Proullaud296

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  • Je suis de cette opinion, et aussi de la contraire...

     

     

    Bonjour ! Revoici Mone de Beauvoir, cette fois

     

    dans le troisiŠme et plus copieux volume de sa

     

    trilogie : aprŠs "M‚moires d'une Jeune Fille

     

    rang‚e" et "La Force de l'Age", vient le tome

     

    intitul‚ "La Force des Choses" . Et comme dit

     

    C‚line, elle a une force terrible, la force des

     

    choses.

     

    C'est ainsi que se v‚rifie le mot de John

     

    Lennon : "La vie, c'est ce qui arrive quand on

     

    avait pr‚vu autre chose." Eh oui Simone, il ne

     

    suffit pas de vouloir quelque chose pour qu'elle

     

    advienne, et la libert‚ de l'humain se heurte

     

    souvent de fa‡on irr‚m‚diable … la contingence. On

     

    n'a plus la sensation de ma^itrise de son destin,

     

    et l'on doit bien galoper derriŠre l'histoire,

     

    surtout quand on en a fait son quotidien.

     

    Car enfin voil… une femme qui a li‚ sciemment

     

    son sort … Jean-Paul Sartre, de renomm‚e mondiale,

     

    et bien engag‚ dans tous les conflits politique

     

    passant à sa portée. Que la guerre éclate en

     

    Algérie, et elle est bien obligée d'exprimer à

     

    haute voix, voire dans des conférences en France

     

    et à l'étranger, son opinion la plus sincère et la

     

    plus militante.

     

     

    Le cul de bagnole.JPG

    Le livre d'aujourd'hui est une véritable somme

     

    de tout ce que Simone de Beauvoir a pu faire ou

     

    entendre au cours des dix-huit années ayant suivi

     

    la Libération de Paris, jusqu'en 1963. Elle n'a

     

    pas prétendu faire une oeuvre littéraire, mais

     

    entasser dans la sincérité témoignage sur

     

    témoignage. Amenée par sa profession

     

    d'intellectuelle, à se déplacer d'un bout à l'autre

     

    de la planŠte, par ses convictions … se pencher

     

    plus particuliŠrement sur les destin‚es de Cuba et

     

    de l'URSS, ou sur la situation ‚conomique

     

    v‚ritablement f‚odale du Br‚sil, elle nous en

     

    entretient sans faux-fuyant, avec une balourdise

     

    qui laisse parfois pantois.

     

    Nous qui savons … pr‚sent ce que furent les

     

    abus des pays communistes, nous avons peine …

     

    imaginer que les r‚volutions s'effectuŠrent

     

    d'abord dans l'enthousiasme et l'efficacit‚, et

     

    l'on ne peut nier que la r‚volution castriste

     

    radiqua l'analphab‚tisme … Cuba. Cependant il est

     

    bien honn^etement pr‚cis‚ que le sort r‚serv‚ aux

     

    opposants ne fut pas des plus honorables pour la

     

    conception socialiste de l'humanit‚.

     

    Mais valait-il mieux laisser croupir le paysan

     

    dans la misŠre et l'abrutissement de l'ignorance

     

    comme au temps de Batista ?

     

    On sourit amŠrement en apprenant que Simone de

     

    Beauvoir acceptait sans sourciller les

     

    affirmations de ses amis sovi‚tiques, disant qu'il

     

    n'y avait plus d‚sormais dans les camps de Staline

     

    - que son nom soit maudit ! nous sommes sous

     

    Khrouchtchev - que des prisonniers de droit

     

    commun. Et que dira-t-on de nous autres ! Mais le

     

    d‚bat est sans fin, et truqu‚. Par moi, qui fais

     

    actuellement de la politique de comptoir en zinc.

     

    En fait, ce qui m'a le plus profondément marqué,

     

    ce sont les rappels de faits passablement oubli‚s

     

    de la guerre d'Alg‚rie.

