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der grüne Affe - Page 59

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    COLLIGNON PAGES LIBRES

    FIER-CLOPORTE LANGUES 2035 10 27

    Une énorme fatigue.

    Un vide somptueux.

    Même s’il a rencontré Henri Serpe, même s’il l’a véhiculé. Un clochard, qu’il avait inventé, qu’il a réellement admis près de lui, siège avant. Plus, une promenade nocturne sur les remparts de Langres. Plateau envahi par la musique américaine. Une chambre d’hôtel modérément chauffée, parfaitement silencieuse. Puissant bien-être.

    Un lointain codétenu lui envoie un étron dans une boîte. Interrogé à ce sujet, le coupable avoue : « Fier-Cloporte me faisait chier ». C’est ainsi que Jojdh rêve. Un jour viendra vers lui Jean Mille, sans domicile fixe, de Faye-l’Abbesse (Deux-Sèvres). Jojdh regardera par l’œilleton et s’abstiendra prudemment d’ouvrir la pore à son héros, seul contact extra-hôtelier de son voyage éclair.

    Le silence à Langres pèse, le ventre grelotte. Les madeleines épaisses attendent dans leur sachet. Jojdh économise. Il ne se consolera jamais de s’être cassé la tête contre les murs de sa cellule – pourtant, quelle joyeuse excitation la veille de son départ ! il choisirait Grenoble cette fois, se posterait devant la porte de son ami perdu, contemplerait les filles de ce veuf, en séduirait une. Il serait confronté à son ami après vingt-huit ans d’absence ; quels titres dans les journaux !

    Dans cette ville trois semaines auparavant des trombes d’eau s’étaient déversées. À Bagnols-sur-Cèze,le Gardon avait débordé. Jojdh avait téléphoné à son vieux maître en littérature : personne. Il imaginait les scènes les plus morbides, afin de s’y créer un rôle. Se sentant aussi stupide que la moyenne.

    Il serait temps de se mettre à peindre afin d’avoir d’autres messages à se délivrer que ces informes grisailles : ainsi de ce coït entre hommes, entendu, supposé, derrière la cloison d’hôtel, accompagné d’un coït hétéro douloureux survenu dans sa chambre à lui. Un tel ressassement, loin de lui sembler essentiel, relevait désormais de l’obsession compulsionnelle, sans aucune utilité pour les humains.

    Son imagination tournait au récitatif gris.

    étrange, poète,rêveRETOUR 2035 10 28 2

     

    Les agréments qu’on trouve à se perdre, entre Joinville et Montier. On tourne à gauche, à droite, et c’est simplement ravissant. Jojdh essaya de savoir de quel Joinville était l’historien.

    « Deux marquises occupaient une chambre. La prison s’en trouvait transformée en château. « Elles dormaient en lits séparés : elles ne se fussent jamais commises à des attouchements plébéiens. «  Le domestique (Jojdh) s’était levé le premier, allumant les poêles. Il s’était fait propre, et même « douché. Le rasoir neuf avait glissé sur ses joues ; cette fois, il ne s’était pas entaillé.

    «  Une croûte subsistait sur sa lèvre.

    «  Les marquises dormaient toujours. Il les avertirait de son départ, après les avoir approvisionnées. »

     

    Plus loin dans les campagnes, le silence faisait très fort penser aux temps d’avant 1970, quand l’espace restait immobile. Bien qu’il n’aimât personne alors – et pour longtemps ! - il appréciait ce fin glaçage de l’air, cette qualité noble et cassante de l’atmosphère, avec des relents de rhume dans les tympans. Il marcha sur la neige, imaginant la mort afin de respirer plus large.

    Il s’était vu en Pesquidoux, parcourant à l’amble ses propres vignes, fusil brisé sous le bras. Il frapperait sur les ceps pour débusquer les lièvres, et les manouvriers salueraient, casquettes basses :

    - Not’ Maître…

    Trente novembre 1969.

    Très loin.

    Il marchait à présent par les champs de Haute-Marne.

     

     

     

     

     

     

     

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    Peut-on parler de Textes libres… Sitôt écrits sitôt évanouis, dans la vaste bourrasque des pages errantes, tantôt ici et tantôt là. Reprises, perdues et retrouvées. Inclassables, inintitulables. Deux jeunes gens, au second étage de Vivaldia, se renvoient des boules de papier à grands coup de guitares en guise de raquettes. La clientèle survenant, ils rangent leurs deux manches de poêles à frire, se rajustent le col et vantent les mérites de leur musicale marchandise. Tels sont les textes, ballottés à ras de moquette par des vendeurs qui s’ennuient. Nous aimons errer dans ce grand magasin mal géré, à présent occupé de néant et de planches sur la grand-place où l’on coupe des chènes, afin d’y replanter d’opiniâtres platanes, qui fourniront de l’ombre dans trente ans.

    Mon Dieu ! Je serai mort, au niveau de ces chiottes qui hantent les sous-sols, où se heurtaient dans les couloirs voûtés de briques blanches ceux qui cherchent fortune en se touchant le cul. Il y avait des relents de pains tranchés à l’urine, délavés et détrempés d’eaux rasantes, et les cuvettes portaient toutes ces sachets déodorants sous le rebord Jacob Sanitaires. On pissait en l’air, ou bien bas sur les mouches représentées par l’artiste, qui permettaient de viser sans plus penser à son âge précis. D’autres toilettes du Nouveau Monde montrent des femmes,Marilyn, Manson et autres, accoudées au-dessus de vos bites et contemplant leurs fragilités, attentives et sans désir, femmes et verges. Elles étaient bien habillées, décolletées comme des stars, puisque aussi bien leurs yeux étaient baissés, et qu’il n’y avait rien d’autre à voir dans cette direction.

    Dans une boîte mexicaine, des femmes se déshabillent sur une planche qui pénètre au-dessus d’un public formé d’hommes, et lorsqu’elles ont fini, au poil près, c’est à l’homme qu’elles ont choisi qui revient de se déshabiller soi-même, à moins qu’elles n’y mettent la main dans un autre numéro, et lorsque l’homme est enserré, nu et fruste, par la plus plantureuse, il doit se tenir digne et contempler ses amis en face, restés sous lui au bas de la planche de show. Le journaliste qui m’avait décrit cela précisait dans son article qu’au moindre frémissement de queue, au moindre embarras, l’homme nu se faisait huer par ses congénères, tant il est vrai que la fiction du Beau procède du respect admiratif et non de l’appétence commune. Un jour Régine, chanteuse et plantureuse devenue, se fit obligeamment traiter par le Canard de « Plus grosse commune de France », ô chef-d’œuvre ! admiration de l’esprit déployé, cécité du réflexe

     

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    offensé ! Plus tard, avec son fils, elle subit dans un avion privé les assauts grommelés autant qu’antisémites d’un pilote. Plainte encore, cette fois recevable. Mais qui est son fils ? Comment voler avec ce poids ? L’air est-il aussi solide que le ciment ? Quand cesse-t-on d’avoir peur ? L’écrivant vole d’insignifiance en frivolité dans le même bruit d’ailes que les Victoires sous l’Arc de Triomphe. Il s’effrite aussi sous le poids. Nous admirons de là le Virgin Megastore en son prototype, où déboulait le représentant du Bord de l’Eau, interpellant chacun dans sa vulgarité, Je ne vais pas me faire impressionner par ces ploucs, Nous avons été traités comme des marchands de pommes de terre, avaient relevé les gérants, alors que nous avons un staff d’estimateurs chargés d’évaluer les textes qui nous sont soumis. Je ne fus plus envoyé en mission.

     

    Il suffisait de hausser le ton, d’afficher ses façons familières et sa désinvolture, et tout cédait à vos airs entendus. Comme on peut se tromper. Comme tout cède à la marque du jour de la naissance, et comme elle est indélébile, impossible à masquer ! Le sceau des plouqueries reste gravé profondément jusqu’au derme du bétail écarté. Nous ne serons jamais Régine ni Cordy (Annie), qui nous faisait tant rire.

     

    VERANTWÖRTLICH 32 03 16

     

    « Responsable ». « Qui doit répondre ». Sur le qui-vive. Qui m’a complimenté, fait honte ? Adepte je suis non du confucianisme, oui bien du confusionnisme : dès ma première volonté, l’engourdissement me gagne le cerveau, merde aux Sartriots disant : « Imagine tes ailes, et tu voleras ! » Veux-tu penser ? le sommeil te prendra.

    Au culte du héros succède la fourmi.

     

    Bientôt sera exalté celui qui trouve sa case sur le damier. Jamais je n’ai entendu la moindre discussion instructive. Ballotter d’un os de son crâne à l’autre. Qu’est-ce que le groupe ?

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    Je ne suis responsable de rien.

    Régression.

    Choisissez donc, soit d’exalter l’enfance,

    soit de la rabaisser !

    S’il s’agit d’exalter la nature, exaltons le cadavre.

    Je hais les « Enrichissez-vous ».

