Proullaud296

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"Regain" de Giono, sur le vif

 

Et c'est bien pratique. Il y a des marchands à l'aune » soit quatre pieds soit 1m20 environ « avec leur règle de bois un peu plus courte que mesure.

 

« Et je vous ferai bonne longueur ; venez donc ! »

 

« Il y a les bonbonneries et les marchands de sucrerie et de friture avec des gamins collés contre comme des mouches sur un pot à miel : il y a celui qui vend des tisanes d'herbes et des petits livres où tout le mal du corps est expliqué et guéri, et il y a, près de la bascule à moutons, un manège de chevaux de bois bariolés et grondeur qui tourne dans les arbres comme un bourdon. » Rien ne manque, ça fait du bien de relire des clichés disparus, avec la petite pointe d'originalité gionesque.

 

« Et ça fait, dans la chaleur, du bruit et des cris à vous rendre sourd comme si on avait de l'eau dans les oreilles. Chez Agathange, on a laissé les portes du café ouvertes. Il en coule un ruisseau de fumée et de cris. Il y a là-dedans des gens qui ont dîné de saucisson et de vin blanc autour des tables de marbre et qui discutent maintenant en bousculant les verres vides du poing et de la voix », bref « la chaleur communicative des banquets » comme dit Péguy « où tout le monde est parfaitement soûl » - « Agathange n'en peut plus. Il est sur pied depuis ce matin. Pas une minute pour s'assoir. Toujours en route de la cuisine au café et il faut passer entre les tables, entre les chaises. Voilà celui-là du fond qui veut du vermouth maintenant. Va falloir descendre à la cave » et même pas le temps de se branler entre deux tonneaux. « Il est en bras de chemise : une belle chemise à fleurs rouges. Il a le beau pantalon et pas de faux col. Le faux col en celluloïd est tout préparé sur la table de la cuisine à côté des tasses propres. Il y a aussi les deux boutons de fer et un nœud de cravate tout fait, bien noir, bien neuf, acheté de frais pour tout à l'heure.

La crainte.JPG

 

 

« Au fond de la cuisine il y a la porte » - dis donc Giono, « il y a, il y a », c'est bien joli la simplicité mais ça commence à faire beaucoup - « du couloir. Elle donne sur les escaliers des chambres. Elle est ouverte ; elle est comme peinte d'une lumière de cierge qui tombe d'en haut. À des moments où il y a un peu de calme, Agathange va à la porte et appelle doucement :

 

«  - Norine, vous n'avez besoin de rien ?

 

« Une petit voix descend :

 

« Non. »

 

«  - Pas un peu de rhum ? Un peu de rhum, allez.

 

«  - Non, va, fais ton travail.

 

COLLIGNON LECTURES « LUMIERES, LUMIERES »

 

GIONO « REGAIN » 61 06 03 35

 

 

 

 

 

 

 

« Tout en servant, Agathange regarde la pendule. Il va bientôt être trois heures.

 

«  - Quatre fines ? Bon.

 

« Il va bientôt être trois heures. » Tu viens de le dire, Giono. « Et voilà Norine qui est descendue dans la cuisine.

 

«  - Tu as pensé à la caisse, oui ? Bien sûr ?

 

«  Elle demande à Agathange parce qu'on n'est pas encore venu. Il se ferait temps. Avec la chaleur qu'il fait, il vaudrait mieux qu'il soit dedans. «  (il semble qu'un cadavre attende là-haut)

 

« Agathange a sous le bras la bouteille de fine et à la main la débéloire, » (ou cafetière à filtre) « et sur l'autre main le plateau avec les tasses.

 

«  - Et oui, tante, je vous l'ai déjà dit, j'y ai pensé, mais juste un jour de foire. Et puis, ça n'est pas l'heure encore, pas tout à fait, c'est pas trois heures. Il m'a dit qu'il viendrait le mettre dedans à trois heures, c'est moins cinq. Tenez : ça sonne. Il va venir, ne vous inquiétez pas.

