Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

der grüne Affe - Page 95

  • Wing, Wang, Wong

            Autre fille chinoise, occidentalisée, rédigeant en français son roman qui s'appelle Héroïque. Ou l'art et la manière de s'inventer une vie héroïque, lorsqu'on n'est qu'une hôtesse d'accueil au chômage, et que son père, un « sale Arabe », je cite, vient de se faire virer de son poste de chauffeur routier. Après tout, l'autrice a peut-être essuyé des insultes du style « sale chinetoque »,  le racisme comme la connerie n'a pas de frontières. Donc notre hôtesse d'accueil, prénommée Jeanne pour faire vraiment français, et teinte en blonde, se fait refuser un emploi par une nommée Mayou, elle-même patronnée par le nommé M. Merle. Ce Merle est un parfait salaud, qui essaye de lui faire croire qu'elle sera embauchée à coup sûr si elle accepte de passer une après-midi par semaine avec lui, et pas pour jouer aux cartes. 

     

     

    CETTE PHOTO S'APPELLE "DE BAS EN HAUT"
     038.JPG   Et le roman ne cesse de faire des aller-retours entre ce que Jeanne observe et constate, ce qu'elle imagine (à propos de son père, du sexe répugnant de M. Merle, des actes héroïques accomplis par elle-même) et les évènements qui pourraient se produire si, et si, et si. Selon cet outil d'appréciation, le lecteur peut admirer cette souplesse, cette ingéniosité, dans l'imagination d'une jeune femme un peu détraquée, prête à tout pour se faire embaucher, même à conduire des camions à la place de son père, ou bien à tuer M. Merle en lui balançant une bouteille de Coca dans la gueule  (ce qu'elle fait en effet, mail il l'évite par réflexe). Elle pense même avoir découvert que cet embaucheur sans scrupule est un tueur en série : elle se penche sous le siège de la belle bagnole de cet homme pour y découvrir un chewing-gum ou n'importe quel indice qui lui prouverait le caractère criminel de ce mufle, comme dans un policier qu'elle a vu à la télévision.
        Mais elle ne voit rien qu'une moquette impeccable. Ou bien, ledit lecteur peut se lasser de ces interminables méandres d'une imagination de petite fille prolongée, se lasser de ces robots qui ne pensent que par sautes d'idées. Il peut ne plus se souvenir du tout d'avoir lu ce livre, un de ceux qui défilent sur son bureau de vieux maniaque : quel maniaque peut supporter un autre maniaque ? Entre ce qui est vrai et ce qui est faux, peu de différences ; entre ce que l'on pense (« alors je ferais ceci, alors il ferait cela, j'aime bien mon père et ce patron est excitant à vomir »), ce que l'on aurait pu dire et ce que l'on dit réellement, peu de différences également : à l'intérieur du cerveau d'un enfant les imaginations défilent, chaque situation est considérée soit du point de vue réel soit du point de vue potentiel, comme dans notre tête, après tout, à nous tous.
        Le lecteur se voit donc en face du banal extraordinaire ou réciproquement, et le style, clair, direct, académique, ne lui permet pas de se raccrocher à son propre intérêt. Il peut s'imaginer avoir
    lu ce qu'il a lu, il peut décréter que ces personnages schématiques ne sont que des figures d'exercices, apprécier l'exercice mais laisser son âme en dehors de tout cela, sauf s'il est fille, arabe ou chinoise ou les trois. Nous aurions là un excellent point de départ pour des observations sociologiques ou psychologiques, pour étudier l'humour froid et le détachement, la condition des chômeurs infantilisés issus de l'immigration sur le chemin d'une intégration indéfiniment repoussée, pour nous pencher sur la manière hitchcockienne de présenter un scénario étincelant de cristallisations banales, mais n'est pas Hitchcock ni les frères Dardenne qui veut.
        Il semble que le roman dit Héroïque ferait un excellent film, centré sur la personne d'une dingue, style Muriel, et notre lecteur devrait posséder la souplesse de s'adapter à de nouveaux procédés de narration : mais il n'a peut-être jamais su acquérir cette faculté de perception. Vous en savez peu, mais suffisamment pour goûter déjà ce fragment situé ves la fin, qui pourrait vous rappeler Pas d'orchidées pour Miss B. : nous vous guiderons s'il y a lieu. Notre Jeanne arabo-chinoise (c'est une supposition) arrive en passagère devant la maison de M. Merle, présumé tueur en série :
        « Elle était effrayante. Une fille naïve qui ne savait pas qui était Merle l'aurait trouvée sublime ». En effet, notre héroïne présente la particularité non seulement d'imaginer, mais aussi de juger ses imaginations, en vraie cabotine de onze ans et demie d'âge mental ; notre auteur ici ne se contente donc pas d'énumérer tout ce que fait son personnage, mais se figure omniscient à l'intérieur du cerveau de cette jeune femme). « Tous ses os devinrent aussi mous que du fromage blanc. Cette maison ressemblait à un long paquebot à 2 étages, échouée au milieu de nulle part. Jeanne eut beau scruter l'horizon aussi loin que ses yeux le permettaient, aucune forme d'habitation humaine ne se laissait deviner. Il n'y avait que la forêt qui s'étendait à perte de vue et, au-dessus d'elle, une immense colline noire, très longue et toute râpée. Même si la maison paraissait très propre – les façades étaient d'une blancheur immaculée comme si elles avaient été repeintes la veille, les rideaux attachés derrière les 6 fenêtres étaient tous semblables et tous parfaitement symétriques – et même s'il y avait sur la pelouse très tondue et d'un lumineux vert pomme, des sculptures amusantes d'animaux - » (le vrai série B pour télévision allemande) « Jeanne savait qu'elle était habitée par un tueur. Et 2 indices lui donnèrent raison. Elle aperçu, collé contre le côté gauche de la maison, à l'opposé de la porte du garage, un hors-bord monté sur une remorque. La mer se trouvait à plus de 300km et ici » (dans le Puy-de-Dôme apparemment) « il n'y avait pas le moindre brin d'eau.