    Jamais le tronc d’arbre ne devient crocodile.

     

    LE GRECO 32 03 18

     

     

     

    Si je pense, si j’affronte, je dors. Attention fragile.

    Sachant qu’il y eut rupture. Que l’odeur m’a quitté, comme l’homme du Sud en Islande, relent de moût, de chocolat – lui en voouloir encore, de ces détours de temps perdu -fuis, vieux robinet, jusqu’au Greco, j’ai toujours préféré Zurbarán. Le Greco fällt mir nichts ein, ne me dit rien. L’homme tombé sera hissé sur le trône, qui n’est que du bois, du velours, des dorures. L’homme se laisse accaparer, un disque qui tourne et le voilà distrait, il capte tous les bruits, la volonté s’en va avant d’être venue.

    Je ne peux plus lutter contre l’Enfant.

    Tous ont choisi l’enfant.

    Je compte les minutes et me lamente.

    Greco ? … a trouvé la solution. Ne m’intéresse pas.

     

     

     

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    JOUISSANCE ABSOLUE 32 02 23

     

     

     

    Changement d’emploi du temps est jouissance absolue. Le condor tient Robert Grant en ses griffes, gen Himmel nach, et ton sourire au bord du verre : tous soufflaient dans le tube de verre pour imiter le lion de la Goldwyn Meyer.

    Le Grec vient chaque nuit, moustaches tombantes, accablé. Il joue de l’orgue : assis, tête branlante, dox voûté, perplexe – son doigt lève une note comme un lièvre et le canon s’engage et les ogives tremblent et l’organiste se fait aveugle, tel est l’idéal constitutif de l’organisme : du même bois que les tirasses et geignant du fond des poumons.

     

     

     

  • LES EFFROYABLES HEMORROÏDES D'OTTO WEININGER

     

    C O L L I G N O N

     

    LES EFFROYABLES HÉMORROÏDES

     

    D’ O T T O W E I N I N G E R

     

     

    « Chef-d’œuvre d’inexactitude et de mauvais goût »

     

    « ...dans le grouillant faisandage de la Vienne 1900, où se décompose le compost le plus putréfié de ce que la conscience européenne a généré de plus putride, s’épanouissent aussi bien les efflorescences les plus prestigieuses que les moisissures les plus pestilentielles : Adolf, Musil, Schnitzler, von Teleff. Or ce cadavre gonflé comme une outre devait également, tel le ventripotent Guillaume le Conquérant qui explosa dans son cercueil en un certain mois d’août 1075, inondant de sanie les assistants épouvantés – ensevelir l’Europe sous les débris de son Empire, en un non moins certain mois d’août 1914. Mais la pétarade la plus plate de cette charogne avant qu’elle n’explosât fut le coup de pistolet tiré dans cet immeuble de la Schwarzspanierstrasse le 13 octobre 1903 et dans le cœur du plus illustre (et du plus oublié) représentant de la faisanderie viennoise, OTTO WEININGER.

    « Cette obscénité propulsa le brûlot le plus nauséabond de nos bibliothèque, loin devant Mein Kampf. Cela s’intitulait Au cul les bonnes femmes (Réf. ACLBF). Ce qui se joue à Bourignac avec JÉRÔME LADOUILLE, autant qu’avec OTTO à Vienne, c’est, mutatis mutandis (et non pas « mutate mutande »), cet instant précis, cet horrible instant où le bébé, en équilibre sur la planche à bascule, va dégringoler dans son bain, ou son bac à merde, et s’y engloutir : encore immobile, mais déjà son centre de gravité s’est imperceptiblement, irrévocablement décalé. Or, la masse d’insanités entassées par Jérôme Ladouille en sli peu d’années d’existence n’a d’égale que le prodigieux fatrasde connaissances ingurgitées, à la même vitesse, par OTTO WEININGER.

    D’où une bouleversante similitude de pensée :

    « Les bonnes femmes, c’est toutes des truies quand a sont vieilles, et des limaces quand a sont jeunes. Les unes qu’a puent de la gueule, les autres qu’a puent du cul. Faudrait que tous ces trous y soyent bouchés », à rapprocher d’OTTO WEININGER :

    « ...les femmes – tantôt des hyènes : les mères, tantôt des soit-disant chatons : les filles. Les unes sont laides, les aures portent des jupes serrées aux fesses. Est-ce que toi aussi cette partie dela femme ne te dégoûte pas ? La nature a incarné là l’impudicité même ».

    (Lettre à Gerber du 17-08-1902) (Traduction Jacques Le Rider, Juriste). sexe,femme,sottise

     

    ESPRIT DE NEMESIS TABLEAU D'ANNE JALEVSKI

    (Nous ne possédons pour l’instant aucun document précis concernant la santé d’Otto Weininger ; en revanche, un certificat médical nous révèle fort opportunément, sur Jérôme L., ce qui suit :

    « Au repos, 3cm ; en activité [sic] 5 1/2 cm. Testicules : Ø = 1cm ».

    Loin de nous l’idée d’exploiter ce document à des fins démonstratives…

    !

    ! !

     

    ...Voici le moment de prendre en compte, enfin, trop tard sans doute, les indignations de la lectrice (les hommes ne lisent plus : ils « étudient » (!!!) l’informatique) : « Pourquoi diable » (s’écrierait-elle) vous appesantissez-vous, fille de plombier juif ! sur ces deux personnages rebutants ? » (misogynie, antisémitisme, démangeaisons crurales) – sans oublier leur disparate : un bourgeois raffiné, un inculte parlant cul. Expliquons :

    Par un sombre après-midi de janvier, égaré loin des bibliothécaires en blouse, j’ai découvert dans une crypte un couple de volumes étroitement maintenus par un ruban de tissu gras. Je les empruntai pour quelque temps (deux ans ne sont rien dans la vie d’un livre), et les ayant parcourus, puis lus attentivement, je fus saisie par les rapprochements de ces biographies : c’était en vérité un seul homme en deux formes : ou l’Ancien et le Nouveau Testament. C’étaient des correspondances d’oppositions si indissolublement suturées : aisance du premier, fausse aisance du second ; culture crasseuse de l’un, encyclopédique ignorance de l’autre ; entregent d’Otto, irrémédiable enfouissement de Jérôme. Pourtant, même délires, semblables haines, suicide précoce pour les deux (Weininger avec succès, sombrant dans le ridicule pour le sieur Ladouille). C’était au point qu’on pouvait légitimement se demander si le plus misérable n’avait pas délibérément décalqué dans sa vie obscure les félicités dont le plus avantagé fut comblé, sans toutefois parvenir à ces dernières, faute d’extraction…

    « En relisant, je trouvai toutes les raisons de confirmer et d’affiner cette improbable théorie. Si improbable que cela puisse paraître, il semblait de plus en plus plausible que la biographie d’Otto Weininger fût tombée entre les mains de Jérôme Ladouille, que ce dernier l’eût déchiffré ou se la fût fait lire. Constatant alors leur folie commune, assaisonnée de coïncidences anecdotiques stupéfiantes, il avait résolu de poursuivre de son propre chef ce que le sort avait agencé jusqu’ici, allant même jusqu’à pressentir, du fond de sa boue, l’éventuelle réincarnation de Deux en Un.

    « Ma voie se trouvait tracée : féministe, et femme, ce qui ne gâche rien, je me sentis le devoir de plonger, justement, au sein même de la misogynie, tel un vidangeur dans son scaphandre, afin de racheter ces mâles en inspirant à fond l’épaisseur de leurs miasmes. Pourquoi étions-nous tant haïes ? À quoi bon nous être époumonées à extirper de nous tout le bien-être de la féminité ? l’Ancienne et la Nouvelle Ève se retrouvaient de toute façon traînées dans la même ordure…

    X

    Des parents de Ladouille, père et mère, nulle autre mention que l’alcool, et pour le père, le Bordel, comme nous le verrons. Les gens de cette espèces ne laissent en tradition que des grommellements interchangeables dans l’obscur.

    Nous nous dispenserons (pour les deux familles) des assommants préliminaires généalogo-gynécologiques prétendument éclaircissants dont nous abreuvent les universitaires du commun, ne nous faisant grâce d’aucun protêt devant notaire.

    Les études de Ladouille (Jérôme) se bornèrent à leur plus simple expression. Otto en revanche, excella dans les matières littéraires : les maths et les sciences l’ennuyèrent copieusement.

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  • NOX PERPETUA DEVELOPPEMENTS I, 1-11

    COLLIGNON « NOX PERPETUA - DÉVELOPPEMENTS »

     

    (2035)

    J'aimerais savoir ce qui se passe. Mon intelligence est intacte. Des épisodes me sont dictés, mais je n'ai pas dépassé l'an 1900. Wellesley-Leurbeyrolles : mot de passe. Renseignements pris, il s'agit dans le premier cas d'un gouverneur des Indes britanniques de 1797 à 1805, frère aîné de Wellington ; « Church and Wellesley » se trouve, pour sa part, à Toronto, dont il est « le quartier homosexuel ». Voyons le nom suivant, de haute noblesse française peut-être : il est de notre stricte invention. Dommage. Et c'est ainsi que je retrouve, dans le jardin enneigé de Pasly, cette femme magnifique et mûre que je désire et qui me désire. Elle tremble de froid, les possesseurs du jardin l'ont recueillie là, en lui promettant ma venue prochaine.

