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NOX PERPETUA DEVELOPPEMENTS I, 1-11

COLLIGNON « NOX PERPETUA - DÉVELOPPEMENTS »

 

(2035)

J'aimerais savoir ce qui se passe. Mon intelligence est intacte. Des épisodes me sont dictés, mais je n'ai pas dépassé l'an 1900. Wellesley-Leurbeyrolles : mot de passe. Renseignements pris, il s'agit dans le premier cas d'un gouverneur des Indes britanniques de 1797 à 1805, frère aîné de Wellington ; « Church and Wellesley » se trouve, pour sa part, à Toronto, dont il est « le quartier homosexuel ». Voyons le nom suivant, de haute noblesse française peut-être : il est de notre stricte invention. Dommage. Et c'est ainsi que je retrouve, dans le jardin enneigé de Pasly, cette femme magnifique et mûre que je désire et qui me désire. Elle tremble de froid, les possesseurs du jardin l'ont recueillie là, en lui promettant ma venue prochaine.

A présent nous aimerions, elle et moi, nous réconforter mutuellement, à l'abri. Voici un vieux porche en bois, voûté à plein cintre. Mon épouse nous a rejoints ; l'intimité n'aura duré que quelques instants - pourquoi mon épouse Arielle se trouve-t-elle avec moi en ces circonstances ? pourquoi partageait-elle ma trouille intense, alors que la clé tirée de ma poche s'adapte parfaitement à la serrure ? derrière ce portillon ainsi surgi devant nous il nous semblait entendre les cris d'angoisse d'une femme qu'on menace de la torture ! Or cette porte basse donne dans une cour, celle d'un lycée battu des vents ; ce grand espace est garni de candidats au bac, malgré le plein hiver. Partout règne un grand remue-ménage. Ma femme ne tarit pas de reproches, passe et repasse la porte, que j'ai pourtant soigneusement refermée derrière nous. L'angoisse et la peur étreignent chacun de nous trois. Elle se déshabille, et dans mon dos les deux femmes ont disparu, ont quitté la scène et l'histoire, condamnées à combattre, ou à s'entendre, de l'autre côté du mur, dans le froid neigeux du jardin.

Pourquoi suis-je toujours voué à parcourir en bout de cour ces toilettes immenses, comme si j'y avais subi un viol permanent ? J'aperçois le dos voûté d'un génie de Contes, en frac, dont les épaisses moustaches dépassent de façon menaçante ; il me réclamant d'une voix sombre le mot de passe. J'urine en hâte, avant qu'il ne se retourne ; au premier mouvement qu'il esquisse, vite, je m'évade par une lucarne. Par les toits. Une mansarde : sauvé. Deux lits crasseux, abandonnés, sordides : c'était la loge des pions, au temps de l'internat. Un coup d'œil par la fenêtre : le toit reste vie, et personne ne m'a suivi. Mais en tournant la tête vers le haut, je découvre tout un étagement de mansardes en quinconces, un vrai château de Chambord misérable. Plus haut, une fille apparaît au coin d'un carreau crasseux. Je la rejoins par des étages intérieurs : « Je suis prêt » dit-elle, mais c'est moi qui ne le suis plus. Alors, elle part, sans bien refermer la porte de cette autre mansarde. C'est alors que dans un spasme de terreur je m'aperçois que le grand Génie noir m'a rejoint par les escaliers. Pourtant il ne me voit pas. Sa fonction est d'être là, d'effrayer, sans passer à Dieu sait quel acte. Je sais à présent où je suis : à Guignicourt, où ma mère couchait dans la mansarde précisément de son père mort.

C'est le Génie. Inoffensif, fantômal, mort. Pourtant je me roule sur le lit, hurlant de panique. Le génie s'est dissout dans les airs, mais les pas que j'entends gravir les escaliers sont bien présents, bien réels cette fois :la police, ou bien la milice, ou je ne sais quel groupe qui m'appréhendera pour avoir ignoré le Mot de Passe...)

 

39 09 26

Investissement d'une mission sacrée. Mon épouse ici portera son vrai nom, qui est celui d'Arielle, femme de Joachim, parents de la Vierge. Nous croyons en la Vierge parce que c'est notre mère, nécessairement vierge, telle que nous l'imaginions enfant. La première scène se passe à midi, Arielle est assise sur une chaise au milieu d'un trottoir, devant une fenêtre ouverte. Devant elle je me suis penché sur un carton contenant du raisin avarié, à demi mangé, au-dessus duquel tournoie un essaim de moucherons que l'on appelle drosophiles. Soudain paraît à la fenêtre, dans le dos de mon épouse, une espèce de furie jaunâtre : « Vous allez rester là longtemps ? ...vous nous bouchez la vue – Je m'en vais. Mes deux amants m'accompagnent, l'un et l'autre me ramonent successivement. » La vendeuse éclate de rire, son aspect démoniaque disparaît.