  • De Gaulle, England & C°

    Le 10 septembre, Londres annonçait que les forces britanniques avaient pris pied à Majunga et qu' « une administration amie, désireuse de collaborer pleinement avec les Nations Unies et de contribuer à la libération de la France, serait établie dans l'île." Etrange avec le recul de considérer le général de Gaulle s'appliquant avec hauteur de sauvegarder les intérêts de notre pays dans ses colonies, alors qu'elles seront toutes bradées moins de vingt ans plus tard, au nom du réalisme économique. Faut-il provisoirement conclure que le Général savait s'adapter aux circonstances, et que la situation d'après-guerre, en Afrique et ailleurs, n'avait plus grand-chose à voir avec celle des années  41-42 ?
        Le suspense continue, pour les ignorants que nous sommes. Le 11, M. Strang déclarait à Maurice Dejean : «Dans l'esprit du gouvernement britannique, le Comité national français doit être « l'administration amie » mentionnée dans le communiqué. Nous sommes passés bien près de la disparition, de la réduction au fantoche. De même nos gouvernements actuels, tant gaullistes que socialistes, ardents défenseurs de l'action gaullienne, s'empressent-ils aujourd'hui de nous fondre dans une Europe impersonnelle, tout en prétendant le contraire à grands coups de menton. Bon ! Il n'y a donc pas que de Gaulle à se contredire à vingt ou trente ans de distance, et l'historien du futur, s'il en reste, ne pourra que disserter sur le « long déclin » de la France...      Je ne connais plus le nom de l'artiste ; qu'il se manifeste s'il le souhaite.                         SUITE :
    Marcheur.JPG58 12 17
        Poursuivant cette longue épopée, nous parvenons aux laborieuses tractations (toute la carrière du Général ne fut que laborieuses tractations) pour convaincre les Alliés de marcher sur Paris, au lieu de foncer, avec Patton, à travers la Lorraine. L'argument est que Paris déjà s'insurge, laissant sur le flanc gauche des Alliés un abcès de fixation très dangereux ; ces derniers atteignent déjà la Seine en aval et Melun, mais seul Paris demeure à l'écart. Décidément, ce que j'aurai appris, même en tenant compte de la paranoïa chatouilleuse du général de Gaulle, est que les Américains ne nous auront délivrés qu'à contre-cœur, considérant la France en tant que champ de bataille, certes, mais au grand jamais comme un partenaire politique valable : nous fûmes copieusement méprisés, juste bons à devenir un protectorat.
        Noter cependant que les Italiens, sur qui pesaient les soupçons d'une obédience mussolinienne encore toute proche, parvinrent à surmonter ce mépris, redevenant souverains sans problèmes. En dépit du mépris pour les Macaroni. Les Français se sont battus en Italie, avec leurs trois soldats et demi emplis de vaillance. Ils ont remonté la vallée du Rhône. Personne ne parle de cette session de rattrapage, où l'héroïsme et la vaillance... mais le langage gaullien me rattrape... Un orgueil exaspérant c'est vrai. Une époque épique, bien perdue de vue. Une méfiance ô combien justifiée envers le Parti Communiste, qui fit tout je suppose pour évincer le grand Charles, parvenant à des résultats pharamineux lors des élections de 1954, alors que le goulag battait son plein dans la plus parfaite ignorance tu parles. Rien n'est pur, et je barbote dans les clichés, n'ayant pas dépassé les bonnes rédactions de première, puisque ces classes planchent sur les Mémoires de guerre. Il est bon toutefois d'avoir porté ces épisodes à la connaissance des minorités féminines et littéraires (pléonasme) des lycées.
         Je ne pense pas que les scrutins s'en ressentent, mais si notre pays pouvait avoir envie de se relever, ce ne serait pas plus mal. [A]u sujet des évènements de Paris,(...) le ton réservé, voire empreint d'un peu d'aigreur, de la « Voix de l'Amérique » me donnaient à entendre que, cette fois, Londres et Washington ne s'accordaient pas tout à fait pour ce qui concernait la France. Londres a vu le feu de plus près, il est vrai. Churchill n'a fini par admettre de Gaulle que bien malgré lui aussi. Le général a résisté à partir de Londres et Alger. Il s'est vaillamment débrouillé avec ses bouts de ficelle. Mais je reprends les préjugés et les persiflages. Il me sera difficile d'émettre des commentaires pertinents ou renouveleurs à propos de politique, étant de l'avis du dernier venu. Des  picotements me sont même montés aux yeux à lire ces envolées de lyrisme de caserne à propos des drapeaux qui claquent au vent du Mans à la banlieue sur le passage du Général, avec des allocutions de maires qui se terminent en sanglots : c'était vrai.