    A présent nous aimerions, elle et moi, nous réconforter mutuellement, à l'abri. Voici un vieux porche en bois, voûté à plein cintre. Mon épouse nous a rejoints ; l'intimité n'aura duré que quelques instants - pourquoi mon épouse Arielle se trouve-t-elle avec moi en ces circonstances ? pourquoi partageait-elle ma trouille intense, alors que la clé tirée de ma poche s'adapte parfaitement à la serrure ? derrière ce portillon ainsi surgi devant nous il nous semblait entendre les cris d'angoisse d'une femme qu'on menace de la torture ! Or cette porte basse donne dans une cour, celle d'un lycée battu des vents ; ce grand espace est garni de candidats au bac, malgré le plein hiver. Partout règne un grand remue-ménage. Ma femme ne tarit pas de reproches, passe et repasse la porte, que j'ai pourtant soigneusement refermée derrière nous. L'angoisse et la peur étreignent chacun de nous trois. Elle se déshabille, et dans mon dos les deux femmes ont disparu, ont quitté la scène et l'histoire, condamnées à combattre, ou à s'entendre, de l'autre côté du mur, dans le froid neigeux du jardin.

    Pourquoi suis-je toujours voué à parcourir en bout de cour ces toilettes immenses, comme si j'y avais subi un viol permanent ? J'aperçois le dos voûté d'un génie de Contes, en frac, dont les épaisses moustaches dépassent de façon menaçante ; il me réclamant d'une voix sombre le mot de passe. J'urine en hâte, avant qu'il ne se retourne ; au premier mouvement qu'il esquisse, vite, je m'évade par une lucarne. Par les toits. Une mansarde : sauvé. Deux lits crasseux, abandonnés, sordides : c'était la loge des pions, au temps de l'internat. Un coup d'œil par la fenêtre : le toit reste vie, et personne ne m'a suivi. Mais en tournant la tête vers le haut, je découvre tout un étagement de mansardes en quinconces, un vrai château de Chambord misérable. Plus haut, une fille apparaît au coin d'un carreau crasseux. Je la rejoins par des étages intérieurs : « Je suis prêt » dit-elle, mais c'est moi qui ne le suis plus. Alors, elle part, sans bien refermer la porte de cette autre mansarde. C'est alors que dans un spasme de terreur je m'aperçois que le grand Génie noir m'a rejoint par les escaliers. Pourtant il ne me voit pas. Sa fonction est d'être là, d'effrayer, sans passer à Dieu sait quel acte. Je sais à présent où je suis : à Guignicourt, où ma mère couchait dans la mansarde précisément de son père mort.

    C'est le Génie. Inoffensif, fantômal, mort. Pourtant je me roule sur le lit, hurlant de panique. Le génie s'est dissout dans les airs, mais les pas que j'entends gravir les escaliers sont bien présents, bien réels cette fois :la police, ou bien la milice, ou je ne sais quel groupe qui m'appréhendera pour avoir ignoré le Mot de Passe...)

     

    39 09 26

    Investissement d'une mission sacrée. Mon épouse ici portera son vrai nom, qui est celui d'Arielle, femme de Joachim, parents de la Vierge. Nous croyons en la Vierge parce que c'est notre mère, nécessairement vierge, telle que nous l'imaginions enfant. La première scène se passe à midi, Arielle est assise sur une chaise au milieu d'un trottoir, devant une fenêtre ouverte. Devant elle je me suis penché sur un carton contenant du raisin avarié, à demi mangé, au-dessus duquel tournoie un essaim de moucherons que l'on appelle drosophiles. Soudain paraît à la fenêtre, dans le dos de mon épouse, une espèce de furie jaunâtre : « Vous allez rester là longtemps ? ...vous nous bouchez la vue – Je m'en vais. Mes deux amants m'accompagnent, l'un et l'autre me ramonent successivement. » La vendeuse éclate de rire, son aspect démoniaque disparaît.

    L'ENVOL, TABLEAU D'ANNE JALEVSKI

    reve,sommeil,songe

    Arielle se lève pour une destination qu'elle a précisée, que j'ai oubliée. D'autres sont invités chez Lazarus, je n'en suis pas pour cette fois, me voici seul avec la Vavrino. Combien elle m'ennuie ! Derrière la fenêtre, à l'intérieur, s'étend un bistrot ariégeois ; sur la lucarne d'icelui repose un soutien-gorge, abandonné là par une qui étouffait. Lorsque je poussais la porte, la serveuse me fixait : c'est parce que je suis très beau. Le miroir que j'ai à mon tour fixé me l'a confirmé : c'est un morceau de glace ébréché. Il ne s'agit pas de moi, mais de l'homme qui pisse et agit en mon nom à l'intérieur des messages de Dieu. Quand je ressors, soigneusement digne et boutonné, je crains d'apparaître un peu crispé.

    L'apparence d'un envoyé de Dieu doit être irréprochablé, même après avoir excrété. Il y a derrière lui toute la queue d'un long rêve. Glose celui qui peut.

     

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    Il m'a été donné de croiser des êtres extraordinaires. Il suffit de parler d'un homme pour qu'il devienne héros, héros de récit. Milanese était un hirsute, un niais, dessinateur au rabais. Juste bon à fournir des cigarettes. Je viens de la taxer. Ainsi s'exprimait Léna, 60 ans, devant un jeune mendiant. Voici par terre, devant l'auberge d'Ariège, un gros flacon laissé là, vide, sale, poussiéreux. Mon père l'a laisé tomber là, négligemment, comme il fait tout : ses flacons, ses maîtresses. Et si je débouche cette fiasque, il se dégage une puanteur d'acide à faire reculer. Il est plein. Transparent, mais plein. À s'y tromper. Mais qu'est-ce qu'il peut. Quel animal peut survivre dans ce milieu. C'est bien la question qui me vient juste alors qu'une raie, raie lisse, remonte des profondeurs. Je tiens entre les mains ce gros bocal désormais, cet aquarium bientôt. Qu'ai-je fumé ? En surface, la raie se retourne !

    C'est une chauve-souris, un mammifère, sans soupçon d'amphibisme, qui me montre à l'envers son visage, une espèce mixte, attirant les souris. Elles arrivent, quatre ou cinq, dessinées par un Walt Disney, et la déchiquètent, petit à petit, sans hâte, méthodiquement. Sur ce qui est à présent devenu un aquarium, je jette un linge pudique : tous nagent, sauf moi, je ne pourrrais pas déployer mes bras sur une surface aussi faible. Pourquoi dévorer un être si faible, si mort, si étrange. Et si je retire le linge, afin de tout voir après tout, je m'aperçois que les souris se sont enfuies dans leurs papiers, mais que le fier animal, créature indéfinissable, est déjà bien mal en point ; l'aquarium est alors parfaitement sec.

    (plus tard)

    ...or il n'y avait plus rien de juste dans tout cela, Je me trouvais en plusieurs lieux à la fois, je vivais plusieurs vies du passé à la fois, entendez que mes vies se superposaient en moi : en plusieurs épisodes de ma vie. Elle, et mon regard, étaient devenus profonds à l'instar de ceux qui vont mourir du sida ou qui vont mourir, et seuls à le savoir se retiennent tandis que leur œil s'approfondit dans les lueurs de fins d'après-midi. Et l'orgue et ses paliers [sic] résonnaient dans ma tête. Un jeune homme, droit, de dos, jouait pour nous, suspendu dans les boiseries raides et claires, et les femmes à ses pieds poussaient un balai anobli sous les cascades méthodiques des tuyaux.

     

     

    Crémation : marque d'irrespect et de déshonneur pour ce qui fut un instant demeure du Créateur. Caractère d'autant plus abominable de l'holocauste. Un rabbin transportant une ou plusieurs urnes remplies de cendres doit nécessairement les avoir recueillies sur un lieu de crémation criminelle. Cependant, certains mouvements réformistes admettent que l'on enterre des cendres à l'intérieur d'un cercueil, et les familles peuvent afficher leur deuil, et même réciter le Kaddich. Ces précisions sont tirées d'un article de l'Encyclopédie du judaïsme. Un rabbin ne peut assister à une crémation. Comme le transport s'effectue à l'intérieur d'un wagon de marchandises, il est fait référence aux sinistres déportations que l'on connaît, avec effet en quelque sorte anticipé. Rien n'indique par conséquent qu'il puisse étreindre une ou plusieurs urnes, d'autres peuvent aussi bien garnir le plancher du wagon et tressauter sur les aiguillages. S'il fait si froid, c'est que les fermertures ne sont pas hermétiques. Nous verrions volontiers des portes coulissantes large ouvertes sur un paysage de neiges lugubres. La composition en tache d'huile ici s'impose et prend son ampleur de maturité : trouvez un autre auteur qui se soit permis, jusqu'à sa mort ou presque, de ne composer que des œuvres de jeunesse. Or voici le miracle : une de ces urnes prend la forme d'un cercueil, première étape formelle d'une réhabilitation ; et de ce cercueil, par une longue fente, comme un génie de la Lampe, s'étire et se forme dans l'air une jeune fille juive, qui représente l'apogée de toute beauté féminine de peau blanche.