L'ENVOL, TABLEAU D'ANNE JALEVSKI

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Arielle se lève pour une destination qu'elle a précisée, que j'ai oubliée. D'autres sont invités chez Lazarus, je n'en suis pas pour cette fois, me voici seul avec la Vavrino. Combien elle m'ennuie ! Derrière la fenêtre, à l'intérieur, s'étend un bistrot ariégeois ; sur la lucarne d'icelui repose un soutien-gorge, abandonné là par une qui étouffait. Lorsque je poussais la porte, la serveuse me fixait : c'est parce que je suis très beau. Le miroir que j'ai à mon tour fixé me l'a confirmé : c'est un morceau de glace ébréché. Il ne s'agit pas de moi, mais de l'homme qui pisse et agit en mon nom à l'intérieur des messages de Dieu. Quand je ressors, soigneusement digne et boutonné, je crains d'apparaître un peu crispé.

L'apparence d'un envoyé de Dieu doit être irréprochablé, même après avoir excrété. Il y a derrière lui toute la queue d'un long rêve. Glose celui qui peut.

 

39 09 27

Il m'a été donné de croiser des êtres extraordinaires. Il suffit de parler d'un homme pour qu'il devienne héros, héros de récit. Milanese était un hirsute, un niais, dessinateur au rabais. Juste bon à fournir des cigarettes. Je viens de la taxer. Ainsi s'exprimait Léna, 60 ans, devant un jeune mendiant. Voici par terre, devant l'auberge d'Ariège, un gros flacon laissé là, vide, sale, poussiéreux. Mon père l'a laisé tomber là, négligemment, comme il fait tout : ses flacons, ses maîtresses. Et si je débouche cette fiasque, il se dégage une puanteur d'acide à faire reculer. Il est plein. Transparent, mais plein. À s'y tromper. Mais qu'est-ce qu'il peut. Quel animal peut survivre dans ce milieu. C'est bien la question qui me vient juste alors qu'une raie, raie lisse, remonte des profondeurs. Je tiens entre les mains ce gros bocal désormais, cet aquarium bientôt. Qu'ai-je fumé ? En surface, la raie se retourne !

C'est une chauve-souris, un mammifère, sans soupçon d'amphibisme, qui me montre à l'envers son visage, une espèce mixte, attirant les souris. Elles arrivent, quatre ou cinq, dessinées par un Walt Disney, et la déchiquètent, petit à petit, sans hâte, méthodiquement. Sur ce qui est à présent devenu un aquarium, je jette un linge pudique : tous nagent, sauf moi, je ne pourrrais pas déployer mes bras sur une surface aussi faible. Pourquoi dévorer un être si faible, si mort, si étrange. Et si je retire le linge, afin de tout voir après tout, je m'aperçois que les souris se sont enfuies dans leurs papiers, mais que le fier animal, créature indéfinissable, est déjà bien mal en point ; l'aquarium est alors parfaitement sec.

(plus tard)

...or il n'y avait plus rien de juste dans tout cela, Je me trouvais en plusieurs lieux à la fois, je vivais plusieurs vies du passé à la fois, entendez que mes vies se superposaient en moi : en plusieurs épisodes de ma vie. Elle, et mon regard, étaient devenus profonds à l'instar de ceux qui vont mourir du sida ou qui vont mourir, et seuls à le savoir se retiennent tandis que leur œil s'approfondit dans les lueurs de fins d'après-midi. Et l'orgue et ses paliers [sic] résonnaient dans ma tête. Un jeune homme, droit, de dos, jouait pour nous, suspendu dans les boiseries raides et claires, et les femmes à ses pieds poussaient un balai anobli sous les cascades méthodiques des tuyaux.

