Proullaud296

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der grüne Affe - Page 55

  • Gardien stagiaire

     

     

     

     

    C O L L I G N O N

     

    G A R D I E N S T A G I A I R E

     

    À Enki Bilal, auteur de «Bunker Palace Hotel »

     

     

    Radôme : (de »radar » et « dôme » : Voûte transparente à énergie électromagnétique, destiné à protéger une antenne de télécommunication contre les intempéries

     

    Le radôme fut construit pour protéger l’une des premières antennes de télécommunications par satellite. La première liaison fut effectuée le 9 juin 1961. Inutile aujourd’hui de recourir à cette énorme sphère blanche : des antennes paraboliques sont implantées sur le plateau d’Hermès où je vis. Mais le radôme a subsisté ; nous l’avons adopté malgré nos résistances. Il est à lui tout seul un paysage, on y projette des éruptions, des cosmologies. Son globe contiendrait l’Arc de Triomphe. On vend des chocolats-radômes, tout blancs, dans les pâtisseries. Au début, c’est vrai : la population protestait. À présent le pénitencier fait vivre toute la lande d’Arbor, et les confiseries à la gnôle, à la crème ou creuses, consolident les soldes sans éclat des gardes.

    Plus loin au-delà des clôtures du lac de barrage (ça n’a aucun rapport), le soleil est glacé sur les rocs, une permanente criaillerie d’oiseaux prédateurs. En fin de journée ça devient intenable. Le STAGIAIRE a grimpé le fin sentier juste distinct dans l’herbe, et levant les yeux voit au-dessus de lui la sphère surplombante, immaculée, désormais carcérale, du radôme converti : non plus « capteur d’infini » mais signe et repère d’enfermement. Œuf surprise, bombant ses casemates, guettes et logements de gardes, tandis qu’en contrebas disséminés parmi les buissons plats s’étendent les préfabriqués (écoles, un peu de tout, à racheter). Ici s’abolissent toutes perspectives, il a rejoint ses obscurs collègues, battant la semelle sur la neige rase.

    Mains dans les poches, bonnets noirs et cache-cols. Ils toussent, pleins de gnôle ou sans ; toux grasses, ou sèches, ou caverneuses ; enchaînés dirait-on par plaques de cinq ou six… Juste émergé des brouillards du chemin, j’ignore encore (car c’est moi) ce que je dois faire, mais je sais que je n’y ferai. Belle et nouvelle contrée. Granit, habitants fiers dit la notice (maquis décimés, combats d’Hercos en 44 et fusillade de St-Dours dite erreur d’épuration ou Massacre de la noce, ni documents ni preuves, ola ènndaksi, « tout est en ordre ». La Centrale est pleine et les gardiens aussi, et pas au chocolat-liqueur. Frappant le sol à 7h25 parlant de la guerre. Mobilisés sur poste « on ne va pas se faire poignarder dans le dos ». Je vous fais visiter la prison maintenant que je connais : dans la boule blanche, les salles de conférences. Projections vidéo et tout. Les miradors tout autour, décor, bidon, jamais personne dessus. Sinon comme partout ailleurs, Bretagne, Limoges, Krougne-en-Bèze. En tout cas c’est mixte. Enfin c’était : tout le monde bien surveillé, séparé, brimé, les femmes en haut sous la boule, les hommes en bas sur la pente. C’est dur pour les hommes. « Au moins les hommes vous foutent la paix » - les femmes s’arrangent toujours. Pas d’évasions, pas de jonctions, ni en montant, ni en redescendant – vous voyez ça d’ici, baiser dans les cellules ? des cellules reproductrices ? celle-là je l’ai répétée à tout le monde, c’est comme ça que j’ai failli être populaire, puis on m’a remballé « tu fais chier t’es pas là pour rigoler » - Là : CENTRE DE RÉÉDUCATION FERMÉ D’HEMNÈS (CRÉFEM) en tout cas c’est mal chauffé.

    Pour punir un peu, pour que ce soit bien rude, roboratif, rééducatif – rappel question mixité : seulement dans les ateliers. Autrement chacun chez soi, en haut, en bas, verrous, alarmes. Effectivement des viols. Enfin : un viol ; trois jours après, les gonzesses envoyaient une expédition punitive, elles en ont chopé un au hasard la copine aussi elle a morflé par hasard elles ont coupé les couilles et le reste on entendait le mec gueuler, elles ont rapporté le paquet sur un plateau dans leur quartier, ça hurlait de joie elles se sont gouinées toute la nuit, y a pas eu un gardien pour bouger – depuis plus de viols, terminé, basta – méfiance, abstinence, mais je n’y crois pas : il doit bien y avoir des ponts, des tunnels ? ...la chaufferie par exemple, en évitant les gaines avariées…

    Toujours les nonnes qui fabriquent des cierges, toujours les moines le fromage ou la gnôle. Icion ne fabrique rien. Juste des bricoles, des exercices pour reconstruire l’esprit. Je viens d’arriver je ne me mêle trop de rien, on m’a nommé là, maintenant que je n’y suis plus, c’est juste pour vous faire visiter la prison. D’abord expliquer comment j’ai abouti là. Devant la prison. Moi je suis de Ripoll, vous savez, la Catalogne, tout en bas (son cloître, son monastère) (le Centre Fermé, en France, vous ne le trouverez pas sur la carte ; mais les deux pays travaillent la mano en la mano.

    Et précisément ce jour-là, où on n’attend plus que moi, grève à la RENFA (Red naciolan de los Ferrocarriles Españoles, - ¡Todos en lucha! - bien bloqués, les trains, pour des points de carrière ou Dieu sait quels aménagements d’horaires - “sans faute au Centre le (tant) à 7h 20” en grand sur la falaise. Je n’aijamais fait de rencontres.”Ma vie en fut qu’une successions de rencontres” - tu parles ! une succession de rendez-vousarrachés de haute main ! “J’ai eu de la chance” bien planifiée, la chance ! À d’autres ! ¡ cuentaselo a tu abuela ! Juste le 6 novembre j’ai croisé un Portugais, motard, on en s’est plus revus, vous pensez… Il s’arrête place de la Gare pour me demander sa route en portugais (de toute façon, si tu ne parles pas le caralan on t’envoie chier), je lui ressors trois quatre expressions d’Assimil on commence à parler, il me prend en croupe et ça tourne et ça vire, l’un portant l’autre sur la Nacional cien cincuenta y dos, falaise à droite, à pic à gauche.

    La physique moi je n’y crois pas. Non plus. Le coup de la “force centrifuge” ou “ pète” à moto, bidon. Que les avions tiennent en l’air si ça leur chante ; un jour on finira bien par s’en apercevoir, que c’est bidon, ce jourlà les zincs se casseront la gueule avec des mecs dedans et le bon sens sera enfin rétabli. Je reste raide sur la selle comme un cierge, la Bugazzi à 30° tout ce que je vois c’est qu’à me laisser pencher dans l’axe comme il n’arrête pas de hurler on va se viander comme deux ronds de flan deixe-se ir ! qu’il me gueule “laisse-toi aller !” - c’est quoi exactement “se laisser aller” ? Trois camions à la file nous dévalent dessus, les baraques en contrebas 3 – 400 m au fond à gauche, et partout : COTO DE CAZA – COTO DE CAZA – qu’est-ce qu’on peut bien chasser là-dessus, ça monte, ça tord, le trou à gauche encore heureux falaise à droite je bande sur son dos c’est réflexe, il me dit “ma gonzesse est comme toi, plus je me penche plus elle est raide on va se tuer qu’elle dit” je braille “Elle a raison”, le vent pleine poire, le Portos ferme sa gueule.

    Moi c’est l’ordre, que j’aime. La logique. Ni la physique, ni les maths, ce défi au bon sens (moins par moins donne plus et autres balivernes - pas besoin de ça pour « faire gardien », reçu 100e et dernier sur 330). Le motard freine en plein lacet : là-bas c’est son village, au bout du zigzag blanc qui plonge dans le crépuscule : « Demain faudra que je tronçonne de l’autre côté » - je m’aperçois que j’avais sa tronçonneuse au cul attachée de biais – ce qui tombe ici ne remonte pas dit-il. Ce sont des amis qui le logent. Je dois attendre ici pour l’autobus du soir, « un peu plus haut dans le virage ». Il commence sa descente frein moteur à bloc (plus le moteur tourne, plus ça freine…) - puis je me recule sous le surplomb, et à mi-gouffre au fond je vois son gros œil qui s’allume plein phare – à gauche, à droite, de plus en plus mince et profond.

    J’ai attendu le bus 40 minutes, c’est long, quand la nuit remonte vous lécher les pieds – il ne s’est arrêté que pour moi - « vous n’avez pas vu le panneau ? » - 10m² de gravier cinquante mètres plus haut, je ne pouvais pas le savoir. La route se creuse, quatre vieilles sur les banquettes de flanc se grognent des conneries de vieilles en sautant dans la ferraille. Je me lève, me rassois, titube d’un bras de fauteuil à l’autre en me donnant des airs de vomir et me laisse tomber sur le siège défoncé derrière le chauffeur. Les vieilles coriaces me remarquent à peine. J’entends dans les cris de tôle que

    les hommes ça ne vit pas vieux, que ça ne tient pas la route - 70Km/h en montée – faudrait arriver pour la soupe qu’est-ce qu’il fout il se traîne ¡ se está arrastrando ! je dégueule DÉFENSE DE PARLER AU CHAUFFEUR – SE PROHÍBE DE HABLAR CON EL CONDUCTOR – je me retourne en m’essuyant les lèvres « Quand est-ce qu’on arrive à Hemmes » - je prononce [émèss] – et la vieille en noir la plus proche me demande quelle langue parlez-vous à la fin c’est un sabir d’espagnol et de catalan, mâtiné d’italo-galicien car je ne connais pas de langue à proprement parler, juste quelques fragments de dialectes pour épater la galerie – para impresionar a la galería.

    L'humidité b.JPG

    Mon motard mousquetaire sera demain matin sur l’autre versant à tronçonner ses arbres. J’ai replacé ma main sur mon estomac, refait le geste de boire, elles m’ont toutes regardé en haussant les épaules et le car virait toujours – c’est un clown / es un original riz safran crevettes y más de gambas ma vieille me fait une proposition : tengo une habitación para alquilar – chambre à louer : micro-ondes plaques électriques mini-four cafetière lava et sèche-linge, vaisselles et ustensiles – génial je dis es genial ce n’est pas très idiomatique. Son prix me convient, elle ne parle plus recroquevillée sur son loyer calculé au plus juste gagnant/gagnant meilleur rapport qualité prix « Cherche étudiant type européen posé, aisé, visites non admises ». « Il ne faudra pas faire de bruit j’habite avec ma sœur vous serez juste au-dessus de chez nous » ça promet.

    J’espère baiser les deux sœurs on m’a déjà fait le coup (la mère, la fille effacée chat coupé vieilles peaux tavelées) mais je n’escompte rien ne rien calculer, juste le tant par mois.Mon motocycliste à cette heure-ci mange du riz andalúz avant d’aller au lit la tronçonneuse dans l’allée le nez dans l’oreiller chacun son métier

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • FRAGMENTS

    COLLIGNON

    F R A G M E N T S

    17 05 2019

    Pourquoi “Pas d'enfants” ? ...d'autres en ont eu, sans être morts...

    ---> refus d'assimilation au père

    ---> refus du statut d'enfant

    ---> refus de devoir s'intéresser à quelqu'un d'autre

    Le fric n'est qu'un prétexte.

     

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    Idées de sujets avec des classes...

    Voir pourquoi ça ne marche pas...

    Préliminaire : Babette M. ; la mère qui surveille Instaurer une Dictature du Parti Intellectuel, pour édifier l'humanité (Gogol) : élever "l'homme et ses œuvres à la hauteur d'une religion" - ce qui ne serait qu'un bandeau sur les yeux.

    Il y a des idées auxquelles je crois - hélas.

    élite,journal,vacation

    L'élitisme des âmes ne peut s'épanouir que' sur le fumier de la friction des corps - croyais-je. Elitisme, certes, mais refus de toute prédestination. Force, mais refus de la force subie.

    Le doute, le clown et le narcisse : Pamiers, 1er juin 1974.

    Le narcissisme s'incarnera dans un seul homme. Les réflexions démolitrices, en un autre. Seul l'homme dans ses rapports avec l'homme. L'anecdote est le support à la philosophie : Le Diable et le Bon Dieu.

    En ce temps-là le jeune homme imagina - sans rire ! de travailler deux heures par jour.

     

    Fragment de nouvelle

    "Il se dressa sur ses pieds :

    - Je suis Abraham Ronsard ! et le tronc d'arbre s'abattit.

    "Sa femme Albertine lui apporta en plein air une marmite, très lourde, dont elle avait enveloppé d'un linge les anses brûlantes :

    - Cesse de brailler. Tu as fendu toutes les poutres de notre maison.

    "Il pleura bruyamment, car c'était une fermette à poutres apparentes. Martine lui versa l'épais breuvage aux poireaux :

    - Avale ça ; tu es fatigué.

    "J'ai achevé ta mère. Tu trouveras des morceaux de cerveau dans la soupe.

    "Jean-Pierre, alias Abraham Ronsard, recracha sa cuillerée. Puis, haussant les épaules, il termina son assiette.

    Martine, assise sur le tronc abattu, le regardait faire. Puis elle tira de sa poche un miroir de vieil argent orné de deux sirènes ; Jean-Pierre caressa la pointe de leurs seins [caetera desunt]"

     

    En gros caractères : MANGER L'ARTICHAUT D'URGENCE !

     

    Il paraît, comme ça, que je suis fait pour écrire. C'est O'Letermsen qui me l'a dit.

    - Tu es si beau, lui disais-je, si beau, que si j'étais pédé je te sauterais aux couilles.

    - Génial, gloussait-il , génial. Then he added :

    "J'agrandirai tes cartes géographiques. Je les reproduirais sur soie. Je te trouverais un imprimeur ; ce serait de l'imagination pure. Tu donnerais des conférences.

    Première carte : Arkhangelt. Epaisse, limoneuse.

    Mes armées ont sillonné ce royaume, envahi par les Troupes Innombrables du Sud.

     

     

    J'avais inventé d'autres pays ; de sanglants combats en avaient eu raison, à Ste-Françoise-le-Lac ; c'était ma cousine, son sexe et la bataille. Une arme était particulièrement terrible: visé, dans un groupe de trois, je restais seul indemne, et mes deux gardes, morts. Le trente août 1973, j'écris : "Je ne mérite pas d'être sauvé, je chie sur les Rédempteurs. Demandé, et il vous sera accordé ; tendez la main, et vous serez hissés. Que ma haine éclate comme une précieuse grenade au ventre de toutes les" - ce qui n'est pas nouveau.

    "Souillons, soyons grands ensuite" - qu'est-ce à dire ?

    Je cite :

    "Quand les délicates, en se voulant torcher, s'apercevront dans leurs doigts vernissés que j'ai déjà embrené leur papier, elles reposeront le rouleau et s'en iront, effarées, cul merdeux, en écartant les fesses."

    Plus loin :

    "Travail sur soi, travail impitoyable, seuls les très grands y sont parvenus. - Un éditeur ! - Ah chien, tu veux ta pâtée...

    "Je hais les bons chiens, qui me font du bien, qui me cernent, larme à l'œil, répétant, dictant ce que je dois faire, ce qui est bon pour moi."

     

    "Moussu curé ! moussu curé ! moi pas fai'e mal, moi ju'é !" Mais le missionnaire pressa sur la détente, et quand le Noir fut mort, il encula sa femme et promena sa courte bite vérolée sous sa soutane en cloche.

    Je ne veux pas que tu penches ta grosse tête crayeuse sur mes écrits, et que les larmes ravagent ta grosse face de cul. Tu ignores la valeur d'Amour de tout cela.

     

    Chronique

    "Tous les hommes furent alignés, la queue sur une planche. Alors, une par une, à la hache, les queues furent tranchées. On en fit des quenelles.

    "Toutes les femmes furent alignées, cuisses ouvertes. Et d'un coup de truelle, tous les cons furent bouchés au ciment frais, et les femmes hurlèrent éternellement avec cet épieu fiché en elles."

     

    Et qu'on ne vienne pas me parler de recherche systématique de l'outrance ! Ces gens-là ne respectent rien.

    - Et c'est pour ça qu'on te paye ?

    Ma mère, ne te retourne pas dans ton cercueil ; ça fait de la poussière, et ça pue.

     

    Quand j'aurai dépassé ce stade, quand j'aurai fini de jouer avec mes excréments, je pourrai m'essuyer les doigts et écrire, puis j'entrerai à l'Académie Française.

    "Et dans 50 000 000 d'années, la Terre, avec tous ses systèmes philosophiques, ne sera plus qu'un grain éteint, et ce sera comme si rien n'avait existé."

    Jean ROSTAND

     

    Je crois en un seul Dieu, créé pour faire chier le monde.

     

     

     

    (16 octobre 2020 ?)

    Certains personnages de Dostoïevski griffonnent, ou rédigent posément, quelques phrases insignifiantes, qu'ils font lire à leur femme, et confient ensuite à la postérité dans de grands cartons verts d'administration. Se repaissant de pipes et de rêves.

    Pendant que d'autres volent dans les plumes de la littérature, eux passent leur vie à se créer une méthode, sélectionnent leurs thèmes, un par page, comme des grains par sachets, composent des fiches ; s'enquièrent de tel point, lisent tel ouvrage primordial - lisent surtout, ce qui dispense d'écrire - poussent même le scrupule jusqu'à indiquer la musique particulière, l'atmosphère qu'ils désirent autour d'eux pour telle ou telle écriture.

    Tantôt une méthode, tantôt l'autre. Ils s'obstinent longtemps, surtout s'ils la sentent inadaptée.

    La pipe se fume, et l'inspiration ne se hausse guère au-dessus du talent. Et de peaufiner leurs thèses.

     

    Pendant ce temps, des gigolos nouent d'innombrables connaissances. Les miens habitent loin de Paris. Ils ne paraissent pas. Ils écrivent à longueur d'heures, qu'ils ont glanées au travers de leurs besognes. Ils écrivent qu'ils ont envie d'écrire, qu'ils ne savent pas écrire. Proust, Du Bellay - furent des seigneurs.

    Une deuxième pipe succède à la première. L'esprit demeure vide. L'auteur retourne à ses briques. Il vit une époque noire, chargée d'oubli futur. Il sait qu'en période de décadence, les auteurs perdent le souffle : l'épopée, le roman-fleuve, se perdent...

    Et voici le moment crucial : sortir de soi. C'est un courant d'air, que je supporte mal.

     

    X

     

    Es war einmal un schizophrène. Il ne voulait jamais quitter son oeuf. Il voulait écrire sans effort - au fil de la plume. Il s'indignait qu'on vînt le lui reprocher :

    - Comment écrire sans souffrir ?

    ...comment dresser son flûtiau parmi ces puissants arrachements de trombones ?

    Surgit soudain quelque révolutionnaire, ignorant tout de Proust et de Gide, et qui le fusilla pour tiédeur.

     

    x

     

    Parfums d'église. Chaque heure mûrit et crève ; l'absence de souffrance se fait cruellement sentir. Une araignée étire ses pattes. La pensée file en musique, les comparaisons s'enfilent comme des perles, comme des doryphores qui cheminent, comme, comme...

    Laisse couler le fleuve des automobiles où tourne une sirène, le soleil baisse et va t'atteindre derrière la vitre. Une vieille ouvre son sac, objet vague, les humains fuient, reste, isolée, la moleskine.

     

    Ici s'ouvre le journal du fou, 22-12- 2020

    Aqui se abre el diario del loco.

    Rien ne sera plus concentré que le journal du fou. Nichts wird usw. Le texte en sera pédant, souvent diffus.

    "Le comble du cabotinage est de ne rien laisser paraître de soi."

    FLAUBERT

     

    Ce travail nécessitera une documentation aussi poussée, aussi sévère, que celle de Bouvard et Pécuchet. Il y prolifèrera autant de redondances, autant de répétitions que dans l'oeuvre de Bienaimé Péguy. Partitions musicales, portées tibétaines, cartes géographiques, "et l'on parlera plus des couleurs et dees formes de l'oeuvre, que de l'oeuvre elle-même."

    Nul ne doit pouvoir dire :

    - Houynhnhnh ! ceci est bon ; j'en ferai fructifier."

    Il n'y aura pas de plan ("Es wird" usw.)

     

    X

     

    Le futur est le temps des dieux, le temps-Dieu.

    "Il est le temps qui exprime qu'une action se fera ou ne se fera pas dans l'avenir ; il exprime ce qui sera (ou ne sera pas) (verbes d'état), sans restriction."

    Ceci encore :

    "Obsédé du besoin de faire coïncider la durée de sa création avec celle de l'élan créateur (coïncidence exaltante

    qu' "on peu nommer l'inspiration") - le fou ne se sent ni atteint ni tourmenté par la suite de la citation ("il [Tchaïkovski] est d'autre part tourmenté par les exigences de la création formelle" J. J. Northmann).

    "Petite musiquette au jour le jour - serinette - non, tu ne seras pas" (Antoine Bourdivier).

    Problème : "raidissement" mène à "trop connu" ; "besoin de nouveau" mène, par d'autres voies, à "trop connu" - les histrions sont fatigués - et puis, l'interdit :

    "Deux amoureux se regardent à travers la vitre du train. Qui ne démarre toujours pas. Or, ils se sont tout dit. Ils se font des grimaces embarrassées de chaque côté de la vitre" - ça, on peut le dire. "Les roues du train comme le bruit de la mer" - ça oui, ça surtout on peut. Ca sent bon. Cendrars, Jules Verne, Michel Strogoff. Références. "Ce qu'il y a de bien" ("de merveilleux") c'est de se sentir en train de penser sans savoir à quoi ; sans besoin de cerveau. "Ce gros viscère chaud"

    MAIS :

     

    : interdit !

    et :

     

    : interdit !

    Conclusion, sans rapport avec ce qui précède.

    Il faut écrire par but précis.

    IL FAUT FUIR LE STYLE DES QU'IL SE MANIFESTE

    Fuir, dès qu'il se manifeste, le style.

     

    FUIR LE STYLE DES QU'IL S'APPROCHE.

    Et non pas : "...FUIR, DES QU'IL S'APPROCHE, LE STYLE."

    Mes lecteurs - rectifieront d'eux-mêmes.

    Le livre d'Henry-François REY "Les Pianos mécaniques" m'aura du moins appris comment ne pas écrire. Opposer, de Rabelais :

    "Or cy trouverent des mots gelés ensemble, et syllabes aincy agglutinées, comme hin, hin, brededin, brededac, bou, bou, bou, trac, trac..."

    De moi in "Monségur [sic] 47"

    "Ça ne devrait pas s'appeler "cimetière" ; ça sonne trop clair, comme un clairon ; il faudrait plutôt le bruit de la terre qui glisse - fss... fss... - quelque chose comme "fossouère"..."

    ...Toujours d'Henry-François Rey :

    "Il but son café à petits coups

    " son whisky d'un grand trait" - prière : my friend,

    Débarrasse-toi de tous ces verres "qu'on tourne entre ses doigts", de tous ces cafés et cigarettes - quand je compose je me les touche, je me court-circuite. Pas de déperdition.

    "C'est là que, tout seul dans le vent, je récite "Hamlet"... Un très bon exercice. Notez bien que je tiens Shakespeare pour un idiot et "Hamlet" pour une pièce infantile. Mais cet infantilisme est comme une purge ; tout de suite après son ingestion, la rigueur vous paraît plus rigoureuse. Nous arrivons."

    Ca fait bien, de prendre Shakespeare pour un idiot. "Vous êtes un vieux croûton : aimer Shakespeare !

    - Ah mais non ! je le "tiens pour" un idiot.

    - Vous êtes un ignare : mépriser (to despite) Shakespeare !

    - Ah, mais non. Je maintiens que son infantilisme purge : d'une certaine façon donc, paradoxale, je rejoins votre admiration. Je l'estime, mais pas comme tout le monde."

    (Enfant = con = génie = con = pureté = nature, tou sles clichés sont au rendez-vous, l'idiot est le plus sage de tous, etc... - êtes-vous allé déjà faire un tour dans la tête de l'idiot du village ?)

    Quant à la "rigueur" qui devient "plus rigoureuse", c'est ce qui s'appelle le comparatif interne : la vie devient plus vivante, la profondeur devient plus profonde... t'en chies des pages...

    Mon cul devient plus enculé.

    Le fin du fin, après les points de suspension - le "coup de menton" - "nous arrivons".

    Brisons là.

    Gardons nos profondeurs.

    Cela s'appelle "poser un jalon".

    Vient ensuite le croquis du village vu de haut : "Vous avez vu un village sous la pluie - décrivez - au soleil - un couple qui baise - décrivez - " poursuivre sur ce ton - secouer le livre comme un vieux sac de patates poussiéreuses qu'il est, cependant, dès deux cents pages avant la fin, une irrésistible, une incoercible envie de poursuivre.

    X

    Se peut-il qu'un si grand cerveau - le mien - reste en friche.

     

     

    Un repas, et c'en est fini de la raison. Une digestion. Un somnolent dimanche de janvier. Le cerveau n'est plus qu'une masse croupissante et molle. J'envie en vérité le baron de Saint-Pastoux. Oui, je me souviens encore de cet homme-là. Seul, noble et fier, embousé de vignes et de meutes. Ses mains de vigneron noircies par le gel et les intempéries.

    Moi : impuissant devant les barres de fer qui retombent en cage autour de moi. J'entends dans l'escalier : "On va promener Thérèse" - lève-toi, enfant, aube sulfureuse, aube crépusculaire de la vie... Vois-tu, il faudrait, accoudé sur un nuage, contempler, agitée sous soi, la troupe estimable des hommes, jetant par intervalles vers le ciel des yeux humides d'allégresse et de reconnaissance, mon beau Peuple... L'univers peuplé de mes semblables. Je ne pourrai jamais admettre les autres.

    Les Extérieurs. Vous savez, "vous".

    Je deviendrais Adulte.

    C'est-à-dire petit, humble, terrorisé ! Zola, Zola lui-même, se relevait la nuit en bonnet et chemise. Sa femme le trouvait pieds nus sur le pavé :

    - Que fais-tu là ?

    - J'ai peur de la mort.

    Quelle œuvre alors faut-il offrir à l'humanité ? Combien en a-t-elle englouti, en est-elle plus avancée... Je dois former l'humanité à mon image. On sait ce qu'il en est advenu de Dieu qui n'a pas su tenir compte qu'il n'était pas seul au monde. L'homme est bon, voilà ce qu'il a envie d'entendre ? Incompréhensible, sournois, un morceau de mémoire ? c'est-à-dire bien peu.

    Toi, l'ermite, ce n'est pas fatigant d'avoir toujours raison ? quelle honte d'avoir trouvé sa voie, de se nourrir de figues et de riz dans son écuelle ! Demain matin, je dépends d'une voiture étrangère pour me rendre à mon travail.

    Cette voiture a un conducteur.

    Ce conducteur, il faut lui parler.

    Eh bien, Nietzsche, que ferais-tu ?

    Toi le critique je t'emmerde.

    Tu dissimulerais, dis-tu ? Tu te dédoublerais ? un moi à la Montherlant par exemple, un moi que le moindre coup d'épée, que le moindre fait vrai tronçonne ? ce serait donc ça, la vérité ? ou bien - suivre le Moi Génial, et pour peu qu'on exagère - on a très vite exagéré, avec ces gens-là - la prison, le Coupe-Cou ? allons nienietzsche, tu divagues : les autres existent.

    Il n'y a pas d'essence.

    En mon âme Sartre et Nietzsche se livrent un combat sans merci. D'où vient ce manque viscéral qui m'étreint les jours de vide ? quand ma langue se colle, quand face à mes Disciples rien ne sort de ma bouche, que des conventions. Dieu, quel besoin d'être écouté ! Monsieur à quoi sert-il de vous répondre puisqu'on sait bien que vous vous en foutez ?

    Les voilà qui chantent, les voilà qui se taisent aussi, qui se replient sur soi-même.

    Plus loin encore : voici que mes égaux, ceux qu'après m'être débarrassé de tous les autres je tolère dans min intimité - les Mahler, les Sibelius, les Proust - voici qu'il m'abandonnent, vos quoque ! Bruckner l'ange se heurte aux voûtes du ciel, heurte son Hammerschlag aux murs de son destin, Mahler plante son pic de plus en plus haut sur les cimes escarpées !

    ...Tandis que je m'essouffle à le suivre.

    Même toi, Nietzsche.

    Même toi je ne puis te suivre.

     

     

    X

     

    A moins que par grâce tu ne te sois contredit. Tu ne nous aies tendu la main. Franchisseur de monts. Dans l'amour seul tu rejoins les embraseurs de haine. Radeaux de Méduse. Mangez-vous les uns les autres. Navires qui se dérobent, fraternité. Chanter l'amour devant des murs bien hérissés de verre. Si l'on prêche l'amour tout en faisant la haine, pourquoi ne pas prêcher la haine etc. Combien Sade en a-t-il converti ? À la douceur : 0,5% ; au sadisme 0,75. N'ayant pas lu Sade : 98. Intéresser quelques personnes pour vingt ans, ou trente : j'accepte le marché. Pour cela parler de l'homme : amour et guerre, gloire et beau, les membres et la bouche – inévitable. Soit. Porte-voix du siècle ?

    JAMAIS. « On ne t'a pas attendu pour... » - certains, si, m'attendent. M'attendent moi. Mes trésors mes décharges. Pas la moindre action. Des obstinations de monastère. Ce soir Complies. BIENFAISANTE CLÔTURE. Que d'autres s'efforcent au niveau supérieur. Bah-houts. Au dehors. Plus de contraducteurs que les grains de sable du rivage. Sables mouvants effondrés dans la mer. Déjà le corps... les humeurs de ce corps comme des marées... flux et reflux de toute foi... car si tu croyait réellement au Nihil, au Rien, tu te tuerais, ou tu massacrerais. Les gens sincères ont du sang jusqu'aux coudes. Tu es vierge. Magda Goebbels tue ses six enfants et se fait justice. Se fait justice. Non pas démence mais lucidité. Nos ennemis ne sont pas si nombreux.

    Est-ce là ton action ? Page écrite à trente ans comme à seize.

    X

     

    Exercice d'amour. L'amour dans l'exercice. De sa fonction. Petites pages de papier au fond des poches. Une résolution par jour. Sois un bon fils. Ton père qui t'aime. Recette n'est pas facilité. Avec la consolation de l'humanité entière au fond de l'entonnoir ainsi que toi. La majorité ne se trompe jamais. Totalité du bien. Foi. Cécité. Aimer celui-ci lundi. Cet autre jour ma Mère et cet autre un enfant. Une heure à chacun réservée. Je t'apporte mes bonnes pensées (Mon Dieu) « Deus aliquis », qu'on ne peut préciser. Qu'une majorité soit toujours avec toi. Ou passe-toi de ta majorité. Juste ces sentiments que tu refuses – une Foi se fabrique – une mauvaise foi – c'est ainsi que Roland épousa la belle Aude Je me retoucherai je serai malhonnête

    VALE

     

     

    21 01 06

    Autant je ne crois pas à l'art autant je crois au bien.

    Mais l'art veut Être.

    Pourquoi Chabrier derrière Debussy, Debussy après Wagner ? ...véritablement moins doués ? Moins riches ? Gide, Proust, Eluard, ont-ils jamais tenu le manche d'un outil ou le bout de craie du prof ? Le dévouement est à ma portée ; pas le génie. Juste par pauvreté ?

     

    21 01 27

    Les longs après-midi d'hiver à la dérive

    Ridicule, épargne-moi

    Longs bouleaux sous les nuages gris

    Instinct – Méfiance

    Le don du premier pas, le second doit se re-créer

     

    Je voudrais qu'on me foute la paix

    (malgré cette) Incapacité foncière à faire

    à dire j'aime tu es ma présence mais j'attendrais en vain ton secours tu n'inspirerais pas

    le bras créateur - étant toi-même brume et limbes -

    - est maintenant script-girl dans une compagnie cinématographique

    Roger qui voulut hâter l'avènement de la Justice Universelle est devenu greffier chez un juge de paix rouergat (médiateur).

    Plaignez, plaignez. Il n'en restera rien. Ne croire qu'au sommeil. Comment guérir de ses limites ? de la médiocrité (déchirement, forage) (tourbillon de clavecin ?) (le trou s'approfondit). Cahiers de Va léry. Impropres à la consommation. Les écarts de l'esprit dans la Compensation. Ovations. Prostitution finale Ne m'acclamez pas tant. Le rideau quotidien. L'envie même du vertige qui disparaît (lorsque le sol ondule à la verticale du créneau) Il faudrait s'effrayer. Pas de pudeur ; scruter. Scruter. Masturbation sans bandaison ne vaut rien. Souvenirs d'ineffables tendresses. Caractères minuscules comme intimidés. "Le poème n'est pas fait de ces mots que je cloue sur le papier, mais du blanc que je laisse entre les lignes".

    Vous m'en direz tant.

     

    2021 02 14

    Histoire du fou, suite

    Enfermé dans une pièce sans fenêtres tendue d'épais voilages. Milliers de livres et de disques sur les murs Voyez toutes mes œuvres. Appelez-moi Maître et Seigneur. Je me passe du monde.

    Mahler, Nerval, Rembrandt.

    Compose aussi en son propre nom. Tous les jours un nouveau pseudonyme. Recopie de pleins passages et les signe. Sur ses disques, hurle et chante avec l'orchestre. Aucune amélioration n'est possible. Tion n'est possible. Tion n'est possible. Heureux. Ecarte sa femme et sa fille. Tous les soirs entre en agitation juste avant ses calmants. Il deviendra fou quand il le voudra. Aussi peut-il jouer le prophète. La négation de la métaphysique porte un coup mortel à la psychanalyse.