    C'est une flamme bleu ciel, mais soutenu, qui se forme en spirale comme un ectoplasme. Nous espérons un discours visionnaire : qu'aura-t-elle vu, de quelles certitudes et consolations remplira-t-elle nos cœurs, si tant est qu'une preuve ou même un témoignage sans mensonge puisse faire éclore un quelconque espoir de solution finale du fond de l'Abîme. Les amples draperies bleutées s'enflent alors et l'emporte par l'ouverture vers le ciel, au-dessus du convoi. Alors en pleins champs le train s'est arrêté. Nous en descendons tous, et j'aide à passer les robes à panier. C'était la mode en ce temps-là. Il me faut respecter beaucoup la trame qui m'est offerte. Et cette prairie où nous descendons, je me convaincs de l'avoir connue à l'âge de six ans.

    Quelle distance, et que je me sentais bien en ce temps ! J'ignore pourquoi. J'embellis tout sans doute. Mais à présent je suis adulte et plus qu'adulte, et mon temps passé me désespère : un homme de sable est coincé dans un sablier, et sent avec désespoir son corps s'écouler dans le vase inférieur ; il veut sortir de là, ses mains s'appliquent avec désespoir sur le verre et son visage exprime l'horreur. Nu ne peut sortir du fatal sablier, et cette image fait rire. Pour moi j'applique ma tête au sol et veux m'y enfouir en vrillant de toutes mes forces, en désespoir du temps passé. Vous aurez vu la même scène où des Italiens se fusillent à travers un champ de blé ; le père de même enfouit sa tête en vain, et se fait abattre, par pitié. Est-ce 1900 de Bertolucci ? Mon épouse se fout de ce que je puis dire. Je lui aurais bien raconté tout cela, qui se déroulait dans un rêve, celui que je faisais dans cette si belle et atroce prairie. Alors les employés, passant de groupe en groupe au long du talus, nos invitent tous à rejoindre le convoi, et nous retrouvons nos voitures bondées. Il y a là mon amie Jou, que je désignerai désormais autrement, et Marie Bouvousole, épouse Cousin.

    Ces deux femmes existent vraiment. Je les ai méconnues, comme toutes, que nous ayons baisé ou non. Il y a tant de monde sur ces banquettes qu'une jeune fille de treize ans, comme j'en ai tant conu, s'appuie du visage contre mon bras nu. Elle somnole et nous ne bougeons pas. Fait-elle cela à tous les hommes ? D'un arrêt à l'autre, la voiture se vide, nous reprenons un peu nos aises, les robes à nouveau s'étalent. Et, luxe inouï pour le dernier trajet, nous pouvons mes compagnes et moi gagner la galerie supérieure, d'où l'on jouit d'une vue imprenable sur les petites vitres allongées à hauteur des yeux. Vraiment la belle conception.

    En vérité ce train comme celui de Proust se traîne savamment par toute la campagne normande. Rendez-nous nos écrivains. La petite station de descente se trouve en plein bocage. Notre automobile nous attend, et nous entraîne encore plus loin, dans une autre prairie, touffue, humide à ravir. Elle est bien close, et sert de parking : mais il n'y a que nous. Après la lettre à Sophie Volland, notre humeur est agreste. Et ce sont trois frères peut-être, ou cousins, qui nous accueillent dans leur ferme. C'est là que nous passons la nuit, chacun dans une chambre ; et quand je me réveille, mes compagnes doivent me quitter, ma voiture a disparu malgré la barrière : ma propre épouse monte dans celle d'un autre et s'en va, très loin d'ici. « Guidez-moi ! Suivez-la ! » Les trois frères secouent la tête d'un air entendu : toutes ces femmes se rendent en un lieu très secret, d'où je dois être apparemment exclus.

    Ô dérisoires chastetés ! « Vous vous perdriez. Nous ne saurions pas même vous instruire. » Qui sont-ils ? Peut-on là-dessus construire quelque chose ? Quand je les reverrai, je le leur dirai. Elles conviendront qu'elles ont bien pensé se débarrasser de moi, pour enfin se retrouver entre elles, sans ambiguïtés d'aucune sorte. Elles agiteront devant mes yeux des foulards légers rouges, verts ou bleus, qu'elles auront trouvé à vendre sur un lointain marché normand. Tout s'emboîte bien à propos... A présent c'est la première fois que je fais cours dans un si grand établissement, couvrant plusieurs km². Serai-je à la hauteur de ce qu'ils me demandent ? Et, d'abord, qui me demande quelque chose... J'aurai face moi des jeunes gens, des jeunes filles, à peine plus jeunes que moi, illuminés d'une attente bien plus forte que celle de n'importe quelle administration ; j'espère ne pas succomber à la honte en récitant un livre qu'ils possèderaient déjà, comme cela m'est déjà arrivé : il suivaient sur le fascicule. Instruire n'est pas réciter par cœur devant des fermiers dubitatifs. Son père relevait la tête : « N'est-ce pas qu'il est bien doué, mon fils ? » Le vieux paysan, qui devait mourir quelques années plus tard, hochait la tête en considérant l'enfant prodige : « Ce n'est rien, de réciter comme ça ; cela ne prouve rien du tout. » Préparer des cours de bonne qualité implique une extrême implication, une confiance en son propre raisonnement, un pessimisme moins paresseux : forge tes propres phrases, n'imagine pas qu'il existe, au-dessus de toi, une activité plus prestigieuse à laquelle tu pourrais sacrifier la préparation de ton cours, de tes propres convictions, qui existent, quoi que tu en penses.

    Toi aussi tu peux inventer, sans te contenter de transmettre ce qu'on dit les ancêtres. A l'aube de la fin, tu plonge encore le regard dans l'abîme de l'action. Ils sont là devant toi, tes disciples, grands, blonds, intelligents, pleins d'attente au singulier comme au pluriel. Abandonne la vitesse, approfondis-toi, approfondis-les. Certains garçons portent une cape noire et romantique. Et si ta conférence n'est pas préparée, si ta science est insuffisante, appuie-toi sur un texte. Et si le texte est mal imprimé, que les caractères se brouillent, que ta langue bute sur les mots, c'est que le rêve ou le sort te sont défavorables, c'est que la maladie du doute en toi s'introduit. Tu ne peux même pas traduire, ils se détournent de toi et font club contre toi, ou à part.

    Le texte philosophique se dissout, d'abord les accents, puis les esprits puis les omégas. Ce sont les lignes à la fin qui se mêlent et se dissolvent. Ces disciples ne sont plus les miens, ils s'informent entre eux de ce qu'est leur vie, ils s'instruisent par l'exemple et la différence, et tu es relégué au fond de ta honte. Je pense plus à la stupidité. Cela peut-il se rattraper ? Le cours du lendemain porte sur un texte de notre langue : à l'aide de certains mots que j'ai soulignés lors d'une lecture précédente, je parviens à élaborer un commentaire suffisamment verbeux pour donner le change.

    Mais on ne donne pas le change. Cet âge juge vite, et ne revient pas sur ses décisions. Déjà la plus belle étudiante, une fille à la Julien Gracq, aux yeux de qui j'aurais mesuré le poids de toutes mes paroles, m'a déserté. Privé d'approbation, mon cours s'étire dans l'ennui, l'alchimie n'opère pas, et lorsque le gong de fin retentit, un petit brun chafouin, sarcastique, m'interpelle : « Est-ce que ce sera comme ça toute l'année ? Je réponds oui : c'est ce que je fais de mieux, ce que j'offre le plus volontiers. L'étudiant s'embarrasse. J'ignore ce qu'il voulait dire. Mes airs triomphants. Ces tambourinements de poitrine. Ce sentiment d'être dans le vrai. D'avoir bien moulu le grain.Je ne suis pas fâché de retrouver enfin la grande ville, aux dimensions d'Argentan. Il vient de s'y ouvrir un lycée tout neuf, bâti dans les meilleures proportions, hauts murs immaculés. C'est ma jeunesse qu'ils attendent, et mon inexpérience fraîche. Ils m'ont confié de plus des disciples de mon âge, contemporains. Je n'ai pas préparé le cours, comptant sur la grâce. Déjà mes jeunes gens m'ont prêté attention, mais il ne faudra pas négliger de la faire épanouir. Nous nous séparons, le sourire est dans l'air. Mais c'est au maître aussi de passer des épreuves ; d'immenses oraux semblables aux initiations. Vingt-quatre entretien sur vingt-quatre textes. Le premier portait sur Valery Larbaud, Nerval et Prince de notre siècle. Le second me mène en face d'un bureau où siège, le front chauve et barré de rides, ce magistrat plus entraîné aux diatribes municipales qu'aux subtilités anacréontiques. C'est un homme en vue, même éminent. Nous apprécions nos élans poétiques.