 

 

Crémation : marque d'irrespect et de déshonneur pour ce qui fut un instant demeure du Créateur. Caractère d'autant plus abominable de l'holocauste. Un rabbin transportant une ou plusieurs urnes remplies de cendres doit nécessairement les avoir recueillies sur un lieu de crémation criminelle. Cependant, certains mouvements réformistes admettent que l'on enterre des cendres à l'intérieur d'un cercueil, et les familles peuvent afficher leur deuil, et même réciter le Kaddich. Ces précisions sont tirées d'un article de l'Encyclopédie du judaïsme. Un rabbin ne peut assister à une crémation. Comme le transport s'effectue à l'intérieur d'un wagon de marchandises, il est fait référence aux sinistres déportations que l'on connaît, avec effet en quelque sorte anticipé. Rien n'indique par conséquent qu'il puisse étreindre une ou plusieurs urnes, d'autres peuvent aussi bien garnir le plancher du wagon et tressauter sur les aiguillages. S'il fait si froid, c'est que les fermertures ne sont pas hermétiques. Nous verrions volontiers des portes coulissantes large ouvertes sur un paysage de neiges lugubres. La composition en tache d'huile ici s'impose et prend son ampleur de maturité : trouvez un autre auteur qui se soit permis, jusqu'à sa mort ou presque, de ne composer que des œuvres de jeunesse. Or voici le miracle : une de ces urnes prend la forme d'un cercueil, première étape formelle d'une réhabilitation ; et de ce cercueil, par une longue fente, comme un génie de la Lampe, s'étire et se forme dans l'air une jeune fille juive, qui représente l'apogée de toute beauté féminine de peau blanche.

C'est une flamme bleu ciel, mais soutenu, qui se forme en spirale comme un ectoplasme. Nous espérons un discours visionnaire : qu'aura-t-elle vu, de quelles certitudes et consolations remplira-t-elle nos cœurs, si tant est qu'une preuve ou même un témoignage sans mensonge puisse faire éclore un quelconque espoir de solution finale du fond de l'Abîme. Les amples draperies bleutées s'enflent alors et l'emporte par l'ouverture vers le ciel, au-dessus du convoi. Alors en pleins champs le train s'est arrêté. Nous en descendons tous, et j'aide à passer les robes à panier. C'était la mode en ce temps-là. Il me faut respecter beaucoup la trame qui m'est offerte. Et cette prairie où nous descendons, je me convaincs de l'avoir connue à l'âge de six ans.

Quelle distance, et que je me sentais bien en ce temps ! J'ignore pourquoi. J'embellis tout sans doute. Mais à présent je suis adulte et plus qu'adulte, et mon temps passé me désespère : un homme de sable est coincé dans un sablier, et sent avec désespoir son corps s'écouler dans le vase inférieur ; il veut sortir de là, ses mains s'appliquent avec désespoir sur le verre et son visage exprime l'horreur. Nu ne peut sortir du fatal sablier, et cette image fait rire. Pour moi j'applique ma tête au sol et veux m'y enfouir en vrillant de toutes mes forces, en désespoir du temps passé. Vous aurez vu la même scène où des Italiens se fusillent à travers un champ de blé ; le père de même enfouit sa tête en vain, et se fait abattre, par pitié. Est-ce 1900 de Bertolucci ? Mon épouse se fout de ce que je puis dire. Je lui aurais bien raconté tout cela, qui se déroulait dans un rêve, celui que je faisais dans cette si belle et atroce prairie. Alors les employés, passant de groupe en groupe au long du talus, nos invitent tous à rejoindre le convoi, et nous retrouvons nos voitures bondées. Il y a là mon amie Jou, que je désignerai désormais autrement, et Marie Bouvousole, épouse Cousin.

Ces deux femmes existent vraiment. Je les ai méconnues, comme toutes, que nous ayons baisé ou non. Il y a tant de monde sur ces banquettes qu'une jeune fille de treize ans, comme j'en ai tant conu, s'appuie du visage contre mon bras nu. Elle somnole et nous ne bougeons pas. Fait-elle cela à tous les hommes ? D'un arrêt à l'autre, la voiture se vide, nous reprenons un peu nos aises, les robes à nouveau s'étalent. Et, luxe inouï pour le dernier trajet, nous pouvons mes compagnes et moi gagner la galerie supérieure, d'où l'on jouit d'une vue imprenable sur les petites vitres allongées à hauteur des yeux. Vraiment la belle conception.

En vérité ce train comme celui de Proust se traîne savamment par toute la campagne normande. Rendez-nous nos écrivains. La petite station de descente se trouve en plein bocage. Notre automobile nous attend, et nous entraîne encore plus loin, dans une autre prairie, touffue, humide à ravir. Elle est bien close, et sert de parking : mais il n'y a que nous. Après la lettre à Sophie Volland, notre humeur est agreste. Et ce sont trois frères peut-être, ou cousins, qui nous accueillent dans leur ferme. C'est là que nous passons la nuit, chacun dans une chambre ; et quand je me réveille, mes compagnes doivent me quitter, ma voiture a disparu malgré la barrière : ma propre épouse monte dans celle d'un autre et s'en va, très loin d'ici. « Guidez-moi ! Suivez-la ! » Les trois frères secouent la tête d'un air entendu : toutes ces femmes se rendent en un lieu très secret, d'où je dois être apparemment exclus.