     

    Nous avons oubli‚ que l'arm‚e fran‡aise a

     

    tortur‚. C'est cela, je crois, qui a ‚t‚ cause

     

    essentiellement de l'isolement de la France sur le

     

    plan de l'opinion publique mondiale, c'est cela

     

    qui a discr‚dit‚ la France, quelles qu'aient pu

     

    ^etre ses raisons de combattre les

     

    ind‚pendantistes.

     

    Nous avons oubli‚ que l'arm‚e fran‡aise a

     

    parqu‚ dans des camps la population entiŠre de

     

    villages dits suspects ; que dans ces camps, l'on

     

    mourait de faim, y compris les enfants ; que les

     

    braves pieds noirs, pour un d'entre eux assassin‚,

     

    tuaient dix … vingt indigŠnes en repr‚sailles.

  • Les restrictions d'Elie Faure

     

    Bonsouâr ! Au retour de vacances imméritées, à Valencia, Granada et autres lieux, je m'attaque à un double monstre : l'un polycéphale, id est vous autres, ennemis auditeurs, l'autre en un volume et demi mais quels volumes, qualia volumina, “L'Histoire de l'Art” d'Elie Faure. Je l'ai vu aussi en petit format, emporté dans le creux du bras au Musée d'Orsay par un individu fier et mystérieux, jaloux de son acquisition. Il est vrai que peu ont la faculté de se vanter en ces termes : “J'ai lu “l'Histoire de l'Art” d'Elie Faure”. Tout de même, le petit format doit nuire à l'illustration. Elle est abondante comme on dit, et surannée ; Elie Faure a pris ou fait prendre ses photos en début de siècle. Nous voyons le plus souvent noir su rblanc statues et monuments tels qu'ils furent alors, avec double recul dans le temps. Je me demande aussi non sans malice : “Le petit format ne heurte-t-il pas (“l'ambition” ?) (...) Victor Hugo est sobre, Michelet anémique, face à Elie Faure, où le lecteur se trouve (...) de Pallas. Il éblouit, puis (...) maintenir toujours sur les crêtes (...) et nous revoilà emportés (“par les” ?) métaphores frappantes et merveilleusement adaptées.

     

    Il s'agit de nous faire plonger dans l'intérieur créatif des sculpteurs et des peintres de toutes époques, de l'Egypte à 1928 de notre ère. L'Egypte, précisément, fait l'objet d'une dévotion toute particulière. C'est là que les ignares que nous sommes découvrent que la sculpture, par ses méplats, se prolonge dans l'espace par ses ronds, concentre la lumière des cieux ; à sa surface polie, révèle des nœuds de tension au bord de la rupture. Ainsi se retiennent, d'une civilisation sur l'autre, quelques formules frappées à resservir dans les salons des Mureaux où à engranger pour étiquetage dans son cerveau artistique.

    Le buisson flou.JPG

     

    L'ironie ici se fait légère et tendre, car la formulation d'Elie Faure se veut insistante et vous imprègne de sa justesse. Nous dirons après lui que l'idéal grec n'a rien à voir de plus parfait que l'harmonie du corps humain et succomba de n'avoir su déceler la faille dans le monde ; que l'Assyrien s'est vautré dans la cruauté. Nous renâclerons devant certaines exécutions enveloppées : Elie Faure ne comprend rien à l'art chinois parce que c'est un art éminemment antiromantique. Il traite les Chinois de peuple terre-à-terre et rechigné. Mais à force de se battre les flancs il parvient à un commentaire dithyrambique.

     

    Il en est de même face à l'art hindou, qui fait grouiller et ruisseler les parois de ses rochers, de ses temples souterrains. Ce qu'il y a de nouveau chez Elie Faure, c'est sa façon de relier étroitement ce qui se passe en art et ce qui baigne une civilisation. Il a établi des ponts solides entre les caractères d'un peuple tel que nous le révèle son histoire et l'explosion ou la régression de son

    expression artistique. Cela est hélas bien sujet à caution, car, qu'est-ce que le “caractère” d'une nation ? C'est ainsi qu'il explique la floraison de l'art hollandais par l'établissement de l'opulence ; son extinction par l'excès de la même opulence, étouffant le talent ; et Rembrandt, qui fut pauvre en fin de vie ? Eh bien euh... mais c'est une exception, un contraste grandiose ! Convaincant donc sur le moment, dans l'élan de la phrase, mais à y regarder de plus près, très discutable. La critique dite moderne, le jargon dit marxiste, ont recouvert de leurs coulées dictatoriales, de leur dogmatisme, le terrain richissime et douteux d'Elie Faure.

