Proullaud296

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  • Brigitte Bardot, Bardot -

     

     

    « Moi vivante, on ne touchera pas aux phoques français » : Brigitte Bardot s'indigne, à bon droit malgré les plaintes des pêcheurs de la Manche. Pêcheurs contribuant selon elle aux massacres animaliers de toute espèce et de toutes les espèces, à l'obsession de la grande bouffe de ces humains cruels consommateurs de viande, de poisson, d'agonies animales. Et bien-pensants de ricaner : n'y a-t-il pas d'autres causes plus nobles, plus utiles à l'homme, et ne faudrait-il pas plutôt se préoccuper des bébés morts de faim ou des vieux qui crèvent sur leurs paillasses que des chevaux maltraités ou des cochons arrachés aux abattoirs ? Nous répondrons par une anecdote significative, comme toutes les anecdotes : des passants posaient la même question à cet éleveur qui recueillait chez lui les vieux chevaux hors d'usage, pour leur faire passer leurs derniers jours au sein d'abondantes prairies. Et l'éleveur de répliquer : «Que faites-vous donc vous-mêmes pour les vieux miséreux ? - Rien, ce n'est pas à nous de faire cela, l'Etat est là pour les secourir. - Eh bien, laissez-nous prendre soin des chevaux en fin de vie. » Nous ajouterons une citation de Tolstoï : « Tant qu'il y aura des abattoirs, il y aura des guerres ». C'est un lieu commun de rappeler que celui qui ne respecte pas les animaux ne respecte pas l'être humain. Il me sera rétorqué « habitudes alimentaires » et « mise en cause d'intérêts planétaires considérables ». Arguments de peu de poids. Certains se font végétariens. Ils ne peuvent plus supporter d'avoir de l'agonie dans leurs assiettes. Brigitte Bardot est aller rejeter un énorme poisson dans la mer, puis l'a payé au poissonnier ; des langoustes, aussi, destinées à se faire cuire toutes vivantes ; un crabe, dernier survivant du bassin.

     

    Elle passe pour folle et pire, pour ridicule. Elle fait arrêter à Gorizia, près de la frontière italienne, des camions où le bétail étouffe, sans eau ni nourriture, dans des camions infernaux en métal surchauffé : moutons, chevaux épouvantés, auxquels on refuse la moindre aération. Le scandale continue. Les abattoirs et les mauvais traitement continuent, et nous bouffons tout cela, car notre ventre est un dieu. On lui sacrifie des bûchers entiers de vaches prétendues folles ou de moutons prétendus tremblants. Nous venons paraît-îl de découvrir la viande fabriquée avec des cellules-souches, ce qui reviendrait très très cher et augmenterait encore la pollution : pourquoi pas, tout est possible à la science, et certains disent « hélas », car j'écris ce texte le 6 août et le diffuse le 9, soit les dates d'Hiroshima et de Nagasaki.

     

    Brigitte Bardot, très handicapée parmi la foule aimante de ses animaux, ne s'est pas dispensée pour autant de soulager discrètement de nombreuses misères humaines, à titre individuel, mais ne porte pas l'ensemble de l'humanité dans son cœur. Elle s'en explique dans ses Mémoires, que nous aborderons la semaine prochaine, mais aussi par Un cri dans le silence que nous allons évoquer. Les deux livres ne font pas double emploi : celui-ci la représente dans son domaine, entourées de bêtes de tout poil, amoureuse du vent, des abeilles et des plantes, farouchement isolée de ces foules qui l'acclamaient tout en lui crachant dessus. Pour moi, Bardot était une putain, puisque ma mère ne cessait de le répéter : à 16 ans, on écoute sa maman. Non, c'était une femme libre, la première, disaient les journalistes, enfourchant le second dada : gâteuse des animaux, dada numéro un, libératrice de la femme (en montrant son cul), numéro deux. Elle incarna ceci, cela, « liberté de ton », « provocation », « jouant avec son corps plus qu'avec sa tête », ânonnant ses textes de sa voix exaspérante, changeant de partenaire au gré de ses fantaisies ou de ses amours, vous connaissez la chanson.