     

    2021 09 12

    Pouvoir dans un état présent être à la fois tous les états passés. Puis seulement pourvoir à l'avenir. L'instituteur du monde. J'ai tout en tête. L'enfant a raison. L'enfant nie ce qui domine, parents, puissances supérieures. Je nie l'économie. Le ligotage. Dupe assurément, se vantant d'être dupe. Se glorifiant. Reflétant le temps en un seul foyer. Souhaiter l'avenir identique au passé. Renouer la corde. Plusieurs personnages superposés obligatoires. Le Dictateur protègera l'Errant, ladoubera dans son unicité. Douleurs et palpations.

     

     

    2021 09 19

    Lire et s'exprimer chez Nathan. Un grand disparu : Chateaubriand. Cézanne en couverture : bouffée d'enthousiasme. Etouffement par excès d'oxygène. Hernandez Patrice. Né le 10 mars 1961. Arveyres. Six textes pour trois heures. La classe voisine chante les réponses à travers la porte.

     

    2021 9 27

    J'ai peur. Pensées comme les cendres sur la pelle. Père flânait souvent parmi ses livres, parcourant deux ou trois pages, aigri, songeur, j'aurais aimé nier l'hérédité. Ou confirmer tous les déterminismes (et dans le premier cas les autres vous tuaient, dans le second je me couche et je meurs) – leçons passées, leçons à venir, intéresser, gagner tant d'humains ? Je m'apitoie. Formation insuffisante. Juste un humain. Parmi eux. À divertir. Texte de Jean-Christophe insuffisamment préparé. Première fois sur le piano. Relire. Noter. Pourquoi faire des exposés ? Parce que, Mademoiselle, nous devons employer le temps, notre temps, sans bien savoir, tel est le fond de sa pensée – mais s'il se trompait – sans ce regard droit – sans ces décisions qu'ils prennent - bandeau sur les paupières – les enfants galopaient sourdement sur les paliers – la Bête allait revivre.

    Les cours seront donnés, je me serai appuyé sur les murs, j'aurai frotté mes doigts pour les défourmiller, je l'aurai dit à tous pour que tous m'aiment, au jour même de l'Extrême-Onction. Deux pages de Schneider – lequel ? faisons-leur faire connaissance – avec leurs têtes de cons sur le beau livre – que voulez-vous, j'étais subversif. Après l'éternelle dictée, chacun se relisait, livrant son

    $corps en silence et son attitude – pénétrer sous ces fronts, sous ces chevelures – les regards brûlants de ma Polonaise – mouvements du poignet de celui-là – les doigts en cône au-dessus du stylo, main vivement redressée vers l'extérieur. Arcs de cercle tracés vif et court, modelé de pensée; Oui c'est bien ainsi qu'il faut le dire, et leurs lèvres serrées. Dubrocas me fixe au-delà de moi, semble me prier à voix basse, exhibe l'intensité de sa réflexion. Si je la fixe à mon tour c'est elle qui baisse les yeux.

    Futurs hommes ayant un jour prise sur le monde, femmes agissant peu, travaillées de pensées, de scrupules, qui me ressemblent. Elles ne me quitteront jamais. Les garçons un jour deviendront angulaires et mathématiques : "Problème – Solution". Nous ne pourrons plus nous comprendre. L'ébauche attache plus que le tableau. Des garçons j'excepte C. : timide et myope, délicatesse de chat, sous sa casquette de poil brun. Que d'écueils le guettent. Pourrait toujours donner un Serge, sans plus pouvoir se tirer de sa trajectoire – comme ces personnages qui parvenus au bord d'une falaise courent encore dans le vide, avant de baisser les yeux et de s'écraser. Un enfant passe dans le couloir : "Papa !

    - Gibert, on vous appelle, dis-je à haute voix. Gros rires forcés. Il ne restait plus que lui à charrier. Je n'aime pas les garçons. Vulgaires, ternes, semblables.

     

    X

     

    Un chandelier sur la cheminée, que la poussière recouvre. Je passe un doigt sur la bobèche de vieux bronze. Microcosmes retenus dans les cannelures. L'exercice reste au ban de la connaissance. L'âme des objets m'indiffère : âme fière, à 7 branches, hautaine. La date de naissance est celle de l'achat, de l'entrée en famille. D'un côté du poussoir de la boîte d'allumettes, « Vauquier », un nom, de l'autre, un autre nom plat, couple qui s'ignore. Un jour la boîte se vide, se brise, morte à deux mois. Comme pour les femmes d'un harem, il faut alterner leur usage, établir un roulement d'assiettes et de bols : les frais lavés s'empilent au-dessus vers la surface d'utilisation. Ainsi des draps, chemises, serviettes.

    L'élégance joue peu, le confort plus souvent : s'il fait froid, ...mais l'ordre, la succession mécanique suppriment l'hésitation, par quoi sont introduits dans les rapports de l'homme à ses objets quelques éléments de tendresse. J'écris. La passion est parole. L'écriture engourdit : miroir calme. L'enregistrement, sur bande magnétique, glace.

     

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    Si le château de Montaner présente la forme d'une bague « dont le donjon fait le chaton », il faudrait que les habitants du château s'y conduisissent conformément à la désignation des parties de l'original. On ne parlerait d'aile droite ou gauche que si le château est en forme d'aigle. Dire, par exemple : « Ma chambre est dans les serres. » On porterait un aigle, ou une bague, au doigt, au cœur, en écusson. Il faudrait se recueillir à heures fixes, sur le symbole figuré au sol. Le signe aurait valeur de totem. Chacun y conformerait son âme et ses actes. Comme les scouts.

     

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    Vivre se perdre afin de retrouver les hommes. Eluard.

    ...L'homme aux charmantes niaiseries. Question prégnante : Eluard n'est-il devenu célèbre que pour avoir été fils de banquier ? Quelle proportion de fils de banquier parfaitement crétins ? ...devenus garçons bouchers ? Pourquoi ne piédestalise-t-on que les Grands ? Qui atteignit jamais le fond de la pensée d'Eluard ? L'imitation de Jésus-Christ dort au fond de mon placard. Je propage la Vérité. Je distille, je tartine le lieu commun. Je vis, je me perds, je parle aux hommes : Beauvoir, Sartre, Wilhelm Reich. Mes 3e auront 40 ans vers l'an 2000. Ils riront bien.

     

    2022 – 01 – 14

    1. - Dans l'univers des faits," (ici interruption parfaitement stérilisante) "les méchants ne sont pas punis, ni les bons récompensés. Le succès est réservé aux forts, l'échec aux faibles. Et c'est tout.

    Portrati de Dorian Gray

     

    Imaginons qu'il faille disserter. Ce serait cocasse. Cela ne donnerait rien de bon. Tout reviendrait à la question Suis-je faible ? Suis-je fort ? Et si l'on conclut bravement qu'on est mi-fort mi-faible, on glissera bientôt, invariablement à la conclusion que nous sommes tous faibles, bien faibles, pliant devant tous et toutes choses (bourges occidentaux ? ce qui reste à démontrer) pour juste une fois conformer sa vie à ce que l'on croit ses idées.

     

    X

     

    Monsieur,

    Nous avons bien reçu votre catalogue d'aphorismes. Malheureusement, leur forme négligée n'est pas faite pour racheter leur manque d'originalité.

    Veuillez croire, Monsieur...

     

    Réfléchir sur la pertinence de la notion d'originalité.

     

    X

     

    1318.- Vivre se perdre afin de retrouver les hommes.

    ELUARD

    Quel optimisme – avoir noté de l'Eluard ! L'homme aux "charmantes niaiseries", comme le stigmatise Ma Brillante Dissertation de la troisième série ! "N'est-il célèbre que pour être le fils du banquier Grindel ?" Se reporter bien sûr à la cohorte de fils de financiers parfaitement crétins. Devenus comme il se doit garçons bouchers. Pascal des Lieux Communs. Le plus grand des Ordinaires. Les Hommes ne piédestalisent que les grands ; autrement, vous comprenez...

    De même au fond de mon placard dort L'imitation de Jésus-Christ. Je crois qu'il serait temps d'envisager la composition de Thèses – en séries, en Système. Vivre se perde afin de retrouver les hommes – et leurs paroles...

     

     

    16 – 01 – 2022, etc

     

    X

     

    Musique : Stockhausen. Magma, écouté chez les autres, est insignifiant ; chez moi, sublime.. La voix de gorge que je prends ; mêmes notes, mêmes effets. La composition "pour soi" n'est jamais que faute de mieux. Me rappeler Sarreméjean qui m'avait débranché l'orgue électrique : il n'y a pas de limite à la médiocrité.

    J'ai reçu mon élève particulière. C'est une femme de bientôt quarante ans, sèche, en bleu, puritaine - “ascétisme”, dit-elle ; intransigeant. Dans un moment de confiance, il y a lontemps, elle m'a confié que l'acte sexuel, quand elle doit s'y résoudre, n'est qu'un besoin naturel. Depuis ce jour, je la hais, je suis fasciné, obsédé par ses pratiques onanistes - en gros plan - le visage, surtout le visage ; tous ses instants d'inattention attribués sans hésiter à ses rêves doigtés. Elle ne pense qu'à moi, à deux doigts de moi. Fais-le, fais-le pour moi je t'en supplie. Mais si par mégarde, dans le feu des explications, Mollen se laissait aller à la passion de la grammaire, il affleurait de ses doigts, de sa main prématurément parcheminée, ou le frémissement indistinct d'une épaule, un frémissement intérieur, une contraction terminale.

    Ils se congédiaient sans savoir que dire, comblant l'instant où elle se rajustait dans son manteau par des propos anodins et contraints. Parfois, elle amenait sa fille au cours. Une petite de quatre ans, sanglée dans de longs imper bleu marine, le nez déjà pincé, le teint déjà jaune, les yeux craintifs. Il lui donnait à feuilleter des images qu'elle feuilletait d'une main morne. De temps en temps elle se levait, venait vers sa mère enlisée dans le marais des ablatifs absolus, et répétait mécaniquement quand est-ce qu'on s'en va ?

     

    Seize degrés au milieu du salon. Pour aider le monde à surmonter ce que l'on commençait à nommer, pour les 50 années à venir, "la crise économique", il s'était promis de n'allumer que juste au-dessous de 15. Le tissu mince de son pantalon lui plaquait les cuisses comme un linge humide. Dehors se déchaînait le flux atroce de la circulation. Parfois les vitres tremblaient.

     

    X

     

    2022 01 28

    Sa femme à présent parcourait les lettres de sa maîtresse. Ils s'en gaussaient ensemble. Parfois, resté seul, il se sent parcouru d'un frisson glacé, comme un couteau de glace dans son cœur.

     

    22 02 02

    Nouvelles errances

    "Bureau de Placement pour Homosexuel(le)s"

    Vaste salle de bureau des Postes. Guichets sur un comptoir unique, séparés par des tringles verticales portant des néons. Tous les employés sourient. Jabel est souriant. Inquiet. Ce sont les premiers pas qu'il fait.. Il se souvient qu'il ne doit, ici, sourire aux femmes qu'en camarade. Ce jour-là, les préjugés sont respectés : toutes laides, ou quelconques. Il retient au fond des yeux ses lueurs lubriques et possessives, restes de son ancienne vie. Aux guichet règnent les files d'attente, mais nul ne s'impatiente – à bien regarder, les femmes sont nettement majoritaires. Des files de filles. Derrière lui, progressivement, l'espace se transforme en cantine grouillante. Il est étrange en vérité de voir les plats s'acheminer à bouts de bras au-dessus des néons de guichets. Il n'y a pas d'autre accès pour eux. Maintenant c'est le tour de Jabel : un employé lui tend un imprimé en dessous d'une choucroute, il faut remplir un questionnaire et le remettre au guichet suivant, le 16. Le guichetier continue de sourire dans l'odeur de cuisine, cela leur fait du bien à tous les deux.

    Jabel s'isole, remplit son formulaire, il ne parle à personne. Quel soulagement de ne plus se croire tenu, pour peu qu'on aperçoive une femme, de lui faire des avances, flirt et baise gymnastique. Il pensait que c'étaient plutôt les femmes qui éprouvaient cela. Au-dessus de certains guichets, sous la barre du néon, des écriteaux précisent que si l'on décroche un engagement, il ne faut pas "compter séduire le personnel". Et aussi : "Au cas où vous seriez refusé, ne vous suicidez pas" – une main a rajouté "ici". Or juste à côté de lui, tandis qu'il achève d'écrire, un petit ange mortuaire lève une tête ironique et boudeuse : "Suicide ? - As-tu donné ton véritable nom ? - Vousotocars pourrez changer plus tard. Mais ici, on donne son vrai nom."

    La fille lui désigne, au guichet, un homme qui tend quelque chose au guichetier : une carte officielle d'identité. Par-dessus l'épaule de l'homme on voit luire un crâne chauve d'employé, surmonté d'un grand plat de saucisses. "Et en plus, je suis juive" - "en plus" ? il comprend soudain et se tait. La fille lui montre une carte où s'étale un nom polonais comme Wdažnievski. Jabel déchire son formulaire : il a triché. "Vous êtes ashkénaze" dit-elle. Jabel ne dément pas je ne la reverrai jamais tous deux s'assoient à la même table, en s'éloignant un peu. Face à eux, un couple hétéro vient d'achever son repas : ils se tiennent pas le bras, assis, rêvassant. L'homme dit Vous vous plairez ici, j'en suis sûr.

    - Mais ici, reprend l'autre, c'est transitoire ? Ou bien, y a-t-il hôtel, dortoir ? Est-ce qu'on ne finit pas toujours par se faire chasser, pour échouer – précisément – ici ? Je suppose même que les gérants – se refilent nos noms...

    - Le personnel garde le sourire. Il ne vous forcera pas la main. Tous ici comprennent votre cas. Vous n'avez pas encore franchi le pas.

    - ...de la délinquance ?

    - ...ou depuis si longtemps que c'est à refaire.

    - ...vous nous suggérez de retomber dans le délit ?

    - Vous serez à nouveau conquis, par leur gentillesse, par toutes leurs manières. Il règne parmi nous une extrême compréhension. Jubel, par exemple, n'a aucun problème à se faire accepter. Il s'apprivoise. Un jour il franchira le pas."

    Il a regagné sa voiture, stationnée près du parapet. Il froisse sans y penser, au fond de sa poche, l'adresse qu'on lui a donnée. La rue passe sous un porche, puis d'un coup descend en spirale, et lui aussi, d'un coup, s'arrête et tire le frein à main : la chaussée, par-dessous, ne repose sur rien, rien d'autre que de frêles étais de métal, comme un toboggan – ce qui veut dire qu'à l'aller, sans y prendre garde, il a roulé sur l'abîme. Et de part et d'autre, en grands demi-cercles, toute la cité s'étageait en terrasses. Et sous lui, en contrebas, d'autres étagements de toits plats, roses, percés çà et là de bouquets de cyprès. À coup sûr, pas Florence. Le ciel d'après-midi est devenu clair et bleu. Il traversa au ralenti tout un quartier de parcs abandonnés, de murs à demi éboulés.

    Sur un long terrassement à pente douce l'attendaient les Koniev, accompagnés de son épouse Elisabeth. "Laisse ta voiture, monte avec nous !" s'écriaient-ils toutes portes ouvertes, "il reste une place !" Mais il secouait la tête, sans se dérider, tandis qu'Elisabeth, sans insister, l'avait rejoint. Ils roulaient à présent tous deux dans les interminables faubourgs, et le couple Koniev tourbillonnait sans fin dans sa tête. Il avait sa femme à côté de lui, sans plus penser à elle qu'à une annexe humaine. Une ombre, que ses yeux intérieurs traversaient. Ivan Koniev, sa stupidité joyeuse, ses moustachettes, ses lorgnons de ferraille ; Archipova et son chignon noir, son rire édenté. Collants, collés l'un à l'autre, fidèles et fiers de l'être on en reparlera dans dix ans – il regarda sa femme de côté, perdue dans ses songes elle aussi.

    Ils longent de hautes grilles de cimetière, lourde, garnie de ferronneries sans grâce, enchaînés à deux énormes piliers d'entrée ; passé le faubourg de Grave Vecchie, c'est à nouveau la pleine ville, puis une autre, aux accès défendus par un immense embouteillage : carrefours à angles morts, feux rouges à mi-longueurs d'autocars. Ils s'arrêtent pour prier, dans un hangar eclésiastique où l'encens combat misérablement les gaz d'échappement. Derrière eux un homme. Puis deux, puis un autre couple. Le jeune curé les pousse à chanter : "C'est de la merde, chante pas ça." Un coup d'oeil en arrière : des costumes fripés, des gueules de pauvres, une répétition de patronage.

    Une petite fille toute seule, qui à peine arrivée s'impatiente. Et le curé. Qui reprend tout. Qui exige l'immobilité totale, quitte à tour reprendre du début. La gamine en blanc s'agite et rigole, le curé pété de dignité se retient de rire. Pour finir la fillette victorieuse se met à courir à travers la salle, personne ne la rattrape. Nous sommes toujours le 2 février, 2022, le jour où je suis tombé amoureux d'Anne Bettendorf, masturbée chronique. Les filles n'ont pas besoin des garçons. Ni pour jouir, ni pour chier. Mais l'immortalité, je l'aurai. Quand il n'y aura plus de hiérarchie, que la mienne, quand tout le monde vomira sa salade sur mes pieds.

    Le monde ne sera plus rien face à moi. J'aurai démontré le néant du monde, je me dresserai sur ses ruines. Cela se peut. Physiquement. Un mur calciné par exemple. J'explique : tu deviens comme tous les autres, puis tu les détruis tous. Légitime, non ? Comme un père. Tu rates ta vie comme un père, puis te le renie (le ratage, et le père - caïd et victime - et là, tu t'embrouilles grave). Et le 3 du mois, tu vois ton public, tu te touches, tu te salues pour te reconnaître. Plus loin c'est interdit (serrer des mains dans la rue, te dépasser, te respecter) - liberté de t'écrire, tu te postes ta lettre et tu l'ouvres avec impatience, tu souffles sur tes lignes Petit ange dors / Ou je vais mourir on n'existe que par le regard d'autrui ne détourne pas tes yeux distraits si tu prends pitié de toi sois maudit.

    Aux bons soins des éditions Jeanne, Beauvais. Je vous ferai classe pour vous distraire. Je serai ridicule pour vous. Tous punis sans motifs ("Qui me punit, et de quoi ?") Mars. La terre sous mon poids, pas celle du paysan (sa puissance et ses composants - pas de science, pas d'instincts, juste ces racines sous moi). Le souffle neuf de la nature, lecture d'Esther au bord du fossé, Tarn-et-Garonne, Clermont-Ferrand. tout voir entre l'écrit et ce que je lis, sans sujet à gérer - à cela, rien de pénible. Amour sacré de tous les musées. Le 4 mars entrée à Nérigean ; il s'agit bien d'enfance ! ...il s'agit de mythologie. En dix leçons, Le Grand Meaulnes. Mon père. D'autres rêves. Tout ce qui, autour de mon père, formait le halo de ce qu'il aurait voulu être. Et j'arriverais juste pour la rentrée des classes... Qu'ils étaient minuscules ! mon père avit régné sur ces tribus de pygmées, dans un hameaui comme celui-ci. Il y faisait froid et venteux, comme aujourd'hui.. ------------------------------------------------

    Carmensac

    La notion de terroir se nourrit au croisement de l'artificiel et du réel. Il y faut, pour le créer, un apport de soi. Je voudrais partager les propos de cez paysans, roulant voiture. Renouer connaissance avec ces gens simples de mon enfance.

     

    Citon

    Regarde. C'est extraordinaire. Tant de petites aventures. Mes seules petites aventures à moi. Saine aigreur des vents de couchant. Au loin le grondement fiévreux de l'autoroute.

     

    2022 03 04

    Ici trop d'entièreté. C'est effrayant. Tant de pages pour savoir pourquoi j'écris, pourquoi nous écrivons tous. Tant de naïvetés, de fleur de peau. Ce souci comédien de plaire, de considérer toujours l'effet sur le public, Ecrire, ce qui n'est rien, mais jusqu'à penser en fonction en fonction de cela. S'obséder sourdement sur des facteurs de productivité, à l'instar d'un haut-fourneau, fonte grise ou fer pur, pourvu que le laitier s'écoule. Tant de pages ou de kilos par jour, et la certitude d'avoir fait tout ce qu'il faut pour coller ses pages dans un manuel consultable, dans le missel séculaire des textes.

    Rien n'est moins assuré. Sartre voulait très tôt se voir lu dans le Manuel de Lanson, ancêtre du Lagarde et Michard. J'étais rassuré. Plus encore par la vie sans risque, bourgeoise, que j'imaginais : pas même le risque d'une vie bohème. Sartre, par ses moeurs, est resté un bourgeois. Il n'a jamais renié son appartenance à la race d'élité qui se perpétue, vents ou marées, par tous les livres à travers les siècles ; notion de décadence égale ...? Je me relis (à tort) pour vérifier que tout cohère...Bien sûr, nous sommes situés, historiquement. Déjà la multitude de mes interlocuteurs m'effraye. Sartre m'a enseigné à écrire pour tous, aussi bien pour le Vietnamien que pouir le péone.

    Apprenons à chacun, sur la planète, à s'y reconnaître. Pourtant, bienfaiteur de l'humanité, c'est bien dépassé. En quoi le Tintoret, par exemple, l'a-t-il servie ? Que d'inconnus dans le dictionnaire... même parmi ceux qu'on a représentés... Trois quarts d'heure après, je découvre la solution : accepter qu'il n'y en ait jamais. En vérité, c'est là écrire comme à seize ans... "Toujours, creuser, en position douloureuse..." Vanité, enfance. Questionnement sans cesse, sur la vanité de se faire éditer, sur ce fameux approfondissement que l'écriture serait impuissante à réaliser... Sans oublier les relations humaines...

    6 mars 2022, au soir : un adolescent fourbu de rabâchage, traînant déjà 30 ans d'existence, confie aux papiers l'écoute d'une Marche funèbre et triomphale de Berlioz. "Extraordinaire". "Fatigue noble" écrit-il. Pas celle du pue-la-sueur, mais celle de l'amateur, de l'homme qui "étudie ses sensations", qui marcherait "à l'infini à la traîne de [s]es cercueils". Militaire, il "aimait défiler", il ne le fit qu'une fois. Au pas. "J'aime m'agenouiller". Nul tyran n'a songé à faire défiler sur ses genoux. Seul le Christ, et ce qui se targue de divinité. Ces funérailles impliquent une profonde pitié pour lé héros tombé (Siegfried,...) - une grande pitié pour soi-même...

    Mourir en héros... Héros de quoi d'ailleurs... Mourir à la Chateaubriand. Mon siècle, c'est le XIXe. Je serai le Réac Superbe. Je le glorifierai. Ayons le courage d'être facho. Prométhée Enchaîné, sinistre Sirène enclouée, j'avertis ; éloignez-vous de mes parages : je suis privé du droit d'être libre. Soyez-le, du moins. J'expie. J'expie avec douceur des fautes imaginées, qui n'en sont cependant pas moins réelles. Démoniaque, j'aime les robots, d'admire l'uniforme. Ô splendides robots esthètes, ne tuez pas. On ne s'échappe pas. Sic sum, neque aliter. Je crois en l'âme, en Dieu et en l'Eternité personnifiée, vive Péguy (Heureux ceux qui sont morts...)

    7 mars 2022

    Fossés remplis d'eau, d'herbes et de reflets.

    Ligne droite allongée au long des barbelés, au pied des saules.

    S'abstraire des bruits du bitume.

    Retrouver, par-delà les haies d'osier,

    Les prés peignés par les crues.

    A deux pas du tumulte, des hommes qui vont quelque part, se trouve toujours un chemin qui tourne virage dangereux texte garé de travers

    et toujours s'efforcer de penser, d'écrire à tout jamais même en dessous, pour indispensablement d'autres encore - conscience - égale - paralysie - si c'est absent : débride la plaie.

    Plaine de lignes intégrant vignes câbles et clôtures

    Bruit de l'avion recouvrant comme la pelle sur la tombe l'aboi âpre et propriétaire du Chien et par dessus ma tête au-devant de moi le grésillement des 735 KV si je courais très vite il y aurait cet angle nécessaire et calculable où l'arc me frapperait en plein - terrible ignorance - rebrousser chemin - quand je reviens au véhicule hermétique et chauffé, sensation d'un foyer retrouvé.

    9 mars 2022

    Qu'est-ce que la pensée. Qu'est-ce que l'écriture. A trente ans comme à seize. Où la direction s'estompe.

     

     

    ACTIVITES PRO le glorieux

    2011 Réussis le concours d'entrée aux IPES, propédeutique et

    deux certificats de licence.

     

    2012 Maître auxiliaire à N.

     

    2013 Surveillant à St-Léon

     

    2014 Etudiant à Tours

     

    2015 A Rennes 1er poste d'enseignement. Pédagogie encore brouillonne mais nettement libertaire

     

     

    ACT. LITTERAIRES

    Tenue d'un journal, essais de réflexions éparses sur Hitler.

    Réfection des « Grenouilles » d'Aristophane.

    DESTIN

    ETUDE DU MILIEU

    Riche activité sexuelle : prostituées accueillantes, elles, au moins ; homosexualité passive. Commence illico un traitement psy.

    Peur panique des élèves.

     

    Mariage.

    Découverte de la férocité bornée de tout supérieur hiérarchique, quel qu'il soit.

     

    Découverte de la lâcheté dépressive du conjoint ; de l'amour possible d'une autre (M.B.)

    Découverte de la révolution, incompréhension totale d'icelle, enthousiasme non moins total.

    Découverte de la saloperie inhérente de tout sup. hiérarchique, indistinctement.

    (2011 – 2036)

    PROBLEMATIQUE

    ET PERSPECTIVES

    DIALECTIQUES

    Veux devenir écrivain – mais n'écris pas.

    Amitié avec un groupe d'étudiants : Cremoux, Dardennet, Fourchade.

    Année d'alcoolisme et de bonheur. Camaraderie féminine toujours en abondance.

    Découverte du milieu cannois de la danse.

    Découverte de l'amour de tête masculin, de la camaraderie masculine.

    Naissance d'une vocation de voyageur amateur d'hôtels.

    Désir de solitude

     

    2014 Maître auxiliaire à L.

    Cours sur Les 3 messes basses, apprécié (applaudi). Cours sur Le Cid, inénarrable. Sauvetage de Frei, fille de 16 ans balancée en 6e.

     

    2017 Tintélian. Fantaisie appréciée en classe. Cours : sur les causes de la guerre 70, lectures du Sous-préfet aux champs, Tristan et Iseut, Zorbec le Gras, applaudis.

     

    2018 Beauvoisy. Cours appréciés. Les 3 messes basses encore applaudies. Pontivy. Que des garçons. Ambiance détestable.

    ACT. LITTERAIRES

    Monségur 47, 1e version (il y en aura 6) – toutes refusées.

    Toujours Monségur 47.

    Lecture du Rivage des Syrtes.

     

    ETUDE DU MILIEU

    Découverte du sinistre des cimetières, des promenades avec le Père.

    Confirmation du caractère salopard inhérent à toute fonction de supérieur hiérarchique.

    PROBLEMATIQUE

    ET PERSPECTIVES

    DIALECTIQUES

     

    Connaissance avec O'Storpe, seul chevelu.

    ACTIVITES PRO

    2019 CPR à Rennes

    Cours sérieux, super-

    visés hélas par des

    conseillers pédagogiques.

     

    2020 GAMBRIAC

    Grand succès : cours

    de 2h à 90 élèves sur la

    musique : je commence

    par Sylvie Vartan et je

    remonte le temps ;

    2h après, 90 élèves

    écoutent religieusement

    du Bach...

    2019 VARIGNAC

    Inéresse toute une classe à « Horace » de Corneille. Considéré par certains (Pauty !) comme « le meilleur prof de tout l'établissement »...

    ACT. LITTERAIRES

     

    Le chemin des Parfaits, 1e version (avril)

    Le test, 1e version 28 12

    Les quêteurs de beauté,

    sept. 73, 1è version

    Jehan de Tours, 1e version.

    Le ch. des Pfts, 2e v. (03)

    Ventadour, 1e v. (22 05)

    Jehan de Tours, 2e v.

    (amour de tête homosexuel)

    Le bûcher d'Elissa, 12 09 2022, 1e version.

    ETUDE DU MILIEU

     

    Deux filles stagiaires;

    Sentéral et Polissé. Mais

    je suis réservé.

    Je méprise ouvertement mes collègues sans m'en

    rendre compte... Ils me le renvoient...

    Amoureux fou de toute ma classe de 3e A, presque uniquement des

    filles.

     

    PROBLEMATIQUE

    ET PERSPECTIVES

    DIALECTIQUES

     

    NAISSANCE DE

    LILI 24 02

    15 05 2017 13h35/13h45

    Près d'une femme. Trouble agréable et fauchant.

    Ne sais que dire : tout idiot ou convenu à mon goût.

     

    Rêve : lapin mangé

    : victime compissée de filles (en intraveineuses)

    Masochisme – dispersion du moi, vivant dans chaque parcelle de l'ostie.

    ! Avec Marie-José renversée sur les poubelles de Condé

    ! Les poils roux. La goutte d'urine.

    ! Clotilde contre le mur du puits.

    L'instituteur sanguinaire pompe le sang de la carotide. Extases sur le lino du palier.

     

    Mon enfance, c'est surtout Louvetière et St-Lyson. La petite chapelle au grenier, autel, dessins (par moi) du chemin de croix.

    Je bande en lisant les récits d'écorchements assyriens, d'écrasement par éléphant, etc.

    Ecueil : que ça devienne du Michel Leiris.

    Tous ces souvenirs sont banals.

    Ma mère nue et sans poils, immaculée.

    Le père, sexe coincé entre les jambes.

    Quand il... à côté de moi dans le lit à Guimbreville.

    Raconter le voyage ? ---> Echec : voyage en 2016 dans les Pyrénées, le traversin que ma mère veut intercaler entre lui et moi.

    Lourdes. Les vieux. La mère qui clopine. La procession.

    Gavarnie. Volupté du renoncement culpabilisant de ma mère.

    @ J'assume le masochisme-sadisme de chaque membre du couple.

    Complicité moi-mon père : lac de Gaube, rucher de Pasly.

    Le rucher

    critiques de ma mère

    l' « homme-aux-abeilles »

    petit bois, lié aux « creuttes » d'arrière, les accidents.

    Le pique-nique familial...

    @ Quand j'y repense, tout n'est pas si sombre.

    Je me suis complu à ne me souvenir que du désagréable.

    Explorations de Pasly solitaire, en parlant seul. Les creuttes visibles.

    La pulvériseuse.

    Le monde imaginaire, à lier à mes souvenirs.

    Charabia, - biens, bœufs, boisx [sic] =, etc...

    « Gratter à la binette » les escaliers de Buzancy.

    L'œil-de-bœuf, les élèves en rangs qui s'éloignent. La cour semblait immense.

    ÷ Je me vois toujours gai, pas plus insupportable qu'un autre, très marqué par la promiscuité, simplement.

    Désolidarisation de celui qui s'est cru persécuté

    mais n'oublions pas que mes chocs subis ont été réels.

    Mes souvenirs, à la file, mais creusés, isolés en épisodes finis, sans exagérer, ne pas faire un recueil pour Eurêka...

    Ces sujets m'intéressent, mais il me les faut terminer (lapsus freudien ?) - DO miner.

    Antécédents : Le grand Meaulnes, etc., Pagnol.

    Orgueil : rentrer dans un cadre littéraire commun aux autres.

     

     

    Je ne veux faire l'attendri que les jours où je le serai sinon j'aimerais être aigre et sanglant.

    Comment utiliser tous ces matériaux ?

    THEMES

    Titre global de l'œuvre : « La mécanique compensatoire »

    Thèmes entrevus :

    promenades seul avec le Père (à Tanger, interruption)

    (quelques-unes après le mariage) – Escapades. Mon père m'adorait,

    comme une prolongation de lui. Il pouvait sans honte s'aimer

    en moi.

     

     

    I – Promenades mémorables

    1. a) avec le Père

     

    Vers les ruches, en jouant au “si c'était”, aux métiers (20 questions)

    Transposer le Père en grand frère, plutôt.

    1. b) seul

    Mes deux étapes obligatoires : église (= interdits sexuels, sermons du Père) et cimetière ---> mère,

    obsédée par la mort, }

    ou plutôt le Temps } pour apaiser ma culpabilité de la quitter.

    Le voyage était pour retrouver mon père, et ma mère...

     

    II Mes cimetières

    Liés à mes souvenirs de Carlepont.

    (penser au cimetière de ce village, “familles Jamais-Renié”, “Despoires-Gâtey”), cauchemar de la tombe qui crève la terre et se fend.

    Je dessinais des cimetières à Carlepont.

    Ma cousine, 12 ans, se masturbant pendant que j'enfonçais mes doigts...

    (j'étais alors attiré par le vagin, et pas du tout par le clitoris, “petit bout de chair”.)

    J'aimerais revivre ça, mais avec conscience, et non pas mon ignorance d'alors.

    ---> Françoise confirmée en Bernadette de Nantes

    (qui peut faire l'objet d'une nouvelle) (voir le résumé)

    surtout bannir le réalisme-souvenir

    | Je masque pour intéresser, non pas que je veuille cacher, puisqu'au contraire : exhibitionniste, mais pour ne pas parler de moi.

    Il faut que les autres puissent se retrouver à travers mon individu.