     

    Le ciment sur le fumier. Au point que dans une histoire de la critique d'art que je feuilletais récemment, le nom d'Elie Faure n'est pas même mentionné : comble tout de même de l'injustice. Elie Faure a cédé aux goûts de son temps, exaltant l'art japonais (Dieu merci, il faut bel et bien l'exalter !) au détriment malgré tout de l'art chinois, dénonçant l'assèchement géométrique de l'art arabe, dénigrant le côté “horloger appliqué” des artistes allemands qui n'ont su que juxtaposer sans composer, exécutant Jérôme Bosch en dix lignes alors que Gréco se voit porté aux nues, et il fallait qu'il le fût.

     

    Il a aussi beaucoup trop parlé de religion, d'âme, de ciel et de transcendance. Le XXe siècle a brisé toutes ces idoles, et les revoici qui ressurgissent d'autant plus fortes d'avoir été brimées. Or il se trouve qu'Elie Faure a raison : raison d'imaginer que l'homme est aspiré au-dessus de sa tête ; qu'il ne fera jamais mieux rien que seul et dans l'exaltation de son travail, que les civilisations naissent, s'épanouissent et décadent ou s'effondrent comme de vastes respirations, poumons gigantesques lentement levés ou abaissés, en attendant parfois la flèche du Barbare qui les crève ; quand uen civilisation s'affaisse, une autre monte, le Barbare s'assouplit et prend le pli de ses prédécesseurs, et jamais ne s'arrête le souffle de l'humain.

     

  • L'or de la terre, de Bernard Clavel

     

    Mais survient un homme orchestre diabolique de bonne humeur, qui ouvre un bordel, qui vend des boissons, bref, qui se fait sa petite place sur le grouillement fasciné. Bagarres, crises d'autoritarismes face aux révoltes, couvaison très habilement menée de quelque gros malheur à venir.

     

    Pourquoi ne pas le dire, il faudra que le découvreur, promu grand patron bien riche, force ses hommes à creuser encore et toujours et fort maladroitement, pour que la catastrophe minière se produise. L'habileté de l'écrivain consiste alors à doser le sentiment de montée des périls et d'inéluctabilité avec une espèce de suspens vain, puiLève les yeux, et regarde.JPGsque tout a été mis en place pour éclater : le lecteur serait déçu que cet orgasme cataclysmique ait été si minutieusement préparé pour ne pas éclater.

     

    Ici deux points de référence encore, puisque Bernard Clavel oeuvre dans le connu- inconnu : suffisamment de points de repère pour ne pas effaroucher le lecteur ( un ouvrage sur les bobines de fil en Colombie risque de trouver un public des plus restreints), mais suffisamment d'inconnu aussi (le genre de sujet sur lequel on croit savoir déjà quelque chose, mais sur lequel il reste encore beaucoup à apprendre) - pour éviter toute impression de déjà vu.

     

    Quant à la catastrophe minière, elle ressortit aux scénarios de gros malheurs qui totalisent de confortables audiences. Et dans ce cas précis, l'on peut se rapporter à Zola, dans "Germinal", dont nous sommes relativement éloignés vu le caractère non pas anecdotique à proprement parler de la revendication ouvrière mais particulier - Bernard Clavel traitant plus de l'affrontement de personnalités que de conflits véritablement traités sous l'angle socialisant globalisateur , mais aussi et surtout à un roman social devenu pour enfants, "Sans famille".