 

«  La petite vieille regarde les tasses propres sur la table et le faux col, et la cravate noire, et l'Agathange qui est rouge et luisant de sueur, et le tiroir du comptoir tout ouvert et qui déborde de billets de cinq francs...

 

«  - C'est pas que je m'inquiète, mais... il ne sent pas bon, tu sais...

 

 

 

« C'est Jérémie qui a poussé le rideau de la porte et qui a crié :

 

«  - Monsieur Astruc, vous voulez du blé ?

 

«  L'autre en a été si bien bousculé de ça qu'il s'est tourné d'un bloc et que la table et les verres ont tremblé. 

 

«  - Et où tu en as vu, toi, du blé ? Y en a pas dix grains de propre dans tout ton pays.

 

« - Je ne sais pas s'il y en a dix grains de propre mais, de sûr, j'en ai vu six sacs et du beau.

 

«  Il est entré et il est venu sur ses longues jambes jusqu'à la table. Monsieur Astruc le regarde. Jérémie s'y connaît en regards :

 

«  - Donnez-moi une cigarette.

 

«  M. Astruc sort son paquet.

 

«  - Je vous en prends deux.

 

«  - Et alors ?

 

«  - Alors, c'est là-bas, derrière les chevaux de bois, à un endroit que d'habitude on y met les COLLIGNON LECTURES « LUMIERES, LUMIERES »

 

GIONO « REGAIN » 61 06 03 36

 

 

 

 

 

 

 

«  mulets. Il a fallu quatre mois pour aller regarder là-bas. Y en a un qui est là, avec ses sacs devant lui. Il regarde. Il est là. Il attend. Je lui ai dit :

 

«  - Hé, qu'est-ce que tu as là ?

 

«  - Du blé, il m'a dit. Et le plus curieux, c'est que c'est vrai. Vous savez, Monsieur Astruc, je m'y connais, vous le savez, c'est pas la première fois... Eh bien, je suis sûr, que du blé comme ça, vous n'en avez jamais vu.

 

« Donnez-moi un peu de feu.

 

«  - Qu'est-ce que tu bois ?

 

«  - Rien ; j'ai assez bu. Mais, si vous faites l'affaire, vous me donnerez quelque chose. Je pouvais aussi bien aller voir le Jacques, mais, j'ai pensé à vous d'abord.

 

«  M. Astruc, c'est un beau ventre bien plié dans un gilet double, avec une chaîne de montre qui attache tout et c'est sur deux petites jambes, mais ça se lève tout d'un coup.

 

«  - Il faut que j'aille voir. Agathange, je reviens, fais servir des bocks. »

 

Nous voilà en plein Monmoulin, l'auteur des Contes de mon moulin.

 

 

 

« C'est bien six sacs qu'il y en a. On les voit d'ici. M. Astruc les a déjà comptés. Il a déjà vu qu'il y a du monde qui regarde le blé. Il a déjà vu qu'il n'y a pas encore les autres courtiers.

 

«  - Laissez passer, laissez passer.

 

«  Son premier regard est pour le blé. Il en a tout de suite plein les yeux.

 

«  - Ça, alors !

 

«  C'est lourd comme du plomb à fusil. C'est sain et doré, ete propre comme on ne fait plus propre ; pas une balle. Rien que du grain : sec, solide, net comme de l'eau du ruisseau. Il veut le toucher pour le sentir couler entre ses doigts. C'est pas

 

une chose qu'on voit tous les jours.

 

«  - Touchez pas, dit l'homme.

 

«  M. Astruc le regarde.

 

«  - Touchez pas. Si c'est pour acheter, ça va bien. Mais si c'est pour regarder, regardez avec les yeux.

 

« C'est pour acheter mais il ne touche pas. Il comprend. »

 

C'était le bon temps, d'une agriculture disparue, avec des mœurs qui nous sont familières, et qui nous foutent une poisse de nostalgie, mais avec moins de rudesse et pas trop longtemps.

 

Commentaires

  • Le marché, c'est bien pratique en effet. Mais ce n'est pas donné.

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