    Mais il est bien tard, l'entretien commencé, pour obtenir de revenir chez soi, et remettre la suite après déjeuner. Je n'oserais troubler notre bonne intelligence ni le règlement.Si nous n'en sommes qu'au second oral, comment peut-on envisager d'entasser les 24 épreuves en une journée ? Je veux en sortir vivant : il m'en coûtera la semaine. Je m'en suis bien tiré, par le moyen du bon agencement de l'analyse. Le candidat m'a semblé satisfait, mais il ignorait que pour y parvenir, j'avais évoquél'image de ces fleurs blanches couramment nommé « boules-de-neige ». Puis, n'ayant rien de mieux à faire pour l'après-midi laissée libre, j'emprunte un chemin de crête au crépuscule.

    Voici une maison de bois, très accueillante, un peu cachée en ces sommets, où je pourrais facilement m'installer. L'urgence est d'excréter le plus profond de mes entrailles : non le chant mais la chierie - or je ne parviens jamais à chier, mais il suffit de quitter cette pièce obscure pour constater que d'autres se sont emparé sans modestie de tout l'espace extérieur : la rayonnante Louti, déesse de la lumière, et son radieux fils, dieu du sourire et du mystère, le plus énigmatique, le jour de son anniversaire. Bientôt chantera le grand Lahn aux longs cheveux dorés, aux longues bottes de plastoc.

    En compagnie d'Arielle-Séraphîta nous parvenons au camp retranché au-delà des crêtes ; il faut supposer que la pente a redescendu, que des pentes verdoyantes d'une Suisse ou d'une Dordogne nous soyons retournés dans l'antique désert, où vivent de farouches peuplades, cernées par le sable et ses invisibles ennemis qu'il engendre. Ce ksar rudimentaire est constitué de toiles blanches et sales, sommairement renforcées de terre tassée. Vit là-dedans une population mangée aux mouches. Séraphîta disparaît dans un de ces gourbis de terre aussi peu pourvus d'ouvertures qu'une galgala vernissée des sables. Elle est reparue coiffée d'un keffieh de combat, et je me sens rejoint par les troupes françaises, sur le point d'assiéger : les officiers m'entourent et me témoignent leur sympathie ; vaut-il mieux négocier ? montrerons-nous, pour inciter à se rendre, ou pour traiter avec moins d'insolence, ces photos qui circulent, montrant d'horribles cadavres sanglants et découpés, femmes, enfants, dont nul ne connaît l'assassin ? Les armées parfois massacrent, afin d'accuser l'ennemi. Peut-être aussi les habitants du ksar ont-ils tué de leurs propres enfants, afin d'entretenir l'émeute et l'insurrection, afin de communier sur les corps avant de s'entretuer, de s'entresacrifier rituellement sur les corps dépecés de leurs propres entrailles, chair de leur chair. Ils sont 42 corps, découpés dans d'immenses corbeilles, vArielleries plates au travail remarquable, soulllées de sang. La lutte n'est pas près d'être finie. Il semble qu'elle durera infiniment, si la religiosité s'en mêle, si la rejointure à la divinité exige tant de cruautés, de cruor, « le sang répandu ».

    C'est alors que survient l'enfant. Il s'appelle Mohi, il est pur et blanc, tel que je fus à dix ans. La tour qu'il construit devrait atteindre atteint trente étages. D'abord il empile. Sable sur sable. Il lève les yeux, fixant une image publicitaire, roulant dans son cadre, à même la plage : toc, rrr, toc. Cela lui donne du courage. Si la publicité représenbte l'immeuble, c'est la preuve la plus formelle que son entreprise s'achèvera. Je le regarde : mon fils Igor attend de moi que j'aménage ces cubes siliceux, pour présenter de confortables logements, avec vue luxueuse sur la mer. Et lorsqu'il a fini, je me hisse à l'intérieur jusqu'à la terrasse la plus élevée, d'où je domine d'un côté la mer, de l'autre côté la ville.

    Sans doute a-t-on surestimé la quantité de sable du mortier, car j'y patauge, mes semelles y crissent sur la pâte sèche : le vide est là, non loin de moi, après ce mince parapet de 40m. Et l'on a hissé là, par les escaliers de sable, un trampoline vert, alors je saute, je saute, je rebondis, croisant dans mes rebonds ce tout jeune homme appelé Spiderman , ce ne pourrait être aucun autre, si vite que je l'entrevois à peine. De plus en plus vite. De plus en plus haut. De plus en plus de biais puis au-dessus du vide. Redescendons l'étage : Spiderman s'exerce encore ; ses dieux le soutiennent. Et me voici dans une immense salle, donnant de tous côtés sur le ciel, bourrée d'hommes, sans trace ni possibilité de meubles.

    Tout autour de l'immeuble, combien d'autres tours encore, constituées d'étages aux cloisons de verre, vastes salles cubiques superposées où s'entassent les gens sans cesse, les plus proches les mains sur les vitres. Les voici tous hermétiquement confinés. Le jeu commence : certains entassés trouvent l'espace d'entrouvrir leurs mains et de laisser choir à terre d'énormes pétards qui explosent ; les enfants – car il y a dans ces salles aussi bien des enfants – poussent des hurlements de terreur – les adultes éclatent de rire, et dans mon cube trnslucide, moi, au moins, je me scandalise, et tous les enfants que je peux attraper ou caresser, je les rassure et les réconforte. Mais la foule est trop compacte, restreignant à presque rien mon domaine de consolation. Sur la plage, tout en bas des grands appartement de sable, les pArielleaux électrique nous vantent celle fois d'autres villes, d'autres séjours que celui-ci, aux vitres considérablement renforcées. Je tire dans un angle une carte routière de ma poche : les mouvements prisonniers de la foule dégagent parfois d'étranges espaces, comme un air en sursis : et de près, la carte montre au zoom des villes en ruines, après les bombardements de l'ennemi.

    Dans les appartements qu'il faut croire bien résistants, le vacarme inhumain des pétards s'apparente de plus en plus à ce massacre où j'ai participé : celui de la famille impériale de Russie, le 17 juillet 1918. En vérité, on n'a pas le droit d'épouvanter ainsi les enfants.

     

    50 10 19 Parenthèse

     

    Réflexions : C'est moi qui ai voulu en rester à 18 ans. Je n'ai pas à me plaindre. Avec l'impuissance qui s'y rapporte. Je dois m'accepter. “Connais-toi toi-même”. Ma comédie sociale,mes faux-fuyants, j'en ai ma claque. Baiser je ne peux plus. C'est au-dessus de mes forces. E finita la commedia. Une autre comédie commence – crois-tu ? dormir.

     

     

    50 10 31

    Lors d'une discussion dont le début m'échappe, je déclare à ma femme : “Je suis impuissant”. Ce qui lui déplaît profondément : elle répète ma phrase avec acrimonie ; c'est un prétexte pour ne pas la satisfaire. Mais je ne sauis pas seul responsable ! C'est à elle aussi qu'il appertient de me stimuler ! Mais il faut se lever, rejoindre sa voiture pour se rendre à son travail : il fait déjà grand jour. Mais à travers les murs, je l'entends s'écrier : “Sur quel ton il a dit ça ! C'est humiliant ! C'est humiliant !” Et dans cette rue très claire de Tanger, je me fais la réflexion qu'elle l'a bien cherché, sans pouvoir me départir d'un fort malaise. Il faut bien que ces sentiments procèdent d'une certaine réalité, puisque je les ressens toujours à mon réveil.

     

    50 10 31, nuit

     

    Les premiers instants du coucher sont douloureux. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que l'on parvient à surmonter l'angoisse de franchir les Portes de la Nuit. Portes du moi, mystère...

    Celui qui dans ses veilles ressent malgré lui des sentiments si discontinus, si disparates, possède peut-être après tout le don de personnalités multiples ; mais est-ce si sûr ? est-il possible, est-il facile et honnête pour lui d'en tirer parti, peut-il impunément se glisser sans dommages dans ces diverses personnes ?

    Cerrtains autres, peut-être les mêmes, s'aperçoivent avec désolation que c'est seulement au coucher que se révèlent de fortes résolutions, juste au moment qu'il n'est plus temps ; il ser tenté d'espérer une belle mort à venir, pleine de vaillance et d'enseignement pour son entourage s'il y en a ; mais c'est peut-être aussi qu'il se faut raffermir et recomposer avant de doser inconsciemment le bon mélange, devant produire les rêves sinon révélateurs, du moins réparateurs. Parfois, au réveil, cette résolution a traversé la nuit : mettez-le en pratique.