Ô dérisoires chastetés ! « Vous vous perdriez. Nous ne saurions pas même vous instruire. » Qui sont-ils ? Peut-on là-dessus construire quelque chose ? Quand je les reverrai, je le leur dirai. Elles conviendront qu'elles ont bien pensé se débarrasser de moi, pour enfin se retrouver entre elles, sans ambiguïtés d'aucune sorte. Elles agiteront devant mes yeux des foulards légers rouges, verts ou bleus, qu'elles auront trouvé à vendre sur un lointain marché normand. Tout s'emboîte bien à propos... A présent c'est la première fois que je fais cours dans un si grand établissement, couvrant plusieurs km². Serai-je à la hauteur de ce qu'ils me demandent ? Et, d'abord, qui me demande quelque chose... J'aurai face moi des jeunes gens, des jeunes filles, à peine plus jeunes que moi, illuminés d'une attente bien plus forte que celle de n'importe quelle administration ; j'espère ne pas succomber à la honte en récitant un livre qu'ils possèderaient déjà, comme cela m'est déjà arrivé : il suivaient sur le fascicule. Instruire n'est pas réciter par cœur devant des fermiers dubitatifs. Son père relevait la tête : « N'est-ce pas qu'il est bien doué, mon fils ? » Le vieux paysan, qui devait mourir quelques années plus tard, hochait la tête en considérant l'enfant prodige : « Ce n'est rien, de réciter comme ça ; cela ne prouve rien du tout. » Préparer des cours de bonne qualité implique une extrême implication, une confiance en son propre raisonnement, un pessimisme moins paresseux : forge tes propres phrases, n'imagine pas qu'il existe, au-dessus de toi, une activité plus prestigieuse à laquelle tu pourrais sacrifier la préparation de ton cours, de tes propres convictions, qui existent, quoi que tu en penses.

Toi aussi tu peux inventer, sans te contenter de transmettre ce qu'on dit les ancêtres. A l'aube de la fin, tu plonge encore le regard dans l'abîme de l'action. Ils sont là devant toi, tes disciples, grands, blonds, intelligents, pleins d'attente au singulier comme au pluriel. Abandonne la vitesse, approfondis-toi, approfondis-les. Certains garçons portent une cape noire et romantique. Et si ta conférence n'est pas préparée, si ta science est insuffisante, appuie-toi sur un texte. Et si le texte est mal imprimé, que les caractères se brouillent, que ta langue bute sur les mots, c'est que le rêve ou le sort te sont défavorables, c'est que la maladie du doute en toi s'introduit. Tu ne peux même pas traduire, ils se détournent de toi et font club contre toi, ou à part.

Le texte philosophique se dissout, d'abord les accents, puis les esprits puis les omégas. Ce sont les lignes à la fin qui se mêlent et se dissolvent. Ces disciples ne sont plus les miens, ils s'informent entre eux de ce qu'est leur vie, ils s'instruisent par l'exemple et la différence, et tu es relégué au fond de ta honte. Je pense plus à la stupidité. Cela peut-il se rattraper ? Le cours du lendemain porte sur un texte de notre langue : à l'aide de certains mots que j'ai soulignés lors d'une lecture précédente, je parviens à élaborer un commentaire suffisamment verbeux pour donner le change.

