Colonne St-Marc à Venise
Depuis 2036, une éternité ! cette épaisse revue gît dans la une salle de la clinique Zaviéti réservée à l'accueil des familles, lorsqu'elles doivent apprendre que le choix se réduit à deux options: débrancher, ou laisser vivre, si l'on appelle cela "vivre". Aussi les revues, les quinze ou vingt œuvres imprimées sur leurs étagères de contreplaqué ne suscitent-elles qu'une indifférence fébrile, toutes dépenaillées qu'elles sont à présent. L'une d'elle à mieux résisté : c'est un numéro de "Géo", mieux broché que les autres, affichant un dossier sur Venise ; plus de trente ans sont passés, mais la cité des doges agonise encore, en attendant qu'on la ferme aux touristes ; après tout, LascauxII ne désemplit pas – preuve s'il en fallait que le gros du touriste sait se contenter de peu, pourvu que les distributeurs et autres cafeterias abondent.
Sous nos yeux se recroqueville une chromophotographie représentant le lion de Venise en haut de sa colonne, déployant sur un soleil de feu d'artifice le profil découpé de son aile apostolique. Juste au-dessus de sa tête silhouettée s'explose le temps d'une seconde un magnifique éclatement d'hostie, tout rond avec sa douzaine d'épais rayons de longueurs variables, ocre foncé sur la nuit noire. Deux autres fusées l'accompagnent en même temps, plus petites, l'une sur notre gauche, l'autre à droite à distance double. Le lion dressé tout noir sur son chapiteau tronque et absorbe les jaillissements lumineux, tandis qu'au fond du ciel en arrière plan retombent les filaments d'autres explosions invisibles.
Les quatre pattes plus trapues sur la contre-plongée foulent une architrave et la pyramide tronquée formant base, ornée d'une palme. Et sous le bourrelet circulaire, le sommet de la colonne masque en plein milieu la détonation d'une autre fusée, ce qui lui confère l'aspect d'un fût cylindrique explosant sous la pression symétrique d'une liqueur étincelante. C'est très beau, cela plaît aux peuples.
Commentaires
Ne pas confondre "agonir" et "agoniser". Surtout quand on est journaliste. Mais il est vrai que la langue française, c'est d'un fascisme...