    Il vous faut donc dominer, discipliner les courants divergents, les utiliser, à des fins littéraires (pour ceux qui manquent d'ancrage concret). Les invocations, équilibrages et déséquilibrages cuisinés dans le rituel des pratiques et prières (d'aucuns diront superstitieuses) devraient dans l'idéal permettre une vie perpétuellement passionnée, que bien peu d'entre nous pourraient supporter. Il existe des livres de prières pour les trois cent soixante-cinq anges de l'année ; chacun peut se les procurer dans les librairies spécialisées. Peut-être y croirez-vous ; maintenez cependant toujours une distance, et n'oubliez pas que la sincérité rend fou, mais que la fausse science est bonne.

    Birobidjan P.S. Je ne sais pas quoi faire de mon sexe. Pourquoi ? Mourir perplexe.

    50 11 03

     

    J'ai rattrapé mon chat sur le fleuve Amour, gelé, en vagues.

    (Dans l'autre monde, le chat s'est enfui de sur mes genoux. Je l'ai caressé sous la gorge, et le temps de sentir une grosse cicatrice, il m'est sauté des genoux et je ne l'ai jamais revu. Pouvait-il croire que je voulais l'achever ? Quelle terreur nocturne ai-je ravivée, quel égorgement animal, je l'ignore. Les deux occasions où je l'ai revu, il s'est enfui).

    Le fleuve Amour, séparant la Chine de la Sibérie, longeant le Birobidjan où Staline établit des juifs, signifie en réalité « fleuve boueux ». Dommage.

     

     

    50 11 05

    J'ai l'impression d'être sans cesse au lit, sans cesse à table. J'ai l'impression de vivre sans cesse la même journée, tel un moine attaché à sa règle. Comme le moine, je mourrai sans avoir vécu autre chose qu'une longue journée. Qui serait cet homme qui aurait vu tant de vieilles villes parmi les rochers. Est-il vrai que je n'aie pas de caractère ? Je cède à celui qui gueule. Mais peut-être y avait-il une grandeur chez mon père, une fierté. Toutes les nuits me voici face à moi-mêm

     

    50 11 23

    Quelle est cette métropole où elle et moi nous retrouvons, grouillante, sous une pluie battante ? Qui attendons-nous au coin de cette avenue d'intense circulation ? Reconnaîtrons-nous le véhicule qui doit nous transporter ? derrière nous s'élève une digue, extrême-orientale : Houang-Ho ? Shinano de Niigata ? Nous formons des numéros de téléphone : personne ne répond. Plus tard, dans l'après-midi, me voici dans un amphithéâtre de faculté, une de ces constructions circulaires et plongeantes à l'ancienne, où pérore un de ces clowns promus professeurs de faculté : de taille immense, mains en battoirs, pieds démesurés, dispensant une leçon très inattendue ma foi sur les rapports entre Proust et les Essais de Montaigne. Jean-François Revel, dans son ouvrage Sur Proust, éditions Grasset, collection "les cahiers Rouges", contient un chapitre (le V) consacré à "Montaigne à propos de Proust", où il réussit à rapprocher ces deux auteurs qui a priori se situent à des confins opposés de la galaxie littéraire.

    Jean-Luc Picard le cite en ces termes, p. 158 : "Montaigne et Proust connaissent les hommes parce qu'ils sont eux-mêmes plusieurs hommes... Ils ont cette sensibilité en toile d'araignée qui permet de capter en soi la façon exacte dont l'autre se sent en-dedans de lui-même." "Il faut (à mon avis), précise Picard, chercher [leurs affinités] non dans les sujets manifestes de leurs oeuvres, encore moins dans des courants ou des écoles, mais dans le type d'hommes et d'écrivains qu'ils incarnent." Mais ma personne, dans l'amphithéâtre, se montre peu sensible au sujet traité, bien plus concentrée sur les gesticulation de l'enseignant, tant il est vrai que le corps, plus que le discours, exprime l'âme.

    Plus cet homme s'agite, plus ses extrémités se développent : c'est de la véritable acromégalie, agrandissement maladif hormonal des mains et des pieds. Il monte et descend les escaliers, interroge voire interpelle des étudiants qui n'auraient pas envie de s'exprimer, de "participer" comme on dit sur les bulletins scolaires. Le voici désormais torse nu, bronzé, immense, à la façon d'un Zeus Lance-Eclair. Il rabroue une certaine demoiselle Mouton pour sa lecture à haute voix particulièrement molle et monotone. Ma lycéenne s'appelait de même, avec un "h" : "Mouthon", mouth on ? Mais voici le professeur en bronze qui ressort sous la pluie ; l'auditoire l'entend déclamer, chanter, brailler : il ramène bras-dessus bras-dessous une paire de retardataires. Nous en restons tout époustouflés, mais plus que jamais sur la réserve, peu désireux de participer à ce cirque ; n'ai-je pas cultivé dans mes cours ce genre de transmission du savoir ? Et ne serais-je pas devenu aussi grandiose, aussi grotesque, si j'avais pu accéder moi aussi à l'enseignement supérieur ?

    50 11 27

    J'ai tant besoin de mon corps complémentaire. De mon corps comme reste, excroissance, résidu de l'esprit, mais seul véritable. Simplement la prochaine fois je prendrai une femme qui ne pense pas. Tant de messages notés dans l'urgence, jetés après six semaines ; tant de commentaires enamourés de soi. Que faire de tous ces « bonheurs d'écriture” ? Repente pertruatur. Berdé moralister évencté - Sagolas de perso lamaltibus latinum popinae.

    Seges actéôn sogastaque leniant. Adque praepotentem regere ligna sinant, dum molities inter aedes Paphlagoniam erithursentes. Latinum verum.

     

    50 11 29

    Comment peut-on ainsi passer toute sa vie au lit ?

    50 11 30

    « Ma mère a pissé au lit. Tout est détrempé : je dois tout nettoyer » : une telle épreuve me fut épargnée. Mais en la nourrissant de compote sur son lit de mort, recueillant sur ses lèvres les bavures et les redirigeant vers sa bouche, je me suis soudain

    détourné pour pleurer, pensant à cette inversion des rôles, aux deux bouts de la vie.

    50 12 01

    Je marche (je suis une jeune femme) dans une ville coloniale munie de grands terrrains vagues. Je chante d'une voix très claire. Les hommes se tiennent à distance. Mon chant doit à la fois les charmer et les éloigner. Les paroles sont dans ma langue. Au moment où je traverse un long terrain vague au sol gris d'argile très fine, un rideau ou plutôt un store géant s'abaisse devant moi, m'emprisonnant. Cela devient l'intérieur d'une pièce. Un vieux monsieur corpulent et paisible s'assied près de moi sur un banc, une petite fille nous regarde d'un air de blâme ou de méfiance, je continue à chanter “Motchisvo” (“Liberté”). C'est un grand apaisement, il me semble que je peux avoir confiance en cet homme.

  • Lisboètes

    COLLIGNON ITINERRANCES  - LISBOÈTES

    Je n’écrirai jamais Lisboètes. Pure lusophobie. Et puis j’aurais la rage de ne jamais plus pouvoir y retourner. C’est contradictoire. C’est unbehagen. Malaise profond mais impossible à définir. Comme si j’avais répugnance à revenir sur la tombe d’un bras. Que l’on m’aurait coupé. J’ai fait un plan, par flashes, illogique, sans chronologie. Voici une suite d’images :

    - la Juive de Calcutta, rencontrée dans un train frontalier, et répétant chaque huit phrase : « I’m Jew… I’m Jew... » comme un appel à justification, à compassion, à meurtre.

    - la Cap-Verdienne de Genève, avec laquelle j’ai parlé de clitoridectomie au nom de toutes les oreilles du compartiment, et l’autre Blanche, qui se lavait sans cesse.

    - le Coca et les pêches, les glaces, de Lisbonne ou de Carthagène (mais à présent tout le monde a voyagé, ou croit l’avoir fait) (le faire, devoir le faire)

    La folie têtard b.JPG

    TABLEAU D'ANNE JALEVSKI

    - Cimetières de Lisbonne, les Plaisirs, la tombe horizontale d’Amalia Rodrigues, amatrice de paix sociale, en quelles circonstances Salazar a-t-il pris le pouvoir, et à quels bordels n’a-t-il pas succédé ?

    J’ai des vagues de sang qui battent dans ma tête, un ressac sourd et obstiné qui annonce ma mort ; poursuivons :

    - L’Assommoir de Zola, pluie et bruine dans les vapeurs d’alcool, alors qu’au dehors, à Lisbonne, il fait 36°.

    - Le plaisir des langues, entendues ici dans les rues, le flûtisme tendre de mon français, les clairons espagnols et pas d’anglais Dieu merci pas d’anglais

    - Drague à la FNAC : il y a donc la FNAC à Lisbonne ? Qui a dragué qui ? a dragué quoi ? ne rien perdre surtout ne rien perdre.