     

    Troisième cheval, toutes ces déceptions de la bête traquée, fusillée par les objectifs et les flashes, obligée de se déplacer dans l'obscurité, de vérifier chaque fente de volet, de sortir camouflée. Tout cela développa une misanthropie hargneuse et parfaitement incurable. Elle se donne libre cours ici. Généralisations abusives. Râlades perpétuelles de vieille peau aigrie. Dada numéro quatre. Tout le monde est moche, tout le monde est con. Plus de curés, plus d'instituteurs, plus de valeurs, trop de parasites, trop d'étrangers, racisme, front-nationalisme, dada numéro cinq. Difficile d'écrire ou de penser quoi que ce soit d'original sur Brigitte Bardot, représentante parfaite de la pensée petite-bourgeoise et du style d'article de journal dit féminin, féminin con précisons.

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    Pourtant nous ne voudrions pas céder à cette méthode journalistique de bas étage, consistant à chercher l'étiquette, « fasciste » ! « raciste ! » « crétine ! » pour juger ensuite du produit en fonction de l'emballage et de l'étiquetage. Il est difficile de sortir des lieux communs quand on ne nous présente que des lieux communs : tout fout le camp, tout le monde vit sur le même modèle, tout le monde bouffe de la merde, lit de la merde, pense de la merde, regarde une télé de merde (pléonasme), admire des chanteurs et des artistes de merde. Plus emmerdant, pour rester dans le scato : les syndicats prennent le public en otage avec des grèves de merde, le personnel de service a trop d'exigences et demande des salaires trop élevé, les infirmières sont un peu bronzées avec des fesses un peu trop grasses, et certains éprouvent un grand plaisir à trancher la carotide de leurs moutons (les chrétiens massacrent leurs dindes, mais on n'en parle pas) (il est vrai que si chacun devait abattre lui-même les animaux dont il se nourrit, il y aurait un peu moins de consommation de viande ; mais c'est faux, Brigitte, les sacrificateurs de moutons les mangent ensuite, et dans nos campagnes, je me souviens bien d'avoir bouffé des lapins que j'avais vu tuer puis écorcher par ma propre grand-mère, et sans états d'âme). Il suffirait d'ôter quelques phrases par-ci par-là, comme un embarrassant éloge de Robert Brasillach quand même, lequel dénonça nommément des juifs sous l'Occupation, avec indication de leur domicile ; ou des âneries sur les danses modernes qui ne seraient que des gigotages (on pisse sur scène aussi maintenant, et on boit son urine dans une éprouvette). Chacun de nous peut dénoncer les absurdités de nos civilisations, leurs lâchetés, leurs cruautés.

     

    Mais la manière n'y est pas. L'humour est plat. Le style relâché

     

  • Quelques garçons, et deux filles

     

    PROFALAKON

     

    Garçons insolents têtes à claques

     

    Paillonneau, qui déclinait si crânement son identité, même devant le principal. Sité, admis à l'école d'ingénieurs automobile de Paris : “Regardez Monsieur, plus tard je gagnerai plus que vous. - J'espère bien mon ami, j'espère bien. En attendant dégage.

     

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    Garçons virils déconneurs décontractés à peu près sympa

     

    Les bruns :Vacci ; Claude, de son prénom évidemment François (mais je ne me souviens plus guère que des noms). J'avais un collègue qui s'appelait Claude, de Romorantin, avec un accent épouvantable, pris d'on ne sait où ; Il déclarait sans cesse en cours (de physique) : « On connstatte queue... » Comme il s'est dérobé souvent, crainte que je ne le retrouvasse en vacances, dans la même ville que mes parents ! Eïlath, retrouvé sous l'uniforme de facteur rue Judaïque, « Brassens», qui faisait la discipline à ma place quand il voulait bosser, ressemblant à Cremoux. Les blonds : Gutt et Yutt (terminales) (Yutt « mandé » au bureau, inscrit tel quel sur le « cahier de rapport). Le rouquin (taches de rousseur ) : Lethu amateur de Van Gogh (il l'appelle Vincent).

     

    Garçons timides conquis

     

    Beaufils, les yeux rouges, long nez, dissimulant pour mon Noël une bouteille de rouge derrière son dos, comme un assassin. Dellaripa, sournois, buté, bilieux, cheveux plaqués, futur bureaucrate, le rond de cuir déjà sur la gueule...