     

    Et là, Bernard Clavel, le mythe en moins, réussit à capter le filon de la littérature populaire - je dis le mythe en moins car nous ne lisons plus aussi religieusement qu'autrefois, et les enfants ne lisent plus du tout.

     

    Cependant ceux que leurs parents sont parvenus à faire lire ( c'est d'ailleurs plus une question de destinée, y compris celle de notre civilisation, que d'éducation) lisent du Bernard Clavel. L'adulte sera passionné.

     

    Permettons-nous à présent quelques incursions :

     

    P. 47 du livre de poche collection "J'ai lu" :

     

    "Quand on aura piqueté, faudrait découvrir tout ce qu'on peut. Echantillonner en surface. C'est plus facile que de descendre."

     

    Nous sommes au tout début de la découverte : les hommes établissent leurs marques. Piqueter, c'est carotter en surface. L'or, ici, affleure. Mais il faut se donner des ampoules aux mains, et moins il y a de gens au courant, moins le secret s'ébruite. L'exploitant au début est un piocheur.

     

    P.. 94 :

     

    "L'interprète traduisit. Les regards s'éclairèrent. Les hommes se levèrent, plusieurs parlèrent entre eux tandis que Jordan leur distribuait l'argent."

     

    Nous sommes en compagnie d'une équipe de Polonais, franc comme l'or, durs comme le granit, qui ne veulent travailelr que si "ça paye". Il y a une typologie bien marquée de l'homme du grand nord canadien, tout à fait semblable à celle des westerns. Ecole de virilité et de rudesse, j'en passe. Jordan, c'est le découvreur embaucheur.

     

    P. 141 :

     

    "Des hommes qui avaient fait la guerre en France soufflaient à l'ancien draveur :

     

    - On en a vu de plus amochés qui s'en tiraient.

     

    Ils le remontèrent, toujours geignant.

     

    Comme s'il eût attendu ce mome,t; c'est lorsqu'il respira sa première goulée d'air glacé qu'il perdit connaissance."

     

    C'est ici la séquence de l'accident du travail. Un draveur, c'est celui qui assur ele flottage du bois, en plein air sur les rivières. Celui-ci est descendu au fond, et les boisages ont dû céder. Scène attendue, mais l'art du conteur ne consiste-t-il pas justement à faire d'une scène attendue quelque chose de nouveau et d'attachant, à la fois en dépit des conventions et grâce à elles ? et à ce compte, qu'est-ce qui n'est pas convention ? Le musicien n'utilise-t-il pas sans cesse des combinaisons de sons à la portée - c'est le cas de le dire - de tous ?

     

    Et lorsqu'on enterre l'accidenté (pas de fin heureuse ici comme dans l'épisode de Jean Valjean sauvant le père Fauchelevent de l'écrasement sous la charrette ) , tout le peuple du Canada est là pour le commentaire du choeur antique:

     

    P. 188 :

     

    "L'aveugle était là avec les quatre prostituées sous deux grands parapluies bleus. Bastringue demanda à Jordan :

     

    - Est-ce que tu diras la prière ?

     

    - Je la sais pas bien, moi."

     

     

     

    Je laisse aux exégète le soin de déterminer s'il y a message social sous le pittoresque. Je réponds d'ailleurs : oui. Non explicite, mais présent.

     

    Et grâce sans doute aux prostituées, facteur d'équilibre - je plaisante... - les familles s'accroissent :

     

    P. 235 :

     

    "Le trapu était aux petits soins pour sa femme, répétant comme un enfant :

     

    - Attention de pas te cogner le ventre. C'est trop petit, cette maison.

     

    "C'était lui qui heurtait constamment l'évier ou le fourneau dans la minuscule cuisine où ils s'installaient pour manger, à la table dont une extrémité touchait le mur de planches sous la fenêtre."

     

    Il s'agit d'un des deux fondateurs de la mine, qui pense déjà à s'agrandir. Mais la catastrophe arriva :

     

    P. 235 :

     

    "Je le savais...