Mais on ne donne pas le change. Cet âge juge vite, et ne revient pas sur ses décisions. Déjà la plus belle étudiante, une fille à la Julien Gracq, aux yeux de qui j'aurais mesuré le poids de toutes mes paroles, m'a déserté. Privé d'approbation, mon cours s'étire dans l'ennui, l'alchimie n'opère pas, et lorsque le gong de fin retentit, un petit brun chafouin, sarcastique, m'interpelle : « Est-ce que ce sera comme ça toute l'année ? Je réponds oui : c'est ce que je fais de mieux, ce que j'offre le plus volontiers. L'étudiant s'embarrasse. J'ignore ce qu'il voulait dire. Mes airs triomphants. Ces tambourinements de poitrine. Ce sentiment d'être dans le vrai. D'avoir bien moulu le grain.Je ne suis pas fâché de retrouver enfin la grande ville, aux dimensions d'Argentan. Il vient de s'y ouvrir un lycée tout neuf, bâti dans les meilleures proportions, hauts murs immaculés. C'est ma jeunesse qu'ils attendent, et mon inexpérience fraîche. Ils m'ont confié de plus des disciples de mon âge, contemporains. Je n'ai pas préparé le cours, comptant sur la grâce. Déjà mes jeunes gens m'ont prêté attention, mais il ne faudra pas négliger de la faire épanouir. Nous nous séparons, le sourire est dans l'air. Mais c'est au maître aussi de passer des épreuves ; d'immenses oraux semblables aux initiations. Vingt-quatre entretien sur vingt-quatre textes. Le premier portait sur Valery Larbaud, Nerval et Prince de notre siècle. Le second me mène en face d'un bureau où siège, le front chauve et barré de rides, ce magistrat plus entraîné aux diatribes municipales qu'aux subtilités anacréontiques. C'est un homme en vue, même éminent. Nous apprécions nos élans poétiques.

Mais il est bien tard, l'entretien commencé, pour obtenir de revenir chez soi, et remettre la suite après déjeuner. Je n'oserais troubler notre bonne intelligence ni le règlement.Si nous n'en sommes qu'au second oral, comment peut-on envisager d'entasser les 24 épreuves en une journée ? Je veux en sortir vivant : il m'en coûtera la semaine. Je m'en suis bien tiré, par le moyen du bon agencement de l'analyse. Le candidat m'a semblé satisfait, mais il ignorait que pour y parvenir, j'avais évoquél'image de ces fleurs blanches couramment nommé « boules-de-neige ». Puis, n'ayant rien de mieux à faire pour l'après-midi laissée libre, j'emprunte un chemin de crête au crépuscule.

Voici une maison de bois, très accueillante, un peu cachée en ces sommets, où je pourrais facilement m'installer. L'urgence est d'excréter le plus profond de mes entrailles : non le chant mais la chierie - or je ne parviens jamais à chier, mais il suffit de quitter cette pièce obscure pour constater que d'autres se sont emparé sans modestie de tout l'espace extérieur : la rayonnante Louti, déesse de la lumière, et son radieux fils, dieu du sourire et du mystère, le plus énigmatique, le jour de son anniversaire. Bientôt chantera le grand Lahn aux longs cheveux dorés, aux longues bottes de plastoc.

En compagnie d'Arielle-Séraphîta nous parvenons au camp retranché au-delà des crêtes ; il faut supposer que la pente a redescendu, que des pentes verdoyantes d'une Suisse ou d'une Dordogne nous soyons retournés dans l'antique désert, où vivent de farouches peuplades, cernées par le sable et ses invisibles ennemis qu'il engendre. Ce ksar rudimentaire est constitué de toiles blanches et sales, sommairement renforcées de terre tassée. Vit là-dedans une population mangée aux mouches. Séraphîta disparaît dans un de ces gourbis de terre aussi peu pourvus d'ouvertures qu'une galgala vernissée des sables. Elle est reparue coiffée d'un keffieh de combat, et je me sens rejoint par les troupes françaises, sur le point d'assiéger : les officiers m'entourent et me témoignent leur sympathie ; vaut-il mieux négocier ? montrerons-nous, pour inciter à se rendre, ou pour traiter avec moins d'insolence, ces photos qui circulent, montrant d'horribles cadavres sanglants et découpés, femmes, enfants, dont nul ne connaît l'assassin ? Les armées parfois massacrent, afin d'accuser l'ennemi. Peut-être aussi les habitants du ksar ont-ils tué de leurs propres enfants, afin d'entretenir l'émeute et l'insurrection, afin de communier sur les corps avant de s'entretuer, de s'entresacrifier rituellement sur les corps dépecés de leurs propres entrailles, chair de leur chair. Ils sont 42 corps, découpés dans d'immenses corbeilles, vArielleries plates au travail remarquable, soulllées de sang. La lutte n'est pas près d'être finie. Il semble qu'elle durera infiniment, si la religiosité s'en mêle, si la rejointure à la divinité exige tant de cruautés, de cruor, « le sang répandu ».