    - Le métro : de Lisbonne, aux deux lignes si mal foutues, de Paris si complet, si merveilleux, de Prague engloutissant Alphaville !

    - Les églises de Lisbonne, vernissées comme des momies

    - Gulbenkian, seul endroit frais, qui fait aimer l’art contemporain juste parce qu’il fait frais

    - Fr. que j’ai failli voir et consommer sur place, et qui m’a aimé, que j’ai rejetée comme un muffle fasciste, raciste, xénophobiste.

    Cela tient une colonne. Mais en face, une classification ébauchée, avec des chiffres, c’est trop en avant dans ma vie, 2000, plus que 2008, je cherche, je cherche des griefs et n’en trouve pas, voici, bis :

    1. Filles dans le train, que je draguais toutes à la fois, par mon silence, par la fixité de mes regards, gisant à mes pieds sur le tapis du train. Développer.

     

    2. Petits pavés noirs et têtus de Lisbonne, tranches coupantes.

     

    3. Croisière, à bord d’un bateau fluvial, et ces immigrés stupides qui s’étonnaient de l’aspect du Tejo, parfaitement, du Tejo, oui c’est la nostalgie, pas la xénophobie mais la nostalgie, amère.

     

    4. Le Monument des Conquistadores, avec juste une femme, la Reine Isabelle, au pied de la bite

     

    5. La Tour de l’Estoril, toute petite et qu’on ne visite pas, et non loin le banc où je me suis assis, pus que j’ai photographié comme point de plus à l’ouest de ma vie.

     

    6. Les Jéronymes (ou Jéromines?) (Vasco, Camoès dont j’ai caressé le front en priant, et Pessoa inaccessible (travaux).

     

    7. Pourquoi les magasins sont-ils toujours fermés à Lisbonne ?

     

    8. Je devrais voir le quartier Moniz

     

    9. Les montées, les descentes.

     

    10. L’Ombre et le Cagnard

     

    11. Délices de la pensião

     

    12. De petites gens, de petites portes, de petites maisons, de petites rues.

     

    13. Château St-Jorge

     

    14. - Vieira da Silva

     

    15. Wagon-restaurant

    …ce ne sera pas long… vous verrez…

     

    DANS LE COMPARTIMENT

    C’est si vieux. Ça ne veut pas venir. Un interminable enfermement, deux heures silencieuses en rase campagne, Huit places en face à face. Le seul homme. Des jeunes femmes. Bien trop jeunes et frappées d’une extrême fatigue. Seul mâle de cinquante-huit ans. Colonie de vacances pour filles de vingt ans. Fauchées n’ayant pas ni l’avion ni le billet couchette. Moi non plus. Avec qui voulez-vous coucher ? personne. Tous ensemble. Toutes ensemble et moi. Harem de sept, Sept d’un coup. Épuisées… reintées… Pauses de pantins sans une once de lascivité. Elles ballottent, leurs bustes ballottent, retombent, tressautent, sans harmonie ni suite. La fesse sous le vêtement plus suggestive et ronde, régulière et satuaire, attirant la courbe accompagnatrice – esquissée dans l’œil et du fond de la tête à l’extrémité du nerf

     

     

     

     

     

  • Henri III

    COLLIGNON

    JACQUELINE BOUCHER “HENRI III”

    Parlons d’Henri III, dernier des Valois, roi de France, 1574-1589. Et mettons tout de suite les choses au point : il ne faut pas en rester, et jusqu’à quand nous en faudra-t-il rester à cette image du roi pédé ? « Allô Henri III ? - C’est elle-même ! » - tromperie sur la marchandise : Jacqueline Boucher, autrice de l’ouvrage éponyme, reprend la thèse de Philippe Erlanger dans sa grosse biographie : n’en déplaise à certains petits messieurs qui aimeraient bien l’introduire dans leur cercle, Henri III ne fut pas homosexuel, en tout cas moins que Louis XIII. Henri fut couvert de boue par les braves catholiques de l’époque, plus calomnié encore que Louis XVI. Nous avons surtout conservé les aspects folkloriques de ce grand roi qui essaya le plus possible de maintenir l’unité d’un royaume déchiré par les guerres civiles.

    roi,pédé,France

    Ainsi de ce fameux symbole du bilboquet : sa vogue n’a duré que quelques semaines à la cour – sur quinze ans de règne, c’est peu. Son épouse Louise de Lorraine fut profondément amoureuse de lui, et ne se remit jamais de son assassinat. Pourtant il posséda, roi de France oblige, nombre de maîtresse qu’il s’efforça de lui dissimuler. On lui attribua même un enfant caché. « Mais les mignons ? » direz-vous – car vous n’êtes pas près de lâcher prise, « il n’y a pas de fumée sans feu ! » - là encore, détrompez-vous : sous Henri IV aussi nous trouverons des mignons, sans que le Vert Galant ait jamais été susceptible de pédérastie. « Mignon » signifiait tout bonnement « favori ». Les satiriques ont parlé de « visage fardé » : mais l’expression signifie aussi bien « empreint de dissimulation », « masquant ses sentiments ».

    Qu’on l’ait vu travesti au Bal des Amazones ne prouve rien de plus : tous les gentilshommes s’étaient pareillement mêlés à ce bal, et les femmes y parurent déguisées en hommes. Nous avons vu de tels amusements au carnaval de Vatan dans l’Indre ; cela ne peut prouver l’homosexualité de toute une population ! En revanche, le cadet du roi, le duc d’Alençon, était, lui, complètement homosexuel ; mais comme il penchait du côté des catholiques, pas un pamphlet, on disait un pasquil, ne l’atteignit lui-même, cible facile et autrement scandaleuse ! N’oublions pas que l’homosexualité en ce temps-là était passible du bûcher ; que si Henri III en avait tâté, on en retrouverait la trace en maints écrits, en maintes allusions.

     

     

    COLLIGNON LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 2039

    JACQUELINE BOUCHER “HENRI III” 39 03 17 2

     

     

     

    Or il se trouve que nous en sommes toujours réduits aux mêmes sources : les pamphlétaires, qui finirent par le faire assassiner sur sa chaise percée en 1589, parce qu’il voulait léguer le trône à son lointain cousin Henri de Bourbon, de religion réformée… Le souverain pressentait le drame de sa succession et fit de nombreux et ardents pélerinages avec son épouse pour obtenir la grâce d’un enfant. Si nous avons attaqué bille en tête sur ce point, c’est parce qu’il nous semble capital de détruire une légende confortable autant que calomnieuse. L’autrice d’ailleurs ne traite ce thème qu’incidemment, à sa place, à l’intérieur de l’ouvrage, et sans lui accorder plus d’importance qu’il n’en mérite, avec un certain dédain, usant des arguments que nous venons de vous présenter.

    Les chapitres du livre traitent de choses bien plus sérieuses : le cérémonial de cette cour, ses fastes, la façon de gouverner, l’esprit baroque, l’atmosphère intellectuelle et l’italianisation des hautes sphères sociales. Il ne s’agit pas d’une étude chronologique, mais d’une approche thématique, ainsi que nous l’avons vu par la disposition des chapitres. Le lecteur navigue ainsi du début à la fin du règne, et si l’on n’est pas au fait des évènements, c’est un peu déconcertant. C’est ainsi que l’on fait plusieurs fois allusion au fameux « duel des mignons », sans nous dire jamais ce qui l’a provoqué, ni quels en furent les protagonistes. Cependant nous sont présentés des tableaux fort convaincants fixés dans nos mémoires, comme celui de ce faste puissamment déployé.

    Comme il n’existe pas d’administration à l’échelle nationale, le Roi doit s’assurer la fidélité de ses vassaux en les comblant de cadeaux et de privilèges. Puis, après avoir fait leur « quartier de cour », c’est-à-dire un quart d’année, un trimestre, obligatoire afin de rester dans les faveurs du roi, les seigneurs s’en retournent dans leurs provinces pour y faire appliquer la loi royale. Comment se logeait la cour ? Versailles n’étant pas construite, c’est au Louvre qu’il faut être, et c’est à Paris que l’on cherche à loger.

  • KHYRS ET TZAGHÎRS

    COLLIGNON KHYRS ET TZAGHÎRS

     

    1. La stèle

     

    Ici le fleuve entaille la falaise. Six cents doghs de dénivelé. Au sommet, la ligne des arbres – en bas, la trouée du rapide et son ravage de troncs. L’eau fume jusqu’aux premières savanes sous la pente : c’est là, au bout de la dernière piste, que se devine sous les herbes la stèle d’Alloum-Khéfi.

    « Lis ce qui est écrit !

    noirs,armée,invasion

    - Comment serait-ce possible, ô Badjar, à celui que tu as privé de la vue ?

    - C’est juste.Qu’on l’achève.

    Un esclave pousse le Blanc, qui tombe à quatre pattes et reçoit sur la nuque le froid tranchant du ssûtak ; un autre entraîne le corps et la tête hors de la piste, à portée de hyènes.