     

    "Les dents serrées sur une espèce de rage qui lui glace l'intérieur, Jordan fonce. Il ne répond à aucun appel."

     

    Le patron, désespéré, seul responsable du désastre matériel et humain de sa mine inondée, fuira la vindicte populaire, mais sera rejoint malgré tout par le destin...

     

    Nous espérons que ces quelques extraits, joints à une appréciation que j'estime naïvement favorable, vous donnerons en vie de vous dépayser, tout en vous retrouvant, par la lecture de "L'Or de la terre", de Bernard Clavel. efois, et les enfants ne lisent plus du tout.

     

    Cependant ceux que leurs parents sont parvenus à faire lire

     

  • Le maître, son disciple, son épouse et ses chats

     

     

    Mon disciple de 20 ans s'envole pour l'Irlande. Il déclare m'écrit-il sa flamme à quelque Irish Girl rousse aux yeux verts , qui lui répond en bon anglais « Sorry, but my sentiments are not on the same scale as yours », autrement dit FUCK OFF. J'ai perdu de vue l'Omer d'alors, toujours au bord de la déprime, et bien que je lui aie seriné (prêchant pour ma paroisse) de ne «jamais abandonner personne » : il m'a laissé choir aschwöh, comme il est juste, logique et nécessaire à vingt ans de hisser les voiles (Ô Mort, vieux capitaine...) - mon petit-fils du même âge balaie des McDo.

     

    Un jour Omer deviendra journaliste, électronicien, chimiste, informaticien, dans le bac à sable qu'ils appellent « la Vie », sans bien savoir. Je me suis collé du sable plein les yeux. Je me suis relevé en me frottant les paupières, jurant de ne plus redescendre là-dedans. Je rejoindrai sous les lames la cohortes des macchabées, et nous aurons vécu : je n'écris pas mieux que mon admirateur. Cet été, sur la longue table de la profonde et fraîche cuisine commune, je reprends mes critiques sur feuilles volantes et les envoie. « N'écrivez que si votre vie véritablement est en jeu ». Et qu'est-ce que je peux réellement en savoir, Monsieur Rainer, avant d'avoir atteint, justement, la fin de ma vie ?

     

    Jules Renard écrivait : « Je récrirais bien mon œuvre, en mieux ; mais personne ne s'en apercevrait... » S'est envolé avant d'être pesant.

     

    X

     

    La Bouffiture, où nous logeons, comporte un restaurant. Autre longue salle voûtée en contrebas du pathio. Lièvre aux figues confites à tomber de bonheur. Il existe donc des plaisirs gustatifs. Et le plaisir de se torcher, comme dans Gargantua. Nous complimentons le cuisinier et lui filons un billet de zéro balle. Mon épouse de bon poil pour le restant de ses jours. Même après l'estomac rogné. Ils n'aiment pas les Hollandais, nos hôtes : « Les Koucasses », dit la femme : « Les Hollandais ». Je refuse le moindre effort. Aucun d'eux jadis ne m'a rapporté strictement aucun avantage. Rien. Que dalle. Walou. Le matin, ma femme dort : ainsi avant son opération, ainsi depuis.

     

    Elle s'assoupit : trop froid, trop chaud, trop pluvieux... Caresses, autorité, harcèlements : aucun remède rien. Alors, puisque c'est vacances, et que nous payons cette chambre, je sors me promener seul en campagne, en voiture et à pied, avant le plein midi du Languedoc. Je prends la route et fais le tour des églises perchées, des églises cadenassées. Très vite le plein soleil. Un bas de pente envahi de goudron cuit et de superbes goudronniers torse nu, gorgés de vapeurs sur le gravier puant, cuisant, juvéniles, torse nu, pompant le carbone à pleins poumons, mais rigolos, bonnes bites. Je monte en première, d'épingle en lacet. Chaleur suffocante, zigzags à voie unique, atteins le sanctuaire entraperçu d'en bas : des bâtiments propres, ocres et déserts. Je vois ici même, dans les garrigues du Putois, une cloche à bascule rasant le sol, suspendu à son mouton sous la poulie.