    Faire même du porno si ça peut me défouler.

    Ex : cours d'anatomie sur Bernadette avec le dico médical à côté.

    ----> C'est alors que je me suis mis à surestimer le clitoris (découvert cela) { . Révélation d'un certain androgynisme de la femme

    { ---> Peur du clitoris-pénis ? du Père ?

    en tout cas : ça coïncide avec les interdictions furibondes qui ont pesé sur mon flirt avec Babette N. (qui, lui, s'amorçait normalement, comme pour n'importe quel garçon de 14 ans)/

    Ici j'arrête de vouloir penser.

     

    04 06 2019 Rêveries d'avenir

    Wi-Fou-Wo, succès.

    D'où vient ce goût des femmes mûres ?

    J'ai plus (ou autant) besoin de protéger que de l'être.

    Amour resté en bouton pour ma mère, ne demandant qu'à s'épanouir pour une autre ?

    N.B. Désir plutôt de se blottir, de cunnilingus... ---> Honorer le pénis de la mère, se concilier ses grâces.

     

    Ma mère était mon père, mon père était mon frère.

    Désir en tout cas de sécurité : une femme mûre ne m'en fera pas voir comme une jeune fille.

    Une délation est à craindre.

     

    Imaginer une conversation entre moi et Bernadette, qui aurait 18-20 ans, seuls, comme j'aimerais, où nous rappellerions ces moments : “Suis-je encore un salaud pour toi (vous) ?”

    J'aurais encore du désir pour elle ; mais les scènes érotiques avec la Bernadette de 20 ans seraient imaginées. A la fin, une ellipse comme : “Elle dégrafa son soutien-gorge...”

    Rappeler des épisodes par la conversation.

    Promenade avec mon père = faire l'amour avec mon père.

    Fellation : emmagasiner sa force

    m'humilier d'en avoir douté parce que je me sens coupable

    1. mon “viol” de Claude, de Cyrille.

    Me rappeler comme j'étais, pâmé, pensant à cet instituteur-vampire.

    Je ne trouvais pas mon père assez sévère, assez puissant, tant ma mère l'avait diminué ; peur de l'orage, des éclairs (il tonne en ce moment, justement).

    Le désir que mes parents meurent : commun avec l'humanité...

    J'aime me faire peur avec des histoires de mort.

    Devenu plus lucide – avec d'autres femmes, je verrai…

     

    Relations homosexuelles, culpabilisantes, pour “rattraper”. Je pliais exagérément, à 16 ans, sous mon père ; en réalité, j'aurais (peut-être ?) pu faire ce que j'avais voulu, car il n'avait pas d'autorité réelle.

    Voilà pourquoi j'ai passé sans cesse des examens, m'abstenant de toute aventure. Voilà d'où viendrait ma paralysie avec les filles.

    Je jouis mieux quand je me répète : “Tu fais ce que la société attend de toi.”

     

    Ce n'est pas la fille qui me fait peur ; c'est une main qui me retient de l'intérieur. Si je surmontais cette “crampe”, il me semble qu'une vague d'indifférence molle me submergerait ---> interdit surmonté ---> castration effective.

    Il faudrait qu'alors je pense “Merde papa”, et que j'avance le bras...

    Apprendre à l'autre la masturbation ou la voir pratiquer ---> désir de partager avec l'autre (sexe) la culpabilité de l'onanisme.

    Quand je la vois faire, je lui dis d'arrêter, par peur qu'elle devienne idiote - ! ? -

    Désir de manger l'autre (penser aux phantasmes où je me voyais mangé). Je me précipite avec la bouche (léger dégoût, style “faut y aller” - en diminution maintenant) pour éviter un contact avec le sexe.

    C'est une conjuration.

    Entrave posée au développement sexuel ordinaire.

    Régression à la sexualité infantile.

    Paralysie : je dois réellement me forcer. Véritable panique. Je sens, de plus, que cette panique, un accès de raison, me ferait dire : “Et puis non, n'y allons pas.”

    Avec E., je n'ai jamais eu cette paralysie, même au début. 6 06 2019

    Conception de la vie – Conception de la littérature

    La vie comme un don – La littérature comme un don.

    “Soyez parfaits comme votre père céleste est parfait”

    Le présent. Le présent éternel. Je suis le soleil qui réchauffe ses enfants.

    Le sage n'a pas besoin des autres. Il trouve en soi l'atma, le brahma, sa force.

     

    Editions : sans arrêt

     

    Je lis Arnaud Desjardins.

    Renoncer me fait frémir. J'ai besoin que ce soit très progressif.

    Balancer mon carnet vert ? Peut-être un jour, en emménageant, facile.

     

    A Elias Fels ? en cours de réintégration dans un vaste cycle.

    Je souhaite : liberté – extension indéfinie de l'ego. Pour cela, détruire l'ego afin de s'en faire un nouveau.

    Réussir d'abord, renoncer ensuite.

    Pourquoi est-ce que je veux écrire ? Réaction de défense contre l'engourdissement qui me gagne. Servir. Prendre la résolution de brûler ces papiers.

    Voyez ce que vous pouvez attendre en fonction de ce que vous pouvez donner”.

    Une femme supporte un mari brutal.”. “Accepter sa destinée, car c'est toujours celle qui vous convenait le mieux” - au fond, je n'ai aucune idée de révolte. Mais je voudrais bien ne pas tourner à la passivité. Préjugé : quand on Est, on ne pense plus à rien. Or j'aime la diversité, le tumulte de mes pensées. Ce que je veux ? la Liberté, qu'on me foute la paix.

    Servir : ça c'est facile ; renoncer à mon moi, à mes tics...

    C'est normal au début. Quand quelqu'un meurt, je crie “Liberté !” même si ça n'a aucun rapport. Je veux ça, et aussi 1) laisser un nom 2) baiser 3) du fric. Comme tout le monde. Mais avant que je renonce, je voudrais un tout petit peu.

    Echec professionnel : impensable ; ma profession est de servir, justement.

    Mais autre obstacle :

    il faut parler à ces femmes avant de les toucher.

    Problème des relations humaines

    - de la conversation.

    Progrès fictivement constatés : - je sais marcher (plier le genou, mes pas moins grands)

    j'ai moins peur des élèves

    je sais répondre à n'importe qui sur n'importe quoi, reprendre sur le dernier sujet abordé.

    A faire : - parler le premier (et pas uniquement avec les yeux)

    - pousser la conversation jusque sur le terrain physique

    ne pas être frappé d'impuissance ou de brutalité au dernier moment.

    Et je peux très bien écrire pour servir.

    arrière-pensée : ainsi mon moi sera satisfait par la gloire.

    Il faudrait plutôt savoir : par quoi puis-je le mieux servir ?

    Ecrire n'est pas si mal.

    Vouloir baiser “pour servir” par exemple... Après laisser tomber, mais d'abord...

    Ecrire : expression du moi, ex-pression, ensuite, débarras. Ne pas avoir peur – toutes les tendances sadiques, etc : cela me libèrera – mais cela risque d'entraîner d'autres vers les mauvaises voies.

    Fric : peut-être ce dont je me passerais le plus aisément (rester du moins dans mes limites actuelles ; mais si je n'avais pas une femme...)

    Ma femme est à sa manière l'instrument de la volonté de Dieu. Tout se brouille un peu.

     

    Il faut un maître... encore un psychiatre ?

    Le problème le plus intéressant pour moi (j'y reviens toujours) : la création littéraire.

    Avant baiser. Car c'est ma justification. Mon ego en a besoin.

    Il doit s'en purifier, au moins.

     

    Plus tard

     

    Voilà. Il paraît que je suis fait pour écrire. C'est O'Storpe qui l'a dit. Et O'Storpe, c'est quelque chose (intercaler le passage sur lui) – un double, mais distingué, britannique et tout, futur raté comme moi – conjurons ! conjurons ! Comme je lui disais hier : “Patrick, tu es tellement beau, que si j'avais le courage d'être pédé” (suivez-bien mon intonation je vous prie) “je te sauterais aux couilles ! - Génial...” (Il ricanait) … Génial...” Flatté, gloussant. “Je t'agrandis tes cartes géographiques, je te les reproduis sur soie, je te trouve un imprimeur, c'est l'imagination pure”... “Tu ferais des conférences.” ...Que je me souvienne seulement que je suis un mortel, un artiste mortel. Un Victor Hugo mortel. Faites que je digresse moins. Faites que... Faites que...

    “C'est l'enfance qui va resurgir devant vous bonnes gens, un pays qui sort de l'eau, tout plat, tout géométrique, sous forme de carte. Géographie à plat. Ce ne sont pas des souvenirs que je vais raconter avec la pointe d'assaisonnement à l'ail façon Pagnol. C'est du sérieux. C'est le plus sérieux. “

    Première carte. Arkhangelt. Epaisse comme un limon. Molle comme un berceau. Mes armées sillonèrent ce royaume, déchiré, attaqué par une mondiale Coalition – venue du Sud, du Soleil, du Père ? J'avais inventé d'autres pays plus au sud, “au Sud du Sud” ; mais de sanglantes batailles avaient eu raison d'eux tous (à Ste-Françoise-le-Lac) – là, je vous l'accorde : Françoise, c'est ma cousine, qui m'a si l'on peut dire dépucelé ; le lac, symbole sexuel évident ; la bataille des culpabilités – nous tournions autour des tonneaux debout, sous les gouttières : “Dis Aline, on les recommencera nos cochonneries ? - Tais-toi, si tu veux qu'on puisse les refaire !”

    ...Les escargots volants, la pulvériseuse, le char... Tout cela s'expliquera. Il y avait – il était une fois une arme, terrible, très efficace, mais aussi, très imprécise. Visait-on un groupe, celui du milieu s'abattait, les deux autres restaient indemnes. Mais je vous expliquerai plus tard ce qu'était la pulvériseuse.

     

    VRAC 30 08 2020

     

    On met du temps à devenir jeune (Picasso)

     

    N'ouvre pas si tôt tes remugles entrecuissiers : je ne mérite pas d'être sauvé. Je chie sur tous les Rédempteurs. Sauvetage obligatoire. Demandez et il vous sera accordé. Tendez la main on vous hissera. Trois fois.

     

    Ah, ce n'est pas moi qui écris ; ah, ce n'est pas moi ; vous allez voir, petits merdeux superficiels.

     

    Défoulons-nous d'abord. Souillons. Soyons grands ensuite. « Et on te couronne pour ça ? » Ma mère, ma con de mère, confinée dans son « Bonnes Soirées » confite au Guy Lux... Ne te retourne pas dans ton cercueil, ça fait de la poussière, et ça pue... (...bis...)

    L'addition s'allonge ! quel compte à régler ! quelle horreur !

     

    Tu t'es laissé avoir par le sommeil et la facilité.

    Sois puant.

     

    Le chien, ma fille, le chien, ma femme, et mes parents larmoyants suppliants à l'arrière-plan : déterrez-moi tout ça ! déchampignonnez-le moi ! Et pourtant c'est vivant... mais ça pue comme une grille d'égout, où passent, dans les eaux de vaisselle, les immondices streptocoqués. Je déteste tout le monde sauf moi ? Mon mépris de moi n'est pas sincère. Je ne me sens même pas dégueulasse – parce que je mens. Il existe une autre vérité – merde aux lénifiants.

    Dans 15 jours, j'y verrai plus clair.

     

    2020/2021 ?

     

    La haine, d'abord : le fruit de la haine, l'amour.

     

    Si tu crois être immortel, prends garde, tu es un con. Si tu crois que tu écris, tu es un con. Si du haut de ton heure matinale, tel jour, tu te vois, tu te considères en train d'écrire, tu es un con. Car rien de tout cela ne pèsera plus qu'un nuage de poussière au jour du Jugement. Amen.

     

    La radio gueule, et Thérèse est dedans. Les chansonnettes pour Thérèse. Je hais ceux qui me font du bien, en me cernant, en me dictant de leurs faces enlarmées ce que je dois faire.

     

    Tu ignores que faire le Mal sauve plus que faire le Bien, car le Bien est identique, et le Mal multiple. Malheur à qui s'abandonne en chemin !

    Car ce que je dénie, et conchie, c'est ce que j'aime. Malheur aux cons catéchumènes qui en sont restés aux préjugés d'antan !

     

    16 – 10 – 2020

    J'aime surtout rêver. Une douce lumière d'après-midi joue sur mes pages. Douce également la musique. Éviter l'élégie.

    Tantôt d'une méthode, tantôt d'une autre. Ils s'obstinent longtemps, même et surtout si c'est inadapté, si c'est inefficace. La pipe s'ils en ont se fume, l'inspiration traîne, parfois jusqu'au talent. Et de reprendre sans cesse, de récrire en mieux. A d'autres, qu'ils ignorent, d'assiéger les maisons de passe à livres, de nouer d'appréciables connaissances, ce que les miens ne savent pas faire. De se faire publier. Mais ceux que j'aime ne sont pas de ceux-là. Ils n'osent habiter nulle capitale, ils n'oseraient paraître. Et c'est à longueur d'heures qu'ils écrivent, glanées parmi leurs emplois du temps besogneux, nourris de ce qu'ils ne peuvent, ne savent écrire.

    Je songe à Marcel Proust qui raconte en trois tomes comment il s'est enfin décidé à composer ; à Joachim Du Bellay, qui explique tout au long sa manière d'être inspiré. Mais Joachim fut seigneur, et Marcel riche. Ceux dont je parle se consolent en se penchant sur eux, sur leurs liasses provinciales d'impuissants sympathiques dont les rêves alimenteront quelques jeunes suiveurs. D'autres pipes, la lumière s'intensifie, l'esprit s'émousse, l'auteur s'arrête, retourne à ses briques, à ses copies, touche à ses limites, dans une époque aussi noire qu'une autre. Il sait qu'aux temps constants de décadence chacun perd. Il admet difficilement qu'une seule page suffise. S'il savait qu'il la referait, il songerait à l'humanité. Voici pour finir le moment crucial. Fini de baguenauder de la quéquette. Il faut s'attaquer à un sujet, sortir de soi. Un courant d'air qu'ils supportent mal.

     

     

    X

     

    Il était une fois un schizophrène (bis). Il exerçait le doux métier de professeur et lassait tout un chacun de ses nombrileries. Il voulait ne jamais quitter l'œuf. Écrire sans effort, au fil de la plume. Et s'indignait qu'on vînt le lui reprocher. Comment écrire sans souffrir ? Comment oser dresser son flûtiau parmi les grands arrachés des puissants trombones ? Cependant ne va pas succomber au piège de la méthode. Noter successivement n'est pas l'unique salut. Libre à toi de penser qu'un peu de publicité, qu'un peu d'admiration habituelle, transformerait tes manuscrits en belles pages au programme. Souviens-toi de la page sur Céline, parce qu'il faut bien décemment, parler de lui ; mais trois pages pour les « poèmes unanimistes » de Jules Romains, normalien, de l'Académie Française ; ainsi se retrouve-t-on étiqueté dans la vaste armoire à confitures de l'Histoire.

    Survient soudain le Révolutionnaire, ignorant tout de Proust et de Gide, et qui te fusille pour tiédeur. X

    Parfum d'église - Orgue de Haendel

    Chaque heure mûrit et se gâte. Le fiel du temps perdu. L'absence de souffrance se fait cruellement sentir. Le pain amer de la réflexion se révèle indispensable. Jamais pourtant le niveau de mon soc ne s'abaissera au-dessous de la croûte terrestre. Le soc fixe l'éphémère. L'ennui se déguise en rêve, la musique en pensée -

    30 10 2020

    Dépayse-moi. Dans le temps et dans l'espace. Laisse couler devant moi le fleuve d'acier où surnage et tourne une sirène bleue. Verse-moi les rythmes et hache mon rêve, et le soleil qui baisse baisse derrière la vitre et va m'atteindre. Une vieille solitaire à sa table sphinx banal ouvre son sac répugnant, chairs supposées molles et moleskine empestée, comment deux êtres qui s'aiment peuvent-ils se retrouver, petites ailes errantes, tonne, juke-box, mâche ta laine de verre. Ombres passantes ouvrant la porte dont les reflets sans me trouver me cherchent, la musique de joie tout étrangère, à travers des dix et quinze ans, à travers les crachouillis d'un transistor tout contre mon oreille.

    Buffet de gare lieu d'avortements de rêves répugnants sitôt qu'approchés, peines d'autrui aux parfums d'asticots dans votre main, moment présent soleil verre acier musique -

    Suspendu aux projets d'autrui, ne suis-je pas coupable de devancer autrui, d'imposer à l'autre mes projets confus. Force de la double vie, impuissance face aux barres de fer qui tombent en cage. Le massacre par le silence. Convoquer l'amitié ou la répudier quand on le veut. Je serais sûr de trouver quelque chose, si j'étais seul. Idéal classique : la coïncidence de la pensée et de la forme ; la recherche de l'Eternel humain par l'étude de soi seul. « Le vieillard s'intéresse à son nombril ; le jeune, au monde. Le monde gît au nombril des vieillard. Lao-Tseu. Lève-toi descendance, aube crépusculaire.

     

    X

     

    Cinq heures et quart (je pensais autrefois que c'était 10 minutes, et 15 minutes, un quart). Je pense en Jérémie à la vitesse de la pensée (la plainte donne des ailes). Nous regarderions depuis notre trône avec un sourire béat l'estimable troupeau des humains qui feuilletteraient notre livre. Le livre unique que notre rêve rêva d'écrire. Un jour tout sera langue morte, lettre morte. Version de potaches à venir. Jetant parfois vers le ciel de longs regards humides d'allégresse et de reconnaissance. Tout l'univers sera peuplé de nos semblables. Comme ils doivent être heureux, les rédacteurs de la Bible, sur leur petit nuage chauffant.

    Mais pour offrir à l'Homme un ouvrage à sa mesure, il faut lui demander ce qu'il préfère. Il paraît que c'est à reconnaître l'autre que l'on devient adulte ! Comme on doit se sentir humble, terrorisé ! Cette terreur qui rôde en cercles... Notre cerveau l'aura captée comme une source d'énergie ; bénéfique et logique. Les autres me font plus peur que la mort. Que pourrions-nous leur offrir - qu'ils n'aient déjà dévoré ? en sont-ils plus avancés ? Forger l'humanité à son image – Dieu lui-même n'a pas assez tenu compte qu'il n'était pas seul au monde. La vérité n'est pas belle à regarder. C'est Jean Rostand qui le dit...

    A l'hôtel nous avons jeté Cioran dans la corbeille. Ce sont des suées d'angoisses – l'humain dévore tous ses livres. Même s'ils la flattent. Immense est l'Himalaya des clichés, profonds les ravins humanistes – vue de l'esprit, petit morceau des mémoires – vous, là, l'ermite ! sur le vrai chemin, vraiment ? les figues et le riz dans la gamelle ? quelle honte aussi longtemps que ce n'est pas nous... Le Mont des Pleins d'Allant se tient en face, percé de carrières à ciel ouvert mais moins que l'autre. Ici tu méprises quiconque n'est pas toi. Demain matin nous dépendrons d'un véhicule pour nous rendre à nos lieux de travail. Nous devrons parler au conducteur – Nietzsche, que ferais-tu ? nous faut-il donc dissimuler ? nager dans ses brumes – que le moindre coup d'épée tranche en tronçons. Et le moi de chair est le seul agissant – le sceptre d'Aladin retourne dans sa lampe et ferme sa gueule encombrante. Quiconque le suivra sur ses chemins de liberté, ce Moi génial, affrontera les cris et les larmes des abandonnés, jusqu'à l'incarcération, jusqu'à la décollation. Nietzsche divague.

    Souffrance viscérale des angoisses vides : ce que vous faites d'elles ? cette furie de se taire, ce silence d'autrui ? Silence des disciples qui n'écoutent plus, pourquoi répondre disaient-ils si vous vous en foutez ? Le conducteur chantonne une rengaine entre ses dents, la femme que j'aime est terrassée par le mutisme.

     

    23 mars 2024

    Se peut-il que le vin m'abêtisse à ce point ?

    "Rafles nouées au cœur des forêts mortes" - excellent, gratuit, hors du monde, à chier.

    Se peut-il que vous hantent seules les fesses en gouttes d'huile d'une basketteuse.

    "Tonner contre l'injustice" (Flaubert ?) mais l'injustice est loin et le ventre bien lourd. Le mal que j'ai à simplement me faire.

    Trop de monde et je suis en situation. Je le découvre juste. La route gèle. Ce sera dur demain. Un ami écrit à son ami. Cela fera de la littérature.

    Corps, corps sans fin qui montent l'escalier. Ces fesses, ces rires. Qui atteindre ? Verrou tiré. Nous n'atteindrons que nous-mêmes. Nous ne violerons que nous.

    L'alcool tisse un voile plus fort. L'alcool renforce le voile réticent. Femmes, reconnaissance et gloire il sort de tout cela une invincible immaturité, inébranlable barrière. Ni communication ni connaissance. Pensées cousues dans le manteau malade du Non-Être. Je dessinais mon arbre jusqu'aux lisières de la feuille, l'arbre ne s'arrêtait jamais, sans autres je ne suis rien. Jean que j'aime pour la frime, Jean pour le décor. D'autres modèleront le nez dans cette forme informe. Ils parleront plus fort que nous. Une heure pour la frime, une heure pour soi : raisonnable ?

    Quand le temps presse et que la vie est douce. J'envisageais déjà ce que je veux bien faire : garnir les boîtes aux lettres. M'envoyer à tous vents. Semeur perclus aux graines trop pesantes. Jamais les corbeaux ne veulent ni n'obtiennent de réponses. Pensées dissoutes. Circulation sous les fenêtres. Rires des basketteuses sur la rue gelée. Lecteur hochant la tête avec componction. Ni art ni littérature. Ici n'attendre nulles fondations, jalons, espoirs. Ni langue. Je pleure et je ricane. Ce sont là nos médailles. Aujourd'hui posthume. Plan bien net et emploi du temps.

    L'autocar est reparti avec ses basketteuses. Après quelques chansons innocemment paillardes, elles s'assoupiront. Un autre jour elles danseraient, les hanches à craquer les falzars, J'aimerais être l'une d'entre elles, ou l'un d'entre n'importe qui. Que je sache en quoi je ressemble, ou diffère. Je ne suis pas gauchiste, ni collectiviste, je veux juste être regardé, juste être (mon odeur s'évanouira, ainsi que notre obscénité) - faites que nous comprenions tous un jour.

    29 avril 2022

     

    Je ne parle bien que de moi. Arielle portraiture à l'atelier une jeune femme. Je reste seul pour garder Giulia. Tout y passerait, du coq à l'âne, en une interminable récapitulation. Un document paraît-il. Qui n'intéresserait personne. Renoncer à écrire est si dur ! C'est là que se situe la dignité. Les pages s'allongeraient à l'infini. Comme un long chemin creux défoncé par les tracteurs. Je sentis alors une bouffée pince-cœur de mes amours de 18 ans. Je voulais combler mes étapes. C'était mon noviciat. Maggy s'asseyait volontiers sous un arbre, « pour rêver à son ombre ». Nous nos promenions loin de tous, de prairie en fourré, et toujours chastement.

    Même je me souviens qu'elle refusait de desserrer les dents pour nous embrasser. Ma langue butait contre ses incisives. Je n'ai jamais rien osé de plus que la serrer tout habillée dans l'herbe contre moi. C'est elle, et non mon père seulement, que je cherche dans les odeurs d'herbe foulée, dans les brindilles que je tourne entre mes dents. Les promenades avec mon père datent de plus loin. Et ce frémissement de la résurrection que j'ai senti dans le chemin, c'éait Maggy qui me l'avait donné, le souvenir de Maggy, et non celui de mon père. Tout cela n'intéresse que moi. Qui peut le dire. Qui relit ces interminables confessions enfouies dans les commodes de famille. Combien de vies de femmes, en particulier.

    Je suis une femme. Ou bien, une quinquagénaire. « Tu parles comme à 50 ans » Qui a bien pu me donner cette âme défleurie… Qui m'a placé dans l'âme cette plainte perpétuelle,Cet apitoiement sans relâche. Sans avoir pu connaître Henri Miller ni Charon. J'ai serré la main de Béjart sur les marches du Grand Théâtre de Bordeaux. Nous avons frôlé le grand monde Arielle et moi. Nous avions 22 ans. Puis les névroses ont exigé leur tribut. Celle d'Arielle, et la mienne. Ainsi donc cette femme, ce modèle est venue. Elle s'est poliment penchée sur le petit lit où reposait dans la pénombre l'ombre de Sonia. Je suis seul à présent dans le foutoir intitulé « salon », parmi le feutrement intermittent des voitures, et du frottement de mes chaussettes sur le radiateur éteint.

    Ariel est descendue chercher le transistor : le tourne-disque a grillé. Vie délibérément choisie, médiocre choisie. Médiocre universel, œuvre géniale. Le parfum terne que chacun souhaite. Humains enfouis, humains à plaindre. Somnolents, bâillant. Si je tenais le marteau-piqueur, je n'écrirais pas. Qu'est-ce qu'un « personnage » ? est-ce que je me ressens ? Niveau gratte-peau. Pleurez, doux alcyons, pleurez – à mon commandement : ouin-in-in-in – j'entends là-haut des airs d'opéra, un chien à quelques rues… Je ne m'appartiens pas – le passé m'appartient. Ce n'est pas moi, empaqueté. Ma mémoire. Je suis responsable. Moment délicieux. Vérifier la fermeture de la porte – pas d'idées nouvelles. En plein été je porte un pull léger.

     

    X

     

     

    22 04 30

    Prendre la plume assombrit. Je viens de lire un court chapitre sur le donjon de Bassoues dans le Gers. Il me semble sentir encore les chaleurs des étés, les bourdonnements des insectes. L'herbe odorante. Autres fadaises. Sensations désormais sans communication. Brume et désuétude.

     

    22 05 20 salle 11

    La salle froide et sans germes. Pieds d'enfants ammoniaqués, d'avant-hier. Carte géologique aux rouges et bleus crus-chauds. Simple espace où viendront se caser les rêves multiples et agrandissants.

     

    22 06 07

    Jean-Paul Lascassier aligne des mots. « L'écrivain déteste les mots » : titre ? Qui demande nos histoires ? nos ennuis ? L'extase de la puissance ! disaient-ils ! D'où vient le mal rongeur de Jean-Paul ? de son corps ? il faut bien manger, bien dormir. Ô légions étrangères si épanouies ! Les tourments qu'on écrit seront-ils nécessairement les plus légers ? C'est pour que l'on dise plus tard pauvre de lui – qu'il a souffert…

     

    22 08 10

    Très vite comme on se soûle. Que j'écrive. Journal d'Anaïs Nin. Qui vit ce qu'elle rêve au moment même. En telle compagnie. J'ai mon Miller, j'ai mon Artaud. Je vis dans la dissimulation. Elle ne souhaitait pas qu'on lise. Quinze mille pages. Pas avant trente ans. En être encore à me laisser guider par le dernier à parler fort. Je voudrais tout récrire. Plus encore à mon écoute, à mes envies – chemin de perdition.

     

    22 08 11

    June ignore ce qu'est la sincérité, vit dans le reflet des autres. Oui, j'ai joué. Après avoir lu je récris, désormais je signe – errances épuisantes au milieu de la ville. À grandes enjambées entre les bassins à flot – pavés, rails interminables serpentants et cisaillés venus des murs d'usine et disparaissant – préférer le discours d'un hindou à tout voyage en Inde – survivre plutôt en personnage qu'en homme « et j'ai horreur de ce qu'écrit Henry, ce qui nous fait rester en alerte, pour enregistrer » - ce sans quoi nous n'existerions pas – d'où vient ce qui nous éveille ? « ...et nous joignons nos mains » - ces gestes impossibles entre hommes -la main d'O'Letermsen pendant derrière le fauteuil et mon cul tandis qu'il conduisait de l'autre Tu es si beau que si j'étais pédé je te … - Génial, répétait-il, génial ; pourquoi n,'écris-tu pas ? tu as peur... » « June n'atteint pas le même centre sexuel de l'être que l'homme. Cela, elle ne le touche pas. Qu'émeut-elle donc en moi ? » - tout fixer à mesure, citation 2101 – profiter du matin, coincé ente l'éveil imminent de l'enfant et l'envie physiologique de pisser.

    Toujours l'obsession du Jugement. L'odieuse adolescente obsession de la postérité (ce n'est pas le texte primitif ; ce n'est jamais le texte primitif). Je vivrai en 52, en 62, et je serai lu. Moi qui me relis, je crève de gêne June est une personnalité développée jusqu'à ses extrêmes limites. J'admirais ce « savoir-blesser » qu'elle avait, qu'elle n'a plus à présent que nos dents sont tombées je suis prête disait-elle à m'y faire sacrifier. Critique des mots et des jours disparus. Ma petite se réveille dans le vacarme des autobus. Quand trouverons-nous enfin ce qui nous faut à la campagne. June magnifie tous ceux qu'elle voit, en fait-elle autant de nous dès qu'elle cesse de nous voir, dois-je le croire ? (Le Prince vit encore. Ô ciel, puis-je le crère ? - Il arrive, Princesse, et tout couvert de glaire)tant de chaleur, tant d'influence et d'importance accordée à des gens sans emploi et qui peut-être ne sont que des sots…

    Je ne pourrais me passionner ainsi que pour les personnages d'un roman.

     

     

    22 08 2112

    Je pourrais admirer June. Nous en parlons Arielle et moi.

    Elles se sont brouillées pour des raisons obscures.

    Mal présentées de l'une, et rejetées de l'autre.

    Nous en parlons aussi, Arielle se calme. Il n'existe pas tant de personnalités exceptionnelle. Seule existe une vision universelle de l'exceptionnel. Tout génie parfois s'oublie dans le banal, tout citoyen banal peut dévoiler en lui, soudainement, un puits sans fond, comme une fillette creusant toute nue un trou de sable sur la plage révèle d'un seul coup son vagin béant jusqu'au col de l'utérus. Ceux qui m'auront marqué au front : June, Lazare, Gourribs les dernières années. O'Letermsen. Arielle serait scandalisée de ces noms que je rapproche. Les deux premiers pour elle sont des traîtres, qui nous ont promis leur amitié puis se sont mêlés de nos affaires.

    O'Letermsen trouve grâce, après qu'elle a cru en son mépris – bonne intuition de sa part… Le troisième ici nommé nous semble superficiel, brouillon et, pour tout dire, vulgaire. Il la repousse, il m'attire. Cet homme, ce serait moi, si j'avais mal tourné. Ainsi critiquais-je « le monde avec désinvolture ». Déjà en ces temps-là nous ne voyions plus personne. Le trio strictement familial nous accapare. Ne viennent plus que les anciens amis d'Arielle, qu'elle apprécie à proportion qu'ils m'indiffèrent. Nommons-les Guissou et Christine. Ils ne me plaisent pas. Pourquoi ne divorçons-nous pas. Pourquoi suis-je si peu fidèle à ceux qui m'ont marqué. Ne cherche pas à leur plaire. Assurément, ma bien-aimée. Mais s'ils viennent, comment leur faire mauvais visage ? (« Je n'ai rien contre ta liberté d'opinion, mais je me passerai bien de l'entendre »). Et quand Arielle veut aller chez eux, comment me dispenser de faire le taxi ?

    Puis-je décemment rester au volant comme un larbin tandis que Madame rend visite ? Exaspérante Anaïs Nin, exaspérante Arielle. Ces deux noms désignent l'arrière-petit-fils (ninn) et le lion de Dieu. « À maintes reprises je suis entré dans le réalisme et l'ai trouvé aride, limité. À maintes reprises je suis retourné à la poésie ». C'est à moi que la poésie semble limitée, le réalisme, inépuisable. Bory me fascine. Parler davantage équivaudrait à une dissertation (…)

     

    22 08 15

    Tenir l'instant sous la pointe du stylo. Quinze août, vacuité. Un chat blanc sur le toit vitré. Une radio lointaine. Ce matin j'ai fermé la fenêtre - « ...sous aucun prétexte ! » - pas de grand-mère – prétexte de l'Agrégation pour s'enfermer et flâner d'esprit. Une mouche, la rue. Les yeux les lunettes se brouillent. La poitrine s'approfondit. Ce matin la bestiole nous a réveillés à 7h. Si je laissais ma tête errer, ce serait le sommeil. Je lis L'Énéide.

     

    22 08 18

    Ces textes sont retouchés. Stylisés. Ils ne peuvent prétendre à l'historicité, ni au document. Ce serait bien. Mais faux. En ce temps-là Mes parents vivaient. Capitaliser les Je, Me, Moi, Mon. Puisqu'ils sont l'objet de reproches. Faire chier. Parents si faibles, aux yeux ridés. À présent Mes égaux. « Ne tiens pas compte de ce que nous avons dit hier soir ». Pourtant quel feu roulant, incohérent, de névrosés. J'aurais pu les engueuler. Tous les arguments sont spécieux. Jeanne et M. (qui était-ce?) se disputant un personnage extraordinaire, moi-même appelé autrement. Baiser goulu à « ma petite gouine ». Les deux autres estiment la scène inconvenante « car on dirait plutôt deux femmes » - lesquelles ?

     

    22 08 22

    Impressions médiocres de digestion indéfiniment prolongée. Table en plein air, débarrassée, carreaux bleus et blancs. Du vent. Les beuglements saisissants de Chaliapine et ses coups de mâchoires. Les paroles d'une jeune fille en pantalon rouge suivie des yeux jusqu'au tournant de l'allée. Ma fille allongée sur la couverture, la tête appuyée sur un coussin vert. Le bonheur et l'ennui. Les chats de Georges Benoît qui bondissent dans l'herbe. Sonia qui les hèle à petits cris aigus. Debout, puis se rallonge et ramène sur elle la couverture. La jeune fille revient portant un plateau d'aluminium. Joli balancement imperceptible de ses hanches de vierge – ridicule. Sonia me regarde écrire. Le ciel s'est ouvert. Promenade merveilleuse avec Sonia. Mais il est fastidieux et difficile de rêver par écrit à l'évènement récent. » Il nous fallait de l'extraordinaire… « Elle me tenait la main et courait en me regardant au risque de trébucher.