        De Gaulle exaspère par ses moulinets de rodomont. Mais il force l'admiration, par sa capacité de transformer le vide en plein, qui est le sort de nous autres, condamnés par la mort à ne plus agiter que des symboles. Et moi, simple Parménion (« J'arrêterais, si j'étais Alexandre. - Moi aussi, j'étais Parménion. ») j'avoue que mille fois j'aurais renoncé s'il m'avait fallu combattre autant de mépris et de basses manœuvres, cinq années durant, qui finirent par entraîner la démission du général de Gaulle, vaincu par les nains. Je ne l'aimais pas. Peut-être à cause de l'Algérie, abandonnée après une flagrante victoire militaire. Mais surtout parce qu'il représentait, avec son infecte bonne femme, le puritanisme le plus étouffant ; or Pompidou, bien qu'il n'imitât pas toujours la chasteté du général de Gaulle, ne montra aucune différence avec son prédécesseur sur ce point.     Quant à 68, comme chacun sait, ce fut là aussi une folle surenchère verbale, qui permit aux petits malins baiseurs de faire croire que c'était arrivé pour tout le monde alors que rien n'était changé pour les nigauds. Mon vieux crachat lancé, revenons aux faits : Je renvoyai à Paris le vaillant Favreau, porteur de la réponse que j'adressais à Luizet, dont j'ai ma foi oublié la fonction : préfet ? J'aime cette façon de lancer un adjectif louangeur à ses bons serviteurs et soldats par de Gaulle, comme un os de satisfaction à ronger, un bon point. Mais c'est lui, de Gaulle, qui a fait tout le boulot. Certains, je le rappelle, déclarent que sans la Résistance, le Général n'eût rien pu faire. J'y précisais mon intention d'aller d'abord, non point à l'Hôtel de Ville où siégeaient le Conseil de la Résistance et le Comité parisien de libération, mais « au centre ». Bien, de Gaulle : ne pas avoir l'air, si peu que ce soir, d'entériner l'emprise des communistes et apparentés, de sembler solliciter un adoubement ; mais jouer le peuple, la rue, contre les appareils d'apparatchiks.
        Je crois bien que des bruits sur les exactions de Staline avaient largement filtré, mais qu'il ne fallait pas que le peuple les sût. J'ai beaucoup aimé ce coup de menton du Général à Carcassonne, lorsqu'il refusa de recevoir au premier étage les délégués résistants en armes, les forçant à s'en débarrasser au rez-de-chaussée avant de monter à son bureau. Ça c'était de l'orgueil, et du bon, et à bon escient. Il y acvait déjà eu des soviets plus ou moins provisoires, dans l'Aude et dans les Savoies. Dans mon esprit, cela signifiait au ministère de la Guerre, centre tout indiqué pour le gouvernement et le commandement français. Nous ne disons plus « de la Guerre » à présent. Ce n'était point que je n'eusse hâte de prendre contact avec les chefs de l'insurrection parisienne. Nous comprenons ces réticences, cette progression cauteleuse sur les lignes de crête. 
        Les dirigeants marchent tous sur ce fil du rasoir. Comme il est compliqué d'être roi sans verser dans la cruauté. Toujours tenir compte de l'avis de tous, en maintenant le sien. Fragilité du pouvoir, etc. Mais je voulais qu'il fût établi que l'Etat, après des épreuves qui n'avaient pu ni le détruire, ni l'asservir, rentrait d'abord, tout simplement, chez lui. Vraiment ? Pourquoi pas l'Elysée ? Pas asservi, l'Etat français ? D'où vient alors ce haut-le-cœur de l'Etat-Major allemand (nous le rappelons) lorsqu'il aperçut, au nombre de la délégation des vainqueurs, le représentant de la France ? De Gaulle n'avait pas cédé, donc la France non plus ? Dans la paranoïa du Général, certes ; mais dans les faits ?
        Nos bravoures diverses avaient sauvé l'honneur, brillamment sans doute ; mais l'Etat ? De Gaulle considérait les résistants comme une bande de dépenaillés touchants, mais à prendre avec des pincettes à guenilles, car une bonne part s'étaient laissé tenter par les sirènes d'un communisme stalinien alors au faîte de son prestige, et comptaient bien transformer la France en conglomérat de
    territoires soviétiques, ainsi que je l'ai entendu dire pour l'Aude et les Savoies. XXX