     

    Garçons blonds, intelligents, beaux gosses

     

    Tolstoïeff, jamais sincère, toujours fuyant et apeuré. A coup sûr tripoté par un proche. Se demandait sans cesse l'attitude qu'il fallait avoir. Particulièrement malsain. Chtoute et sa longue gabardine, aimé des filles ; Mourcontan, vingt ans plus tard, qui lui ressemblait. Surnommé “Mort Content » ou « Mentoncourt ».

     

    Garçons, bruns, beaux gosses

     

    Lapigne, qui me fout un doigt au cul au passage et que je baffe. “Vous aimez le poulet ? - Oh oui Monsieur !” Il sera Léÿnn dans Omma. Devenu homosexuel. Cela se voyait. Son père ne prenait jamais personne en stop ; surtout pas ceux qui marchaient à reculons : « Ah, il ira loin comme ça ! »

    Mœux ("Taisez-vous, Mœuœuœuœux...") (une qui « dit du mal par derrière »)

     

    Harmelle Delasne, qui joue aux échecs avec moi. Toujours soigneusement attifée, pomponnée.

     

  • Succession onirique

     

    51 12 23

     

    1) Vestige contemporain.JPG

     

    Je monte à pied une pente à la campagne. Parvenant dans un village où se déroule la fête patronale, je veux l'éviter, pour qu'on ne se moque pas de moi (on ne sait jamais). Les chemins d'évitement deviennent de plus en plus étroits et incertains. Sous un préau de lavoir un petit chien hargneux me mord à la main. C'est un tout petit briard vieux et sale. Plus je lui tape su rla tête, plsu il mord et bave. Je crains la rage, personne n'intervient, je me ferai vacciner.

     

     

     

    2)

     

    Dans une auberge avec deux filles qui me regardent, je décide de repartir avec une œuvre sculpturale représentant deux allumettes plates, en bois, encore attachées à leur talon. Je me mets en route, mais ce sera trop long, tout risque de casser avant mon arrivée chez nous. Je reporte les allumettes pour au moins prévenir Annie qui se trouve à une réunion dans la Maison de la Culture de Meulan.

     

     

     

    51 12 25

     

    Au Supermarché avec Anne, tout dépenaillé, dépoitraillé, du papier cul sortant de ma culotte, je croise Te-Anaa bien sapée en robe bleue à ramages, et Robert. Elle s'écarte de moi et nous faisons semblant de ne pas nous reconnaître. Plus tard, avec Anne, nous ressortons des emprises du Supermarché par le mauvais côté, la voiture est à l'opposé. Il y a un vaste parking, des jeux pour les enfants. J'ai dans ma poche des fragments d'anciennes lettres reçues ou adressées à Terrasson et cherche à m'en débarrasser en les tripotant. Anne devine à peu près, avec une intuition diabolique, ce qu'il en est.

     

    Je la perds dans un sanctuaire rond, clos, obscur, à haute voûte, dépouillé de l'intérieur, qui ressemble à une vaste vasque vide au ras du sol. La porte se referme, j'erre en tendant les bras dans l'obscurité la plus totale, il n'y a ni orgue ni statue ni le moindre point de repère. Je retrouve Anne à la sortie, dans le parc d'attractions.

     

     

     

    52 01 09

     

    Je suis avec Jacques dans une épaisse forêt de sapins, hostile. Dans une grande allée, il entasse du bois et veut allumer un feu. Il porte une cognée, marche vite, avec vigueur et décision. Mais une voiture de gardien se fait voir. Nous obliquons aussitôt. Il tire un coup de fusil. La forêt est pleine de bruits de mauvais augure, interminable, étouffante.

     

     

     

    52 01 12

     

    Annie et moi nous rendons à Paris à une gigantesque manifestation. Le nombre de flics est considérable, ils montrent uen grande agressivité. Chaque groupe de manifestant se voit séparer du suivant par une barrière portative. Il y en a d'autres aussi sur le côté, l'une d'elle représente un portail, celui de l'Ecole Normale, avec son écusson. Je demande ce que c'est, on me répond que cela sert à séparer les manifestants des promeneurs. La mauvaise foi semble évidente, car la foule est aussi dense de chaque côté de cette grille. Nous marchons en tête. Un petit jeune homme compte ses pas bien alignés puis s'arrête : une sorte de rite.