    Je lui parlais sans cesse, lui montrant les fleurs et les arbres. Elle a longuement regardé un cheval qui passait, traînant à pas comptés une charrette. Ensuite il a fallu porter ma petite fille. « Dans moins de 16 ans, devenue majeure, elle se séparerait de moi. » Mauvais pronostic. « Cette faculté des casaniers de s'attacher au détail, au fixe changeant. Ainsi les gravillons des bords de route, vaste écroulement de blocs où peinent les fourmis.

    « Il ne peut écrire qu'en s'excitant lui-même à la haine ». Anaïs Nin, Journal 1932 (June Miller à propos de Henry Miller). « À noter » - comment peut-on se passionner pour les êtres à ce point ? Anaïs Nin se fait le témoin d'un couple. Faut-il imiter Anaïs Nin ? « ...je me sens tout à fait humaine, parce que mon angoisse veut les posséder, tous les deux ». Même situation en 2014 entre T. et Mireille. Jamais je n'ai pu établir de véritable contact avec T. Deux Américains scrutés par une Américaine parviennent à toucher, lorsqu'en particulier Miller observe que June est devenue compréhensive : « Tout est venu trop tard»… les efforts de June vers le normal, qui sont venus trop tard, pour replâtrer notre amour, notre union – nouvelle habitation, voyager, élever S. - mais il manque l'étincelle « Je vois » (qui parle?) « tout cela venir trop tard, j'ai passé mon chemin. Et je dois maintenant, à coup sûr, vivre avec elle, pour un temps, un triste et beau mensonge » (Henry Miller?) (jusqu'à « vivre avec elle », le reste se rapportant plutôt à notre seconde rencontre en 2012 n.s. où elle s'était montrée prête à moi pour me conserver faute de mieux. XXX 64 10 01 XXX

    Anaïs devient pour finir le miroir des surmoi, nul ne voulant quitter la belle image de soi en elle… Arielle serait mon miroir ? Douteux. « June, qui au fond n'a pas de force, ne peut la prouver que par sa puissance destructrice ». J'écris, je me réapproprie. Carnet de citations : c'est ainsi que Montaigne a commencé – qu'importe ce que je fais, c'est ce que je suis qui importe. Juste l'opposé de Sartre. Plus loin encore : l'idée de ce que je suis. L'autre peut bien avoir l'idée qu'il veut. Arielle ne me lit plus. J'écris à l'aveuglette. « Elle a épuisé ses sentiments, elle en a trop joué ; il est vide de toute émotion. » « Écrire est une vie plus vraie que la vraie vie » - ou celle des Anciens aux Enfers : lumière terne, personnages ombreux…

    Ce que j'aime chez Anaïs, c'est qu'elle écrit son journal non pour soi, mais pour ses amis, à qui elle s'exhibe – est-ce que je l'intéresse encore ? Est-ce que tout reste à dire ? Tout surpris d'apprendre que je ne l'intéresse plus guère physiquement – jr croyais, moi, que « du moment que j'étais là, que je bandais » (qui parle ici?) la chose allait de soi. Je suis donc moi aussi un objet érotique, un objet d'amour ? Chaleur, par l'émotion de se sentir désormais vulnérable, par ces pages qu'elle va lire. Tout reste à dire, en dépit des semblants. Ce serait véritablement angoissant de penser pour de bon n'être plus aimé. Cela vous ferait presque respecter l'autre, et chercher à le conquérir. Ce soir je regarde Arielle comme une femme à conquérir, avec inquiétude. Je déteste recopier ceci après plus de quarante années. Sa présence comme sujet est obsédante. Cela sera passionnant, et pour une fois un risque de la connaître.

    23 08 2022

    Sur les châteaux : ce qui m'attire vers eux, ce sera la force, les puissantes assises aussi solides que des jambes écartées.

     

    X

     

    Anaïs Nin again, exaspérante disais-je et fascinante par sa féminité, par sa docilité à se conformer à l'injonction « sois femme », son empressement à sauver eux qui ne le lui demandent pas, ou pis encore, qui le lui demandent – et surtout son refus du laid, son goût « artiste », ce que je prenais pour la « distinction » d'Arielle et que j'ai réussi à défaire, comme un nœud. Henry ne pouvait plus avoir pitié de June. Cette rage qu'ont les femmes de vouloir être aimées – cette rage les pousse à tomber malades. Cela provoque en moi de la répulsion.

    « Je me révolte » (dit-elle ? - ' « contre la sagesse, la sublimation » - qu'apporte la psychanalyse ?

     

    26 août 2022 (quinze ans juste avant la mort de mon père) -

    Sonia joue avec des filles plus âgées, au charme infini déjà. En l'an 22 déjà, je prétends devoir âtre jaloux dès le premier flirt. J'avais «appris » cela, ce serait une quasi-  « obligation ». On ne devrait jamais rien lire, disais-je, afin d'avoir vraiment ses sensations à soi. Ces réactions « apprises » plus que « naturelles » ne se sont pas manifestées du tout comme prévu. Je la promenais au Jardin Public. À la glissoire : « Dépêche-toi ». Au manège : « Ça ne marche pas ». Aux balançoires : « C'est fermé » .

     

    X

     

    Je pensais : « L'artiste », avais-je lu dans les manuels, « retrouve une unité dans le disparate ». Pour moi je ne le souhaite pas. Je ne veux pas « détenir » la clef du monde ? « L'unité, c'est toi-même » Ah ben évidemment. Vu comme ça… Anaïs Nin écrit : « Tout est moi, parce que j'ai rejeté toutes les conventions, l'opinion du monde et toutes ses lois ». Mais le monde que nous avons souhaité est celui du prêche, à mi-chemin de la réalité et de son exclusion. Influencer sans se risquer. Conseiller sans agir. Je suis trop faible voyez-vous, je me laisserais avoir.

    (Observer. Flâner. Sentir.)

     

     

    ICI S'INSÈRE UN CURIEUX FRAGMENT, NON DATÉ, portant les numéros de pages « 15 » et « 16 ».

    Anne Jalevski annote ces réflexions, indiquant une « page 158 » à laquelle se référerait le texte.

     

    « Disons que je la » (?) traite quand même <comme une femme> , comme ma première image (ma mère) de la femme, alors que je me transforme pour plaire à toutes les autres femmes. Il faudrait que j'ose me montrer désagréable avec les autres femmes et ce serait à bon escient, bien sûr, quitte à perdre la « possibilité » d'être accepté d'elles.

    Le patient hait le médecin parce qu'il rouvre la blessure et il se hait lui-même de se laisser toucher : cette citation, reportée au moteur de recherche Google, si décrié par les humanistes DE MON CUL, a levé le mystère : il s'agit du MOI DIVISÉ de Ronald Laing, le plus pur génie de la psychiatrie. Il meurt d'une crise cardiaque pendant un match de tennis à Saint-Tropez en 1989. Et ceci vient encore du moteur de recherche si couvert de fange par la gauche, qui est devenue l'incarnation même des sorbonagres et sorbonicoles torpillés par François Rabelais.

    « Je voudrais bien laisser tout cela, dormir en effet, dans l'appréhension de la crise du « retour d'âge », 47 ans.

    Cf. p. 149 (bas) : Haïr sans être coupable. Le patient est effrayé par ses propres problèmes car ce sont eux qui l'ont détruit.

    | Avec un ψχ femme, j'aurais davantage l'impression de me mesurer à quelqu'un de ma taille, alors

    |qu'un homme n'est pas à la hauteur.

    J'aimerais, exact, être violé par le médecin : qu'il me choque serait salutaire (cela prouverait (?) que je ne lui serais pas indifférent – du moins, professionnellement.

    ÉVITER QUE QUOI QUE CE SOIT VOUS PÉNÈTRE

    (on peut détruire le médecin, ou être détruit)

    ø Mon « moi » social est hélas bel et bien, en partie, moi.

    Les créatures que je rencontre dans Ce macchabée disait sont de faux oi. Accentuer la banalité Guy Luxienne de Michel Parmentier.

    « Je suis prisonnière, mais pas seule ».

    « Il pourrait être aussi terrible de voir de quoi j'ai l'air. Parce que, alors, je pourrais constater que je suis comme les autres gens d'ici.

    | J'ai encore peur d'abandonner la caverne, malgré ses horreurs, car c'est seulement là | | que je me sens capable de conserver un certain sens de mon identité (exact)|

    « Oui, je veux retrouver la caverne.

    Là, je sais où je suis ».

    Il faudrait pouvoir se souvenir, ou savoir, que sa mère vous a aimé lorsqu'on était tout petit. Tu parles !

    Schizophrénie = différence à préserver ( ? ? ? )

    Se sentir l'enfant du psychiatre : ???

    Mon désir de retraite en effet peut être assimilé à un désir de clinique… « Là, on me laissait tranquille.

    R | « Le monde continuait, à l'extérieur, mais j'avais un monde à l'intérieur de moi, que ||personne ne pouvait atteindre et déranger »

    Oui, mais j'interprète cela sinon comme un progrès, du moins comme une étape vers lui.

    Et ailleurs qu'à la clinique, |au cloître,| qu'aurions-nous, en effet ? À moins de risquer, de lutter…

    Gueuler contre mes parents ou attendre leur mort ?

    Plutôt laisser le statu quo que révéler de plus en plus ses fissures. Aussi bien mon père s'est-il aperçu de tout. Ma mère fait semblant de ne rien savoir. « Les médecins n'ont essayé que d'arranger les choses entre mes parents et moi. C'était sans espoir. »

    Je n'aspire pas à avoir « de nouveaux parents ». Ou alors, à croire enfin en un idéal. Anne, par ses personnages, se serait-elle recréé d'autres parents ?

    Noter : on guérit d'abord semble-t-il en calquant la vision du médecin : je n'existais que parce que vous vouliez que je le fasse.

    Avoir une personnalité relève de l'hybris prométhéenne. Et de l'hybridité.

    ROCHER >>>> insensible |

    AIGLE >>>>>> dévorateur |

    = MÈRE

    L'AIGLE DÉVORATEUR DES ENTRAILLES

    = INVERSE DE L'ALLAITEMENT

    (ce qu'on a empêché Anne de faire)

    AIMER QUELQU'UN = LUI ÊTRE IDENTIQUE

    Exact en ce qui me concerne

    Faim d'amour = faim de bouffe = enlaidissement

    >>> confirmation du manque de mérite de l'amour… (A. écrit : ah non)

     

    X X X X

     

    Schizophrénie = du moi / et du non-moi.

    >>> ÉMOTION = RISQUE DE TUER OU D'ÊTRE TUÉ

    Je ne sens la douleur des autres que comme une mise en accusation (ma mère toujours malade)

    (Anne ajoute : exact ) >>> « Je crois que je me serais tué plutôt

    Heureusement, je n'ai pas eu de désir de non-vie. que de faire du mal à quelqu'un d'autre ».

     

    1. 158 Le spectre du jardin sauvage

     

    Julie, « schizophrène chronique, typiquement « 'inaccessible' »

    Essaie de devenir une personne réelle, ce qu'elle ne se sent pas être.

    « UN ENFANT A ÉTÉ ASSASSINÉ »

     

    FIN des propos de Ronald Laing

    30 08 2022

    L'homme à l'échiquier parvient à Londres. Il sauve un homme qui se noie. Il se rend à la soupe populaire et rencontre des gueux, dignes de Dickens. Il dîne avec Chateaubriand exilé. C'est plat, c'est con. J'écris parce que ça se fait. Mieux vaut être mauvais écrivain que bon maçon. Faute de mieux, sur le vide, comme à seize ans, quand j'en ai 30. Il m'est agréable de prolonger cet état précédant le réveil, ces demi-songes. Agréable et nocif. Le refus de voir clair. Mauvaise interprétation de Rank : s'adapter à son monde signifie s'accepter, ne tenter aucun effort : ??? Otto Rank parle de la culpabilité du non-créateur : j'ai peur, si je m'arrête, de ne pas justement me sentir coupable.

    Et comme je désire conserver ma culpabilité, pour ne pas me sentir banal, je maintiens artificiellement mon besoin de créer. Ce qui est retourner le serpent sur sa queue. Mon snobisme exige ma culpabilité je parle de toi, connard.

    Si je suis débordé je me plains de manquer de temps, mais sitôt que j'en ai, je rêvasse. Comme mon père ? Il faut et il ne faut pas que je lui ressemble ? Je ne serais pas venu sur terre pour recommencer la vie de mon père ? ...avec de gros accès de rage impuissante.

    La pitié que je porte à mon père est un reflet de celle que je voudrais qu'il éprouve à mon égard.

     

    X

     

    Arielle conserve tout. Le moindre bout de papier, le moindre sachet d'emballage. Elle range tout le fatras des documents accumulés depuis des années (en prévision d'une année scolaire ? d'un déménagement ?). Elle consulte des listes de prénoms. Se rapporte sans cesse à son monde intérieur. Je crois à la réalité objective de la vie. Quel idiot.

     

    X

     

    De ma névrose j'aurai fait tout un monde. Chacun fait de ses faiblesses une force, de sa timidité une réserve. Je rêve. Sur Douaumont. Éprouver des émotions me fait sortir de moi, ce devrait être le contraire, éprouver des émotions permet de me justifier. Le vrai moi est négatif, l'émotion me concrétise en m'extériorisant, en m'exilant de moi. Il faut reconnaître le peu que je suis, mon peu. J'en suis à imaginer mon rôle devant un psychiatre. Je leur dédie ces lignes. Savoir qu'à mon âge, et pour toujours, je suis resté et resterai influençable – mais ma parole ! C'est qu'il attend d'aller se coucher ce con ! et il fait du remplissage ! il joue au cerveau brumeux ! ...quand son grand rêve est de créer une grande œuvre d'imagination.

    Au choix : répudier l'imagination, transformer cette répudiation en système, en volonté ; ou bien, plus grotesque, rester à l'affût de toute idée qui passe, le papier le crayon. Envoyer ces extraits à toute espèce de gens.

    J'invente vraiment des trucs idiots. Si je me coupais la droite avec du verre brisé, en plein milieu de la nuit, je le lèverais en vitesse avec le sang qui gicle. Giulia se réveillerait, il faudrait tirer le médecin de son profond sommeil, il me poserait des points de suture, défense d'agiter la main pendant quinze jours, et je m'exercerais férocement sur le piano pour me rééduquer. Au lieu de culpabiliser sur la branlette, je me dirais que je ferais mieux d'écrire, Otto Rank au lieu de Freud. Ne pas pouvoir rendre ce que Dieu m'a donné, en ajoutant ma création aux siennes. Cette interprétation suscite mon agrément. Si c'est impublié, Dieu (soit : la Nature) m'en accorde tout bénéfice.

    Progrès : c'est de reconquérir l'envie. Et on se battait à grands coups de morts. J'en-Parlerai-À-Mon-Psychiatre. Sans milieu d'action je me sens châtré, c'est l'action qui châtre ô connard. Parle-moi encore, et de moi. Est-ce que tu as besoin de moi en ce moment ? - Je fais une pause. Je suis fatiguée. Toute la journée j'ai rangé. Trouver reclasser dessins documents. Submersion du moi par le moi. À 18 ans ils étaient roi de France, à 30 ils avaient conquis le monde.

     

    31 08 2022 ESSAI Un homme cela me contrarie qu'il ait un physique parce que je m'attacherais à un homme.je craindrais qu'il ressemble à mon Père. S'il ressemble à Helmut Berger tout est foutu je l'aime. J'écrivais cela à 30 ans mes personnages ont besoin d'un physique flou dans ma vie le physique était tout l'enfant croit que la laideur est méchanceté l'adulte veut l'amour de toutes les femmes belles au risque de tomber amoureux fou de toutes et l'amour, Chateanbriand, l'amour est encombrant. Je ne peux me mettre ailleurs que dans la peau d'un adolescent prolongé à expérience limitée ne sachant pas à quoi ressemble un couloir d'aéroport ce ne sont pas des corridors mais des halls des halls à n'en plus finir de succession bien entendu je serais riche pour qu'il arrive quelque chose il n'y a qu'aux riches que les choses arrivent les pauvres doivent les chercher et la vie leur dit NON NON NON.

    Nous voyagerions dans le temps et l’espace « à travers les siècles » voici une idée : un moine de Macrobe transcrivant tout le passé une fausse vie [ Cassiodore meilleur encore avec le centre culturel conservatoire du Vivarium acheter tout de suite tout Cassiodore bénie l'époque où rien n'est plus à faire rien de plus urgent que le livre ou l'épée lire ou tuer si simple tout simple mon homme serait à la fois Sidoine et Fels, Elias, musicien des Lumières. Sidoine fait l'objet le sujet d'un Zohar Livre des Splendeurs en cours pour le cours de ma vie cours toujours Les changements d'époque doivent être insensibles impossible techniquement par manque de travail manque d'assiduité le beurre je veux le beurre mon héros veut se jeter d'un pont l'autre homme le retient les voici liés d'une profonde et indéfectible amitié qui n'a rien d'homosexuel par pitié je vous en supplie qu'il n'y ait pas d'homosexualité dans mon livre je vous supplie qu'il n'y ait pas l'ombre d'un pédé parmi nous mais le manuscrit dit ceci : il lui présente sa femme Scène suivante Ils couchent Scène suivante c'est le sauveteur qui veut se tuer Viens dit le premier Je vais te présenter à ma femme et tous deux se mettent à rire (que veut dire « ils » ? en français le pluriel masculin peut aussi bien inclure une femme).

    Je tiens mon sujet. Les voici tous les deux sur une péniCHe jusqu'à ce qu'ils n'aient plus d'essence. Décrire longuement la vie ainsi menée. Ils ont bien sûr laissé les femmes. Ils vivent en troubadours. Chantent dans les châteaux en ruines. Se livrent à des chapardages. Dépouillent même un flic. Séduisent, ou tentent de séduire une ou deux filles en route. L'argent s'épuise. L'un d'eux mendie à la porte d'une église (messe ultrarupine). Salles de jeu de casino. Du réalisme. Surtout pa d'humour. Peut-être que l'un d'eux obtient un emploi, puis l'abandonne. Larcins dans les librairies, échanges de livres.

    Quant aux deux femmes, elles ont aménagé un château somptueux, et en chassent les hommes, qui voudraient revenir, à coups de fusil. Puis ils reviennent, et l'une d'elle part avec un des hommes. Sur la route, ils sont pris par une calèche vers Strasbourg. Nous ne sommes donc pas à notre époque. J'inventerais un bal costumé. Quand ils ressortent de là, ils s'aperçoivent que c'est la rue tout entière qui est devenue un bal costumé.

    Suite, à deux compagnons :

    Disposer une planche entre les motos et jouer aux échecs. Sans rouler, puis en roulant. Attrapent un chat, le tuent, renoncent à le manger pour le jeter sous les roues d'un camion. Finissent par s'emparer d'un camion. Un type était ficelé à l'arrière, veut s'envoyer la femme (devenue) accompagnatrice : « Merci excusez-moi ça faisait si longtemps » - se la joue désinvolte hygiénique. « Où allez-vous ? - M'est égal. Disons Santa Cruz. Je dors en me ligotant. C'est un truc. Un jour j'en ferai un numéro. Prenez-moi 6 cageots de fruits, ramassez-moi ces bidons de lait au bord de la route Prenez en passagers ces enfants, ces ouvriers qui attendent. » Ce service les impatiente.

    Le camionneur les fait descendre. Ils assaillent un train. Dans un compartiment ils font bombance avec le contenu du camion. Halte dans un cimetière. À l'opéra du lieu, jouent les fantômes en se répondant en écho. Repérés par un imprésario qui les engage (Laurel et Hardy, Bibi Fricotin, Tintin) (Bouvard et Pécuchet : Pécuvart et Bouchet). Ils envoient des lettres à n'importe qui. Mon texte serait parfois dans ma langue, doublée à la deuxième ligne en prononciation figurée. Ils parlent et fument toute la nuit, se promènent en ville à l'aube, en compagnie d'une fille qu'ils ne touchent pas, car l'érection continue est une chose très tonifiante.

    Se font dire une messe pour eux seuls dans une minuscule église, où se trouve sur un lutrin une bible illustrée magnifique. Assomment à la fin le curé. « Dieu vous le rendra ! » leur crie-t-il, menaçant. Ils abandonnent cependant la Bible sur le seuil, mais en trouvent une autre pareille sur le seuil d'une autre église, et finalement, une pierre se détache et tombe sur cette deuxième bible, endommagée : « Devons-nous nous séparer ? » Les mains dans les mains évoquant leurs souvenirs et foutent le feu partout partout dans un bistrot mais n’osent pas faire l’amour et se lancent dans une longue longue fuite à mort le premier qui tombe sera tué – qui es-tu ? crois-tu que ce soit de tout faire ensemble, amour pipi action caca – qui permet de mieux se connaître et pourtant tu connais chaque pli de mon corps.Ils s’accusent l’un l’autre de la plus noire ingratitude et tâchent de se poignarder pendant leur sommeil et s’ils veillent se fixent en soufflant Quand crèveras-tu oui quand ?

    Le médecin. Les voici consultants chez le médecin. Salle d’attente comble de reniflards. Déjà une heure. Un jour et deux heures. De quoi manger – Merci. Pour chier c’est dans les coins. Dans son cabinet le toubib manie la sonde et le clystère. Intervertit les greffes de sexes. Décrire si possible l’opération. Je peux en mourir. S’ils sont deux l’enterrement compte un cercueil double à paroi coulissante. Ne reste qu’un seul corps et trois métatarses. L’huissier prend la route avec son clerc. Ils ont rejoint d’autres ménages sodomites. Un congrès se tient au cœur de la Double (Dordogne). En rêve ils escaladent une dune et tombent enculés dans la mer. Alors le jusant rejoint le soleil.

    Alors leurs âmes jointes giclent jusqu’au zénith enfin presque.

    Dès le premier septembre 22 revient le double ou Doppelgänger des Contes et Légendes. Parler à son Double. Dialoguer avec son Double. Qu’ils disent. Ils n’ont donc jamais transpiré. Sué jusqu’à puer. Je ne veux pas rencontrer ça. Plutôt – plutôt, oui, écrire. Ce sera un roman sur la mort. Présence merveilleuse dans son corps. Tout se dévoile. Reflux du zénith jusqu’aux profondeurs du cul. Le cul est un sexe. Que plus rien ne soit engendré. Mon double me dirait ce qu’il faut faire, donnerait une Objectivité à ma Faute.

    Je trouve. Eurisko. Vrisko – Hey Baby - est-ce que tu veux – être mon amie Johnny 1963

    (arranger) dans un bistrot une fausse dispute en fausse langue étrangère

     

    3 septembre 2022

    Toutes mes pensées sont sérieuses. Uniques. Ne pas en laisser échapper une. Je me cogne au Double. Ich musz meinen Doppelgänger verlieren, erst einige Tage, um mich wiederzufingen. Et tous mes hommes porteront ses traits. Mon Double ne doit pas me ressembler. Ne doit pas devenir mon idéal d’amour. Un sexe nouveau, non pas un obscur assouvissement. Beaucoup de déchets quelques perles. Obsession de la mort du père et du journal qu’il tient nécessairement. Je n’ai jamais eu de modèle.

     

     

    8 septembre 2022

    Je ne pense rien du Vietnam ni des séismes de Turquie. Ce qui s’appelle s’en foutre. Seul j’importe. Ce qu’il faut choisir. Ce qu’il faut lire. Écrire de phrases auxquelles on ne croit pas. Desséchées dès qu’elles sortent de soi. Des douleurs de pensées. Pensée écrite, pensée caillée -

    Monsieur,

    Ce que vous écrivez tient du meilleur et du pire, on ne sent, on ne voit pas ce que vous êtes, ce que vous voulez démontrer C.Q.V.V.D. sans que vous sachiez rien ni dont vous auriez peur -

    ne vous justifiez pas je ne suis pas justifié par mes œuvres greffées comme un cancer et ses métastases écrire me rase

    Bienheureux les béats - le vide du morveux.

    De retour de voyage, nous pensions naïvement après cette razzia elles fleuriront de plus belle, nos idées ! Hélas. Les aûtres Écrivains ne sont pas de cette espèce, de mon espèce, Artaud est confus, le chat énorme, étouffe. Jeu avec des socquettes. Le chat m’a griffé. Arielle reviendra. Je ne peux vivre sans elle, sans ordres, euphorie terrible, visions néant. Revenir au stade carnet. Julie couché se repose dans le bruit de la rue. Lecture encore du « Théâtre de Bali » d’Antonin A. C’est une succession de notes répétitives. Mantra confus, éclatant. Rien de classique. Chez Artaud. Forcément. Noter ce que je fais ce qui reste à faire. Afin que je puisse croire ne pas avoir vécu en vain.

    Arielle éprouve elle aussi cette angoisse. Ces après-midi passées dans le salon parmi le vacarme de la circulation. Je suis un génie. Un petit névrosé. Même pas un petit parano. Que j’écrive, que j’écrie. Leçon du structuralisme de Bourniquel. Mais oui mon vieux on à compris. À côté de Moravia tu peux te rhabiller. Une espèce de vie végétative, sans passé ni autre activité que ménage et pouponnage. Un prof qui joue Guignol ou La fatigue à ses élèves et corrige les copies. Arielle croira que j’ai travaillé. Non, j’ai mollassonné. Me suis remis aux « Petites Vieilles » - Carré de Dames. Inadéquation totale entre ces deux torchonneries : cette œuvre et mon esprit. De la pensée. Et encore. Indisposition physique, mauvaises conditions de travail ? Facile…

     

     

     

     

     

     

     

     

    Visite chez Darqué, toujours ce volet de boîte à lettres qui pivote pour vérifier le visage (pas trop crispé, pas trop malade?) - une grosse Portugaise veloutée pain d’épices au carnet de rendez-vous - « permettez » ... Erreur de téléphone mais c’est tout à fait normal une anxiété désamorcée. Rendez-vous rapide.

    Détour par Saint-Ferdinand. Abbé Dagens de permanence après 18h. Église fourre-tout. Une vieille et son pain pour la prière. Encore des croyants, comment peut-on. Vitraux et relents de vieux pieds tous les pieds de fidèles Françoise à Carlepont. Repas rapide Arielle si tendre et trois heures de cours, de métier, 3 leçons 3 merdes monumentales et les mêmes vannes que l’an dernier rit-on d’elles ou de moi les deux mon adjudant. Julie braille et je sombre dans l’exaspération. Horrible irrésolution, métier détesté virant à la ridicule noria et gosse tuante. Démerdez-vous dit le docteur. Démerde-toi. Tes yeux déjà se ferment. .

    18 09 2022

    Ne rien laisser de soi. Retard mental. Jusqu’à satiété, jusqu’à profonde conviction. Le monde prend une dimension nouvelle. La vie n’est que les mots. Remâcher mes jours par les mots – à n’ouvrir qu’après ma mort car l’utilisation ne s’en impose pas ne m’en impose pas Question : Henry Miller écrivait-il à la vanvole, sans retouches ? Il relisait tout, travaillait tout, bossait des seize heures par jour. Les constantes ne changent pas. Ils sont tous pareils. Tous pareils. À l’exact opposé de ce con qui joue. Chasser l’effet, c’est rechercher l’effet. S’écouter parler. Se lire écrire. Personne ne répond. Considérer mon propre regard comme une bénédiction, et comment vont-ils comprendre, au hasard Balthazar au hasard Blanchard – écoute, écoute : quand on a de la personnalité on peut écrire ce que l’on veut ré-ca-pi-tu-lons : discipline et tant pis s’il n’y a pas de suite « une heure par soirée ça devrait aller » même ça même ça je n’en veux plus jene veux plus l’entendre PAPA FAIT 600 BORNES EN AUTO SANS ESCALE ;

    Surtout pas de clin d’œil

    Dès le matin ce regard qui ronge, cet œil qui colle à la peau ce mal de tête ce mal d’agir c’est l’irrésolution Chef c’est l’irrésolution qui me bat là dans la tête et la tempe. Je me revois me dandiner avec mon panier de linge sale j’y va-t-il à la lingerie j’y va-t-il pas, et le corps, suit-il, ce Suisse, les yeux, tout qui tourne, mon pauauvre corps usé avant l’âge qui ressuscitera ce corps de gloire assez.

     

    X

    29 09 2022 18h 35 - 45

    Mélancolie crépusculaire. La feuille sur le volant j’attends à l’arrêt interdit, les voitures me frôlent dans une hargne indifférente. Leçons de danse. Un panneau blanc désigne à l ‘attention des pauvres femmes qui sonnent là, qui se garent vite en dépit de l’interdiction puis s’engouffrent en ramenant sur les seins les pans de leur châle. Des parapluies font la roue au carrefour. Un beau jeune homme aux jeans moulants s’avance dans le rétro puis disparaît de dos. Ciel gris. Feu rouge, orange, vert. La femme ressort tenant à la main sa petite fille. Une 4L, un Solex, un parapluie, des essuie-glace. Un cycliste vient sur moi, me contourne, les yeux déformés sous ses sourcils froncés. Une voiture borgne, un clignotant. Les phares sur la chaussée humide jusque sous la voiture qui précède.

    Deux femmes en bleu. Mélancolie. Cessation.

     

    2 10 2022

    Quand les mots à dire ne passent pas par les mots, mais par les nerfs à vif, les cris, les bras explosants. Une sorte de danse ou d’éclaboussure. Le poing qui cogne et le gémissement qui écorche la gorge, le coup et l’étreinte, du dehors au dedans. L’intérieur est l’ennemi. Celui qui me lit ne trouve rien du monde. Juste moi et lui, entre nous ce trousseau de clés rongées de rouille, monument rongé qui s’élève à la Conscience. L’évènement n’est rien. Plus vide que le miroir que je lui tends. Arielle plongée dans les revues de nus masculins, virils travestis, Speak-Easy Bar. Trois fois de suite. Très cher. Le bruit court du suicide - depuis, démenti - du protagoniste.

    Tout est spectacle. Elle a fait de nos vies un spectacle. Rien n'arrive et tout advient. Maintenant encore je jouis plus, rire ou larmes, d'un spectacle que d'un trait de vie - les bras croisés de Zola - au verso les ébauches du Corbeau du Puch, en vente nulle part.

     

    7 11 2022

    Agitations, maladresses. Vide ouverture et gouffre, administration petit homme, adieu prétentions. Sous mes oreilles roule le fer (la rue) - charpie de la volonté -

    - suis-je assez clair ? passé, passé le temps des grands hommes, de Mérobaude ou Salvien, XK28 Martien sans consolation, bien sûr nous pensons au public !

    Donnez-moi juste un solipsiste qui ne soit pas hypocrite.

    Je ne veux pas de contact direct surtout pas de contact direct, moi directement impliqué anxieux ! nous ne pourrons créer de personnages tant que nous pourrirons dans la solitude or les romanciers sont communicatifs tous tous très communicatifs, et cependant la force monte en nous Que vous êtes enfant ! disait-elle

    Aussitôt je me suis éloigné à grands pas

    la laissant accoudé sur le pont de faux bois

    mon reflet seul dans l'eau il se vexe il se vexe

    répétait-elle consternée je vois bien que je me suis trompée

    que veut dire assumer son enfance rien, rien du tout. Montant l'escalier plus tard bien plus tard, en ressenti d'alors, je reconnus penché contre la rampe le visage de Té-Ana je ne pensais pas la trouver chez... comment s'appelait-il - et son mari Lazare y devait être aussi, dissimulé bien sûr. Nous nous étions horriblement brouillés, la lutte fut abandonnée, Té-Ana sans la moindre gêne et même à demi-heureuse, Lazare attendait assis sur le sol dans la pénombre combien embarrassé c’était agaçant, gueule de faux-cul.

    Le matin avant même les premiers visiteurs Azay m’appartenait jusqu’aux flèches en plomb des toits brillants mats sur le fond de l’aube. Quand la grille s’ouvrait, le flot des visiteurs fervents s’écoulait, celui des lève-tôt, je me retirais au fond du parc, où ils ne poussent jamais. À midi je revenais me pencher sur le pont de faux bois, pour mêler mon visage à l’eau. Et je ne pensais pas, je ne me contraignais à penser à rien. Je n’imaginais pas de statue future. Pour ce qui est de ne pas rester, tu peux être sûr que rien ne restera. Le pire est l’absence de pensée, le pire est le bonheur. Juste envie de lire. J’ai envie de voir ma fille mais n’ose pas la rechercher. « Je suis un imposteur. Le véritable auteur est M. Robert Laffont, qui refuse que son nom figure en couverture ».

    Ne rien attendre de l’Autre-de-Longtemps.

    Faire la roue devant une Femme Nouvelle.

    T’as pas l’air con, manteau, voix brumeuse étudiée.