  • Gassama, Kourouma

        Ouvrage très particulier que nous vous présentons aujourd'hui, à double titre : d'une part il s'agit d'une terra incognita, la littérature noire africaine. C'est quelque chose que nous dédaignons par chez nous... D'autre part, c'est un livre de critique : un universitaire africain, actuellement fonctionnaire à l'UNESCO, se livre à une étude sur La langue d'Ahmadou Kourouma. Il sous-titre son ouvrage, non sans humour, « le français sous le soleil d'Afrique ». Il va donc falloir que je commente un commentaire, assorti il est vrai d'un nombre important et convaincant d'exemples. C'est paru aux éditions ACCT, 13 quai Citroën, 75013 Paris. L'ouvrage de Kourouma dont il est parlé s'appelle Les soleils des indépendances.
       Eglise près de Tulle.JPG Il a été écrit en 1968, dans le désenchamtement des indépendances africaines. Le cadeau de la liberté accordée par de Gaulle (qui ne voulait pas de guerres coloniales sur les bras en plus de l'algérienne) fut un cadeau empoisonné. Loin de moi, loin de Kourouma l'idée de chanter avec Sardou le temps béni des colonies. Mais force est de constater que la démocratie n'est pas une tradition africaine, et l'eût-elle été que les indépendances ont renforcé les nationalismes, donc les partis uniques et obligatoires. Celui qui ne s'inscrit pas au parti unique, ou qui n'en pense pas de bien, est considéré  comme un traitre, puisqu'il ne peut y avoir d'autre parti que celui de la libération nationale !
        A cet égard, les Kurdes, si j'ai bien compris, accouchent de la démocratie dans la douleur : pluripartisme, certes, mais aussi appel aux peuples étrangers. Revenons à notre Mali, puisque Kourouma est malien, malinké pour être plus précis : vous n'êtes pas sans savoir en effet que les frontières administratives de notre bel empire colonial faisaient fi des séparations ancestrales des peuples, et que les Etats actuels sont le fruit de ces découpages malins. L'indépendance a donc engendré une multitude de soleils desséchants, « les soleils des indépendances », c'est-à-dire les grands dictateurs sanguinaires, Amin Dada, Eyadéma, Bokassa, pour ne parler que des plus reluisants, ne pensant qu'à s'enrichir la panse et à faire dominer leur tribu sur toutes les autres, dans le sang et la concussion.
        Certains disent qu'à présent tout est en voie de règlement, et que la situation s'est améliorée : n'est-ce pas Mobutu ? Donc le livre de Kourouma est encore d'actualité et pour longtemps. Nous n'irons pas dire que l'Afrique est un modèle de gestion économique et sociale. Pas un seul personnage sympathique, les héros étant régulièrement comparés à des hyènes, à des chacals, et à tout ce que le bestiaire africain peut avoir de répugnant. On parlera même des trous du cul de ces dites hyènes. Les mâles sont impuissants, et quand ils bandent, ils filent des maladies purulentes plus volontiers que de beaux enfants. Les dirigeants sont des bâtards. Les femmes se font exciser, violer. Kourouma crie de douleur et de dégoût. Il se vautre dans la caricature la plus grasse, et les universités francophones africaines ont si bien accepté le message que le roman Les soleils de l'indépendance est au programme de toutes. Or Ahmadou Kourouma se paie le luxe, utilisant la langue française – pour des raisons d'abord de plus grande diffusion – de la transformer en annexe de la langue malinké, de laquelle je sais aussi peu que vous.
        D'où d'appréciables ruptures de syntaxe, des mélanges de sens réels et de sens métaphoriques – on disait naguère « figurés » - sans compter d'innombrables glissements de significations, que seuls un locuteur malinké peut goûter pleinement. Il existe même des passages où l'auteur, simplement, calque une expression malinké. Notez qu'il n'a pas cru devoir recourir non plus à un quelconque petit-nègre, mais qu'il a traité les deux langues sur un pied d'apparente égalité, je dis apparente car la langue littéraire véhiculaire imposée, le français, se voit artistement torturée sur le chevalet du malinké. Cette langue, comme celles d'Afrique en général, a très volontiers recours à l'image, et les littératures noires ne craignent pas d'en abuser.
        Pour nous autres, c'est trop. Jamais trop pour un Malinké ou un Bambara. Et ces images ont conservé dans les langues des Noirs toute leur saveur de sens originel. Nous avons été aussi gavés, nous autres Blancs, de toute une littérature regorgeant d'images ; mais les Noirs étaient si l'on peut dire surréalistes avant la lettre ; encore faut-il rectifier : telle association qui nous semblera à nous fort incongrue sera  très fréquente en malinké, voire proche du cliché. Le critique, Makhily Gassama, s'en donne à cœur joie. Visiblement en état de jubilation permanente devant son sujet, qu'il traite avec le sérieux un peu pédant d'un universitaire, mais sans se départir d'une extrême accessibilité, et d'un humour allégeant les passages les plus ardus.