     

    Nous devançons la manifestation ; le boulevard, jusqu'ici dominé par de hauts immeubles sombres et sinistres, s'élargit. Nous menons alors en laisse un gros tigre apprivoisé, une femelle, qui tire un peu sur son collier mais se montre docile et sympathique. La foule a disparu derrière nous, en nous retournant nous constatons que le terre-plain central en herbe se dilue par-dessous, comme si la Seine remontait à la surface. Nous nous en tirons en remontant par les bas-côtés, mais perdons notre tigre. Nous pensons qu'il se retrouvera bien, mais nous restons seuls, voyant de loin la manifestation se disperser sous la menace. Ensuite, à Bordeaux, Stéphane, un acolyte et moi tendons au travers des quais déserts un matin d'été une immense banderole coloriée, où rien n'indique le nom du Pont Tournant.

     

    La banderole s'effondre, je fais signe qu'on la retende sur des tréteaux qui se trouvent là ; ensuite je rejoins les autres, advienne que pourra. Un grand festin doit se dérouler, les chiottes sont prêtes, très propres, je m'y installe, pas de papier, les cabines voisines bruissent de présences, je me torche écœuré avec un simple morceau de papier soie retrouvé dans ma poche, le déchirant le plus possible pour bien m'essuyer. Il n'y a ni odeur ni traces de merde sur mes doigts, mais c'est humiliant tout de même. Personne ne s'en aperçoit.

     

  • Colonne St-Marc à Venise

     

    Depuis 2036, une éternité ! cette épaisse revue gît dans la une salle de la clinique Zaviéti réservée à l'accueil des familles, lorsqu'elles doivent apprendre que le choix se réduit à deux options: débrancher, ou laisser vivre, si l'on appelle cela "vivre". Aussi les revues, les quinze ou vingt œuvres imprimées sur leurs étagères de contreplaqué ne suscitent-elles qu'une indifférence fébrile, toutes dépenaillées qu'elles sont à présent. L'une d'elle à mieux résisté : c'est un numéro de "Géo", mieux broché que les autres, affichant un dossier sur Venise ; plus de trente ans sont passés, mais la cité des doges agonise encore, en attendant qu'on la ferme aux touristes ; après tout, LascauxII ne désemplit pas – preuve s'il en fallait que le gros du touriste sait se contenter de peu, pourvu que les distributeurs et autres cafeterias abondent.

    La Princesse mauve par Anne Jalevski.JPG

     

    Sous nos yeux se recroqueville une chromophotographie représentant le lion de Venise en haut de sa colonne, déployant sur un soleil de feu d'artifice le profil découpé de son aile apostolique. Juste au-dessus de sa tête silhouettée s'explose le temps d'une seconde un magnifique éclatement d'hostie, tout rond avec sa douzaine d'épais rayons de longueurs variables, ocre foncé sur la nuit noire. Deux autres fusées l'accompagnent en même temps, plus petites, l'une sur notre gauche, l'autre à droite à distance double. Le lion dressé tout noir sur son chapiteau tronque et absorbe les jaillissements lumineux, tandis qu'au fond du ciel en arrière plan retombent les filaments d'autres explosions invisibles.

     

    Les quatre pattes plus trapues sur la contre-plongée foulent une architrave et la pyramide tronquée formant base, ornée d'une palme. Et sous le bourrelet circulaire, le sommet de la colonne masque en plein milieu la détonation d'une autre fusée, ce qui lui confère l'aspect d'un fût cylindrique explosant sous la pression symétrique d'une liqueur étincelante. C'est très beau, cela plaît aux peuples.

     

  • Vanité

     

     

     

    Frédéric de profil F.jpgF. de profil - par Anne Jalevski

    Avant même qu'il vous ait adressé la parole, quelque chose de lui vous pénètre – viol ? Comme le chien offre sa gorge au loup. Sur le palier renversé que j'étais il me fouille de ses crocs de vampire je chavire. Un pan effondré de soi-même. Ce petit bout de chair seul abandonné à soi-même et clé de l'espace du dieu, le reste recouvert. Extrême pouvoir, et gouffre : nous partions donc du désir de l'inceste aboutissant à l'épanouissement du Moi, nous disions donc que cet accomplissement du ¨Père et du Fils ne fonctionnerait que comme occasion d'échec, loin de toute illumination – mais vois comme la mort a tout simplifié, quatre coups de goupillon - l'interdit s'engloutit dans la tombe.