    Briller. Faire silence. Comprendre les colères de son père. Il n’était pas faible. Il n’était pas. Nous nous tournons vers la baise, la cogne. Déclarer la guerre à ce que j’écris. La tête du vautrin lancée de droite à gauche, Écoute de soi-même n’est pas mauvais jeu. « Un peintre ne doit réfléchir que les brosses à la main ». Dépasser l’artisanat ne s’improvise pas. Écouter sa voix ne garantit rien. Tout noter, pas mieux. La bride à l’imagination, pas davantage. Le temps devant soi non plus. L’obligé. Le mécanisé. « Azay merveille d’équilibre ». Mais sur le dessin ça se casse la gueule… Nos livres seront nos cadavres. Le dessin s’accapare Azay. À notre avis nous ne rêvons plus. Voici trois heures que j’écris, ici assis, insatiable. Le ciel a cru s’ouvrir. Pourquoi se modeler sur les biographies, qui te demande de vivre « comme il faut » ? Libère-toi d’une espèce de Dieu…

    Un oncle fou la corde au cou obsédé de potences fait tourner des écureuils les mange une fois épuisés, avec des noisettes. Comme un cerveau enceint qui avorte. Je n’ai connu personne à Paris. Nul ne découdra la doublure du manteau. Réapprendre à rêver, à noter, même et surtout si c’est trop tard. Héros de roman, musique…

    2022 11 08 Bergerac

    Véra longues jambes tiges d’acier. Mâchoires éblouissantes de la mante. Le réservoir serré entre ses cuisses. La tête façonnée en heaume la paupière asiatique des heaumes le pli serpentaire des lèvres l’iris renflé vert en son centre, bulle d’eau -

    - ne pas craindre la fol ie y basculer plutôt

    J’ai horreur de scruter les gens

    plutôt les dessiner les créer des dizaines de monstres dans mon cerveau Véra me conduit le long des dunes mes doigts mordent ses flancs mon oreille sur son dos

    compte son cœur

    les glaçons infinis de la lune en méplats sur le cuir et le sable lune japonaise d’ivoire

    Et la pensée

    Panthère surgie au-dessus des eaux

    dispensée des chaînes corps vibrant

    Arbre frémissement nuit bousculée parmi les nuages -

    tous mûris, obscurs, bondissant de tant d’années tout armés -

    Toi, abandonne.

     

    *

     

    Le slip

    aïe-cul

    Slibard Deux-Yeux

    Œuf blanc tête d’effraie

    Troué vertical sur le flanc du fauteuil

    NOTE TOUT

    Note 756 – L’une des meilleurs manières de recréer la pensée d’un homme : reconstituer sa bibliothèque. Yourcenar . bon courage - tout ce qu’on m’a dit de lire j’ai lu Bossuet à 18 ans, James Joyce, ARTAUD celui-là j’ai calé sauf pour Algabal dixit uxor pêle-mêle c’est pas mal. Professeur de français Des tonnes de Fourberies de Scapin, des quintaux de Cid et de Genevoix. « Penser » vient de « peser » - que pèse une pensée – Cette œuvre immense dont je jette ici le premier embryon (ça craint) à publier par plaquettes jusqu’à 60 ou 80 ans « on découvre n’est-ce pas une personnalité attachante » « à travers ce désordre apparent » « notes pour moi » dixit uxor « la pensée de Romnestras suit sa ligne rigoureuse » (Sartre? )

    QUANT AU PEUPLE qui hait la culture qui lit son torchon local

    La pensée de celui qui ne lit pas revient très exactement à pas de pensée du tout

    Avoir répondu je suis sondé donc j’existe à un sondage « ceux qui lisent et ceux qui télévisent ne sont pas le même public Moi Je regarde ce que Ma Femme me dit de regarder Ludmilla Tchérina donc ma pensée est celle de ma femme - loin d’être exact dit-elle mais coïncidence des lieux, échanges d’effluves – hasards et surprises bases de l’humain ou de ceux qui se seront intéressé l’un à l’autre pour secompléter ou se bouffer on verra ça dans 50 ans dit-elle (« Deviens ce que tu es » Nietzsche)

    De l’éducation suite sans fin

    Tous instruits le plus possible

    On nous demande de trancher

    d’expédier dans le bas-fonds

    ou sur la pointe des pyramides

    « Trop d’étudiants » engendre le chômage faudra-t-il préférer mon pays fait de chômeurs intelligents ou de travailleurs cons

    Marché de Moloch

    Marché de Mammon

    Sur la vocation d’écrire

    Véra-Dina sera le dernier roman, 15 11 2022 Lâcher là-dedans toute une cohorte de personnages dévorants Les laisser vivre et s’entretuer Sortir de là malade comme une bête Sitôt imaginé avec intensité le personnage inflige un tremblement Je rebrousse chemin Les hommes que j’entends de ma rue à ma table et l’action que j’aurais sur eux sur le monde m’étreignent visions de vaine gloire Je me suis tout au long trompé de mots trompé de moi Vision d’amour Le temps des célébrités n’est plus

    car il n’y a plus de grands hommes

    Quels artistes périssent en nous

     

    Les visions compensatoires qui sont le rire Grand Désarmant grandes répliques à la volée (j’en ris aux larmes) et ces travers font mépriser ceux qui s’y adonnent et tant pis, tant pis car nos carrières sont de Rieurs et de nos dynasties de Clowns Boris Vian Maupassant Quinze Novembre

    Nous sommes des lâches Par l’entêtement de nos présences nous gâchons tout Cit. 1756 prendre place entre Proust et Montaigne

    Leonor Fini pour elle il faudrait nous flinguer nous suicider sans bruit, ramener de nos mains la terre sur nos cercueils et pourrir en sagesse Pas même besoin de la mort Avez-vous lu Cioran Traité de Décomposition pourquoi écrire Cioranescu pourquoi ce livre vendu à 120 000 exemplaires en Poche Au fond de nous ce profond trou noir qui profère Ce que dit la bouche d’ombre au dessus de ce gouffre planent les vautours jumeaux de la révolte et de l’espoir Séraphîtus 466 et des poussières.

    Louis-Jean Laplace

    vers Louis-Jean

    petit Normand sur le retour

    petit appartement obscur dans le treizième

    Vieille cloche. Vieux con. Un nez fort avec des poils. Obsédé de cul. C’est grâce à lui que j’ai pataugé mes premiers pas.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • FLEURS ET COURONNES

    Premier tableau – STAVROSKI au chevet de sa femme morte MYRIAM. Il est assisté par CLAIRE aide-soignante faisant fonction d’infirmière, plus tard de JOHANNA sa jeune sœur. Il écoute Good bye strangers. C’est sa chanson fétiche, qu’il rapproche de CLAIRE, grande blonde dont il est amoureux comme peut l’être un vieillard. Stavrov, Polonais d’origine russe, mêle souvent ses propos d’expressions polonaises.

     

    Mise en demeure de la direction du « Vieillards’ Home » : STAVROSKI doit être placé ailleurs que dans l’établissement. Avec sa jeune amie soignante CLAIRE, il effectue une demi-douzaine de visites.

    Il fait connaissance en particulier avec les LOKINIO-LETURC, Eugène et Alphonsine, qui représentent plus ou moins mes grands-parents paternels, vieux ménage d’ivrognes. Ils habitent à l’extérieur, juste à côté de la maison des soignantes.

     

    Les ivrognes se battent, et se font expulser du Vieillards’ Home. Ils sont internés, momentanément, en asile, pour y recevoir des soins. Dans la camionnette qui les emporte, la vieille Alphonsine crie : « Où y a Eugène, y a pas de plaisir ».

     

    STAVROV se retrouve chez CLAIRE et JOHANNA, au rez-de-chaussée d’une grande maison avec jardin qu’elles possèdent en ville ; cette ville est Troyes.

     

    Il existe aussi une famille de vieux aux fonctions indéterminées, les MAZEYROLLES, apparentée aux aides-soignantes, et qui habitent au fond du jardin de la maison extérieure : ce sont, plus ou moins, les

    MARQUETTE.

     

    Il existe encore un couple de quadragénaire, les ACQUATINTA, bien trop jeunes pour être au Vieillards’Home, qui lorgnent l’appartement des LOKINIO-LETURC, à l’extérieur du Vielllards’Home, juste à côté de la maison des soignantes.

     

    Autres personnages : Stabbs, parasite, amant de Claire, avec son acolyte, qui sèment la pagaïe dans une réception, et Mistress Bove, vêtue de rouge, accent anglo-saxon.

     

    TEL EST LE GROSSIER RÉSUMÉ.

     

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    « Où suis-je ?

    - Près de ta femme morte. Ses lèvres sont violettes. Il fait très chaud. Apportez les glaçons dans leur gourde. Par une chaleur pareille ! »

    On sent l’odeur écœurante des viandes et des excréments de vieux. Partout bâillent de vieilles armoires.

    On entend passer des chariots d’intendance, poussés par des soignantes grommelantes. Stavrov demande qu’on hausse le son de Goodbye strangers, sa chanson fétiche des Supertramps. Tout le monde le regarde de travers. vieillards,asile,polonais

     

    Il visite 5 ou 6 logements. D’abord, 1) Roswitha, vieille fille usée par la phalange. 2) Premier couple d’Antillais. 3) Second couple d’Antillais. 4) Une tantouse, « Solange ». 5) Une habitation troglodyte, qu’il a gagnée dans un tirage au sort 6) Les LOKINIO-LETURC. L’homme, Eugène Lokinio, est un ancien chef de gare barbichu, qui sermonne sa femme comme un pasteur… À un moment donné, Alphonsine tombera morte dans son assiette.

     

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    À vrai dire je ne me souviens plus de grand-chose, parce que je me contrefous de ce thème.

    C’est la chaise musicale des logements.

     

  • LE PETIT LIVRE DES GRANDES FETES RELIGIEUSES editions du BORD DE L'EAU

    SOUCCOT (ou Fêtes des cabanes (des tabernacles)(tentes), “fête des fruits”, “fête de la moisson “ (dans “L'Exode”) ; “époque du réjouissement” (dans les prières)

     

    HISTORIQUE

    Cette fête commémore les quarante années d'errance où le peuple d'Israël, échappé d'Egypte, dut se préparer, dans le désert, à entrer en Terre Sainte : “Vous habiterez dans des cabanes pendant sept jours, afin que toutes vos générations sachent que J'ai fait habiter dans les cabanes les fils d'Israël, quand Je les ai faits sortir d'Egypte” (Lévitique, 32, 42-43). Souccot signifie donc “les cabanes”, ou “les tabernacles” (ce sont des sanctuaires itinérants). Mais nous pouvons nous reporter aussi à ce passage de la Bible, relative à la réconciliation d'Esaü et de Jacob : Genèse (33;12) : « Il [Esaü] dit: "Partons et marchons ensemble; je me conformerai à ton pas." Il [Jacob] lui répondit: "Mon seigneur sait que ces enfants sont délicats, que ce menu et ce gros bétail qui allaitent exigent mes soins; si on les surmène un seul jour, tout le jeune bétail périra. Que mon seigneur veuille passer devant son serviteur; moi, je cheminerai à ma commodité, selon le pas de la suite qui m'accompagne et selon le pas des enfants, jusqu'à ce que je rejoigne mon seigneur à Séir." Ésaü dit: "Je veux alors te faire escorter par une partie de mes hommes." II répondit: "A quoi bon? Je voudrais trouver grâce aux yeux de mon seigneur!" Ce jour même, Ésaü reprit le chemin de Séir. Quant à Jacob, il se dirigea vers Soukkoth; il s'y bâtit une demeure et pour son bétail il fit des enclos: c'est pourquoi l'on appela cet endroit Soukkoth. » C'est la fête la plus fréquemment évoquée dans la Bible.

     

    DATE

    Cette fête se déroule le 15 du mois de tichri, mais un huitième jour (“chmini atsérèt” ou “jour de conclusion”) et un neuvième (“la joie de la Torah”) prolongent les festivités – en Israël, ils se fondent en une seule journée. Le premier et le huitième jour de cette fête sont fériés, les autres “mi-fériés”, c'est-à-dire qu'il est préférable de ne pas s'y livrer à des activités trop prenantes.

    Le 7e jour est appelé “Hochana Raba” (ce qui signifie à peu près “de grâce sauve-nous”) à cause des nombreuses et longues prières que chacun récite pour son salut : c'est le jour du retour vers Dieu où ce dernier vous “scelle dans le livre de la vie” ; avec Roch Hachana et Yom Kippour, c'est le jour où “Dieu est le plus proche du peuple d'Israël”.

    “Chmini atsérèt”, le 8e jour, Dieu “retient” les fidèles un jour de plus, à l'occasion du pèlerinage à Jérusalem ; mais le soir, les fidèles rentrent chez eux.

    Le lendemain, Sim'hat Torah, est la fête de la “Joie de la Torah”.

     

    RITES

    LA CABANE

    Pendant huit jours, il faut prendre ses repas dans une cabane (la soucca) construite dans le jardin ou sur le balcon. Sa construction s'est faite dès la fin de Yom Kippour ; ainsi l'expiation est-elle immédiatement suivie d'une obligation (“mitsva”). La cabane en question doit conserver un aspect de provisoire et de fragile. Son toit, en particulier, doit être garni de feuillages. Trois parois en présenteront une certaine solidité – quoiqu'il soit obligatoire de tout reconstruire chaque année. Les branches, le bambou sous toutes ses formes, et les palmes, sont les matériaux les plus utilisés. Il doit s'y trouver plus d'ombre que de lumière, et l'on doit pouvoir apercevoir quelques étoiles, afin de rester sous le regard de Dieu. Pourtant certains tolèrent qu'une simple caravane tienne lieu de Soukka.

    On prend ses repas dans la cabane, et, théoriquement, on y dort (ou on y somnole...) Mais les hassidim, traditionalistes, même s'ils les y prennent parfois, n'auraient garde d'y dormir, crainte, disent-ils, de “porter attteinte à la sainteté du lieu”. Au moins, dire le kidoush (la bénédiction) et manger un petit peu du repas du premier soir de la fête dans la soukka est obligatoire. Le fidèle y passera le plus de temps possible, comme dans sa propre maison, y compris avec des meubles. Et l'on y étudie la Torah.juif,piété,tradition

    S'il pleut ou s'il fait trop froid, mieux vaudra toujours sacrifier le rituel aux obligations de santé ; ce qui est toujours le cas dans la religion juive : les malades sont dispensés de dormir dans la soucca. Inutile d'ailleurs de s'y forcer : Dieu ne nous en aura aucune reconnaisance supplémentaire !

     

    LE LOULAV

    C'est une branche de palmier-dattier, donnant son nom à un faisceau que l'on tient dans sa main, comprenant donc, outre cette branche, une autre de cédrat “étrog” (proche du citronnier) tenu celui-là dans la main gauche, trois de myrte “hadass” et deux tiges de saule de torrent ou “arava” (Lévitique, 23, 40). Tous les jours, ces végétaux seront agités en direction des quatre points cardinaux,vers tous les coins de la soucca, ou à la synagogue, autour de laquelle se déroulent des processions. Puis vers le haut, vers le bas, en récitant des prières qui demandent à Dieu l'abondance et la prospérité.

     

    LECTURES ET BENEDICTIONS

    Le chabbat de la semaine du Souccot, on procède à la lecture du Livre de l'Ecclésiaste (Vanité des vanités...).

    Avant d'entrer dans la soucca, on dit : “Je suis prêt et invité à accomplir la mitsva (“obligation”) de la soucca, comme me l'a ordonné le Créateur, haréni moukhane ou mézoumane lekayème mitsvate soucca kaachèr tsivani baboré...” Et en y pénétrant, on invite Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Aaron, Joseph ou David (chacun a droit à une journée particulière). Puis il faut réciter le verset : ba souccote téchvou chivéâte yamim, “dans les cabanes séjournez sept jours”.

    Le rituel complet, si l'on veut s'y soumettre, est long et très minutieux. Pour finir on boit le vin ; on fait au moins la bénédiction (“motsi”) sur un morceau de pain, et après l'avoir mangé, on récite le “birkat hamazone” (action de grâces).

    Chaque soir, après avoir récité le “Shema Israel », on demande à Dieu d’étendre “la soucca de sa paix sur son peuple.”

     

    SIM'HAT TORAH

    Ce jour-là, les croyants sortent solennellement les rouleaux de la Loi (Sifre Torah) ; il est procédé à la lecture des derniers versets de la Torah, puis on la recommence dès le début : “Béréchit... Au commencement (Dieu fit le ciel et la terre)” Puis on danse dans la synagogue

    même, en processionnant autour de la bimah (autel), tenant les rouleaux de la Torah dans les bras. Même les enfants sont autorisés à danser autour des rouleaux de la Torah, sous un grand voile au-dessus de leur tête “pour les inclure dans la communauté festive”. C'est la Torah elle-même qui danse avec ceux qui la respectent, tout enveloppée car c'est le temps non pas de l'étude, mais de la réjouissance, comme l'étreinte de la communauté avec son propre corps...

     

    SIGNIFICATION DE SOUCCOTH

    La cabane en plein air symbolise évidemment la protection divine qui s'exerce jusque dans le dénuement et sous la menace des intempéries. Et justement, la fête de souccoth intervient au moment où le temps très souvent se couvre, tandis que les autres ont tendance à rentrer chez eux pur s'abriter...

     

    FETE DES RECOLTES

    Dt 16, 13 : « Quant à la fête des Tentes (hag ha-Soukkot), tu la célébreras pendant sept jours lorsque tu auras rentré tout ce qui vient de ton aire et de ton pressoir.” Donc à l'origine, la joie que procurait aux paysans d'Israël la fête de Souccot était surtout provoquée par la période des récoltes. Comme dans tous les pays, ces travaux relatifs à l'agriculture, en particulier la cueillette des fruits, s'accompagnaient de festivités. Cependant, pour éviter que celles-ci ne devinssent l'occasion de débauches, le texte biblique nous met en garde : même en cas de récoltes abondantes, c'est “devant [n]otre Dieu” que “[n]ous [n]ous réjouir[ons]”, certains allant même jusqu'à affirmer que de tels excès, justement, provoquèrent la destruction des deux temples d'Israël.

    C'est pourquoi les prêtres ont chargé cette fête d'une

    SIGNIFICATION RELIGIEUSE

    Tous les rites, d'abord, rappelleront la vie au désert des ancêtres hébraïques. Les quatre espèces végétales prescrites dans la Bible peuvent s'interpréter comme un symbole des différentes classes sociales du peuple d'Israël, qui manifestent ainsi leur unité en cette occasion. Il y a d'autres interprétations populaires : le palmier, c'est le corps de l'homme ; le cédrat, son cœur (lieu de l'intellect, pour la Bible) ; le myrte, ce sont ses yeux, et le saule, ses lèvres - “tout ce qui pourrait induire l'homme à pécher”. Ou bien, ce seront quatre caractères : le cédrat évoque le juste ; le palmier sera le juif qui se borne à la lettre de la Torah, le myrte l'homme qui agit sans la connaître –

    et le saule, sans fruit, sans parfum, symbolise l'ignorant... “Que ces quatre espèces d'hommes se rassemblent et que chacun fasse expiation pour l'autre. »

    Mais la joie doit régner ! C'est même une mitsva, une obligation : “Tu te réjouiras pendant la fête”, Deut. 16, 14 – afin de célébrer la protection divine. Celui se prend au sérieux (“ces choses-là ne sont pas de mon rang”) sera blâmé. Car "le roi David lui-même saute et fait des pirouettes devant Dieu".»

    La cabane présente dans le toit des ouvertures, afin de nous mettre plus évidemment encore sous le regard de la divinité. Le caractère provisoire de cette construction nous enseigne aussi à ne nous attacher à rien de matériel, car notre existence à nous aussi est provisoire ; la vie terrestre n'est qu'un épisode - d'où la lecture du livre de l'Ecclésiaste... C'est Dieu qui est notre seul abri. Notre maison de briques et de pierre ? Elle aussi périra. Tel est le sort commun bien sûr de toute l'humanité, mais plus particulièrement du peuple juif, qui a souvent dû, au cours de son histoire, déménager en catastrophe, mener une vie errante et dépourvue de sécurité matérielle. Or seuls Dieu et la Foi sont éternels – ce qui doit nous rassurer sur notre sort. Les croyants voient dans le caractère provisoire et incessamment renouvelé de cet habitat, symbole de la perpétuelle diaspora du peuple juif, une occasion de se réjouir de l'immortalité du peuple élu, qui résiste à tout.

    Se trouve conséquemment sollicité le sentiment de fraternité à l'égard de tous les errants de la terre, et de tous ses passagers. Tout hôte doit être traité avec bienveillance. Le non-juif est le bienvenu. La fraternisation juive implique un rapprochement avec les autres nations. Lorsque le temple était débout, l'on sacrifiait 70 taureaux, symbole des “70 nations”. Et cependant, Souccot est peut-être la seule fête qui n'a pas été récupérée par le monde chrétien. (Pessah fut rapproché de Pâques, Chavouot de la Pentecôte, Pourim du Mardi Gras, et même Hanouka de Noël. Mais la fête de Souccot reste à la fois fraternelle et spécifiquement juive.)

    Sur le plan personnel, il s'agit de se ramener soi-même progressivement dans un sentiment d'amour et de reconnaissances universelles ; progressivement en effet, car nous devons considérer nos faiblesses et ne pas nous désespérer de n'être pas des saints. Il ne s'agit donc pas d'une illumination surnaturelle qui nous transporterait dans un état extatique : “Un juif admet les épreuves d'une vie fragile et il continue” - l'amour de Dieu lui aussi “sait attendre”.

    Le temps de Souccoth doit être mis à profit pour retrouver le chemin de notre intériorité, dans le calme, et le sentiment de cette présence divine en chacun de nous. BERNARD

    PESSAH

    le passage” (par-dessus)(anglais : passover”) (français : la Pâque juive)

    -zmann hérouténou, “le temps de notre libération”.

    hag ha matzot “fête des azymes”

     

    GENERALITES

    Les fêtes de la Pessah sont également célébrées durant huit jours, à partir du 15 du mois de nissan. C'était également une fête “de pèlerinage” (à Jérusalem). Il s'agissait de fêter le printemps, au moment de récolter l'orge.

    Historiquement (même si l'Histoire demeure à ce sujet dubitative) et religieusement, Pessah commémore la sortie, pour le peuple hébreu, de son esclavage d'Egypte.

     

    DATES

    Le calcul de la date de Pessah reste primordial, car c'est d'après elle que l'on fixe la célébration de plusieurs fêtes.

    En “galout” (terre d'exil), on célèbre cette fête avec une particulière intensité les deux premiers jours.

     

    LITURGIE

    A partir du second séder, on commence à compter sept semaines, à l'issue desquelles se célébrera la Pentecôte juive ou “Chavouoth”. On se rend quotidiennement à la synagogue, pour remercier Dieu de la libération accordée au peuple juif. L'assistance récite le hallel (“la louange”) : les Psaumes 113 à 118, le 114 évoquant en termes explicites la sortie d'Egypte, il y a environ 3500 ans. De plus en plus d'historiens remettent en cause l'existence réelle de cet épisode ; nous répondrons que depuis le temps qu'Israël célèbre Pessah, elle lui a en quelque sorte conféré une réalité interne, à tout le moins symbolique. Les dogmes de toutes les religions sont susceptibles d'interprétations variées. “Etre

    juif”, dit à peu près le philosophe Memmi, “c'est aussi partager en commun un certain imaginaire”, une certaine culture.

    Le Cantique des Cantiques fait également l'objet d'une lecture solennelle en raison de la célébration du printemps qui y figure. Dans les synagogues ashkénazes, le “yizkor, ou “office de commémoration », se lit en public le dernier jour de la fête.

    COUTUMES, FESTIVITES

    La Haggada (ensemble des textes rabbiniques, surtout palestiniens, fondés sur la Torah) rapporte les exégèses et les interprétations homilétiques des rabbins de l'Antiquité. C'est l'origine même de la vie littéraire juive. Elle relate cette miraculeuse délivrance ; c'est le manuscrit le plus abondamment recopié, reproduit à travers les âges. Ce récit constitue en effet le fondement de la conscience juive. C'est une fête familiale, autour d'une table abondamment servie ; tous les convives tient à disposer d'un texte sacré bien à lui, afin de participer activement au rite.

    Afin que le repas du séder soit préparé de façon rituelle, chaque membre de la famille se livre à une minutieuse recherche à travers la maison ou l'appartement : il ne doit pas y subsister la moindre parcelle de levain, d'où un nettoyage complet (certains dissimulent les miettes dans dix sachets de papier – que les enfants doivent retrouver !) Ces débris peuvent être détruits, voire fictivement vendus à un non-juif... Il est parfaitement permis de consommer du riz, quoique les juifs marocains, traditionnellement, s'en abstiennent. Les ustensiles de cuisine en contact avec le haméts devront être “cachérisés” - par l'eau bouillante ou par le feu. Pour les resquilleurs : il ne suffit pas d'aller habiter pendant la fête à l'hôtel ou chez des non-croyants... Les obligations de Pessah ne sont levées que si l'on est absent de chez soi depuis au moins trente jours !

    La famille dispose au milieu de la table une coupe de vin, sur laquelle on récite la bénédiction du kiddouch ; elle est appelée “coupe d'Elie”, le prophète, précurseur du Messie, étant censé venir participer à cette purification de la maison. Personne ne verrouille la porte, pour accueillir celui qui se présentera : “Celui qui a faim”, disait-on en Tunisie, “qu'il vienne”. Tout un scénario immuable pourra alors se dérouler, en quinze étapes ou “montées”, scandées par quinze psaumes. Comme il est particulièrement détaillé, mieux vaut se procurer un exemplaire du Choul'hane aroukh (“la table dressée”), qui résume l'ensemble des prescriptions, que l'on trouve dans toutes les librairies juives.

    Toute nourriture comportant du levain est appelée “hamets” (pain, gâteaux, pâtes alimentaires) ; en effet, le soir de l'Exode, aucune famille n'avait eu le temps de faire lever le pain

    que chacune se cuisait personnellement, mais emporta la préparation telle quelle, sans adjonction de levain. On ne doit donc pas en consommer durant les huit jours de Pessah.

    Noter que les fils aînés, ainsi que tous ceux qui veulent les rejoindre dans cette coutume, doivent jeûner en souvenir de la tristesse provoquée par la mort des premiers-nés d'Egypte, dernière des plaies du même nom, après laquelle Pharaon autorisa, bien malgré lui, les Hébreux à quitter leur terre d'exil.

    Le soir du repas de séder (qui signifie “ordre”, à savoir celui du déroulement de la cérémonie familiale, au premier soir de Pessah), tout le monde consommera de la matsa, c'est-à-dire du pain sans levain, ce qui est le contraire du hamets. Il faut en manger au moins trente grammes. Quelques produits alimentaires sont aussi consommés : fruits et légumes frais, poissons, eau minérale naturelle. On boit aussi quatre coupes de vin (ou de jus de raisin casher), à différentes étapes de la célébration, pour indiquer les quatre étapes de la libération du peuple juif (Ex. 6, 6-7) – à moins qu'il ne s'agisse là encore d'un rappel du sang versé des nouveaux-nés d'Egypte.

    Le Maggid est le Récit de la libération. Le plus jeune des enfants pose “les quatre questions” : “En quoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits ? Pourquoi cette nuit ne mange-t-on que des azymes ? Pourquoi cette nuit ne mange-t-on que des herbes amères ? Pourquoi cette nuit, alors que toutes les autres nous mangeons soit asssis soit couchés, sommes-nous accoudés pour manger ?” (sur le coude gauche, comme des hommes libres...) Alors, le père de famille répond aux questions, en rappelant les circonstances de la sortie d'Egypte : par exemple si l'on mange du maror (de la laitue, du chèvrefeuille, de la chicorée), c'est en souvenir de l'amertume de l'esclavage – mais le harosset (rappelant le mortier d'où l'on tirait les briques) en atténue l'amertume : on trempe les herbes dans une pâte de fruits ou une compote ; en Orient, le harosset se compose d'amandes, de dattes ou de figues – en Europe, de pommes et de noix – chez les Portugais, d'amandes, de pommes, de raisins, d'épices et de vin. Les judéo-espagnols ajoutent du raisin sec trempé dans le vin ; au Surinam, on ajoute même de la noix de coco !

    On mange aussi parfois un œuf dur, commémorant le deuil de la destruction du temple. Autrefois, le commandement essentiel était de faire le sacrifice de l'agneau pascal, le 14 (Pleine Lune) du mois de Nissan, et de le consommer le soir-même ; un os grillé d'agneau figure sur la table du séder. Le père de famille rappelle ensuite le sacrifice de Pessah en souvenir du “saut”, du “passage” que l'ange de la mort accomplit au-dessus des maisons juives (au jeu, on dit : “je passe !”) - dont les premiers-nés, eux, furent épargnés. Après le repas, qui fait partie intégrante de la cérémonie, le séder se conclut autour de chants symboliques. Chacun loue l'Eternel “qui nous a sortis de l'esclavage d'Egypte, nous a donné la Torah et nous a offert la terre d'Israël”, et l'on prononce la formule immémoriale “L'an prochain à Jérusalem” - la chana ha baa bi Yérouchalaïm – en Israël on ajoute ha benouhay, “qui a été reconstruite”.

    Notons que d'après les Évangiles, c'est pendant la commémoration de cette fête juive par Jésus et ses disciples (la Cène ressemble fortement au premier soir du Séder) qu'eurent lieu la mort et la résurrection de Jésus. L'agneau, le sang associé au vin, le pain, l'Eucharistie, figurent au centre des célébrations chrétiennes.

    En 2006, pour la première fois, les juifs marocains de Paris ont célébré la mimouna (peut-être que ce mot provient du mot arabe “mimoun”, “la chance) : c'est la permission de faire cuire du pain avec levain, lorsque la semaine de Pessah est terminée. Parfois, c'étaient les musulmans qui apportaient leur propre pain dans la maison de leurs amis juifs. A l'origine, on célébrait la fin des pèlerinages par un grand repas. Et c'est à partir du XVIIIe siècle de notre ère que les communautés juives d'Afrique du Nord l'ont célébrée. Le couscous, défendu en temps de Pessah bien entendu, retrouve la place d'honneur, ainsi que la pâte appelée “moufleta”. Ajoutons à cela un poisson (symbolisant la fertilité), du lait, du miel, de la farine, des épis de blé – et des billets de banque ou des pièces de monnaie. En Algérie, parfois, la famille se rend au cimetière, ou en forêt.

     

    SIGNIFICATION DE PESSAH

    Pessah signifie “le passage”, au double sens du terme : d'une part, lorsque les Hébreux s'enfuirent d'Egypte, le “passage” leur aurait été accordé par le retrait de la mer Rouge. C'est “le temps de notre libération”, “zémane hérouténou”. Mais il s'agissait aussi à l'origine de célébrer le retour du printemps : on sacrifiait un agneau, dont le sang recouvrait le pourtour des portes de la tente ou de la cabane afin de protéger les familles. Or, ce sacrifice n'est plus possible depuis la destruction du temple par l'empereur Titus, en 70. La fête du pain azyme, déjà mentionnée par Aaron frère de Moïse, renvoie non plus au nomadisme, mais au sédentarisme, nécessaire afin de récolter une moisson. Et ce n'est que par la suite que ces fêtes auraient célébré l'exode, la délivrance du peuple hébreu. Une partie de ce peuple en effet, nous dit la Bible, vivait en esclavage en Egypte. Dieu annonce la dixième et dernière plaie d'Egypte, la plus terrible : “Le sang vous servira de signe, sur

    les maisons où vous serez. Je verrai le sang, je passerai par-dessus vous, et le fléau destructeur ne vous atteindra pas, quand je frapperai le pays d'Egypte. Ce jour-là vous servira de mémorial.” (Exode 12, 13). Tous les premiers-nés furent tués par l'ange de la mort, Azraël, à l'exception des premiers-nés d'Israël- tel est donc le second sens du terme “ passage” : l'ange avait “passé”, “sauté” les portes signalées par un badigeon de sang sur leur linteau.

    La Pâque représente donc la célébration du “passage” de l'esclavage à la liberté, le printemps du peuple sauvé, la renaissance de la nation hébraïque, par la survie, justement, de ses premiers-nés. Pessah, comme Roch Hachana, est donc l'occasion de fêter un recommencement, une remise en ordre (le “séder”) : l'homme n'est pas l'esclave de l'homme, mais le serviteur de Dieu, libérateur des opprimés. Libération politique et sociale, certes, mais aussi « réembrayement » du monde, remise en état de la dimension juive – en terre d'Israël, selon les derniers mots du séder. Car il a été mis fin à un grand désordre. " Chaque génération doit se considérer comme sortie d'Egypte" – la marche ne sera jamais achevée, c'est à la nouvelle génération, à nous-mêmes, de poursuivre l'immortelle aventure du peuple d'Israël, qui se poursuit à travers nous, incarnation même de l'identité juive.

    Revenons en effet sur l'assimilation du peuple juif, qu'il ait été ou non historiquement dans une condition d'esclavage : il semble qu'une partie du peuple se soit laissé entraîné à une brillante collaboration avec l'aristocratie pharaonique : Moïse avait accès au Pharaon, et les juifs purent même emprunter des vases précieux avant de fuir dans le désert. Il fut assurément difficile, pour ceux qui n'étaient pas esclaves, de s'arracher à ces liens, et les films d'Hollywood pèchent assurément par excès de simplification ! Et nous aussi, à notre époque, nous avons vécu l'impossibilité d'une assimilation pourtant estimée profonde des citoyens juifs, aussi bien d'ailleurs qu'un rejet profond, allant jusqu'aux meurtres, et ce dans un laps de temps très court... Qui peut se dire totalement assimilé, même après des siècles ? Et c'est alors que nous devons nous émerveiller de ce sursaut de foi qui a conduit jadis le peuple hébreu dans le désert, à la recherche non pas d'une perfection, mais de racines, de valeurs ataviques, d'une fidélité, d'un choix, du désir de sans fin transmettre le flambeau – sursaut qui se poursuit jusqu'à nos jours de façon parfois irrépressible. Certains n'hésitent pas à affirmer qu'il n'y a qu'une seule chose à faire pour être pleinement juif : rejoindre la terre d'Israël promise par Dieu.