        Nous aurions aimé qu'il parlât par exemple de « verbes » au lieu de « procès » ; qu'il s'extasiât un peu moins sur de certains phénomènes de langue devenus ccourants ; à déplorer, à propos de l'expression « les assis », abondamment commentée sous l'angle du changement audacieux de catégorie grammaticale, le manque de référence pourtant criant au poème du même nom, Les assis, chez Rimbaud. Parfois, souvent même en effet, Makhily Gassama s'exclame juvénilement sur des audaces qui n'en sont plus dans notre vieille littérature qui en a vu d'autres. Mais il nous renvoie dos à dos : il y a certainement beaucoup plus de nuances encore qui nous échappent dans le texte de Kourouma, à nous autres ignares en malinké. De toute façon, comme le dit l'avant-dernier chapitre, «qui n'est pas malinké peut l'ignorer » ; ce qui signifie que cet ouvrage est essentiellement destiné non seulement aux malinkés mais à tous les locuteurs de langues africaines, unis par l'amour de l'image expressive. Le dernier chapitre s'appelle « La langue française : langue cocufiée ». Entreprise redoutable d'enrichissement grâce à l'apport étranger, bien plus profitable n'en doutons pas qu'une invasion (hypothétique) par le franglais. C'est en violant la langue (variante) que Kourouma, prénommé Ahmadou, lui a fait ce bel enfant subversif intitulé Les soleils des indépendances, que j'aurais du coup bien envie de lire après en avoir apprécié la critique.
        Lui-même d'ailleurs, Makhily Gassama, se laisse aller au cours de sa jubilation à des emplois d'images, à des digressions passionnées sur le sort de son pays du nord au sud ; il nous interpelle, rien ne ressemble totalement là-dedans à une de ces études sérieuses qui tombent de vos mains poussiéreuses. Et mieux vaut un peu trop d'enthousiasme que des péroraisons pédantes. Il n'est jamais pédant. Voici un exemple de ces rapprochements entre l'Occidental et l'Africain : pour le premier, jeux de mots ; pour le second, expression d'une vérité vécue.
        Lorsque l'Occidental, en parlant, « touche du bois », il y a, dans ce geste anodin, la réminiscence d'une croyance antique en l'interconnexion des éléments des deux mondes, comme si ces éléments obéissaient à des énergies qui échapperaient au contrôle de l'homme. Qu'est-ce qui singularise, dans ce cas, l'attitude de l'homme africain ? Celui-ci semble se comporter quotidiennement comme atteint d'une sorte de synesthésie : une sensation cache ou appelle une autre sensation de cattégorie différente ; on comprend l'importance du signe dans la culture et la littérature négro-africaine ; les signes foisonnent dans « Les soleils des indépendances » ; un être abstrait peut donner naissance à un être concret. Ainsi, nommer, c'est appeler à l'existence, c'est créer à la manière du démiurge. La frontière entre les deux mondes est artificielle : on glisse aisément de l'un à l'autre. La logique exige qu'une telle croyance accable la conscience de l'homme; celui-ci doit se sentir responsable de tous les grands détours de l'Histoire ; ce n'est encore le cas ni chez nos dirigeants politiques ni chez nos cadres administratifs ; pourtant, les bouleversements sociaux, politiques , culturels, même ceux qui paraissent les plus imprévisibles, les phénomènes qui ont engendré la Pérestroïka, relèvent toujours directement ou indirectement de la responsabilité de l'homme et même les cataclysmes naturels auraient pu être conjurés ou tout au moins leurs conséquences auraient pu être sans effets néfastes sur la vie de l'homme si celui-ci avait su être attentif aux signes. »  Passage essentiel, montrant bien le fossé qui sépare l'Occident, où les mots n'existent que sur le papier sans que cela tire à conséquence, de l'Afrique, où les phrases et les livres s'insèrent dans tout un contexte social et matériel : pas de rupture, en Afrique, entre la Littérature et la Vie, et la Réalité, car pour l'Africain, comme pour Adam, nommer, c'est créer. Plus encore par écrit. Procurez-vous donc l'ouvrage La langue d'Ahmadou Kourouma, ACCT 13 quai A. Citroën Paris XVe ou KARTHALA, 22-24 bd Arago, Paris XIIIe. Et lisez, ensuite ou dès l'abord, Les soleils des indépendances, dudit Ahmadou Kourouma.