     

     

     

     

     

  • "Regain" de Giono, sur le vif

     

    Et c'est bien pratique. Il y a des marchands à l'aune » soit quatre pieds soit 1m20 environ « avec leur règle de bois un peu plus courte que mesure.

     

    « Et je vous ferai bonne longueur ; venez donc ! »

     

    « Il y a les bonbonneries et les marchands de sucrerie et de friture avec des gamins collés contre comme des mouches sur un pot à miel : il y a celui qui vend des tisanes d'herbes et des petits livres où tout le mal du corps est expliqué et guéri, et il y a, près de la bascule à moutons, un manège de chevaux de bois bariolés et grondeur qui tourne dans les arbres comme un bourdon. » Rien ne manque, ça fait du bien de relire des clichés disparus, avec la petite pointe d'originalité gionesque.

     

    « Et ça fait, dans la chaleur, du bruit et des cris à vous rendre sourd comme si on avait de l'eau dans les oreilles. Chez Agathange, on a laissé les portes du café ouvertes. Il en coule un ruisseau de fumée et de cris. Il y a là-dedans des gens qui ont dîné de saucisson et de vin blanc autour des tables de marbre et qui discutent maintenant en bousculant les verres vides du poing et de la voix », bref « la chaleur communicative des banquets » comme dit Péguy « où tout le monde est parfaitement soûl » - « Agathange n'en peut plus. Il est sur pied depuis ce matin. Pas une minute pour s'assoir. Toujours en route de la cuisine au café et il faut passer entre les tables, entre les chaises. Voilà celui-là du fond qui veut du vermouth maintenant. Va falloir descendre à la cave » et même pas le temps de se branler entre deux tonneaux. « Il est en bras de chemise : une belle chemise à fleurs rouges. Il a le beau pantalon et pas de faux col. Le faux col en celluloïd est tout préparé sur la table de la cuisine à côté des tasses propres. Il y a aussi les deux boutons de fer et un nœud de cravate tout fait, bien noir, bien neuf, acheté de frais pour tout à l'heure.

    La crainte.JPG

     

     

    « Au fond de la cuisine il y a la porte » - dis donc Giono, « il y a, il y a », c'est bien joli la simplicité mais ça commence à faire beaucoup - « du couloir. Elle donne sur les escaliers des chambres. Elle est ouverte ; elle est comme peinte d'une lumière de cierge qui tombe d'en haut. À des moments où il y a un peu de calme, Agathange va à la porte et appelle doucement :

     

    «  - Norine, vous n'avez besoin de rien ?

     

    « Une petit voix descend :

     

    « Non. »

     

    «  - Pas un peu de rhum ? Un peu de rhum, allez.

     

    «  - Non, va, fais ton travail.

     

    COLLIGNON LECTURES « LUMIERES, LUMIERES »

     

    GIONO « REGAIN » 61 06 03 35

     

     

     

     

     

     

     

    « Tout en servant, Agathange regarde la pendule. Il va bientôt être trois heures.

     

    «  - Quatre fines ? Bon.

     

    « Il va bientôt être trois heures. » Tu viens de le dire, Giono. « Et voilà Norine qui est descendue dans la cuisine.

     

    «  - Tu as pensé à la caisse, oui ? Bien sûr ?

     

    «  Elle demande à Agathange parce qu'on n'est pas encore venu. Il se ferait temps. Avec la chaleur qu'il fait, il vaudrait mieux qu'il soit dedans. «  (il semble qu'un cadavre attende là-haut)

     

    « Agathange a sous le bras la bouteille de fine et à la main la débéloire, » (ou cafetière à filtre) « et sur l'autre main le plateau avec les tasses.

     

    «  - Et oui, tante, je vous l'ai déjà dit, j'y ai pensé, mais juste un jour de foire. Et puis, ça n'est pas l'heure encore, pas tout à fait, c'est pas trois heures. Il m'a dit qu'il viendrait le mettre dedans à trois heures, c'est moins cinq. Tenez : ça sonne. Il va venir, ne vous inquiétez pas.