    Sur un plan plus métaphorique, mais non moins puissant, Pessah nous délivre de toutes nos entraves matérielles et spirituelles, de tous nos malheurs, de tous nos conformismes successifs, que nous devons détruire pour aller de l'avant, monter encore ; et, si nous tombons cent fois, de nous relever cent une fois. Plus généralement, Pessah rappelle à tout Juif son identité, son devoir de transmission et de “passage” du relais à travers les vicissitudes passées ou à venir.

     

    CHAVOUOTH

    Semaines”

     

    GENERALITES

    Pessa'h, Chavouot et Souccot sont des Atseret (assemblées solennelles), à l'occasion desquelles se tenait un pèlerinage au Temple de Jérusalem. Chavouoth intervient cinquante jours après Pessah, de même que la Pentecôte (“Cinquantième”) après les Pâques chrétiennes. Ce qui n'est pas une raison pour appeler “Chavouot” la “Pentecôte juive”, contresens total. Chavouoth, c'est la fête de la moisson, Hag ha-katsir, “fête de la récolte”, mais c'est aussi la commémoration de la réception de la Torah et des Dix Commandements, de la main même de Moïse, qui la tenait de Dieu en personne.

    HISTORIQUE

    C'était en l'an 2448 (1313 av. è.c. [“ère chrétienne” ou “ère commune”]. Au sortir d'Egypte, le peuple juif fut guidé dans le désert jusqu'au mont Sinaï. “Pendant leur marche dans le désert, les Hébreux ont été guidés par la shékinah (colonne de nuée), qui s'est immobilisée au pied du Sinaï. Là, Moïse, comprenant que Dieu leur ordonnait de s'arrêter, donna l'ordre de dresser les tentes. Le tonnerre se fit entendre, des éclairs sillonnèrent le ciel, le peuple fut saisi d'épouvante. La montagne du Sinaï était toute en fumée et tremblait avec violence, car Dieu y était descendu au milieu du feu (Exode, 19, 18). Et la voix de l'Eternel se fit entendre, solennelle, et prononça les paroles de la Torah : “Je suis l'Eternel, ton Dieu ; tu n'auras pas d'autres dieux devant la face” (Exode, 19, 18. ) Moïse reçut les Tables de la Loi, et cela se passait sept semaines après le départ d'Egypte, d'où le nom de Chavouoth (“les semaines).

    Il est cependant à noter que nulle part, la Torah n'évoque ce jour en tant que “Mattane Torah”, “jour de la Révélation”.

     

    LE “ÔMER”

    Ômer : ce mot signifie “gerbe” et désigne l'offrande d'orge nouveau présentée au temple au soir du premier jour des festivités de Pessah, au coucher du soleil. Ce mot désormais désigne à compter les cinquante jours qui séparent Pessah, moment de la liberté, de Chavouoth, fête de la

    réception de la Torah (cette période séparant les deux fêtes, du deuxième au trente-troisième jour, peut se considérer comme un demi-deuil : une épidémie a tué ces jours-là 24 000 disciples du rabbin Aqiva au deuxième siècle de notre ère ; le 33e jour, marquant la fin de cette épidémie, est un jour de fête).

    RITES

    A l'époque du temple, on sacrifiait un taureau. On présentait donc la première gerbe d'orge de la communauté, soit les “prémices” de la récolte. Puis on lisait une action de grâces. On pouvait aussi offrir les sept produits agricoles mentionnés à Deutéronome, 8, 8 : froment, raisin, figue, grenade, olive, miel et dattes. Ces prémices étaient distribuées aux prêtres de service ce jour-là.

    La veille au soir, les femmes et les jeunes filles allument les bougies. L'office du soir a lieu,

    Pour commémorer le don de la Torah, certains fidèles veillent toute la nuit au sein de la synagogue pour étudier les textes, certains même, dit-on, dans l'espoir de voir le ciel s'entrouvrir !

    Le lendemain, hommes, femmes et enfants se rendent à la synagogue afin d'écouter le Décalogue, ou les Dix Commandements. Mais il n'y a pas de rituel à proprement parler. On lit également le livre de Ruth, arrière-grand-mère de David, et morte ce jour, car une grande partie de ce livre se déroule à l'époque des moissons : souvenons-nous du poème de Victor Hugo “Booz endormi” - “il [Booz] lui offrit [à Ruth] du pain grillé, elle mangea, se rassasia et en laissa.“ Les grains grillés, pris directement des gerbes, étaient la nourriture principale des moissonneurs.

    La journée, c'est au tour des Psaumes d'être lus, car Chavouoth est aussi l'anniversaire de la mort de David, auteur de nombreux psaumes. Or, dans le Nouveau Testament chrétien, Actes 2,1, les croyants juifs étaient en pleine fête de Chavouoth quand l'Esprit Saint serait descendu sur les disciples de Jésus...

    QUELQUES COUTUMES

    En Israël, la fête des moissons est célébrée avec une ampleur particulière, surtout dans la région d'Haïfa et dans les kibboutz ; mais ces derniers n'existent plus beaucoup dans les formes qu'ils avaient à l'origine...

    C'est le début de la moisson des blés, on chante le Hava naguila connu dans le monde entier : Translittération Texte Hébreu Traduction française

    Hava naguila הבה נגילה Réjouissons-nous

    Hava naguila הבה נגילה Réjouissons-nous

    Hava naguila venis'mekha הבה נגילה ונשמחה Réjouissons-nous et soyons heureux

    (répéter une fois)

    Hava neranenah הבה נרננה Chantons !

    Hava neranenah הבה נרננה Chantons !

    Hava neranenah venis'mekha הבה נרננה ונשמחה Chantons et soyons heureux

    (répéter une fois)

    Ourou, ourou akhim ! !עורו, עורו אחים Réveillez-vous, réveillez-vous, frères!

    Ourou akhim b'lev sameakh עורו אחים בלב שמח Réveillez-vous frères avec le cœur allègre

    (répéter cette ligne trois fois)

    Ourou akhim, ourou akhim! !עורו אחים, עורו אחים Réveillez-vous, frères, réveillez-vous, frères!

    B'lev sameakh בלב שמח Avec le cœur allègre – c'est au point que certains considèrent ce texte comme l'hymne même des juifs...

    C'est non seulement la fête des moissons, mais aussi celle du fromage, que l'on déguste sous toutes ses formes. Le matin, on prend un repas à base de lait. Certains versent de l'eau sur les passants, selon la coutume marocaine. En Tunisie, on préparait la kléya : mélange de grains secs grillés “dans un torréfacteur au feu de bois qu'on tournait à la manivelle” : de l'orge, du lin, des pois chiches, des cacahuètes, des amandes... Les enfants consommaient des biscuits de formes variées : les tables de la Loi, une échelle qui a dû permettre à Moïse d'escalader le Sinaï, un cône (le Sinaï lui-même), la main qui écrivit la Torah, une corbeille symbolisant l'offrande de prémices, etc. Il est d'usage aussi pour Chavouoth de décorer sa maison avec des fleurs.

    SIGNIFICATION DE CHAVOUOTH

    Chavouoth signifie “semaines” parce que durant 7 semaines le peuple juif s'est recueilli afin de recevoir la Torah – mais le Veau d'Or ??? On peut dire aussi que les moissons duraient sept semaines, au milieu de grandes réjouissances (Jérémie 5,24) – le don des fruits de Chanaan symbolisant la générosité de Dieu, tant sur le plan matériel que sur le plan spirituel. Cela signifie aussi “les serments” : c'est par le don de la Torah que le peuple juif devient véritablement le peuple juif, témoin du message de Dieu devant les autres nations (de même, la Pentecôte représente la véritable naissance de l'Eglise chrétienne)(nous pourrions même établir un parallèle avec l'institution de la charia musulmane). Les dix commandemants (les dix “paroles”, d'où “Décalogue”) se composent de cinq “dévarim” traitant de la foi juive dans ses aspects spirituels (“Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face”), les cinq derniers correspondant à des lois morales et civiques (“Tu ne commettras point d'assassinat - Tu ne commettras point d'adultère”, etc.) : ainsi se trouvent reliés les choses d'en haut à celles d'en bas. Il s'agit donc du jour de l'insertion du terrestre dans le divin, et par conséquent de celle du politique dans le religieux.

    Tout est prévu par la Torah, l'intégralité de la vie de chaque juif : il est facile en effet de l'interpréter dans un sens intégraliste. Pour l'érudit, c'est aussi une somme historique, poétique, voire prophétique, d'où rien ne se peut isoler - une conception d'ensemble de l'existence juive : “Tout est Torah”. D'ailleurs, “gravé”, “harout”, se lit également “‘hérout”, la liberté : “Ne lis point ‘harout, dit le Talmud, mais plutôt ‘hérout, car n’est vraiment libre que celui qui se consacre à la Torah.” Or, Chavouoth est la fête la moins célébrée de la communauté juive ; aucun rituel particulier ne se déroule à la synagogue. Et pourtant, sans Chavouoth, aucune autre fête n'aurait lieu d'être célébrée, aucun fondement de la religion n'aurait été institué ! Certains rabbins nous démontrent que cette réception de la Loi, transmise oralement de génération en génération (Moïse reçut à la fois les Dix Paroles, puis la totalité de la Torah, sous forme d'abord écrite puis orale) – réception enrichie par les commentaires des exégètes (le midrasch) se passe à tout moment et en tout lieu, hors de toute délimitation spatiale ou temporelle – ce serait pourquoi nulle réunion particulière ne se déroulerait à la synagogue proprement dite.

    Certains vont même jusqu'à affirmer que la Torah est antérieure à la création du monde, puisque c'est l'expression de la volonté de Dieu : “[Il] regarda dans la Torah et créa le monde”.

    Ce sont les actions des croyants qui représentent réellement et matériellement la volonté

    de Dieu : “Chaque juif reçoit ensuite la Torah selon sa propre manière et selon son propre rythme” disait le Rabbi de Kotzk.

    Simplement, ce jour-là, méditons sur la nature de Dieu, de sa Révélation et du Contrat de mariage en quelque sorte, de fidélité, que nous avons avec lui : “Naassé vénichma” - "Observons, puis ( ou “en même temps”) essayons de comprendre", ou encore : “ce qui nous fera comprendre" – comme le dit le chrétien Pascal : “Agenouillez-vous, et vous croirez...” Le mystère de l'Incarnation chrétienne, justement, n'est pas autre chose lui non plus que ce reflet de la terre dans le ciel, et du ciel sur la terre, que les religions, mono- ou polythéistes, ont toutes découvert. Ce ne sont pas seulement les lois humaines qui se trouvent corroborées, originées dans les prescriptions divines, mais bien la structuration du monde lui-même, voire son essence. Nous assistons ainsi à un décalque, à une équivalence, à un emboîtement de la loi humaine, de la loi divine et la la loi des Univers eux-mêmes.

    Ainsi donc ce qui semblait différencier les religions n'est plus qu'une affaire d'éclairage, de circonstanciel : ici le Christ, là Moïse, là encore Mahomet inspiré par Gabriel, ne font plus que figurer sous une forme plus ou moins mythique le sens même de l'appartenance à la communauté humaine : un rassemblement de “poussières d'étoiles” conscientes de leur rattachement à quelque entité supérieure...

    Ce qui navrera certains fidèles de telle ou telle religion réjouira ceux qui ne veulent voir dans les phénomènes religieux que les variations d'une même intuition universellement partagée...

     

    HANOUCCAH

     

     

    HISTOIRE

    Aucune source biblique ne mentionne l'origine de cette fête.

    Le roi grec de Syrie, Antiochus IV Epiphane (“le Splendide”) (-175 / -164) occupe la Judée. Avec le soutien de certains juifs (les sadducéens, qui remettent en question la brit mila elle-même (la circoncision) et l'observance du shabbat), il veut helléniser par la force la vie quotidienne de l'ensemble du peuple juif (ce qui est contraire à tout l'esprit grec, même envers les “barbares”...). On finit par le surnommer l' “Épimane (l'Insensé). Il installe un autel du dieu Baal Shamen dans le temple de Jérusalem, ordonnant même d'offrir des porcs en holocauste ! Eléazar, docteur de la Loi, âgé dit-on de 99 ans, est mis à mort, ainsi qu'Hannah et ses sept fils, martyrisés. (Vers l'an – 800, dix tribus d'Israël avaient été déportées en Babylonie, où elles s'assimilent rapidement ; en – 670, Nabuchodonosor détruit Jérusalem et son temple ; les Juifs sont à nouveau déportés, mais peuvent respecter leurs coutumes religieuses (plus tard Cyrus, roi de Perse, a permis que les Juifs rejoignissent leur pays pour y reconstruire leur temple) - ce n'était donc pas la première fois que le peuple juif avait dû affronter des ennemis beaucoup plus puissants, mais la lutte n'avait jusque là jamais pris un tel caractère ; un jour de shabat donc, , Antiochus Epiphane entra dans le temple de Jérusalem, “tua tous les Juifs fidèles à leur Dieu. Il mit à sac tous les objets sacrés ainsi que le trésor qui contenait les dons du peuple. Puis la statue de Zeus fut placée dans le Temple, et les Juifs contraints de prendre part, avec les prêtres hellénistes, aux sacrifices idolâtres en l'honneur de Zeus”. (Nous ne pouvons cependant nous empêcher de considérer avec une certaine stupéfaction un Hellène se comportant de façon si opposée à ce qui a toujours constitué le génie proprement grec, celui de la tolérance et de l'ouverture d'esprit).

    Toujours est-il que dans le petit village de Modin, Matathias, de la famille sacerdotale des Hasmodéens, donne le signal de la révolte en tuant un collaborateur qui acceptait de sacrifier à sa place. Les combats furent acharnés. L'armée comprenait en particulier tous les membres de la

    famille des Macchabées (leur nom signifie “marteau” ; leur drapeau portait la phrase suivante : Mi Khamokha Baélim Adonaï : "Qui est comme toi parmi les dieux, Eternel ?" ...Les “Helléniques” furent vaincus, malgré les fameux stratèges grecs Nikanor et Gorgias. Les Juifs alors détruisirent la statue de Zeus, purifièrent le temple de toute la graisse des sacrifices idolâtres, et rallumèrent les lumières du sanctuaire.

    Se produisit alors ce que l'on appelle « Miracle de la fiole d'huile » : bien qu'il ne restât que pour une journée d'huile, cette quantité suffit à maintenir la flamme durant huit jours entiers dans le luminaire sacré, le temps d'en préparer d'autre. Ce n'est pas tant la victoire militaire qui importe, mais ce miracle de l’huile. C’est pourquoi la mitsva, l' “obligation” de cette fête est l’allumage des lumières de Hannouca. Hélas, une guerre fratricide naquit entre les partisans de l'ancien ordre et ceux de la nouveauté. Certains n'ayant rien trouvé de mieux que d'en appeler aux armées romaines pour arbitrer le conflit, ces dernières conquirent la Judée, d'où une nouvelle destruction du temple et un second exil des Juifs...

    RITE ET LITURGIE

    Dans la amida (“prière debout”) des trois offices quotidiens (élément central de tous les offices juifs, “la prière par excellence”), et pendant les prières de grâce à la fin des repas, on rajoute la prière Al hanissim (“Pour les miracles”). Pendant l'office du matin, on rajoute le Hallel, qui sont des actions de grâce, tirées des Psaumes 113 à 118. Et chaque jour, on récite à la synagogue un passage particulier de la Torah. Le soir, les Ashkénazes, après avoir allumé les bougies de Hanouccah, entonnent le “Maoz tsour”, “Puissant rocher”, cantique populaire composé en Allemagne au XIIIe siècle (« Forteresse rocher de mon salut,

    vers Toi il convient de louer.

    restaure la Maison de ma prière

    et là, le sacrifice d'action de remerciement nous sacrifierons.” ; d'autres récitent le Psaume 30.

     

    COUTUMES

    Chaque famille expose à sa fenêtre un chandelier à huit branches , la ménora de hanoucca ou “hanoukia”. Le premier jour (soit bien sûr la veille au soir), allumage de la première bougie, à l'aide d'une neuvième bougie, appelée “chammach”, 'lumière auxiliaire”); et ainsi de suite, tout au long de la première semaine. Les familles disposaient jadis cette lumière non pas à l'intérieur d'une synagogue, mais à l'extérieur de leur domicile, sur le pas de la porte, dès la tombée de la nuit, et “jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de passant dans les rues”. Que les fidèles, au moins, demeurent auprès d'elle pendant une demi-heure...

    Certaines communautés consacrent le sixième jour aux femmes, en l'honneur de la mère des Macchabées, Hannah, qui fut martyrisée après ses fils ; les juives de Salonique en particulier préparaient des plats sucrés et se réunissaient, sans les hommes ! afin de régler les éventuels différends survenus entre elles au cours de l'année... La coutume, en tout cas, est d'offrir à tous des beignets à la confiture. Les enfants ashkénazes recevront volontiers une petite somme d'argent, le Hanouccah Guelt... qu'il est interdit de compter à la lueur des bougies... Autre cadeau : des toupies

    angulaires, sur les faces desquelles sont inscrites les premières lettres des mots “Un grand miracle est arrivé là-bas”, en yiddich. C'est le jeu du sévivon. On mise de l'argent, ou des bonbons. Le noun signifie nicht : "rien": Le guimel, gants : "tout". Le hey, halb : "moitié". Le shin signifie shtelen, "miser"...

    SIGNIFICATION DE HANOUCCAH

    Cette fête, de la “re-dédication” (du temple), symbolise la victoire sur les ténèbres. Mais elle a trop souvent tendance, aux yeux des traditionalistes, à se substituer à celle de Noël, pour les enfants qui vivent dans un milieu chrétien. C'est aussi en raison de cette proximité dans le calendrier qu'elle est bien plus célébrée qu'autrefois... Cependant les familles hésitent à s'afficher comme juives en exposant la “hanoukia” sur le pas de leurs portes...

    Hanouccah est donc historiquement la première confrontation à une réelle menace d'absorption, d'assimilation d'ordre culturel. Ce n'est pas ici l'extermination, mais l'assimilation qui menaçait déjà en effet en ces époques antiques l'identité juive. Les Juifs s'étaient approprié tout un mode de vie exclusivement hellénique, afin de se faire accepter. La culture hellénique était le

    modèle dominant. Athènes célébrait la puissance du génie humain, la splendeur du corps, le plaisir des yeux, mais aussi la corruption. Si la famille sacerdotale des Macchabées ne s'était pas révoltée, incitant à prendre les armes, le judaïsme eût été en grand péril de disparaître.

    Aussi les petites lumières de la hanoukiah, dans leur isolement, symbolisent la communauté juive unie dans l'obscurité, au-delà des conflits, pour tenir tête à l'adversaire commun. Le Hallel (“chant de grâce”) manifeste la joie du peuple juif et sa reconnaissance envers les miracles de Dieu. Les Juifs n'auraient garde d'omettre, tous les ans, la célébration de Hanouccah. En effet, les docteurs de la Loi ont dit : “Si toutes les fêtes sont supprimées un jour, la fête de Hanouccah continuera à être célébrée avec joie dans nos maisons et nos cœurs seront illuminés par ses lumières.” Tandis que la ménorah s'allume à l’intérieur, et de jour, la hanoukia s'allume vers l'extérieur, et de nuit, depuis notre monde intérieur et spirituel vers le monde extérieur et matériel. Les flammes de Hanouccah évoquent la valeur morale, les sentiments nobles et constants que l'âme juive puise au sein de la Torah.

    C'est ainsi que depuis 165 avant l'ère commune, cette fête rend régulièrement hommage aux héroïques martyrs de la foi et de la culture juives : fête de la lutte contre l'assimilation, question toujours essentielle dans la conscience de la judéité : harmonie ou identité ? Dernièrement encore, les autorités éducatives d'Israël ont très mal pris l'initiative de certains lycéens, qui voulurent fêter Hanouccah en utilisant nombre de symboles chrétiens, pour faire plaisir à leurs camarades chrétiens. Aux États-Unis, certaines familles "mixtes" ou assimilées garnissent des Hanukkah bushes (buissons de Hanoukkah, bien proches des arbres de Noël...) et s'échangent des “happy choliday” avec le “het” de “hanouccah”, voire des “chrismukkah ») – aimons-nous tous, “Dieu reconnaîtra les siens...”

     

    P O U R I M (“les sorts”, “les hasards”)

     

     

    GENERALITES

    Cette désignation commémore le lancer de dés qu'effectua Haman, afin de connaître la date la plus favorable à l'extermination des Juifs de Perse. Il descendait de la tribu d’Amalek, réputée pour son hostilité aux juifs. Le premier, il médita une “solution finale” : une extermination. Et pour que cela ne lui portât pas malchance, il tira au(x) sort(s) (“Pourim”) le jour le plus favorable : ce fut le 13 Adar. Or Esther convainquit le roi Assuérus de bannir son mauvais conseiller. Comme Hanouccah, la fête de Pourim est classée parmi les moins importantes de celles qui sont prévues dans la Torah. Mais elle demeure très populaire.

     

    DATES

     

    La célébration annuelle de la fête par les juifs, “jour du festoiement et de la joie”, a lieu le 14 ou le 15 adar du calendrier hébraïque (février ou mars selon les années). Voici les dates où les juifs célébreront Pourim :

    Certaines années, il y a deux mois de adar. On choisit alors le second, tandis que pendant le premier prend place le « Pourim Katan », « Petit Pourim ».

    HISTOIRE

    Cyrus autorisa les juifs à retourner à Jérusalem. Il restait cependant une forte population juive en Perse, en particulier à Suse, la capitale. Or Assuérus (485 à 465 avant l'ère courante), petit-fils de Cyrus, répudie son épouse Vashti. Ce souverain est identifié à Xerxès Ier, le "grand Roi" de Perse. Pourim fête la victoire d'Esther (“la Secrète”) sur la cruauté du souverain.

    Haman, mauvais et puissant conseiller, intervint auprès de lui pour faire massacrer tous les Juifs de Perse, afin de se venger d'un certain Mardochée C'était un important serviteur du palais, qui avait révélé un complot d'eunuques visant à assassiner le roi. Or la cousine de ce Mardochée, Hadassah “Esther”, devait épouser Assuérus, qui avait répudié sa femme précédente (Bat Avigaïl) en découvrant son origine juive. Mordékhaï (Mardochée) persuade Esther de parler au roi sans qu'il le lui ait demandé, crime de lèse-majesté puni de mort ; Esther pria et jeûna trois journées, en demandant aux Juifs de l'imiter. Pendant ce temps, Mardochée parcourt la capitale, Suse, couvert de cendres, afin d'avertir le peuple élu de sa dispatition prochaine et de l'inciter à la révolte.

    Esther ne fut pas exécutée, mais c'est Haman qui sera pendu à la potence originellement préparée pour Mardochée...

     

    RITE ET LITURGIE

     

    Il n'est pas obligatoire, mais simplement recommandé de ne pas travailler à l'occasion de cette fête. Le rite le plus intangible consiste à lire ce jour-là le Livre d'Esther en entier : on déroule la méguillah (le rouleau) qui y correspond. L'assemblée récite à haute voix, avec le lecteur, l'origine et l'ascension de Mardochée. Les femmes entendent obligatoirement cette lecture parce qu'« elles aussi furent impliquées dans ce miracle. » Mais la plupart des communautés orthodoxes, y compris orthodoxes modernes, n'autorisent cependant pas les femmes à lire la Meguila, sauf cas rares : devant des femmes.

    Ces prières ont lieu dans une atmosphère de grande liesse. L'assistance à la synagogue en effet ne reste pas nécessairement silencieuse et recueillie. Il est même courant que tous agitent d'énormes crécelles et poussent des huées sitôt qu'on entend le nom de Haman, le mauvais ministre. Ce jour-là on se déguise, mais il ne faut pas pour autant négliger la vénération dont on entoure l'héroïne du jour, Esther : un jeûne est recommandé la veille, en souvenir de celui qu'avaient observé Esther, avant de se présenter devant le roi, .et ses servantes, ainsi que tout le peuple juif. Mais sans téchouva, sans “retour à Dieu”, le jeûne est évidemment absurde.

    Pourim est enfin à l'origine de beaucoup de compositions religieuses, dont certaines ont été incorporées à la liturgie, ainsi que d'un grand nombre d'hymnes chantés durant le service public.

     

    COUTUMES ET TRADITIONS

    Le Livre d'Esther recommande “l'envoi de cadeaux les uns aux autres, et de dons aux pauvres”. Les juifs doivent envoyer des cadeaux comestibles à au moins trois amis. A la synagogue, on fait des quêtes pour les nécessiteux, même les non-juifs. Au repas, on prépare des gâteaux de formes spéciales ; ainsi les juifs d'Allemagne mangent des “Hamantaschen” et des “Hamanohren” (“poches” et “oreilles” de Haman) (en Italie, “orecchi d'Aman”), etc. Le Talmud invite à boire pendant Pourim jusqu'à ce qu'on ne puisse plus distinguer “maudit soit Haman” de “béni soit Mardochée” (“Arour Haman”, “Baroukh Mordekhaï”) ; “il ne s'agit pas de rouler sous la table, mais d'atteindre un niveau qui fait comprendre des notions au-delà de leur simple énonciation” - bénie soit la souplesse de la casuistique !

    En Italie, les enfants se battaient en se lançant des noix, Dès le cinquième siècle on brûlait sur l'échafaud un pantin à l'effigie d'Haman, en sonnant de la trompette. D'où la colère des chrétiens, qui voyaient là une façon détournée de ridiculiser Jésus et la croix. Les rabbins essayèrent d'abolir ces coutumes, sans grand succès, même avec le concours des autorités locales, à Londres, en 1783...

    Au XIIe siècle, on écrivit les noms de Haman et de son ancêtre Amaleq sur deux pierres, afin de frotter ces dernières l'une contre l'autre jusqu'à effacement des deux noms maudits.

    Comme nous le disions plus haut, des drames, des jeux (“Purimspiele”) furent composés, représentés au cours des siècles, en hébreu et en d'autres langues, avec le dessein d'édifier par le rire. Mais ce ne fut bientôt qu'un prétexte, et donna plus tard naissance à la comédie yiddische. Ces satires étaient jugées inappropriées pour les synagogues. Cependant les hassidim de Bobov n'ont jamais cessé de jouer leurs Pourimspieln, tous les ans, à minuit, dans les synagogues de Brooklyn.

     

    LE DEGUISEMENT

    “Pendant Pourim tout est permis”. Cependant on évitera les blagues salaces, afin de respecter la “tsénioute” (“la pudeur”) ; de même, “une femme ne portera pas d'habillements d'hommes, et un homme ne mettra point de vêtements de femmes ; car quiconque fait ces choses est en abomination à l'Eternel, ton Dieu” - or le travestissement est attesté à Venise en 1508, et il existait sans doute quelque temps auparavant. Pourquoi ces déguisements ? ...les méprises et quiproquos ont joué un grand rôle dans le Livre d'Esther : Esther cache au roi, elle aussi, ses origines judéennes; Mardochée

    connaît en secret certaines langues étrangères, comprenant ainsi Bigtan et Teresh évoquant ouvertement leur complot. Enfin, Haman suggère au roi comment rendre gloire à la personne que le roi veut honorer… il pense à lui-même, et ce fut Mardochée que l'on honora, Haman que l'on pendit... : "venahafo’h hou", “et le contraire se passa”...

    Cependant, en Orient, on ne se déguise pas. De nos jours, les villes israéliennes organisent des défilés de Pourim.

     

     

    SENS DE POURIM

    L'épisode d'Esther est le seul où le nom de Dieu n'est jamais mentionné ; mais il est toujours présent, soit sous la figure du roi, soit dissimulé, lui aussi, dans l'enseignement de la vie quotidienne. Les évènements eux-mêmes traduisent l'aide miraculeuse et il n'y a pas de prodige merveilleux et non naturel : D.ieu mène tout le cours des événements. Quant au magicien Amane, détenteur par conséquent de la plus grande influence à la cour de Perse, il prétend détenir la vérité universelle, un peu l'équivalent de nos grands politiques actuels... Pourim nous apprend à ne pas les craindre. Esther “la cachée” symbolise l'impuissance apparente des forces du bien, menacé, mais qui finit par triompher, avec ses propres armes, contre la médisance (lachone ha râ), et le regard mal intentionné (le âyine ha râ). Obstinons-nous dans la confiance en Dieu, et croyons en nos amis...

    Le déguisement : n'oublions pas que le choix d'un masque en dit souvent bien long sur la personnalité de celui qui le choisit...

    Bien sûr, il ne manquera pas d'exégètes pour appliquer à la situation contemporaine des sujets de réflexions se rapportant à Pourim : le conflit israélien ne fait qu'instrumentaliser les rivalités entre puissances ennemies ; nous avons lu des vœux pieux : “que ce Pourim soit aussi une libération intérieure pour l'Iran ; et qu'ils ressentent l'émotion qui est passée entre le roi de Perse et la reine Esther.” Mais ce qui touchera toujours les exilés de tout bord, c'est ce serment solennel qui fut composé à l'occasion de la déportation du peuple juif après la conquête babylonienne : « Si je t'oublie Jérusalem, que ma droite me refuse son service; que ma langue se colle à mon palais si je ne place Jérusalem au faîte de ma joie » (Psaume 137, 5-6).

     

    C'est pourquoi, chaque fois que la communauté juive s'estima tirée de justesse d'un mauvais pas,

    elle institua un certain nombre de POURIM PARTICULIERS. Car les dangers auxquels les juifs ont échappé sont aussi divers que les lieux qu'ils ont occupés en galoutt, en exil.
    Rappelons quelques-unes de ces circonstances :

     

    POURIM DE NARBONNE

    Un juif ayant tué un chrétien lors d'une grave dispute, les chrétiens de Narbonne voulurent se venger sur l'ensemble de la communauté. Elle ne dut son salut qu'à l'intervention de Dom Aymeric, gouverneur de la cité, à la tête des autorités municipales... et d'une bonne troupe de soldats...

     

     

    POURIM D'ALGER

    Après l'expulsion des juifs d'Espagne en 1492, et, plus tard, du Portugal, nombre de juifs trouvèrent refuge en pays musulman, où ils n'étaient pas persécutés. En 1541, les armées espagnoles de Charles-Quint s'emparèrent de Tunis et massacrèrent 70 000 habitants, parmi lesquels de nombreux juifs. Cette même année, ce souverain met le siège devant Alger. La population juive, terrorisée, envahit les synagogues pour se livrer à) la prière. Or le 23 octobre, une tempête détruit la flotte assaillante, qui doit se retirer. On célébra longtemps ce pourim dans la ville d'Alger.

     

    POURIM D'AVIGNON

    Les circonstances de l'établissement du pourim d'Avignon sont extrêmement révélatrices de tout un état d'esprit, en plein siècle des Lumières, soit le 17 février 1757. C'est l'histoire d'un Avignonnais qui rentre chez lui de nuit, sans éclairage nocturne, en traversant le quartier juif. Or il tombe la tête la première dans un puits ; par chance il se bloque, et parvient, en se retournant, à la force des bras, à sortir de là sain et sauf. Et savez-vous pourquoi la communauté juive célébra cet heureux évènement ? Parce que si l'homme était mort, la population n'aurait pas manqué ce prétexte de se retourner vers la population juive, rendue collectivement responsable, pour se livrer à l'un de ces massacres dont notre histoire est si coutumière. Imaginons la terreur sourde et permanente où devaient vivre de telles communautés.

     

    POURIM DE FOSSSANO

    A Fossano, c'est encore à un massacre que les juifs échappèrent en 1796, lorsque les habitants les rendirent responsables du siège et de l'attaque de leur ville : ne se réjouissaient-ils pas tous lors de la fête de Pessah, qui tombait ces jours-là ? Toute une multitude, en proie à la plus vive fureur, se rendit à la synagogue, lorsqu'une bombe s'abattit sur ladite synagogue, sans faire de victimes – la peur changea de camp, et les prétendus chrétiens s'enfuirent... en abandonnant le butin subtilisé dans leur traversée du ghetto ! Ce fut le jour du “miracle de la bombe ».

     

    D'autres pourim célébrèrent des faits similriares : pourim des chrétiens à Ceuta, Tétouan et Tanger, l'armée portugaise ayant été mise en déroute, en 1578, à la Bataille des Trois Rois, pourim d'Oran en 1830. Signalons enfin le pourim de neige, où le quartier juif (le hara) de Tunis fut épargné par les fortes chutes de neige ayant occasionné de forts dégâts dans les autres parties de la ville...

     

    POURIM FRIMER (du nom de son fondateur)

    Le dernier “pourim” est d'ordre privé. Il fut instauré par le rabbin Frimer, à New York, 33 ans après la Shoah. La famille Frimer voulut ainsi remercier Dieu de l'avoir épargnée lors d'une prise d'otages, à l'occasion d'une rencontre entre Itzhak Rabin et du président Jimmy Carter. Le commando disposait d'armes blanches et d'armes à feu. Un journaliste fut tué. Des menaces de mort furent proférées. Les otages furent regroupés au huitième étage, pieds et poings liés. Après 39 heures, ce ne furent pas moins de 130 otages qu'on libéra, sains et saufs. Un conseil de famille adopta l'instauration d'un pourim, qui fut célébré pour la première fois en 1978 ; c'était le premier à se relier à l'histoire des Etats-Unis. Le rabbin Frimer mourut en 1993 à l'âge de 77 ans.

     

    POURIM CONTEMPORAIN ?

    Certains voient la Première guerre d'Irak et la victoire américaine comme un signe de Dieu : la force aérienne de Saddam Hussein fut anéantie, et aucun Israëlien ne mourut malgré la chute de 39 missiles. Ce serait le Pourim d'Eréts Israel... qui pendant la guerre précédente, opposant l'imam Khomeïny à l'Irak, avait livré secrètement des armes à l'Iran...