    « Blanc, lis-nous le texte de la stèle.

    - De la dixième année de mon très glorieux Règne

    « Quiconque, homme ou femme, de peau noire, ayant franchi la borne du Royaume

    «  Sera sur-le-champ exécuté ».

    Un vaste éclat de rire secoue les Suivants sur leurs méharis, et gagne la colonne des guerriers sur toute sa longueur. Le prisonnier halète. Le ssûtak recourbé s’élève sur sa tête, mais le Badjar fait un geste condescendant : « Laissez-lui la vie ». L’homme est tiré en arrière par la corde qui lie ses poignets. Le Badjar tend le bras vers la stèle. Aussitôt dix guerriers s’arc-boutent à sa base et s’écartent d’un bond quand la pierre s’abat dans un creux d’eau sous les herbes, avec le bruit lourd d’un hippopotame touché à mort.

    Alors une clameur remonte la colonne jusqu’aux lisières de forêts, et plus loin, où l’on n’a rien vu. Le Badjar a levé trois fois le ludabeth, sa lance-d’appui, qui descend jusqu’au sol le long de sa monture, et rythme la marche vers le nord : Hy-bâ !

    Hy-bâ ! crient les flancs-gardes.

    Le Badjar marche en tête sur son méhari. Ses lèvres sont bleues. Son crâne aux tempes poncées porte une crête rousse de la nuque au front. De sa ceinture partent huit longues étoles rouges, tendus en étoiles par huit esclaves à pied, aux lèvres bleues, le torse nu. Ainsi maintenu à mi-corps, il avance avec majesté, comme une rutilante mygale.

    Les tendeurs d’étoles trébuchent sur les longues-herbes, prenant soin de toujours garder le tissu soigneusement tiré. Leurs traits et leurs muscles luisent. Sous la taille écartelée par les écharpes tendues à se rompre, un pantalon bouffant d’étoffe blanche à crevés rouges. Les pieds sont nus. Derrière l’imposante pyramide formée par le Badjar et ses étoliers, les treize fouroukh montent des chevaux noirs à crinière courte. Les fouroukhs ou maréchaux ont la tête rousse et la bouche bleu saphir ; mais leurs cheveux sont plus ras, et leurs prérogatives ne vont pas jusqu’à s’autoriser la garance pour se peindre, ou la poudre d’indigo.

    Ainsi se règle la tenue des officiers, reconnaissables au nombre de leurs bagues.Les serre-files agitent leurs baguettes de cuivre. Le peuple tzaghîr est en marche : hommes et femmes en état de porter les armes. Ils ont tous les cheveux roux, les lèvres bleues et vernies, et lorsque le Badjar tourne la tête, il aperçoit, en file interminable jusqu’aux Gorges de Lazb, un immense dégorgement humain de braises rouges et de peaux noires.

     

    X

    X X

     

    TZAGHÎR FRANÇA1S

     

    « Mior utimer wendrè halemu «  Nous avons ainsi cheminé

    « horpowo biongak cho rikao, «  jusqu’au coucher du soleil,

    «  pö ruzuerru rok mispa fwonga. «  qui s’abaissa sur notre gauche.

    «  Ja bunsuéla u jumbu ku nkéakè, «  Le bounsouéla a lancé la prière,

    «  nör mior utimer diklu «  puis nous avons formé

    « diklu kar bakbar chuzuma. «  les cercles d’ébène.

    « Ha nikhuè jami  «  Je portais le numéro 743

    «  rior kaq ipshkar Schebbi «  sous les ordres d’Ebbi

    «  as ha gor runuzu «  et je fus séparé

    «  sha Hamaoua. « de Hamaoua.

    «  Ba riok-jou, ha bilnwè «  Ce soir-là, je comptai

    «  tchoumer ju turmankwèma «  dans la vaste plaine

    « …. «  plus de 50 cercles,

    « …e aucun Blanc n’apparaissait encore. Mon tour de garde n’intervenait qu’aux quatrièmes «  veilles. Je dégainai mes deux épées-de-main, l’une plus courte pour la gauche, et l’autre «  pour la droite, et les plantai dans le sol comme il m’avait été enseigné. Puis je déroulai le « çèmo qui ceignait mes reins pendant la marche, et m’y enveloppai. Je ne pouvais dormir, «  enfin parvenu au Pays Blanc... »

     

    X

    X X

     

    « Maîtresse !

    - Que me veux-tu, à cette heure de la nuit ?

    - Pose ton Rouleau-des-Lois, viens à la fenêtre !

    - Je suis trop âgée pour pouvoir m’étonner.

    - Tu n’entendais pas ce bruit par la ville ?

    - Me voici près de toi. La nuit est restée chaude.

    - Les guerriers se sont rassemblés sur la place et les rues voisines remplies.

    - Les flambeaux luisent sur les murs de sable.

    «  Au-dessus des ruelles invisibles je vois le tunnel pourpre des torches.

    - Ils partent cette nuit pour le pays des Khyrs ! »

    Djezirah et sa servante demeurent accoudées sur le balcon. Tous les contingents mobilisables d’Aïn-Artoum se sont agglutinés, bloquant la place au coude à coude. Les lances tendues à l’alignement jettent des éclairs roux. Devant le premier rang est ménagé un espace libre. Une vaste gifle de métal:lesl ances se sont redressées. Le Dovi paraît, escorté de deux colosses aux lèvres violacées. Ils élèvent sans effort le Chef sur le pavois.

    « Troupes aimées, guerriers !

    « Il est venu, le temps des prophéties.

    «  Plusieurs fois nos marchands sont allés au gras pays des Blancs

    « Les Khyrs, les Gorgés.

    « Plusieurs fois leurs curieux ont grimpé sur nos plateaux Tzaghîrrs.

    « Nous sommes curieux, nous aussi.

    «  À présent nos marchands sont armés

    « notre noir empire est plus ancien qu’eux :

    «  nous sommes les fils de la Lune et du Vent, Enfants de Toutes-Aures.

    «  Que le Premier Croissant nous éperonne.

    «  Lune a promis la Terre à nos conquêtes

    «  Depuis .540. années pour .540. autres années

    «  - Peuple Têtes-Rousses !

    2. La bataille de Drinop

     

     

    a)

    ! k

    ! k Les Khyrs

    !k !k tentent

    !k de déborder les Tzaghîrrs

    >>>>>>>>

    TZA !k Ceux-ci percent

    >>>>>>>> leur centre

    !k !k et se rabattent

    sur ceux qui

    !k voulaient les déborder.

    Le centre Khyr est en fuite.

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    b)

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    Récit d’un jeune Tzaghîr, Héri

    (dans le style de sa nation)

     

    « Ma taille n’excédant pas le rayon du soleil (1), je fus introduit au corps agile des

    «  Archers. Ce sont les plus parfumées de nos guerrières. Choyé d’une majorité de

    « femmes, mon tempérament s’épanouit. Nos exercices alliaient la grâce à la prompti-

    «  tude. Comme prescrit par la pratique et les incantations, nous prouvons sur le terrain

    «  nos qualités d’infiltration et de repli, et la plus grande souplesse du poignet. Gliss é s

    «  parmi le trot des chameaux, nous décochons de bas en haut nos traits courts et mor -

    «  tels ; de nos couteaux nous achevons qui choient sur le sol.

    «  Nous avons adopté la position du Croissant. Notre aile tenait le nord.

    «  À peine avait paru sur le tranchant de l‘horizon la muraille des Blancs.

    «  À peine les chefs de pointe avaient-ils levé leur lance de signal que nous fûmes enve -

    «  loppés sur notre gauche. Les sauvages escadrons lourds des Khyrs, si véloces sur leurs

    «  bêtes, frappaient lourdement comme une mâchoire de pince. Les guerrières f roissées

    «  s’abattaient sur leurs arcs flexibles. Les clameurs mêlaient leurs panaches. Pressés

    «  comme nous étions, dans une extrême excitation, le mouvement tournant sur la gauche

    «  nous fut freiné, mais ceux qui périrent sont tombés sur place. Chameaux et ar c h è r e s

    «  mêlées, nous autres quelques hommes, parvinrent à faire front : cohue, retrait du bras,

    «  corde bandée, flèches tirées d’en bas.

    «  Que notre combat semblait solitaire !

    «  Nous avons tenu, enveloppant les chevaux des Blancs sous nos nuées de pennes. Et les

    «  Blancs à leur tour chantèrent l’atroce mélodie de la souffrance : jarrets tranchés des bê-

    «  tes, cous harassés qu’on égorge, dards fichés au creux des tripes. Nos parfums tournè -

    «  rent sous la fadeur, alors les Blancs pleurèrent. Leurs arrières sentirent le poids des lan -

    «  ces d’avant-garde, qui s’étaient refermées sur eux comme une coque. Nous en a v o n s

    «  consommé un grand massacre, fabuleusement

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (1) 1,65m