  • Le jeu de la feuillée

        Le jeu de la Feuillée fut écrit à la fin du règne de saint Louis ou dans les premières années de son fils et successeur Philippe III de France dit le Hardi, à ne pas confonde avec celui de Bourgogne, bien postérieur. En date. L'auteur, comme son père, s'appelle le Bossu, bien qu'il ne le soit pas, et se voit aussi nommer « Adam de la Halle », comme son père également. Au Moyen Âge on portait rarement le nom de son père ; d'ailleurs, en dehors d'Arras, on l'appelait Adam d'Arras. Il serait mort au service d'un seigneur, en expédition dans les Pouilles, en Italie. C'était un grand lettré, trouvère, excellent musicien aussi, mais sa musique ne nous est pas parvenue. L'avant-propos, dû à l'excellent Ernest Langlois dans la collection « Les classiques français du Moyen Âge » aux éditions Champion, en 1964, fourmille de discussions à l'usage des spécialistes, qui font mes délices et mon incompréhension partielle, envoûtante, justement : j'ai l'impression de porter un chapelet de décorations auxquelles je n'ai pas droit…
        La feuillée n'est pas cette tranchée de campagne où vont déféquer les soldats qui n'ont pas encore fait défection, mais ou bien une longue tonnelle installée pour faire de l'ombre en plein Pas-de-Calais (on disait « Artois »), ou bien une espèce de dais en feuillage disposé au-dessus d'une statue de la Vierge au milieu d'une place d'Arras. Les spécialistes (voir plus haut) en discutent encore en attendant de se faire égorger. Une assemblée se tient là, et nous restitue par son bavardage (en dialecte picard) certains aspects de la vie médiévale : notre auteur se met en scène avec toutes ses connaissances, et nous devons bien connaître chacun pour apprécier le charme inexistant de cette revue de chansonnier.
        Or des documents (ou cocuments) nous sont fournis par les archives médiévales, imparfaites et répétitives, lesquelles nous disent entre quelle et quelle date (un an d'intervalle) sont morts tel ou tel. Adam de la Halle ou le Bossu apparaît lui-même dans d'autres textes, écrits par lui ou par d'autres poètes. Certains recoupements sont donc possibles, mais il est souvent impossible de conclure ; c'est d'ailleurs à cette conclusion que s'attachent la plupart du temps tous nos médiévistes universitaires, qui s'accordent dans leurs peurs frileuses. Adam donc, fils de notable, aurait interrompu ses études pour revenir épouser une jeune fille qui ne l'était plus, grâce à lui ou à cause de lui, ce qui commençait à se voir au tour de taille.
        La main sur la pierre.JPGOu bien (il y a toujours un « ou bien »), Adam se serait séparé de sa femme pour une durée de trois ans pour étudier, finalement, à Paris, et ils se seraient revus plus tôt, parce que Paris, la Cité pour être plus précis, c'est très cher. Il nous faut donc rabattre sur le texte lui-même, qui ne livre ses secrets qu'après décorticage et grands broiements édentés de mâchoires érudites : trois fois que je lis ce Jeu de la Feuillée, au hasard cahotant des programmes... et la troisième fois, je sentis enfin revivre tout ce Moyen Âge, au moment fixé par la sainte Vierge ou par les fées, puisqu'elles doivent paraît-il venir sous la feuillée, disent les participants, à minuit. La Vierge n'est-elle pas la meilleure des fées, même si c'est un peu hérétique ? Ce sont donc des moqueries convenues, des plaisanteries avec note en bas de page afin de rire au bon endroit, une langue obscure qui semble mal mâchée (moins coulante évidemment à l'écrit qu'à l'oral), un décousu dû à la multiplicité des personnages (il faut bien que chacun ait son mot à dire), un scénario qui semble aussi brouillon qu'une comédie de France au cinéma.