     

    QUESTIONS

    Les historiens ont bien du mal à trouver une preuve de l'histoire de Pourim, qui ressemble, jusque dans les noms propres, aux légendes d'Ishtar et Mardoukh, divinités babyloniennes. Ne s'agirait-il pas plutôt d'un sentiment persistant d'insécurité, d'anéantissement, ayant accompagné le peuple juif tout au long de son existence, et qui trouve dans ce mythe une façon de l'exorciser ?

    ...L'essentiel, en dehors de toute préoccupation mystique, restant de célébrer du mieux que l'on peut, dans une atmosphère festive, la survie du peuple juif à travers toutes les vicissitudes d'une histoire tourmentée...

     

  • L'EPHEMERIDE

    C O L L I G N O N

    L’É P H É M É R I D E

    Maurois, La vie de Disraëli

    Lorsque les circonstance contraignirent Lord Seldorf à rédiger le cours de sa vie, la patience avec laquelle il e'était efforcé de rassembler les évènements du jour au cours des années trouva enfin sa justification. Il avait cependant négligé les subtils mouvements de l'âme au profit des brutales indications des faits saillants, indications elles-mêmes elliptiques. La plupart de ces souvenirs s'étaient envolés, si bien qu'il ne lui restait plus de sa vie non pas les plus solides linéaments directeurs mais une espèce de filet de pêche évanescent d'où les jours s'échappaient, transparents comme des flocons fondus. Il s'était plusieurs fois livré à cet exercice ingrat : revoir, dans l'ordre chronologique de ses carnets, le jour même qu'il vivait transposé dans une année antérieure.

    Cette fois-ci, il en écrirait. La première année remontait à ses 15 ans 2 mois 19 jour, en ce premier janvier 1960. Jusqu'à une période récente, ce petit carnet bordeaux foncé se situait en haut à gauche de son armoire de bureau. Mais les carnets s'écroulaient de là-haut, malgré ses exclamations mystérieuses, et le premier d'entre eux avait disparu dans ces perpétuelles remises en place. Ses parents avaient été contraints de déménager.

    Mais en 1960, la famille D. logeait encore au premier étage du 5 rue Balzac, visible sur une photo noir et blanc de l'agglomération "tangéroise" ou tingitane. C'étaient des souvenirs terribles et tumultueux, qui bouillonnaient sous les dalles du crâne. Il n'était qu'un enfant, mais la différence d'âge le rendait passible d'un internement de rééducation. Lord Stanley Junior, qui adoptera différentes identités (que le lecteur en tienne compte) se rabattit en attendant sur 1961 : rouge terni, dos rafistolé aux bandeaux de Scotch, et depuis peu une étiquette indiquant l'année. Dany 10 000, 1000,10 000 : barré, à l'envers. Danièle R. peut-être ?

    Il faudra changer tous ces noms. Les adresses se succèdent : 14 rue de Verdun, 24 rue Lafayette, 8 rue Quevedo - quatre ans, quatre domiciles : la folie de sa mère. Son père exerçait à l'école Berchet. Ils n'auront fréquenté que des Français, côtoyé que des Espagnols. Voici le calendrier, avec la mention des anniversaires : 8 janvier, Saëns-Segré.


    COLLIGNON L’ÉPHÉMÉRIDE

    16 11 2009 (65 11 16)


    Il manque un texte enfoui. Devant les autres je ne suis rien, et on le saura.

    En 1962, mon père atteint 52 ans. Il est impossible à d’appréhender ce que c’était alors que 52 ans : une sclérose complète. J’en avais 18, vous en aviez 18. Advienne que pourra. Cherchons, en nous gonflant du col : la révolte gronde dans le monde. Le fils de mon père souffre et fait souffrir dans son internat de Bordeaux. Tous les chemins semblent coupés. Le jeune homme marque encore ses plaisir solitaires d’une croix de saint André. C’est un vendredi, jour de la Saint Edmond, avec un d. Nous sommes au Lycée Montaigne, réservé aux garçons. Il existe encore une vieille pédagogie, menant à l‘appellation « compo de philo ».   jours,existence,terne

    Le sujet en était : « L’esprit critique est-il destructeur ? » Taliv ceviea, - sans prononcer le « e » - ce qui signifie « sujet bateau ». Où l’on voit tout de suite que le « j » valant « l », à cette exception près, chaque consonne du français se voit remplacée par la consonne suivante (« s » donne « t », etc.), et chaque voyelle par la suivante (le « u » devient « a », en se raccrochant à la première voyelle, et ainsi de suite). Nous avons depuis perfectionné ce système. Mais en philo (pour en revenir à la), je ne brillai pas plus que d’habitude : cet internat où j’étais soumis convenait mal à ma précieuse nature, et je dus être bon dernier.

    Le premier trimestre se passa ainsi dans la déconfiture, et dès janvier, je rejoignais le giron familial, avec l’aide d’un enseignement par correspondance. C’était dur, l’internat. Houllalà. La colonie de vacances ne m’avait déjà pas réussi, mais la discipline internataire mit à rude épreuve les nerfs du déconneur et ceux de la pionicaille. Un moment de joie est toutefois signalé : le 3e match de basket entre ENSI 2 B’ contre Racine carrée de x-rhô. « ENS », « École Nationale Supérieure ». Cherchons qu’un sang impur, etc. Tiens ? GROSSE COUILLE ordinatoriale.

    Vive le progrès. Ordem e progresso. C’est à l’occasion de ce match du 16

    COLLIGNON L’ÉPHÉMÉRIDE

    16 11 2009 (65 11 16)




    novembre, dit Match de l’Anniversaire de Papa, que s’imprima le refrain (« ambiance sensationnelle », ai-je noté, « Les bizuths sont dans la merde », répété sur l’air de la Marche Lorraine (« Fiers enfants de la Lorraine » », etc.). Cette partie de panier ...



    65 11 27 – 2110 11 27

    Les textes s’envolent aussi bien dans la boîte informatique, j’allais écrire infirmatique. La mort (le mort) y mettra bon ordre. En ce 27 novembre 2065 Nouveau style, je prends possession du même 27 en l’année 2110, Très Nouveau Style. Ces ruses ne convaincront personne, et tout se retrouvera, comme les disparus en gare de Quimper, sur le quai, avec sa valise. En l’année 2110, notre héros, mineur encore, vivait chez ses parents et signalait ses masturbations par une croix au sommet de sa page du jour. Une analyse graphologique décèle chez lui de l‘obstination, un grand sens de la justice, mais aussi de la passivité : « Sa personnalité ne s’impose pas et pourrait se manifester avec plus de rigueur ».

    Il a fallu s’apprivoiser à tout cela. À la fin novembre, il fallait acheter une ampoule moins forte. Il fallait fréquenter la faculté, assister aux cours de grec (« de rattrapage ») de M. Duclos. C’était un personnage, plaisant, rondelet, qui écrivait ses omégas comme une paire de couilles pendantes. Il n’engueulait personne, et j’eus l’honneur de le déranger à son bureau, vêtu d’une veste outrageusement bleu marine, et lui parlant de mon avenir, tandis qu’il attendait mon départ en pensant à autre chose. Il avait fait cours devant un tableau couvert d’inscriptions fines : Duclos-porte, Duclos-chard, Duclos-pinette. Il tint bon jusqu’au bout de l’heure. Il s’en voulait encore d’avoir provoqué la mort de sa femme en voiture, éjectée qu’elle fut par ces portières d’autrefois qui s’ouvraient vers l’avant. Il blâmait les prétentieux qui trouvaient la Deux-Chevaux « purée », les estimant bienheureux. Il évoquait le cours de l’Intendance à Bordeaux, couverts d’éclopés de la Grande Guerre eux-mêmes escortées de femmes amoureuses de leur confortable (croyaient-elles) pension d’invalide.

    Duclos nous apprit à défricher l’apparat critique, par lequel en bas de chaque page grecque figurent les variantes des manuscrits qui nous sont parvenus : on les distingue par des initiales mystérieuses. Il répondit à un étudiant, qui voulait savoir comment distinguer les mots « avec un tau » des mots « avec un thêta », qu’il s’agissait d’une question d’orthographe ; mais que le grec ancien n’avait pas eu pour vocation de se calquer sur sa transcription française contemporaine… Il ne put convaincre Vayriès que son nom se prononçait « -ryès » en raison de l’accent grave, et non pas « Vayri » - « Non, répondait le Pyrénéen, c’est justement parce qu’il y a l’accent qu’il ne faut pas prononcer « -ryès ».

    Dialogue de sourd, où le petit Duclos fit semblant de s’incliner, car nous y serions encore. Et ce même jour, c’est écrit en rouge, je « suis allé vider » de la « confiture gâtée dans les chiottes ». Celles, sans doute, de ma cité universitaire. En rouge, pour qu’on s’en souvienne. Évènement marquant s’il en fut, seul digne de marquer ce 27 novembre d’une pierre vermillonne. Mais passons à plus sérieux. Fier-Cloporte (c’est moi) est allé passer l’après midi chez sa future et lointaine épouse. Il précise qu’il s’est « comporté comme une poire » : est-ce à dire qu’il ne lui a pas sauté dessus pour prouver sa virilité ? Qu’il aurait dû « la besogner séance tenante », cliché connu des pornographes ancestraux ?

    L’auteur de cette vie de jeune homme, dans la fleur de ses 19 ans, revient sur ce cours de grec : « nr one », où l’on s’est contenté de préciser « les heures de cours ». Les étudiants donnaient leurs temps libres, et la décision se fit à la majorité. C’est ce jour-là qu’après un repas au Central, restaurant universitaire, Fier-Cloporte eut l’idée d’amener sa conquête féminine au bistrot, et qu’il but un cognac. Et je me souviens aujourd’hui encore qu’il eut le courage d’embrasser sa future épouse, qui ne lu parlait encore que de « camarade », car c’était le terme dont se servait alors les jeunes filles lorsqu’elles voulaient se réserver le droit de se rétracter en même temps que la bite de leur soupirant.

    Cela se passa devant le Grand-Théâtre, j’ai fait connaissance du cousin « J.B. », (cousin de qui?) et de la tante « Yvonne », puis j’ai assisté à une séance de cinéma dans le «Grand Amphi ». Mais la confiture balancée dans les chiottes, à l’encre rouge ! je ne me le rappelle pas. Un jour prochain, personne ne saura plus s’il existe ou non, égaré parmi ses clones et se représentations vidéographique. Vous vous tuerez en images, et plus personne n’aura peur de la mort. « L’an 10 000 », me dit mon ami – l’An Dix Mille sera inimaginable (ou ne sera pas).

    Qui étaient donc cette tante Yvonne et son fils J.B. ?



    65 12 24 / 2111 12 24

    En 2111, j’étais pédé. J’étais nazi. Une croix gammée ornait et souillait ma quatrième de couve, « Néo-Fascisme-Européen ». En 111 j’avais vingt ans. J’avais cessé de me faire enculer depuis juin, je recommencerais en février suivant, une ultime fois avant de me marier, pour vérifier. J’ai fait mal à mon sodomiseur, car je n’avais plus récidivé. Les lettres de Mitterrand à sa bien-aimée sont d’une impudeur grotesque. On voudrait ne pas lire. Sauter les pages. Sauter ces étalages à la platonicienne. Ici je parle de trou du cul. Qui que tu sois ma mort nous sépare et me paralyse.

    Le nazisme est une esthétique. J’ai peur en écrivant cela. La haine du juif ne m’a jamais atteint. L’amour de la bite non plus. On m’injectait de la virilité,en la perdant selon les conventions. Je suis un brouillon. Le 24 décembre est la Ste-Émilienne. Au crayon : « Bond ». Hennebont Bretagne. « La duchesse refuse de se rendre », 1342, les renforts anglais libèrent la ville. 359e jour de l’année, reste 7, le compte est faux, année bissextile, chaque sodomie est marquée d’une croix gammée. Je détestais les femmes,je désirais les femmes. Confusion des nazis avec les Teutoniques. Des chevaliers qui s’enculent ne sont pas pédés, ils conquièrent ensemble leur virilité.

    Jamais je n’ai joué les grandes folles. Jamais je n’ai voulu tuer. Casser la gueule, si. Une fois. Sans résultat. Amphithéâtre Aline. J’y ai officié, dans la bouffissure. La Vieille Fille, de Balzac. Mosi mit Daractivit. J’avais un langage secret. «Lire les Caractères » de L.B. » Rien qui dût être caché. La culture me pénétrait. Je me fortifiais, je me nourrissais. Dans le total retranchement. Dans l’isolement. Pas de camarade. Une bite qui me troue et je me sens utile. Sans plus. « Grammaire grecque : - revoir points syntaxe des prépas, plus, systématiquement, conjugaison, morphologie ». Remparts. Remparts. Ne pas me piétiner. Nihil peius quam contemni. « Rien de pire que d’être méprisé » c’était ma devise.

    Une croix maudite, une virilité d’emprunt, connaissance et Jeu. Le soir, c’était Noël. Nous habitions à Mussidan. « Moche série TV : le barbu connard philosophe, verts

    pâturages, la Bible en Noir, CON. Cadeaux. Reçu ours, livres Balzac , etc... »


    66 01 06 2113 01 06

    Une année de plus. Je viens d’avoir 20 ans et je m’emmerde comme un rat mort. À la cité universitaire, les expériences se poursuivent avec Satfouilly. Les cours s’enchaînent aux cours. Épiphanie. Et pis Fanny. Justement non, pas de Fanny. Une queue. Ah mmmisère. Plaignons-moi. Le carnet reste tout petit, sa rédaction se fait en caractères d’imprimerie, avec du rouge pour les « évènements importants », les « rubriques ». Jugez-en : « Achat semelles intérieures. La vendeuse, au1er étage, n’a pu m’en trouver une 2e. » Voilà de quoi rester dans les mémoires. Pas dans celle de Fier-Cloporte.

    Le but est celui-ci : se souvenir, autant que possible, de chaque journée, de chaque heure, de chaque minute. Un Américain very quelconque s’est fait suivre ainsi et filmer par une caméra qui se déclenchait toutes les trente secondes. Il servira de base au documentaire à venir « Un Ricain moyen, An Deux Mille ». Il faudrait se présenter à saint Pierre avec le chapelet de tous ses jours passés, de toutes ses actions, autour du cou comme un chat pelé de saucisses. Et nous aurions vaincu le temps, mais pas le vide. On dit aussi « la vanité ». En ce temps-là Fier-Cloporte avait des amis loufoques. L’un d’eux est mort en 2029.

    Tous les cours ont été ratés, « sauf Audiat ». C’était quelqu’un. Tout petit, tout hargneux, tout pudibond. Vexé que je le reconnusse au sortir de Pouic-Pouic, film defunessien, et faisant son possible pour cacher son groin dans la foule. Fier-Cloporte s’était gondolé en toute innocence. Mais un grand professeur de grec de l’Université de Bordeaux ne devait pas être soupçonné de hanter ces films mal famés. Et tout le monde l’aimait bien, Audiat, même s’il foutait des notes négatives. Et quand un étudiant atteignait zéro, ce n’était déjà pas si mal. À 0° dans l’abri scientifique antarctique, les explorateurs se mettaient torse nu et dansaient autour du poêle et de leurs poils.

    À midi, Fier-Cloporte se trouvait en compagnie de Christine Taris, qui se branlait comme une salope afin de conserver sa virginité scientifique. Jamais F.C. n’aurait envisagé, ne fût-ce qu’un seul instant, la prendre par les épaules (et se recevoir un cours de morale dans la gueule). Jacques Hourcabie l’a fuie avec ses béquilles : qu’était -il arrivé à notre fils d’officier ? Il ne comprenait pas la satisfaction des réformés militaires :  « On leur annonce qu’ils sont mal foutus ! » - peut-être, mon capitaine, mais mieux vaut mal foutu que demi-dingue, avec des gueulements de gradés dans les oreilles à vous ratatiner le cerveau.

    Et le cœur, parfaitement. « Et le cœur, alouette... » Il connaissait un vicieux qui se faisait fondre le camembert sur son radiateur. Il parcourait le corps de sa belle en bandant, ce qu’il appelait « la betterave baladeuse ». La belle répondait « Je ne te désirerai que si je veux », et pas moyen, justement. Il était écœuré, le fils de capiston. Il découvrait les femmes. Les femmes, c’est comme ça. Et pas autrement. Et lorsqu’il m’a vu avec Christine, il a fui à toutes béquilles. Il la détestait, la craignait à ce point-là ? Cette jeune fille a failli devenir ma femme. « Pignon offre le café,après hésitations de bistrot, au Montaigne ».

    Si Fier-Cloporte a épousé Arielle et non Christine, c’est parce que Pignon, mort depuis, lui a conseillé la première au lieu de la seconde. Il hésitait, le Fier-Cloporte. Pignon a opté pour la malheureuse au lieu de la chieuse. Christine a fini prof d’allemand, elle a séjourné à Berlin, elle a trouvé son Siegfried, Ziggy ?

    Pignon – Haurcabie – Champagne – Collignon : reposez en paix.

    ...Je me souviens de Cathy Paroutaud, « pédante conasse pucelle prétentieuse méprisante ». Nous avons envahi sa chambre, peut-être ce jour-là, et Fier-Cloporte a subtilisé son courrier pendant plus d’un mois...


    67 01 18 18 01 19 2114 01 18


    J’en ai plus qu’assez de cette vie végétative, qu’on pourrait aussi bien appeler « pré-mort ». Explorons cette année 2114 où la vie m’irriguait. J’ignore ce que faisait ma moitié. Personnellement, je me rendais à la faculté des Lettres de Tours, poursuivre des cours de philologie. Un professeur s’appelait Arrivé. Plus tard il écrivit des choses passionnément chiantes sur un petit vieux qui examine les va-et-vient d’une mouche sur une nappe blanche : triste destinée ! Pour l’instant, il rase son monde avec son cours sur les déterminatifs. Nous sommes tous à noter, sur tout le premier rang, que « du rôti » équivaut à un «quantum de substance de rôti.

    Et tout le premier rang s’esclaffe, tellement c’est con, pédant et prétentieux – la fameuse trilogie dégressive de Proust.Il se vexe, ce con (Arrivé, Arrivé) : « Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? » - et de reprendre son expression en se rengorgeant. Assurément, le voici très fier d’avoir concocté un concept aussi abstrait, aussi scientifique. « Annie m’ouvre la porte, nue à l’exception de ses chaussettes : « Heureusement que c’était vraiment toi ! » Elle ouvre à tout vent. Que nous étions beaux, effarouchés, timides! En vérité, je nous ne reconnais plus. Toi aussi, lecteur critique et stupide.

    Nous noircissions des feuillets serrés, c’est seulement 68 qui nous en a détournés. Pensions-nous être parvenus aux temps enfin messianiques ? Salut mes beautés, salut mes années, soyons ridicules. L’après-midi, Mireille va prendre avec moi un thé à Montjoyeux. Je ne saisplus ce que c’était, ce que c’est encore que Montjoyeux. Mireille était la suivante sur la liste, celle des femmes entre lesquelles j’aurais sans cesse ricoché en me plaignant de la précédente. Je me préparais à en faire souffrir toute une kyrielle. La maman de Mireille, et non pas la merde Mireille, m’avait proposé de devenir son gendre, car « tout le monde peut se tromper la première fois ». Mireille est-elle seulement vivante encore ? C’était ma « confidente », elle m’avait proposé de la réconcilier avec Tarche, que je connais encore, de loin en loin. Je la prends par l ‘épaule pour l’embrasser tellement elle a le cafard. Oui, prendre par l’épaule, ça peut « marcher ».

    Mais plus loin, je n’y pensais pas. Ma confiente, non, confidente, ma sœur, nous échangions nos peines de cœur, elle venait manger des nouilles, attention à la rime, et nous écoutions Olivier Despax, Adamo (Jérusalem), et surtout, ne faisons pas du Carrère. Et cette prise d’épaules, nous l’avons notée à l’encre verte, moins importante que la rouge, mais tout de même… « Elle me supplie de dire à Tarche qu’il l’emmerde », bataille à fronts renversés. C’était elle qui se prétendait persécutée. Ce mufle ne voulait-il pas qu’elle lui prêtât sa chambre pour accueillir ses ébats avec Odile Première, la suivante ?

    Je trouvais ça cool, comme on ne disait pas encore, mais Mireille, non, pas du tout. Alors, pour simplifier, j’étais de l’avis de Mireille. Quelle journée. « La Puce - Perrinet » me reproche d’emmerder les autres avec mes complexes, parce que je regarde tout le monde avec une tête de malade malheureux. S’interrompant en plein dialogue avec autrui pour m’apostropher avec la plus grande agressivité. Quelle journée ! « Je plaque la philologie, je n’arrive pas à travailler toute seul ». Peut-être voulait-elle que je la baisasse, mais comment diable baiser une fille qui ne vous parle que de son ex, dont elle veut à la fois se débarrasser et se ré-enticher ?

    Ah mais on ne baise pas comme ça, nous autres fâmes, tu seras mon « copain, » mon « camarade », j’achète un bouquet pour mon épousée…

    L’ÉPHÉMÉRIDE

    01 02 1968 - 2019 >>>>>> 2115 02 01 - 66 02 01 11




    Cette fois-ci c’est très curieux, Je me sens en empathie avec le monde entier, à m’en taper la larme à l’œil, ouh ! mon Dieu, que Mon Nombril est présssssieux… Le premier février 1968, 2015 nouveau style, une seule mention : le Doqueteure N. enlève à sa propre fille les points de suture qu’elle s’est farcis en se laissant tomber du haut des marches, car elle était internée dans une petite clinique à sa mémère, qui depuis a bien prospéré, Anouste, « Chez nous » en béarnais, et « S’il vous plaît » en grec.

    Pour le grec, nous venons de l’apprendre. Pour la « maison de repos » d’Arielle, dite « Mafâme », il était question de la langue basque. Or, « Chez nous » se dit « gourékinne ». We have goured. En février 68 a pris place un épisode bien plus emblématique pour nous que la Révolution des Fils de Riche : les Oiseaux de Février. J’en logeais régulièrement chez moi, sans domicile fixe, me faisant appeler « Lezviani », comme «Lesbien », car j’aimais bien lécher les femmes : ça ne coûte rien, et au moins, ça les fait jouir. Ils ont même couché avec moi, trois dans le même lit.

    Le petit m’aurait bien enfilé, mais le gros, endormi sur ma gauche, en aurait profité pour me sauter. J’ai dit « Non », tiens, il grêle. « Mais il dort, il en écrase ! » Pas du tout : il va s’éveiller ou faire semblant, jurer d’avoir été dérangé, puis il va m’enculer. Le petit, je veux bien, mais pas les deux à la file. Peu de temps après, le petit m’annonce qu’il a pensé à moi et qu’il s’est « tout mouillé ». Je le crois sur parole. « Les filles,c ‘est toutes des gouines. - Ben oui, et nous alors, qu’est-ce qu’on est ? » - des pédés, camarades. Mes clodos se rendaient au cul des restaurants, pour bouffer des sandwiches invendus : « Profitez-en les gars », murmurait le garçon qui regardait à droite, qui regardait à gauche, « si je me fais prendre, je suis viré ». C’est peut-être aussi pour cela que Mai 68 a « éclaté ». À présent c’est pire, supposons.

    Ils faisaient bombance chez moi. Un jour, deux filles se sont pointées au bas de l’escalier : « Mais montez ! Montez donc ! » disait le costaud qui voulait me sauter. Et les filles : « Combien vous êtes, là-dedans ? - Oh, trois-quatre ! » Et moi, en arrière des marches, je faisais des bras de grands mouvements de dénégation, je niais de la tête d’un air effaré, en montrant des doigts le nombre 7 ou 8… pas de viol chez moi ! Elles sont reparties, quel soulagement ! Une autre, un autre jour (il faut jeter cela sur le papier avant l’Apocalypse) se faisait entreprendre par deux à la fois : le petit, mon ami, et moi-même.

    Je murmure à l’oreille de la fille, déjà en extase : « Bonne chance ! » Elle se ressaisit, se dégage. Personne ne l’a baisée ! Quel dommage ! me dit le copain, qui m’aurait bien sauté aussi l’avant-veille, « quand une fille est doucement traitée par deux mecs à la fois, elle ne peut pas résister ! » - n’auriez-vous pu, cher ami, m’en faire part plus tôt ? J’aurais fermé ma gueule, et nous eussions fait l’amour à trois, avec une consentante ! Un mot leur servait de tout : « bonnard ». « Il est bonnard », mélodie montante, « il est super ». « Il est bonnard », mélodie descendante : « complètement con ».

    Qui a dit que le français ignorait les tons ? « Ce soir-là, j’étais bonnard », ton plat : « Je n’avais pas où coucher ». Un jour encore, le costaud sans incisives (coups de botte de la police) menace d’un coup un petit péteux bien habillé rue Sainte-Catherine : « Et tu me dois encore 50 balles ! - Oui Monsieur, oui Monsieur ! » Non, il ne lui devait rien. C’était de l’extorsion de fonds sous la menace, sans plus. Le type est reparti tout penaud. C’étaient de fameux délinquants, mes oiseaux de février. Une Martine, ou une Christine (les filles s’appelaient encore Martine ou Christine) aurait bien « conclu » avec moi. Mais mon épouse, en permission d’Anouste, avait déposé des cendres sous l’oreiller. Martine ou Christine n’était pas venue. Elle m’a refait de gros clins d’œil, à la terrasse d’un rade d’étudiant, j’ai fait signe que non, d’un tel air noble et résolu que je ne l’ai jamais revue qu’elle ne m’a jamais revu.

    Un jour Alain J. a monté l’escalier quatre à quatre, cherchant l’aventure. Arielle n’était point là. Arielle était une femme, elle l’est encore. Il est redescendu quatre à quatre plus vite encore, c’étaient les hommes qui l’intéressaient. Arielle amoureuse d’un pédé, Arielle ayant tout fait pour m’efféminer, mais 44 de pointure, ça ne le fait pas, je fus simplement tout mou et coléreux. Cela ne suffit pas pour faire une femme, ni même un homo. Ben non. C’est tout pour le moment. Avez-vous vu ce film de gogol, « La guerre des mondes » de Spielberg ? Comment voulez-vous écrire avec sérieux après cela ?

    Un jour je parlerai parlerai, et rien ne pourra plus m’arrêter, comme une vieille qui agonise et tient à vider son sac aux pieds de tous avant de crever. Nous verrons bien ce qui en restera. Voilà ce que c’était que la Saint-Ignace, Premier Février, en l’an de Grâce révolutionnaire neuf-cent soixante-huit. Et nul ne prévoyait, n’aurait pu prévoir se qui se tramait en coulisses. Les pages d’agenda me sont restées désespérément blanches, car c’était de la resucée : ma vraie révolution, je l’avais faite en 67, à Tours, avec de vrais fachos qui frappaient fort, de vrais mao qui s’y croyaient, et j’ai perdu mes lunettes en me faisant casser la gueule.

    Ça c’est un fait d’armes, Faidherbe. Le musée aux vitraux. Le cavalier polonais. Les orgues muettes. Qu’est-ce que ça peut faire. Pingouins. Le 2 du mois, c’est Chandeleur. Candeloro. Génitif pluriel. J’ai parlé à Candeloro. Le vrai, le patineur, l’affable, « parlant à tous » ; non, cela ne lui faisait pas de mal de tomber sur la « glace ». Il était habillé en Lucky Luke. Et dans mon Bordeaux d’avant, rue de la Maison Daurade, j’écoutais « Je ne crains plus personne / En Harley-Davidson », j’écoutais « Le bal des Laze », chef-d’œuvre ab-so-lu de Miche Polnareff, Michel le Déchu, qui ne monte plus dans les aigus. Le vendredi 2, sujets de rédaction pour mes sixièmes : 1) Partie de chasse ou de pêche, racontez 2) Vous avez été (ou quelqu’un des vôtres) gravement malade, racontez.

    Ils y arrivaient. Encore. Encore un instant, monsieur le bourreau. Nostalgie, nostalgie ! Qu’est-ce que j’ai souffert… Tout le monde souffre… Vous savez…


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    Par miracle, nous voici à la fin d’une période : le 16 déjà du mois, la demi-page est vide de notations. Puis elles se raréfient : certains jours sont annotés par le menu, d’autres non. Nous étions en poste à Monsempron-Libos, voici un demi-siècle. À présent ce bourg infect possède un cinéma : grand bien lui fasse.

    Le 14 février, pour le plus grand malheur du peuple et des hommes, c’est la St-Valentin. Ne pas oublier le bouquet, le gâteau qui fait grossir au lit. Ce jour-là, travail dans la classe du premier étage : il y a « composition de rédaction ». Ce serait honni de nos jours. Les pédagogues se récrieraient, au nom de la liberté des petits animaux. Deux sujets au choix donc : « Racontez un essayage fait, chez le tailleur ou la couturière, par un jeune élégant ou une coquette ». Où avais-je été chercher cela. Les fils de pèquenots sauraient-il exactement de quoi il était question.

    « Décrivez un orage, auquel vous avez assisté ». Voilà du bien paysan. Sujet non dépourvu d’une certaine habileté, d’une certaine provision de vocabulaire. Une de mes lettres à mes parents n’était remplie que de la description d’un orage à Völklingen. Mon père s’en était plaisamment moqué. Lazarus te regarde . Attention à ce que tu écris. « Sixièmes : compo de dictée, « Tableau de famille », j’ignore désormais de quel auteur. « Leçon sur les héros grecs », nous savions donc faire cela ? - « Histoire de Thésée et d’Hippolyte » (entre parenthèses : « David stigmatise Phèdre ».

    Un seul Dawid, avec un « w » bien polonais, bien juif, me vient en mémoire : un blond pâle apeuré, qui répétait après son grand-père « les races, ça n’existe pas » - pas la juive, en tout cas. Je parlais donc des héros grecs en sixième ? Cela ne rebutait personne ? Cela ne rebuterait personne aujourd’hui non plus. Mon épouse obtenait le silence en faisant prendre des notes sur la Renaissance italienne… mais à quoi peut bien ressembler « un cours », aujourd’hui, à l’ère du tous engsemgble tous engsemgble, ouais!ouais ! ...Histoire d’Agamemnon et de Clytemnestre…

    Certains collègues prononcent « Clymnestre », ce qui est aussi pudique, pathétique, ridicule, que de parler d’un « derrière de sac » pour un « cul-de-sac ». Les mêmes collègues appellent sans doute Agamamnon « Agaga », comme Offenbach. Quant à notre précieuse personne, elle a longtemps hésité, ce 14 février de solitude, à participer au « conseil d’administration ». Car on s’y emmerde, puissamment, on y entasse les vœux pieux, et finalement, « je me défile ». Un collègue nommé Villot, délégué syndical, m’avait laissé libre de m’y rendre ou non.

    Villot fut sublime : il fit le tour des parents d’élèves, pour éteindre le feu des calomnies sur mon compte : « C’est fou ce que j’ai pu entendre, des horreurs, des choses épouvantables » - je sodomisais mes élèves, probablement ? Les imaginations du peuple n’en font jamais d’autres. Je donnais, j’ai donné ce jour-là, un cours d’éducation sexuelle. Chacun écrivait ses questions anonymes sur des bouts de papier, je répondais de mon mieux aux questions, aux incertitudes, aux certitudes. Tel pensait que les règles « coulaient à gros bouillons ». Tel autre ignorait que les femmes aussi pouvaient éprouver du plaisir.

    D’où les calomnies. D’où les silences, le choc, le respect témoigné à mon rôle, encore un tout petit peu avant les poings dans la gueule d’à présent. J’ai coincé à la sortie Tanaïs et Cotonnec, pour « leur faire amener des filels la prochaine fois ». Elles répondent que les fieles « s’y connaissent pls (…) que les garçons ». La fois suivante, j’ai eu des filles. De nos jours ce serait l’émeute. Aucun professeur ne voudrait plus évoquer « ces choses-là ». J’ignore totu de mon métier. Ce n’est plus le même. Les ardeurs sont intactes. Des poisons font leurs ravages. Des forces méconnues soulèvent à l’horizon leurs sombres faces, brrrr… Beaucoup de cours se passent bien. On n’en parle jamais. Mon expérience est historique, sans plus…

    COLLIGNON L’ÉPHÉMÉRIDE

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    VOICI le joli petit carnet de 1970, avec sa ferrure marque-page qui le rend si malcommode aux classifications. Bonjour Gaston. Le samedi 28 février reste vierge. En ce temps-là, nous occupions le poste de maître auxiliaire dans la bonne ville de Marmande. Nous semions une zone pas possible dans le lycée, dont le proviseur était con comme un rugbyman, et la censoresse dépourvue du moindre diplôme. Il y avait là deux pions noirs, un grand et un petit, surnommés Petit Bwana et Grand Bwana. Le surveillant général s’appelait le Zizi, un mètre vingt-cinq en levant les bras.

    Mes cours étaient bordéliques, supermauvais, parfois applaudis : une fois, pour une lecture de La mort du Dauphin, où le garçon du premier rang avait les larmes aux yeux. Une autre fois, pour un exposé des causes de la guerre en 1870, un si-cle auparavant. Un jour, j’ai décrété : « permanence ». Et le cours n’eut pas lieu, je lisais le Canard Enchaîné les pieds sur le bureau. Surpris dans cette position par un indiscret ouvreur de porte, je fus signalé à l’Inspecteur d’Académie, qui devait me visiter en cours, mais c’était un fantaisiste, il m’apprécia. En ce temps-là, nous étions indéboulonnables.

