Tout ce joyeux foutoir de l'action efficace...
En un mot, cela nous change. Et nous montre une fois de plus notre incapacité de louvoyer entre de tels icebergs, l'intransigeance, la négociation, les revirements, les concessions et marchandages, qui font aussi partie, ma foi, de l'âme humaine. De tels enfoncements de portes ouvertes doivent bien entendu se pratiquer dans un second degré de bon aloi ; nous ne pourrions pas, nous autres, encombrés de raideurs égotistes, nous prêter à toutes ces règles, nous couler dans les moules, toujours mouvants, de la diplomatie industrielle. Ne nous déprécions pas, mais admirons de loin les fonctionnements imprévisibles de ces mathématiques relationnelles, et de ceux qui, par vocation parfois, puis par expérience, s'y livrent avec succès.
C'est qu'ils sont nombreux, ces bougres, et terriblement importants, même pour nous autres intellectuels des broussailles. Adoncques : Ce protocole définit de façon claire les tâches à accomplir pour pouvoir industrialiser le tube. Les détails techniques nous seront épargnés : nous sommes ici dans la semi-vulgarisation sociologique, et non dans la physique. Et cela ressemble, aussi, à de la médecine : entre le remède et la maladie s'insère toujours, au niveau de la recherche, un élément intermédiaire qu'il faut d'abord traiter ; une fois cet intermédiaire surmonté, intervient alors un autre intermédiaire, entre le remède et lui, voire un autre, entre lui et la maladie. C'est un gymkhana, une accumulation constante, un binômage ou polynômage, en médecine comme en diplomatie, ou bien dans la confection des mots de langue agglutinante, particulièrement éprouvants pour l'esprit de découverte.
Cela se traduit par l'apparent pléonasme pour pouvoir : il faut en effet pouvoir pouvoir, puis pouvoir pouvoir pouvoir... Suivons le guide ? Il en ordonne la répartition, rendant du même coup improbable toute contestation. Ce rempart de moutons "en queue de loup" ("à la queue-leu-leu") ne laisse aucune faille où s'immiscerait la fouinasserie d'un partenaire toujours prêt à jouer au plus finpour grapiller quelques roubles ou quelques grammes de reconnaissance internationale, de prestige... C'est que nous aussi, Français gaulliens, prétendions aux mêmes avantages. L'Angleterre et l'Allemagne avaient les yeux sur nous ! L'Antifrance veillait ! L'Antirussie aussi ! Et [ce protocole] fixe à l'ensemble de ces travaux un terme précis, puisque la société France-Couleur, dans une déclaration, annonce que la production en série des tubes débuterait, dans son usine, au début de 1971. Eh oui : en cette glorieuse année de service militaire, nous n'avions pas encore la télé en couleur, tout est allé si vite, etc. Nous avions l'usine.
Inutile d'en proposer à l'Union Soviétique, ainsi que nous l'avions fait à des prix exorbitants exprès... Ce protocole industriel, signé le 23 novembre 1968, soit deux jours avant que ne s'ouvre la VIIIe session de la commission pour la télévision en couleurs, merde avec un "s", était peut-être un préalable nécessaire à l'apaisement qui a eu lieu. Il ne faut pas relâcher nos efforts, camarades, rien n'était achevé avant que nous ne sortissions nos premiers engins matériels, palpables, fonctionnant, concrets. Tout irait bien désormais, et le SECAM aurait vaincu le PAL, ou l'ancestral NTSC, never twice the same colour...