     

    «  La petite vieille regarde les tasses propres sur la table et le faux col, et la cravate noire, et l'Agathange qui est rouge et luisant de sueur, et le tiroir du comptoir tout ouvert et qui déborde de billets de cinq francs...

     

    «  - C'est pas que je m'inquiète, mais... il ne sent pas bon, tu sais...

     

     

     

    « C'est Jérémie qui a poussé le rideau de la porte et qui a crié :

     

    «  - Monsieur Astruc, vous voulez du blé ?

     

    «  L'autre en a été si bien bousculé de ça qu'il s'est tourné d'un bloc et que la table et les verres ont tremblé. 

     

    «  - Et où tu en as vu, toi, du blé ? Y en a pas dix grains de propre dans tout ton pays.

     

    « - Je ne sais pas s'il y en a dix grains de propre mais, de sûr, j'en ai vu six sacs et du beau.

     

    «  Il est entré et il est venu sur ses longues jambes jusqu'à la table. Monsieur Astruc le regarde. Jérémie s'y connaît en regards :

     

    «  - Donnez-moi une cigarette.

     

    «  M. Astruc sort son paquet.

     

    «  - Je vous en prends deux.

     

    «  - Et alors ?

     

    «  - Alors, c'est là-bas, derrière les chevaux de bois, à un endroit que d'habitude on y met les COLLIGNON LECTURES « LUMIERES, LUMIERES »

     

    GIONO « REGAIN » 61 06 03 36

     

     

     

     

     

     

     

    «  mulets. Il a fallu quatre mois pour aller regarder là-bas. Y en a un qui est là, avec ses sacs devant lui. Il regarde. Il est là. Il attend. Je lui ai dit :

     

    «  - Hé, qu'est-ce que tu as là ?

     

    «  - Du blé, il m'a dit. Et le plus curieux, c'est que c'est vrai. Vous savez, Monsieur Astruc, je m'y connais, vous le savez, c'est pas la première fois... Eh bien, je suis sûr, que du blé comme ça, vous n'en avez jamais vu.

     

    « Donnez-moi un peu de feu.

     

    «  - Qu'est-ce que tu bois ?

     

    «  - Rien ; j'ai assez bu. Mais, si vous faites l'affaire, vous me donnerez quelque chose. Je pouvais aussi bien aller voir le Jacques, mais, j'ai pensé à vous d'abord.

     

    «  M. Astruc, c'est un beau ventre bien plié dans un gilet double, avec une chaîne de montre qui attache tout et c'est sur deux petites jambes, mais ça se lève tout d'un coup.

     

    «  - Il faut que j'aille voir. Agathange, je reviens, fais servir des bocks. »

     

    Nous voilà en plein Monmoulin, l'auteur des Contes de mon moulin.

     

     

     

    « C'est bien six sacs qu'il y en a. On les voit d'ici. M. Astruc les a déjà comptés. Il a déjà vu qu'il y a du monde qui regarde le blé. Il a déjà vu qu'il n'y a pas encore les autres courtiers.

     

    «  - Laissez passer, laissez passer.

     

    «  Son premier regard est pour le blé. Il en a tout de suite plein les yeux.

     

    «  - Ça, alors !

     

    «  C'est lourd comme du plomb à fusil. C'est sain et doré, ete propre comme on ne fait plus propre ; pas une balle. Rien que du grain : sec, solide, net comme de l'eau du ruisseau. Il veut le toucher pour le sentir couler entre ses doigts. C'est pas

     

    une chose qu'on voit tous les jours.

     

    «  - Touchez pas, dit l'homme.

     

    «  M. Astruc le regarde.

     

    «  - Touchez pas. Si c'est pour acheter, ça va bien. Mais si c'est pour regarder, regardez avec les yeux.

     

    « C'est pour acheter mais il ne touche pas. Il comprend. »

     

    C'était le bon temps, d'une agriculture disparue, avec des mœurs qui nous sont familières, et qui nous foutent une poisse de nostalgie, mais avec moins de rudesse et pas trop longtemps.