    Cette année-là je fis connaissance avec O’Leteremsen, seul chevelu de mon genre. Mais si nous nous agaçons des rencontres d’un Alain Rémond, ex-rédacteur de Télérama, combien Gaston ne se scandalisera-t-il pas des miennes ? Nous allons vous le révéler : monsieur Rémond, ainsi que Carrière, ont bénéficié d’une enfance chaleureuse, même si leurs parents se faisaient la guerre. Ils ont bénéficié COLLIGNON L’ÉPHÉMÉRIDE

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    aussi d’une foi chrétienne, assumée chez l’un, perdue puis presque retrouvée chez le second. Chacun d’eux a bénéficié d’une quantité de rencontres, et prétend avoir eu « de la chance ». Nous n’en pouvons douter, surtout de la part du second, fils d’académicienne, et bénéficiant de son identité pour faire publier sans problème ses laborieux enthousiasmes. Moâ, Fier-Cloporte, je n’ai pas ce sens de l’intrigue : en effet, naïf Gaston, les « rencontres » ne sont que les aboutissements d’une longue série de négociations entre intermédiaires pour enfins e faire introduire au saint des saints : la Rencontre avec Untel, « qui a bouleversé ma vie ».

    Non. Les personnes influentes ne se « rencontrent » pas « comme ça », au pifomètre. Les barrages sont très épais, très peu filtrants. « Moi », j’ai rencontré O’Letermsen, brillant, qui voulut me dégrossir. Il cherchait à s’entourer de génies, il décréta que j’en étais un, me surnomma « Artaud », me donna « cinq ans pour obtenir le Goncourt ». Il s’efforça de devenir maçon. Il donna du « mon doux frère » à un clochard ivre. Il m’impressionna, il me pygmalionnisa. Il intercepta mon courrier féminin : « Je t’interdis de fréquenter cette fille ! » - encore un peu il m’enculait, ce con. « Tu inventes ! Tu inventes ! » - ta gueule.

    Cette fréquentation, entre « hommes » (si peu) s’étendit sur 16 ans. Passé les bombardements sur Kadhafi en 86, nous avons cessé de nous voir. La jeunesse est ainsi, elle jette à tout va. Vous aussi, Gaston, vous avez jeté.  Mais qu’il est difficile de vous ferrer… Ni lui, O’Letermsen, ni Fier-Cloporte, ne réussirent à rencontrer « les bo-o-o-o-nnes personnes, au bon-on-on moment » (« Temps-COLLIGNON L’ÉPHÉMÉRIDE

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    Contretemps). Reste le Jeu. Le Jeu sacré du petit bouddha sur son escarpolette… Des Christs par milliers, des écrivains par dizaines de milliers :

    Herr Nobel, hur man väljer? Monsieur Nobel, comment choisir ? 

    Ce samedi de 70, j’étais avec papa, j’étais avec maman, qui avaient tellement voulu me faire déménager, qu’ils y étaient parvenus. Les propriétaires précédents, du moins l’un d’entre eux, ronflait derrière la cloison. Une nuit même (ces manants faisaient « chambre à part ») une cavalcade effrénée avait retenti, pour cause de malaise imminent : quelle angoisse ! Les nouveaux propriétaires également ronflaient derrière une cloison,je m’en aperçus dès la première nuit. Tout aussi répugnant. Il n’y avait que de l’eau froide. Le trajet bien plus long vers mon lycée de travail. Arielle qui vient me rejoindre. Passagère d’une collègue en poste à Casteljaloux. L’eau froide sur la tête pour la réveiller, le nez dans le lavabo.

    Cris et protestations. Un jour d’absence par semaine : « C’est trop dur ». - Et pour nous, alors ? s’exclamait la môme Courtois, collègue à Marmande. Eh bien tiens, moi aussi, je vais prendre un congé de maladie. Maladie psychique et toc. De plus, je me montre en pleine salle des profs. Pendant mon congé. Indéboulonnable vous dis-je. Maturité en berne, aucun sens des responsabilités « Messieurs les censeurs », aucun en effet, 25 ans, voulant fuir, fuir mon métier, fuir mes liens conjugaux, bâclant tout… Voilà voilà…

    COLLIGNON L’ÉPHÉMÉRIDE

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    Il y a quarante-huit ans jour pour jour, le temps d’une vie humaine autrefois, le sergent Rouja m’engueulait publiquement (cours de nomenclature) : la hiérarchie militaire était harcelée de réclamations à mon égard, afin que je fusse réformé. J’ignorais cela. J’ignorais que les choses en étaient venues à ce point. D’instinct, je me suis dressé en gueulant que c’était inadmissible, que je n’avais jamais rien demandé, que les démarches extérieures et familiales me causaient un tort considérable, et que j’allais « vite fait » leur faire « rectifier le tir ». Soupçonner n’est pas « savoir » ; mais que des tractations existassent dans l’ombre pour me tirer de l’abîme, je ne l’ignorais pas, sans pouvoir les préciser. Il se trouvait en effet que ma belle-mère connaissait la femme d’un général, que mon beau-père était médecin, qu’un psychiatre m’avait diagnostiqué inapte. Après ma vigoureuse sortie, tellement bien imitée qu’elle en était sincère, mes camarades se tranchèrent en deux clans : les uns m’approuvaient, les autres estimaient que j’avais supérieurement joué. Un Berbère, Ichalalène, me prit à part pour me demander d’intercéder en sa faveur ; j’en aurais été bien incapable, mais il me bouda en tant que bêcheur et « pas sympa ».

    À la même époque, un vif incident avait éclaté : nous étions envoyés dare-dare en nos chambres pour échanger notre tenue ordinaire contre l’uniforme de gala ; nous avions six minutes pour nous retrouver au même endroit, en rangs et au garde-à-vous. J’ai démoli mon armoire de fond en comble, sans rien trouver, endossant la tenue dite « négligée ». Ma négligence fut aussitôt remarquée : « Il se fout de notre gueule ! » beuglait un adjudant. Et l’autre adjudant lui gueulait dessus : « Vous étiez averti que cet homme était inapte au service ! » Je me suis mis à gueuler : « Écoutez tous ! j’ai tout foutu en l’air dans mon casier ! Ma tenue de gala n’y était pas ! On me l’a volée pour que je me fasse engueuler ! » Alors les deux sous-offs se sont remis à se traiter de tous les noms, le premier voulant me redresser en camp disciplinaire, le deuxième excipant de certificats médicaux et de recommandations haut-gradées. On m’a laissé dans ma tenue dégueulasse, et bien entendu j’ai retrouvé, plus tard, au calme, l’uniforme incriminé. Le dernier exploit consistait en un énorme chahut gueulatoire dans notre chambre de réservistes. Tout le monde s’était mis à hurler « la porte ! la porte !  Courant d’air, bordel, la porte ! » Il n’y avait pas le moindre courant d’air.

    J’ai violemment repoussé la porte, quasiment dans le nez d’un commandant courroucé qui ramena un calme glacial et instantané. Il a braillé comme un putois. Puis tourné vers moi : « Est-ce vous qui avez crié ? - Non mon capitaine. - Qui a crié ? » Silence général, viril et courageux. « Mais est-ce vous » - tourné d’un coup vers moi - « qui avez repoussé la porte ? - Oui mon capitaine. » J’écopais de huit jours d’arrêt dont trois de cachot. Merci les autres. Artaud, Menanteau, Roumégous, bravo pour votre courage. Moi, je suis allé expulser une vieille diarrhée.

    Cet incident détermina le médecin beau-père. À la permission suivante, il m’injecta un puissant calmant dans l’épaule, prétextant que j’avais agressé tout le monde, et qu’il m’amenait à Robert Picqué, hôpital militaire. « Attention, il est dangereux ». Plus tard il lui fut reproché de ne pas m’avoir ramené au médecin « de caserne ». Celui-ci avait une réputation d’incompétence et de connerie, n’ayons pas peur des mots : il avait détecté je ne sais quelle épidémie de rougeole à l’intérieur des bâtiments, puis placé la caserne en quarantaine. L’ennui, c’est qu’au moment de sortir de la dite caserne, il fut retenu par la sentinelle qui refusa de le relâcher, puisqu’il devait, par son propre décret, rester lui aussi dans les bâtiments.

    Rassurez-vous, il y a mis le temps,  mais il a pu s’en dépêtrer. Pour ma pqrt, je me trouvais dans un dortoir d’agités du bocal, qui braillaient au milieu d’une musique tonitruante. J’adorais Sylvie Vartan, mais pas les décibels. Un vrai malade baissa le son, à peine, puis le releva au maximum trente secondes plus tard. Plus tard on me transféra dans le dortoir des cas plus bénins. Il fut interdit à quiconque de me faire avaler le moindre médicament, même si j’en demandais. Et c’est ainsi que je fus réformé : « Mécanisme de détérioration des structures compensatrices de la névrose » - sauvé…

    Impossible en théorie de rejoindre l’enseignement : débilité légère… Une nuit, je suis réveillé par un abruti qui secoue la porte. Je me lève, le raisonne, « tu l’aimes, Jacques ? » Il réclamait « Jacques ! Jacques ! » Je l’ai calmé, ramené à la chambre du fond. Et je me faisais engueuler par une hommasse. Et je lui répétais que grâce à moi l’agité s’était calmé. « Il ne fallait rien faire ! Ce n’était pas à vous de bouger ! - Et je devais le laisser réveiller tout le monde ? - C’était à nous de le faire ! » En vérité, au « service militaire », je n’ai vu que le développement de la connerie, une connerie insensée, à tous les niveaux.

    Il m’avait semblé revenir en quatrième, à 13 ans. Une régression dingue, justement. Et le Sergent B. se trouvait là, en hôpital, psy ou non, quelles plaisantes retrouvailles ! C’était lui qui criait : « Je peux leur montrer, chef ? ...peux leur montrer, chef ? » - et de s’élancer sur la grosse buse en équilibre au-dessus du ruisseau, et de gravir en trois poussées de corde à nœuds le mur en girafe. Il me souriait, il me ramenait en permission, nous avions croisé une charmante cavalière démontée en corsage à carreaux, avec sa bombe réglementaire, « elle me ferait peur » disais-je, « elle ne me ferait pas peur », répondait-il, et il me déposait « quelque part en ville ».

    Apparemment, pour lui, c’était intestinal ; à l’hosto, plus de hiérarchie. J’étudiais dans Pierres Vives, revue littéraire, afin de décrocher sans trop y croire mon CAPES de lettres - « Si le juteux te vois avec tes poésies de Lamartine, tu vas te faire engueuler » - je l’ai eu, mon CAPES, dernier ex-æquo, repêché à grand renforts de chiffres surchargés, je n’ai pas demandé mon reste. À moitié fou selon l’armée, j’entrais dans la grande famille de ces autres fous que l’on appelle, globalement, Éducation Nationale...

    COLLIGNON L’ÉPHÉMÉRIDE

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    Ne pas céder aux Lamentations. Bien se persuader que nous avons toujours le choix. C’est dans les livres, c’est dans les discours, c’est la vérité. La date est restée en blanc. Toute une époque, on le dit toujours. Nous connaissions Lavrontis, caricaturé dans Le jeu des parallèles, en vente nulle part. Sa grande inséparable s’appelait Christine. Il y a beaucoup de Christine de par le monde. Celle-ci tenait une boutique à Bordeaux. Bordeaux est mon Alcazar de Rodez. Tout s’est passé là-bas - ici même, mais je dis « là-bas ». J’y habite aujourd’hui, demain.

    Il faut imaginer Sisyphe heureux. La scène d’aujourd’hui répète celles qui se sont déjà déroulées, qui se dérouleront encore mais de moins en moins, plus très longtemps désormais. « Désormais » convient bien : adverbe temporel de l’éternel début, Pour moi la vie va commencer, d’un coup prendre l’élan pour se fracasser sur la porte de prison, avec des clous.. vous qui passez ce seuil… Le temps s’écoule, de G. à M., même cuisine à cent lieues de distance, à grands barattages de claques des tic-tac d’horloges. De telle à telle phrase tel repas prenait place.

    Tel viol des consciences. Tels et tels bavardages. Des bavards d’âge. Les panses pleines. Les auteurs nous envoient l’histoire de leur vie. Passionnant ! ...pour eux seuls - et le style ? Et l’esprit ? la modestie ? Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent… L’an 2119, que d’espoirs ! d’envolées ! quoi de plus triste qu’une vie ? comme la bite, nous avons tous la même. Nous mourons tous au même âge, à quarante ans près disait la Breuvoir. La connasse à mouches. La lycéenne qui se relève toute trempée de la chougne à sa prof. Mon Dieu que les femmes ont de veine. Point de vue sexe. Et amour. Si y avait pas les règles et l’accouchement. Pas besoin d’aller au bistrot pour lire des conneries. En 2119, nous fréquentions la rue des Allamandiers. Ce qui veut dire « rue des Amandiers ». Riche en symboles judaïques. Et non « spécialisée » dans tel artisanat perdu immémorial mon cul.

    C’était un temps sacré. Nous expérimentions les communautés. Chez Nicole habitaient tous ceux qui passaient. Quelle vaste cage d’escaliers. Comme j’aimais Nicole. On n’a plus idée de s’appeler Nicole. « ohho Nicole / si t’avais pas la vérole ». Nicole haussait les épaules en pouffant. Je lui avais pris la main au bistrot. Ça arrive à tout le monde. On ne va tout de même pas éditer ça. Je lui avais embrassé la paume de la main pendant qu’un Espagnol pérorait en espagnol. C’était une grande blonde. Pas l’Espagnol, l’autre, la femme. Un jour pour moi seul elle avait viré tout le monde, nous étions seuls.

    Et au lieu, au lieu de la prendre dans mes bras, je lui avais lu à haute voix ma pièce de théâtre, nulle. Et de sa part aucun geste. Je me serais jeté sur elle avec précipitation : « Tu ne vas pas changer d’avis ? - Non, non ! » ...Vous tenez vraiment à faire éditer ça ?… Plus tard, tellement plus tard - nous étions tous en club sous les miroirs du Café des Arts, certains se plaçaient au-dessous, d’autres en face : voici Nicole! Tu sais qu’elle sort avec une fille ? Ma foi vrai… et alors, Nicole me passe longuement la main dans le dos. Vous vous êtes vu dans la glace. Vous voici fraise pistache et vanille, le souffle coupé comme un juif. Nicole. Pendant des mois souffrir d’amour, tu le sais, mais pas un geste, sauf une bonne fourchetée de riz bouillant dans la gueule. C’est à moi d’oser, connasse, pas à toi n’est-ce pas connasse, chacun son rôle connasse, et maintenant seulement, maintenant que tu t’exhibes bras-dessus bras-dessous avec une fille, tu t’avises soudain de me passer ta main dans le dos ?- toutes les couleurs de toutes les bauges du monde me sont passées sur la peau, et tous me fixent depuis la glace, regardez l’émotion qu’il se prend dans la gueule, le rigolo du groupe, le mariolle à ricaner, comme il l’aimait, tu papotais par-dessus mon épaule, renvoyant à la cantonade les vannes de voyageurs qu’on t’envoyait. Nous ne nous reverrons jamais. Jamais. Nevermore. Il y a de cela 47 ans to-day. Tu t’appelles autrement.

    Nie werde ich Dich vergessen...



     

  • Elias Fels

    BERNARD COLLIGNON ELIAS FELS

     

     

    Veuillez trouver ci-joint sur Elias Fels (1714-1785), musicien allemand, une recension de documents. Ils sont restés fragmentaires. La biographie dudit musicien s'articule à la découverte, vers ma vingtième année, de la musique dite baroque, avant sa vogue ultérieure. S’ensuivit donc en juillet 2013 n.s. en pompeux « Avant-Propos » où l’auteur tentait laborieusement des parallèles plus ou moins convenus entre certaines recherches contemporaines, sommairement qualifiées de sérielles ou dodécaphoniques, et les œuvres obscures et prémonitoires d’un certain musicien brémois du Siècle des Lumières (Zeit der Erklärung) : ELIAS FELS.

     

    Dans l’esprit de la résurrection d’Antonio Vivaldi, l’auteur attribuait à son ectoplasme un décès suffisamment précoce (1785) pour éviter les poncifs des épisodes biographiques prétendument révolutionnaires, susceptibles toutefois de laisser présupposer quelques effluves de la sensibilité nouvelle. Voici donc cet Avant-Propos, intitulé  En guise de Préface, auquel nous nous en voudrions de retrancher la moindre ligne.

     

    « Dire que le musique contemporaine corsète ses élans au sein d’une cacophonie énigmatique, était le leitmotiv des bien-pensants voici quelque trente ans, et l’est resté pour le commun.Ce dernier dut se contraindre à subir sans broncher, pêle-mêle, les gargouillis d’un Berrio ou d’un Globoka désormais bien délaissés ou autres grincements très précisément aussi mélodieux que du verre pilé au fond d’une lessiveuse. Le public ne tousse pas, pour Luigi Nono. Moins qu’à Beethoven. En tout cas bien moins que pour Buxte-Hude, lorsqu’à la fin du premier mouvement de sa 4e sonate pour cordes en ut dièze mineur augmenté l’instrumentiste remet un peu d’huile goménolée sur son archet pour le maestoso gomenolo (rires).

    « Loin de moi le projet d’infliger au lecteur, en tête d’un ouvrage sérieux, la sempiternelle démonstration de la relativité de la notion mélodique, et des relations plus qu’étroite associant « admiration » et « accoutumance ». Nous nous contenterons donc d’affirmer que tous, qu’ils se plient à la mode ou se lâchent la bride, recherchent malgré tout, derrière les chatoiement hiéroglyphiques de la polyphonie voir de la dodécaphonie »- le gros mot est lâché - « ce qui demeurera, par delà les lubies, l’essence de la musique : les pulsations d’une âme et d’un corps » .(vifs applaudissements).

    «  C’est, après un siècle tumultueux où un Berlioz, un Schubert, un Brahms, se sont catapultés au firmament des gloires musicales, le virulent, l’insidieux – l’intolérable retour en force d’un traditionalisme qui, depuis Schlickenstock, semblait révolu. Dans les arcanes contrapunctiques de Bach ou d’un Bodin de Boismortier, nos contemporains ont trouvé matière à de nouvelles recherches, insolites – ou horripilantes – de Boulez, de Ballif, œuvres aussi parfaitement structurées que rigoureusement incompréhensibles puisqu’il n’y a rien à comprendre – voire inaccessibles (vives réactions ; une vieille dame s’évanouit ; on l’emporte).

    « Regain d’intérêt pour le XVIIIe siècle. On redécouvre Corelli, on déterre Vivaldi, on saute sur Tartini.

    Enfin l’oubli honteux baisse son glaive obscur

    Le désastre B.JPG

    (murmures admiratifs)

    « Dans les combles d’une abbatiale, sous le froc d’un moine » (« C’est un scandale ! - Chut !! »), dans les archives d’un hospice, en Lombardie, en Bavière, on découvre des manuscrits, empilés, froissés, balafrés, on déchiffre des portées à demi délavées. Les ventes de la Deutsche Grammophon, de l’Archiv Produktion, montent en flèche (applaudissements)

    « Et voici qu’il y a trois mois, une nouvelle révélation s’est faite au grand jour ; Karlheinz Stockhausen, qui parmi les premiers a étudié Fels, a exprimé sa stupéfaction admirative d’y découvrir, avec deux siècles d’avance, des formules que seul Sravinsky dit-on eut l’audace d’appliquer:structures poly- ou atonales, emploi percutant des percussion – sans pour autant désavouer une tradition directement puisée dans le giron schützéen.

    « C’est ainsi qu’Elias-Théobald Fels, embrassant quatre siècles de musique, de 1590  à nos jours, lance le pont suspendu entre la Renaissance Italienne et la Nouvelle Renaissance que les esprits éclairés de notre temps s’efforcent de susciter (vifs applaudissements – rappels – intense émotion – des larmes coulent). Un second avant-propos, sans doute postérieur au premier, présupposait chez le lecteur une indifférence, voire une hostilité, qu’il s’agissait d’épointer. « Le lecteur sans pitié », commençais-je, « lit pour s’instruire ; quinteux, l’œil torve, il considère le jeune Elias sans aménité : cheveux blonds en copeaux, frais, le regard vif ; plus tard, l’abdomen alourdi ; le verbe haut, et prisant dru ; vieilli enfin, rhumatisant, gravissant d’un pas lent ses derniers échelons, séduira-t-il davantage ? (…) tu liras, comme tu le crains, des épisodes vertueux, mais aussi du pathos (...) » et l’auteur de poursuivre :

    « Tandis que les paysans meurent de faim autour du château, notre compositeur aligne ses ritournelles à faire pâmer les marquises. Que si les marquises t’indisposent, il te faudra brûler Haydn, qui composa pour les Esterházy ; Haendel, qui composa pour les puissants de Londres ; brûler Mozart, pour Mgr Colloredo, archevêque de Salzbourg. Baptisé le 5 mars 1714… mais avant tout nous le verrons mourir : cela satisfera ton goût du document. »

    Et l’auteur d’ajouter qu’il suffisait alors, éventuellement, de « refermer le livre ».

     

    X

     

    Le récit commençait donc par la mort du héros, dans le même style que précédemment : le compositeur Elias Fels, âgé de 71 ans et couvert d’honneurs, gravissait péniblement l’escalier en colimaçon, comme il se doit, menant au buffet d’orgues de la Jakobikirche de Lübeck. Son aide, un jeune garçon, le précédait dans cette ascension, où le vieil homme s’essoufflait. Le ton de cet ouvrage se voulait sérieux, et l’ironie ne transpirait qu’à peine. Toujours est-il que l’acolyte gagnait la soufflerie, d’où il pédalerait comme un damné, dans une cage d’écureuil peut-être, d’où l’auteur s’imaginait que partait l’air destiné aux tuyaux : il ne s’était pas documenté, estimant que la documentation nuirait alors à la narration (la grande évidence, pour un écrivain, était avant tout de narrer) – l’aide actionnait en réalité d’énormes soufflets sur une surface plane à grand renfort de muscles des cuisses. Le maître Elias Fels gagnait la pièce contiguë pour s’installer aux claviers, maniait les tirasses et se lâchait dans un « grand jeu » ébouriffant. Et l’auteur d’échafauder les métaphores, transposant tant bien que mal ses impression musicales en termes littéraires. Soudain c’était une délirante cacophonie qui se déclenchait sous les voûtes de la Jakobikirche. L’assistant se précipitait,toutes les notes se chevauchant, sonnant à la fois. Le chapitre suivant se présentait comme suit, dans sa flamboyante maladresse :

     

    « Octobre 1785. La Marienkirche de Lübeck » - celle de Buxte-Hude, plus glorieuse encore - « pleut de toutes ses briques » [sic]. « La bruine suinte du porche sur un homme gris, voûté, perruque plate. Sa main cherche la serrure d’une porte rouge, dans un coin du narthex. Le loquet cède. Dans ce réduit imprégné de ranci s’amorce l’escalier de tribunes, qu’Elias entreprend de gravir. Les degrés conservent le creux des pas une poussière crissante.

    « Elias souffle souvent, reprenant sa respiration d’asthmatique sur la rampe de fer. Parvenu à la marche palière, il pousse un battant : l’orgue gît là, luisant, touché par la lumière d’un quinquet. Penché par dessus la nef, Elias, accoudé sur des balustres, sent monter vers lui le cri muet,la froide haleine encensée de ce gouffre d’où sourd, lointain, le reflet rouge du tabernacle »

    (quand il s’apppuie « aux balustres »,soudain « la nef s’éclaire », le jour court « sous les nervures des voûtes » ; au-dessus d’un « buisson de cierges » se met à « palpiter » la statue d’un apôtre, etc.)

    « Elias remonta les trois marches qui le séparaient des claviers. Une suffocation le couvrit de sueur, le contraignant à une longue station. »

    Plus loin :

    « Le garçon l’attend au soufflet. Elias prend place sur le long tabouret de velours rouge. Le souffle de l’instrument s’éveille, comme une douleur comprimée. Alors, « d’un geste de prêtre » [sic] la main droite d’ Elias se pose sur le « bas clavier » [re-sic]. Quelques notes étouffées de la main gauche émettent un douloureux discord « submergeant par les basses » ; de cette masse » se détache une « guirlande fuguée » sur trois notes sans cesse reprises et combinées. »

     

    La substitution entre crochets du présent de narration à ce pompeux passé simple ; les guillemets encadrant les expressions mal venues, les « sic » par lesquels nous avons voulu ménager la susceptibilité du bon goût ainsi que la disposition des lignes en « espace 1 » auront suffi nous n ‘en doutons pas à signaler à nos lecteurs les réserves que n’auront pas manqué de signaler à nos lecteurs les réserves que suscitent en nous des lignes si juvéniles. Il me fallait toujours commencer deux fois les choses ; à moins qu’il ne s’agît plus simplement, plus rudimentairement, d’éliminer un frère aîné que l’auteur n’a jamais eu, avant que le Héros ne volât de ses propres ailes. ÉLIAS FELS, ROMAN, s’ouvrait ainsi sur des funérailles, celles d’un principicule germanique évoqué in La vie quotidienne dans les cours allemandes du XVIIIe siècle de l’immense et regretté Pierre Lafue : obsèques grandioses, pages définitivement perdues, à tout jamais.

    Ce fut un carrousel nocturnede cavaliers dadouques porte-flambeaux, s’éloignant, se frôlant, dans une cavalcade infernale (détaillée longuement). À la faveur de cet enterrement du Père s’enfuyaient ÉLIAS & ÉLIPHAS , qui avaient tout à perdre du changement de règne ; privés, déjà, des gratifiantes funérailles. L’aîné s’était assurément attiré quelque méchante affaire àla Cour du Feu Roi, redoutant le cul-de-basse-fosse. Or dans cette fuite vers une frontière nécessairement proche, ÉLIPHAS en personne tomba de sa monture et, de sa flûte à bec passée dans sa ceinture, se perça l’abdomen. Il agonisa longuement, recommandant à son cadet de retourner malgré tout faire son chemin parmi la cour : Que ma disgrâce ne passe pas sur toi. Par un second retour en arrière appelé analepse, nous montrons le jeune frère « jouant folâtrement de la flûte » à la fenêtre ouverte du petit pavillon qu’il partageait avec ÉLIPHAS, tandis que ce dernier le surprenait, le désignait en cachette (Voyez ce jeune Faune) à son Kapellemeister attitré. Jamais le cadet n’était quitté des yeux, ne fût-ce qu’un instant, fût-il même avachi dans un fauteuil. ÉLIAS fut-il satisfait de la mort accidentelle de son Big Brother ? c’étaient là des pages d’une immortelle fraîcheur.

    Ce maître de chapelle donc, Herbert Rogmann, appartenait à Sa Majesté Karl-Eugen, pas encore Feu, roi de Souabe, invention pure. Éliphas (reprenons la typographie usuelle) se trouvait déjà, en sa vingt-cinquième année, en position de disputer la place au Kapellmeister lui-même ; avant de mourir si misérablement, c’était un excellent musicien. À la mort de Rogmann, Éliphas lui succéderait, chose réglée. « Il n’est jamais agréable de connaître son successeur » disait le titulaire, « fût-on encore loin de la mort ». L’ignorance des usages de cour entre subalternes autorisait à supposer que Herbert Rogmann pouvait se faire conscience et scrupule de venir donner à son successeur (d’aucuns disaient « recevoir ») une leçon bimensuelle en son pavillon, « ne fût-ce que pour lui rafraîchir la hiérarchie » : « Les flancs de sa lourde stature » lit-on dans le manuscrit « s’adaptent si bien à la porte que celle-ci ne laisse plus passe la lumière : seule se découpe une tête mafflue, nimbée de contre-jour ».

    L’ombre du Maître vient se découper sur la partition d’ÉLIPHAS Fels.

    Voici sa titulature :

    Noble et Puissant Seigneur

    Herbert Rogmann

    Graf von Hützeldorff

    und Barstatt-Mandegen.

     

    La chose est dépourvue de toute vraisemblance.

    ...Comment un personnage si hautement titré, etc. (« eût-il pu se contenter d’une simple charge de Kapellmeister, et s’abaisser à visiter un Eliphas Fels «en son pavillon particulier » ? ) - la Vérité, rien que la Vérité : J’avais épinglé sur la porte A – A –1, la mienne, en deux mille cent dix, cette identité usurpée, sachant que devait me visiter un Père Noble, afin que je dispensasse à sa fille une série de cours particuliers d’allemand ; il avait manifesté son étonnement de voir ici loger, en cité universitaire, un Comte ! Une fois mise cette innocente supercherie sur le comPte de la fantaisie, nous avions ri tous les deux.

    C’est ainsi que pour trois francs de l’heure j’eus l’honneur et l’avantage de consolider les connaissances germaniques de Mademoiselle sa fille, avec le secours d’un indémodable Bodevin-Isler. J’appris par la suite qu’elle me trouvait « amusant » (« ridicule », disait Balzac) -

    - ...bref : Je trouvais réjouissant que ce maître de chapelle, au XVIIIe siècle, s’affublât d’une identité aussi extravagante. « Sa Calvitie tente un sourire » (Frédéric Dard)

    « Et la mer sur son front en dunes se figeait » (Ezéchiel, 8, 14) . « Une lave écarlate cuirassait ses joues couënneuses ». «Il s’avançait, grave et potelé, tendant à Eliphas « dont le violon pendait à bout de bras » une main « rondouillarde, rosâtre et moite ; parfumée, aux ongles taillés en rond ». Répétons, cher ami, voulez-vous ? disait-il. Le gros beurré portait, comme une chaloupe au flanc d’un navire, un étui de bois verni où se voyait, comme un enfant dans un cercueil, capitonné, un stradivarius. Eliphas répond Bien Maître.

    Rogomus (c’est son nom) levait son violon en aspirant la poussière du lieu (le petit pavillon du fond de parc), jetant un coup d’œil réprobateur sur la pagaïe universelle. Calant l’instrument sous sa bajoue gauche, il pinçait les cordes. Précisons qu’Eliphas l’Aîné est gaucher, bien qu’il n’existe pas de succession de cordes spécifique pour cette catégorie de musiciens. « Eliphas » mentionnais-je « conserve parfois, après jouer, cette inclinaison de la tête et du cou » - Eliphas en ce point ressemblant au jeune Alexandre. Les deux violonistes interprètent un duo de Rogomus écrit contre son gré. Eliphas avait dit à qui voulait l’entendre que Rogman faisait bien « Vieille-Souabe » (alt-schwäbisch) (qu’il en tenait encore pour Jean-Sébastien Bach ou Schütz) et dirigeait bien digestivement (en français dans le texte) sa formation (en ce temps-là le premier violon guidait lui-même ses collègues). S’il commandait, lui, Eliphas, l’orchestre de Sa Majesté, « l’on entendrait assurément bien d’autres choses ». C’est ainsi que Rogomus, « encore Kapellmeister, verdammt ! et pour longtemps », avait concocté ce chef-d’œuvre poussif, une Sonate pour deux violons d’une originalité de bon ton ( « les auditeurs aiment à être surpris par ce qu’ils connaissent déjà »).

    Eliphas tient le second violon.

    « Les dix premières mesures à l’unisson, Herr Fels, puis je prends les dessus » - mais Eliphas pique son thème de suraigus, de pizzicati, etc., « Zezi n’est bas dans le texte » - Je pimente, maître, je pimente - « Bas de bimentatsiônn Bitte schön – bref Eliphas présente sa variante, et bien entendu c’est deux fois mieux. Rogomus hoche la tête, la place se rend bien. Le texte était plus long dans la première version, Eliphas objectait que « la partition n’[était] qu’une pâte molle, à quoi « plusieurs cycles de répétitions ne lui [avaient] pas encore appliqué le sceau de l’immuabilité (der Unveränderlichkeit) « mais le public aujourd’hui veut du Sobre. Nos lecteurs n’a plus le temps de s’attacher à de fines notations narratives, à des dialogues (« ...Simple suggestion, Maître : si nous reprenons à la 38, nous avons par exemple... » ) - qu’est-ce qu’il en a à f…, le lecteur, des « reprises à l’octave », « à la douzième » (!) avant de retomber « sur le thème ».

    ...Rogomus dit « Je réfléchirai », sans accent, c’est lui qui va signer (Herbert Rogman, Graf von Hützeldorf une Barstatt-Mandegen) – nous avions composé une petite scène légère et bien réaliste, avec le gros qui s’essoufflait à presser la cadence, qui se plantait dans les impro (on disait, justement, « la cadence ») et qui s’exclamait Tenez, fous êtes drop fort bour moi ! - tout le monde parlait français en ce temps-là.

    Bien la peine vraiment de faire dans la psychologie à deux balles, de bichonner le beau rythme (« Le Kapellmeister transpire, baisse les yeux avec componction, se berce sur son violon ; s’assoit ; Eliphas l’imite, et les eux musiciens de s’essuyer le visage en soupirant). C’est que j’y ai cru, moi ? J’écrivais « faux naïf », je montrais le gros Herbert vautré sur son fauteuil crapaud » - « première apparition fin XIXe, c’est fou ce qu’on s’instruisait dans le Robert). Le Maître de Chapelle (c’est Kapellmeister en moins schleuh) jetait un regard sur « l’éboulis de meubles houssés » qui les coinçait là – juste la place pour remuer les coudes entre porte et fenêtre plus un petit clavecin de Cristofori quand même…

    Eliphas suit son regard vers les housses et (humour) les soulève l’une après l’autre voyez, Maître – aussi facilement que les jupes de femmes ! - Oh! les femmes ! suffoquait le gros homme (« partagé », précisais-je, entre « l’indignation » et une terreur « d’apoplectique ». Là-dessous une bergère, là un fauteuil, une table de jeu, un bourdaloue gueulait Eliphas - « vase de nuit en forme oblongue