     

    L'herbe haute.JPGPour peu que j'eusse actionné le palan à travers le maillage, tiré sur la corde enroulée dans sa gorge, une autre là-bas m'eût répondu, symétrique, sur le versant d'en face, que j'aperçois près d'autres bâtiments tout semblables. Tout le vallon se fût précipité, tous auraient su qui j'étais (les goudronniers du bas m'ayant dénoncé) - scandale public, internement d'office. Il se tient donc ici chaque été, plus chaud encore !... des pèlerinages, retraites et dévotions, avec scouts, curés, colonies de vacances, vulgarité, aménité chrétienne et bon enfant - puis tout retombe à l'abandon. Retourne en solitude. Ces endroits-là servent à quelque chose, doivent s'utiliser, se rationaliser, règlements, réfectoire, dortoirs, juste pour la fête du saint (lequel ?) - passée la fête, adieu le saint - qui peut prier ici ?

     

    Tout est fait pour des gens, des vrais, des concrets, des matériels, des irrémédiable - juste de la foule - alors que nous serons guéris, dit le philosophe, dans la mesure exacte où nous serons éloignés de la foule : Sanabimur, dum a turba relegabimur – l'Autre, c'était le Diable, mais à présent, c'est l'Autre qu'on adore. Plus d'adoration, juste un ramassis de lieux communs, Guy Lux et Patrick S. prêchant au lieu d'un prêtre, dans la plus promiscuitaire des fraternités. Aujourd'hui, cerveau cuit de soleil dès 10h ; buissons poudreux, sol inégal et calciné. Les chats faméliques me suivent et se dérobent sitôt effleurés. J'entends des miaulements de toutes parts, de plus en plus proches, flairant mes doigts, puis s'esquivant. J'ai demandé plus tard le sens de ce manège : ils crevaient de faim me dit-on. m'a-t-on répondu - tels dans les rues escarpées d'Amorgos ces chats blancs consanguins sentant le caillé, mourant de faim me dit-on d'où leur docilité.

     

    C'étaient des moribonds que je posais sur mon bras, les flattant de la main dans leur agonie. Et la femme qui nous guidait poussait de petits cris de vive répugnance, et si je l'avais pu je je les aurais nourris, sauvés. Je me souviens aussi d'Arcueil à l'autre bout du monde, près de Paris, au rez-de chaussée surbaissé d'un donnant sur le remblai d'un talus battu de vent et de pluie froide ; sous ma fenêtre près du sol se pressaient les bâtards détrempés. Je leur offris tout ce que j'avais raflé de pâtée avant fermeture de l'épicerie, puis voyant que les plus forts s'emparaient de tout, j'ai projeté le plus haut que j'ai pu la nourriture sur la pente, afin que les plus petits eux aussi l'engloutissent - et là encore, les moins faibles bouffaient tout.

     

     

     

  • Les sentiers de la gloire

     

    Les journalistes chatouilleux, donc, les gens de pouvoir, les préjugés ; quatrièmenent, la censure par l'argent : pas rentable, cassez-vous. Malicorne ? "Ça n'intéressera personne". Joe Dassin? Non, trop con, c'est moi qui censure. La famine ? Attendons le cap du million de morts, sinon Omo retire sa pub. Tel auteur ? Inconnu, je le vire. Parlez-moi, oui, d'un auteur-critique, d'un auteur-metteur en scène, d'un auteur-acteur, -comédien, -footballeur, ou -escroc, mais pas homophobe svp. Et sans télé, pas de blé, pas de percée. Le petit succès d'estime, 126 ventes en librairie. Ce qui fait que les refusés à leur tour crient au martyre : "Puisque nous sommes refusés, c'est que nous dérangeons, c'est que nous ne montrons pas notre cul" (nous disait une sexa qui nous embrouillait de sa famille et de sa cousinaille 120 pages durant, écrites à la pioche). Niveau minable, connerie. Il ne s'agit plus de censure, mais de l'éternelle aporie "Pourquoi lui, et pas moi". Cf. déclaration de Régoli Toi Coco, rien qu'à voir ta gueule, avant même que tu aies ouvert la bouche, on a envie de te dire non – j'ai eu de la veine de ne pas être un nègre. Censure donc brutale et sotte sous Ceauşescu, projetant une loi pour interdire "de ridiculiser le chef de l'Etat", mais sournoise en démocratie ("inintérêt des lecteurs", "manque de retour sur investissement") – vous aurez plus de chance (réalité !) si vous faites partie d'un groupe de pression, d'un groupe tout court, bien identifiable sur le marché médiatique, avec des amis (donc des ennemis, d'où clash, d'où visibilité).