        Et timidement, les personnages se sont mis à vivre : un fou (un « dervé ») qui bat son père, des femmes qui bavardent, des hommes qui bavardent, un prêtre, des critiques sur les uns ou les autres,                                                                                                                                                                                                            dans un dialecte à la ch'ti, bourré de chuintantes et de nasalisations. Voilà. Jamais je n'ai su trouver la clé de ce temps-là, dont les œuvres, non traduites, demeurent souvent bien moins intéressantes que les commentaires de nos siècles à nous. Ils comprennent, en avant-propos, des citations, provenant de jeux-partis, avec un trait d'union. Il s'agit d'un dialogue entre deux interlocuteurs exposant une thèse différente : « Les jeux-partis dont sont extraites ces citations ont été composés peu de temps après le mariage d'Adam ; avant 1272, date de la mort de Bretel » - en effet, sinon, l'auteur n'aurait pas fait parler ledit Bretel, ou bien aurait précisé qu'il était mort.
        Ces pièces-là, c'était un peu comme le journal du soir… Mais ces jeux-partis, qui se faisaient en public, ont été composés avant Le Jeu de la Feuillée : cela veut dire qu'Adam le Bossu s'était déjà mis en scène. Il composa donc, dans l'ordre, des jeux-partis, Le jeu de la feuillée, et un Congé, où il prend congé, justement, et gentiment, de tous ses concitoyens d'Arras avant de repartir pour la capitale, où il s'était pourtant bien promis de ne plus remettre les pieds. Dans ces joutes verbales, « le renoncement aux études est présenté comme définitif. L'idée de retourner à l'école a pu ne venir à Adam que quelque temps après son mariage, probablement lorsque sont apparues aux deux jeunes gens les difficultés matérielles de l'existence. » Si vous ne me croyez pas, reportez-vous p. VIII note 1, », où « deux vers du Congé font allusion à ces difficultés : il est dit que l'auteur n'a plus l'inspiration pour faire des chants, des « cans » en picard. « Si la Feuillée est de 1276  (après la mort de saint Louis), le mariage étant antérieur de quatre ou cinq ans, tout s'explique naturellement. »
    J'allais justement vous le dire. « Certes, pareil revirement dans les projets d'Adam n'exigeait pas un si long temps, et si l'on date le Jeu de 1255, il n'est pas nécessaire de supposer un intervalle de plusieurs années entre sa représentation et la compositions des partures ». 21 ans de flottement tout de même pour la date de composition. A supposer que tous ces épisodes relatés soient exacts. Les « partures » sont un autre nom des « jeux-partis » ou « joutes verbales », nous dirions un face-à-face. On convenait de celui qui parlerait le premier, l'autre devant défendre l'opinion adverse ce qui ressemble beaucoup aux jeux-partis politiciens contemporains… « Cependant, reprend le commentateur, la lecture du Jeu et celle du Congé donnent l'impression que l'idée d'aller à Paris ne date pas de la veille, et surtout que le mariage n'est pas tout récent. D'autre part, si l'on recule de vingt ans la composition du Jeu de la feuillée, et par conséquent celle des jeux-partis, on rajeunira d'autant Bretel, et l'on comprendra mal qu'Adam le traite d' « anchien ». » D'ancien, de vieux birbe qui ne comprend plus rien à l'amour.
        Nous vous laissons décider de votre attirance pour cette charmante comédie gentille, restée très célèbre, Le jeu de la feuillée, par Adam de Bossu dit de la Halle. Avé !

