelle que les facultés d'acquérir et d'éviter les balles.

 

Rien à voir avec nos fumeuses conceptions. Je sais d'avance non pas les choses mais le genre de choses que je vais trouver à foison tout au long de ces pages : et tout se résout en prières, en reconnaissance du monde. “Monde, je te reconnais”. “Ça existe”, répétait l'ivrogne parmi ses canettes. Xian sembrava sincero - “semblait sincère”. Et puis, prononcez “Tchyann” ; rien de plus agaçant que de semer des “x” partout, “ks”, ks” : aucun rapport avec la transcription, pin-yin. Voudrais-je faire partie de la mafia ? celle des mandarins intellectuels ne m'a que toléré, en marge. Jusqu'au bout je ne saurai rien. Même pas si je suis sincère. Seul mon corps, une fois décomposé, le sera. Nessun'altra ideologia, nessuna sorta de simbolo epassione gerarchica. Pas d'idéologie, pas de symbole, pas de hiérarchie. Une vaste pieuvre informe. Des gens qui s'ignorent et concourent au même but. Tous pourris ? peut-on trafiquer à Naples sans être de la Camorra ou des Triades chinoises ? Je suis dépassé. Je ne vois pourtant autour de moi que des gens ordinaires. Profitta, business, capitale. Autre triérarchie. Pendant ce temps les basses classes aussi s'organisent. Comment fonctionne la fourmilière humaine ? Découragement, fascination, de celle qui engloutit l'oiseau dans le serpent. Null'altro. “Rien d'autre”. (J'ai tout un développement sur les hommes d'action : le placer ici ? Je pense qu'à la fin de leur vie, les Desroches-Noblecourt et autres entrepreneurs d'idées aussi bien incarnées dans la pierre se retrouvent avec une œuvre immense, délimitée, “tel temple”, “tel empilement de disques primés”, sans avoir eu la sensation de vivre. Je m'efforce de croire que la méditation de Narcisse (de Hermann Hesse) about it (about it) à une vie plus riche, plus pleine de tenants et d'aboutissants, tandis que ce grand benêt de Goldmund a réellement vécu, prenant toutes les femmes et tout le soleil, mais sans comprendre.)

 

Allez écrire, de votre mieux, pour qu'un obscur critique vous esquinte d'une formule, “tricoteuse de pompeux clichés”, à propos de Yourcenar ! Géante à peine égratignée du sabot de l'âne... Si tende a considerare oscuro il potere che determina certe dinamiche e allora lo si inscrive a une entità oscura : mafia cinese. Ceux qui appartiennent à la mafia chinoise, et ceux qui pourraient en être, en le sachant, sans le savoir. Ce quit tend à assimiler toute la fourmilière humaine à une mafia bien plus que chinoise. D'où l'importance, la nécessité, de la forme, de la structure, de la littérature, de la description. Ce que c'est. Comment c'est. Du Heidegger de sous-préfecture. Le fait, et non l'explication. Le comment, et non le pourquoi.

 

L'acceptation, et la question. Clichés ? Oui . Una sintesi che tende a scacciare tutti termini intermedi, tutti I passaggi finanziare, tutte le qualità d'investimento, tutto ciò che fa la forza di un gruppo economico criminale. Vous savez l'italien, sans doute. Vous avez reconnu les mots, vous avez repéré le va-et-vient entre la connaissance et l'action obscure, entre la vision de loin et le nez sur le boulot et la fatigue, le mystère de l'engagement corps et âme, les 18h par jour et la vague prescience de la place essentielle occupée par chacun de vous dans le grand terrifiant engrenage. Et pourtant, l'adjectif “criminel”. La notion d'une morale, d'un ordre moral, approuvé par la vraie police. Tout bien se voit gangrené par le mal, toute vision d'ensemble par le foisonnement du détail. Ici Saviano refuse de tout mêler, parle d'éthique, d'honnêteté, de lessive des écuries d'Augias.

 

L'étincelle dans le magma. Seulement, l'impression de ne jamais pouvoir s'en sortir. Eviter "le système", c'est éviter la marche du monde. La Camorra maintenant se fait appeler "le système", comme si c'était le critère absolu, indépendant, inévitable du monde tel qu'il est. "C'est comme ça". E cosi e non altramente, pas autrement. C'est ainsi que le monde tourne. Alors, faisons partie du mouvement.

Ce qui précède peut passer pour une apologie du crime, de la loi du plus fort, y compris entre les plus forts qui ne cessent de s'éliminer, comme dans la nature. A la différence que les membres de la même espèce, éléphants, chevaux, dauphins, ne se trucident pas entre eux, mais développent une vie sociale, hiérarchisée assurément, mais sans mise à mort. Les plus vieux sont aidés chez les éléphants, les mâles vaincus au combat se retirent dans un territoire où les autres les laisseront en paix, il n'existe pas de comportements avides qui vous font entasser pour le plaisir d'entasser, ou pour des questions de niveaux de vie à envier. L'autre différence tient à notre nature humaine, qui n'est pas la nature naturelle des animaux : nous corrigeons la nature de base, nous tentons de nous élever.

 

L'ennui, c'est que nous surpassons aussi les animaux en perversion et en cruauté. Après la dénonciation attristée de toutes les ramifications, de tous les asservissements, de toute la terreur sourde qui plombe la région, l'Italie, la Chine, le monde entier, l'auteur, toujours condamné à mort par la mafia, la camorra, la n'drangheta calabraise et tout ce que vous voulez, lente et interminable déploration sur un ton de commentateur de funérailles à la Frédéric Mitterrand, Roberto Saviano relie le plus raffiné de la culture au plus raffiné du crime. De même que certains SS rentraient du boulot, de leur camp d'extermination, pour se délecter d'un bon concerto pour violon joué par eux, de même (comparaison homérique) les plus grands, les plus fameux, les plus puissants des mafieux ou camorristes s'adonnent-ils au plaisirs les plus raffinés du collectionneur d'art, l'un d'eux possédant même un authentique Botticelli. Scarabée rhinocéros.JPG

 

Et ce n'était pas seulement pour la valeur marchande des objets, mais pour une véritable délectation esthétique : ils se payaient le luxe d'être des spécialistes et des érudits. Certains accumulaient les connaissances sociologiques et psychanalytiques. L'un des parrains les plus illustres infligea aux tribunaux de véritables cours sur Carl Gustav Jung, et sur la théorie de la Gestalt. L'excellence va de pair avec l'organisation criminelle. Ce sont là des perspectives maintes fois déployées, devenues banales, devenues lieux communs, de même que l'effarement béat devant l'infinitude humaine : il n'est rien sur la terre de plus prodigieux, de plus prestigieux, de plus terrifiant que l'homme. Nous pourrions déclarer que le désir d'être mafieux ou camorriste rejoint le désir de gloire, de salvation, de salutéternel ou de damnation éternelle : plaisir et douleur seraient alors étroitement apparentés, s'engendrant l'un par l'autre, de même que le bien et le mal.

 

 

 

 

 

 

Les commentaires sont fermés.