    Les hauteurs de Floirac.JPG

     

    Plus : bonne gueule, absence de toute timidité, tête froide face aux putes présentatrices – des nerfs, des nerfs – sens de la répartie. Etre déjà venu "à la télévision", connaître à fond les codes sociaux, souffler dans le sens du vent, mais juste un peu de travers : choquer, mais correct. Pratiquer l'autocensure, chiper sa petite niche d'emmerdeur dans la norme, car les vrais, les grands dérangeurs sont sur le banc de ton jardin public, avec ou sans minijupe, avec ou sans cartons, ou chez les fous. La censure ? c'est le jeu : Don Quichote, à la trappe. "Rentrez chez vous" disaient les flics aux SDF. Malgré mes émoussés sarcasmes donc, et ma hauteur de vue (ma modestie), la censure existe bel et bien, sournoise et précise. Et si je ne cause pas dans le poste, en dépit d'une lettre flatteuse du dirlo (Tsoff FM !) - c'est pour avoir signé en arabe. On ne change pas de programme à la rentrée – seule radio de France et de Navarre...

     

    ...Je n'invite personne à mon tour ? ce n'est pas par censure. Mais mon organisation foutraque en serait perturbée au point qu'il n'y aurait plus à proprement parler d'émission, avec l'autre, là, en face, qui me panique la vie, mais une succession ininterrompue d'étourderies techniques. Je vous lis à présent quelque chose sur Bertrand (...) - puis les charognards se sont précipités sur le livre, qui s'est vendu, pour les plus mauvaises raisons qui soient. Quant à vous, les raisons ne vous manqueront pas pour lire Les censurés de la télé. Egalement "La Drague" sur internet.

     

     

     

     

     

     

     

  • Il m'est arrivé tout ça

     Une chanson ! Une chanson !

     

    Moralès-seu, Moralès-seu ! Il s'agit du sketche du soldat Moralès par un comique de haute volée. Benuro. Bien meilleur dans ses rôles dramatiques. Je n'avais jamais écouté son numéro en entier. En dépit des avertissements des filles dont les grands frères se sont initiés avant moi, je persiste à barrir toujours les mêmes couplets : “Toi qui aimais voyager / Te v'là tout éparpillé” - sur une mine... “Toi qui aimais batt' des r'cords / A vingt ans déjà t'es mort” - je n'ai connu la richesse férocement antimilitariste du sketche lui-même que bien plus tard, quand je n'avais plus personne à faire rire... D'ailleurs les autres numéros dudit comique n'atteignent pas la cheville de celui-là.

    X

     

    La manif CGT

    LE PEUPLE, PUTAING CONG...