  • Le soir la porte ouverte

    Pour avoir un compte de suivi, c'est vachement simple : vous suivez les indications, vous tombez sur de l'anglais, vous répondez tant bien que mal, et Xiti vous informe qu'il faut vous abonner à Machin avant de s'abonner à Truc, et qu'avant de vous abonner à Machin, il vous faudra vraisemblablement abonner à Chosemuche. Cela rappelle "Le château" de Kafka, et il n'y a pas de raison pour que ça s'arrête. Alors, nous verrons bien. Si nous ne connaissons pas le nombre de robots ou d'amateurs qui évoquent sur leurs écrans notre grandiose site, eh bien nous nous en passerons. Petit patapon.

    L'oreiller froissé.JPG

    Lire la suite

  • Citations 780 et quelques



        781.  La plus grande mort, c'est de renoncer à s'accomplir. Et c'est pourtant ce qu'on exige constamment de la femme, ce qu'on considère comme son devoir naturel.

    HAN Suyin
    "Destination Tchoungking"
    ch. XII "Un été à Tchoungking"

        782.  Au moment de la crise qui culmine vers Pâques 1848, Kierkegaard se rend compte que, loin d'être l'exception, il est au fond dans l'état universel : tout le monde vit dan sle désespoir, même ceux qui ne se savent y être, ayant suspendu leur viie au hasard, ayant fui leur moi pour ce que Pascal nomme le divertissement.

    Jean-Jacques GATEAU
    "Introduction" au "Traité du désespoir" de
    Soeren Kierkegaard.

        783.  Il n'y a au fond de lui qu'un ricanement général contre lui-même et contre la vie.

    id. ibid.

        784.  Quiconque veut sauver sa vie la perdra.

    Evangile
    cité par HAN Suyin "Destination Tchoungking"
    ch. XIII "Maturation en Chine"

        785.  "Certains croient aux codes, à la discipline, à l'organisation. Certains aspirent à la violence de la lutte des classes, afin de redresser le monde. D'autres croient que l'esprit seul pourra sauver l'homme. Mais, tous, vous voulez la même chose : refaire le monde à l'image de votre vérité, trouver votre "moi", vous retrouver dans les autres."
    Il fit une pause avant de parler à nouveau avec une certaine solennité :
    "Nous voulons tous la même chose, nos mots seuls sont en contradiction. Les mots, les slogans, on nous les a enseignés. On nous dresse avec les mots. Ils deviennent le substitut de la pensée. Leur haine se propage par leur truchement. Mais allez au-delà des mots pour atteindre la réalité qui les dépasse et assurez-vous si elle est bonne ou mauvaise. La seule chose qui vaille la peine qu'on combatte pour elle, c'est la vie, une plénitude de vie partagée entre tous les peuples.

    HAN Suyin
    "Destination Tchoungking"
    ch. XIII "Maturation en Chine"

        786. D'abord on pèche peut-être par faiblesse (hélas ! car tafaiblesse c'était la force même du désir, du penchant, de la passion et du péché) ; mais alors on en est si désespéré qu'on pèche une seconde fois peut-être, et cette fois c'et de désespoir.

    Soeren KIERKEGAARD


        787.  Il faut retenir le nom d'Andrei Mikhalkov-Kontchalovsky.
    Claude-Marie TREMOIS
    "Il n'est pas très intelligent mais..." ("Le premier maître") Rubrique "Les films nouveaux", TELERAMA n° 929 du 5 au 11 - 11 - 1967

        788.  Avec quelques transformations, on arrive à tout transformer.

    Anne-Marie COLLIGNON-NOGARET
    "Paroles historiques" 11-12-1967, 22 h. 26 mn.

        789.  Non omnis moriar.

    HORACE

        790.  J'avais oublié que la vie sans l'amour n'a pas de sens et que toutes les philosophies du monde, et toutes les douleurs, peuvent disparaître dans un baiser.

    Vintila HORIA
    "Dieu est né en exil"
    Troisième année.

        791.  La liberté se paye cher, mais cela vaut toujours le prix. Etait-ce donc si difficile de comprendre ? Il vous suffit de savoir choisir : une existence nouvelle, n'importe où, au-delà des limites de l'empire, un Dieu nouveau, "le vrai", pour renaître ici même, sur la terre, et non pas après la mort, comme l'enseigne la religion d'Isis. Tout est possible. Il faut avoir, à temps, le courage de "déserter", de couper brusquement avec le passé.
    id. ibid.

    Lire la suite