    L'allée calme.JPG

    J''éprouve une une répulsion effroyable envers tout ce qui fait peuple. “Culture prolo” me semble toujours un de ces assemblages artificiels particulièrement vide de sens : belote et pastis face à Mozart ou Rachmaninov. Ceux qui établissent là une équivalence me répugnent par leur démagogie ; le degré zéro du slogan me semble atteint par “Tous ensemble – tous ensemble – ouais ! ouais !” - avec ce hideux accent toulousain qui n'arrive pas à produire le son « an » : tous angsangbleu tous angsangbleu - alors que j'avais pleuré à simplement ouïr la foule des ouvriers toulousains psalmodier sur la place du Capitole archicomble : “Unité ! Unité ! Unité !” interminablement – j'en ai encore le frisson – jusqu'à ce que les représentant des différents syndicats tombent enfin dans les bras l'un de l'autre et s'étreignent en sanglotant à la tribune... Mais “Tous ensemble, Tous angsangbleuh” – au-dessus de mes forces. Vraiment. Le degré zéro du slogan. Tous ensemble – tous ensemble – gnouf ! gnouf ! Il suffit donc d'être ensemble pour avoir raison ? Deux filles, deux amies, sont entrées dans mon cours au pas en scandant ces mots. J'aimais particulièrement l'une d'elles, métisse, fortunée, à qui j'avais laissé entendre que j'aurais aimé passer ma vie avec elle, pour peu que nos âges eussent concordé...

     

    Elle murmura à l'oreille de sa compagne : « Tu ne te figures pas que j'aurais épousé ce vieux machin... » Je ne me souviens plus de son nom. « Dites-moi » - « est-ce que vous ne parleriez pas couramment l'allemand, par hasard ? » Elle me regarde stupéfaite : « Comment avez-vous su cela, vous ? - Parce que j'ai souvent eu l'impression, faisant des allusions en allemand, d'être particulièrement bien compris. » (la langue latine se prête bien à ces comparaisons grammaticales). Elle reconnut que ses origines plus que variées (sénégalaises entre autre) comportaient également une tante autrichienne, qui l'avait initiée à la langue allemande à l'âge de huit ans. Peut-être s'appelait-elle Séverine.

     

     

     

    Les deux Djek

     

    Je mêle souvenirs d'élève et de prof. Le premier Djek était un grand dégingandé, rouquin, fils du commissaire, viré d'un lycée à l'autre, Laon ou St-Quentin, alternativement. Il jouait du saxo. Toujours le même air de jazz. Je l'ai fait tomber dans une flaque bien boueuse, de tout son long. Les autres, à l'abri sous le préau, m'encourageaient, m'acclamaient. Hélas, chevaleresque, je lui ai tendu la main pour se relever. Il m'a mis une solide rouste, outragé de sa première défaite. J'ai compris que jouer fair-play, c'était passer pour un con.

     

    DJECK, fille de patron de supermarché, gênée par son fric. « Je me suis fait voler mon scooter » ; mon père : « Ça ne fait rien, tu n'as qu'à aller t'en acheter un autre ». Ce genre de gêne dure peu...

     

     

     

    Le disc-jockey

     

    « Je regarde le disc-jockey »

     

    C'est une chanson très naze. Je l'ai fait chanter à toute une classe. “Les garçons à voix grave » (je n'ai pas dit « aiguë », poour ménager leur susceptibilité) à ma droite, les garçons à voix claire à gauche, les autres au milieu. Ceux à voix grave, scandez “boum, boum” ; à voix claire : “tchac, tchac” ; on essaye : boum-tchac, boum-tchac. « Ceux du centre : imitez la cornemuse, en frappant le pharynx du tranchant de la main : ouin-ouin-ouin, ouin-ouin-ouin-ouin, ouin-ouin-ouin-ouin, touououou ! Ouin-ouin-ouin... On essaye – OK ! Ensemble à présent : boum-tchac-ouin-ouin – c'est bon ! » Les filles devaient chanter avec l'air le plus con possible “Je regarde le dis-jockey... TOUT FEU TOUT FLAMMES ! Allez les filles, encore plus con ! Et pour finir, l'hystérie ! Allez, l'utérus entre les dents !” Une rigolade épique.

     

    Et c'est à présent seulement que je m'avise de ceci : j'aurais dû les faire nasiller, les filles, pour obtenir cette sonorité de la plus épaisse sottise... Mais c'était vraiment humiliant ; auraient-elles accepté ? - nez en moins, quel triomphe... !! Et de manière inexplicable, pour la deuxième classe, ça n'a pas marché...