C'est alors que survient l'enfant. Il s'appelle Mohi, il est pur et blanc, tel que je fus à dix ans. La tour qu'il construit devrait atteindre atteint trente étages. D'abord il empile. Sable sur sable. Il lève les yeux, fixant une image publicitaire, roulant dans son cadre, à même la plage : toc, rrr, toc. Cela lui donne du courage. Si la publicité représenbte l'immeuble, c'est la preuve la plus formelle que son entreprise s'achèvera. Je le regarde : mon fils Igor attend de moi que j'aménage ces cubes siliceux, pour présenter de confortables logements, avec vue luxueuse sur la mer. Et lorsqu'il a fini, je me hisse à l'intérieur jusqu'à la terrasse la plus élevée, d'où je domine d'un côté la mer, de l'autre côté la ville.

Sans doute a-t-on surestimé la quantité de sable du mortier, car j'y patauge, mes semelles y crissent sur la pâte sèche : le vide est là, non loin de moi, après ce mince parapet de 40m. Et l'on a hissé là, par les escaliers de sable, un trampoline vert, alors je saute, je saute, je rebondis, croisant dans mes rebonds ce tout jeune homme appelé Spiderman , ce ne pourrait être aucun autre, si vite que je l'entrevois à peine. De plus en plus vite. De plus en plus haut. De plus en plus de biais puis au-dessus du vide. Redescendons l'étage : Spiderman s'exerce encore ; ses dieux le soutiennent. Et me voici dans une immense salle, donnant de tous côtés sur le ciel, bourrée d'hommes, sans trace ni possibilité de meubles.

Tout autour de l'immeuble, combien d'autres tours encore, constituées d'étages aux cloisons de verre, vastes salles cubiques superposées où s'entassent les gens sans cesse, les plus proches les mains sur les vitres. Les voici tous hermétiquement confinés. Le jeu commence : certains entassés trouvent l'espace d'entrouvrir leurs mains et de laisser choir à terre d'énormes pétards qui explosent ; les enfants – car il y a dans ces salles aussi bien des enfants – poussent des hurlements de terreur – les adultes éclatent de rire, et dans mon cube trnslucide, moi, au moins, je me scandalise, et tous les enfants que je peux attraper ou caresser, je les rassure et les réconforte. Mais la foule est trop compacte, restreignant à presque rien mon domaine de consolation. Sur la plage, tout en bas des grands appartement de sable, les pArielleaux électrique nous vantent celle fois d'autres villes, d'autres séjours que celui-ci, aux vitres considérablement renforcées. Je tire dans un angle une carte routière de ma poche : les mouvements prisonniers de la foule dégagent parfois d'étranges espaces, comme un air en sursis : et de près, la carte montre au zoom des villes en ruines, après les bombardements de l'ennemi.

Dans les appartements qu'il faut croire bien résistants, le vacarme inhumain des pétards s'apparente de plus en plus à ce massacre où j'ai participé : celui de la famille impériale de Russie, le 17 juillet 1918. En vérité, on n'a pas le droit d'épouvanter ainsi les enfants.

 

50 10 19 Parenthèse

 

Réflexions : C'est moi qui ai voulu en rester à 18 ans. Je n'ai pas à me plaindre. Avec l'impuissance qui s'y rapporte. Je dois m'accepter. “Connais-toi toi-même”. Ma comédie sociale,mes faux-fuyants, j'en ai ma claque. Baiser je ne peux plus. C'est au-dessus de mes forces. E finita la commedia. Une autre comédie commence – crois-tu ? dormir.

 

 

50 10 31

Lors d'une discussion dont le début m'échappe, je déclare à ma femme : “Je suis impuissant”. Ce qui lui déplaît profondément : elle répète ma phrase avec acrimonie ; c'est un prétexte pour ne pas la satisfaire. Mais je ne sauis pas seul responsable ! C'est à elle aussi qu'il appertient de me stimuler ! Mais il faut se lever, rejoindre sa voiture pour se rendre à son travail : il fait déjà grand jour. Mais à travers les murs, je l'entends s'écrier : “Sur quel ton il a dit ça ! C'est humiliant ! C'est humiliant !” Et dans cette rue très claire de Tanger, je me fais la réflexion qu'elle l'a bien cherché, sans pouvoir me départir d'un fort malaise. Il faut bien que ces sentiments procèdent d'une certaine réalité, puisque je les ressens toujours à mon réveil.

 

50 10 31, nuit

 

Les premiers instants du coucher sont douloureux. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que l'on parvient à surmonter l'angoisse de franchir les Portes de la Nuit. Portes du moi, mystère...

Celui qui dans ses veilles ressent malgré lui des sentiments si discontinus, si disparates, possède peut-être après tout le don de personnalités multiples ; mais est-ce si sûr ? est-il possible, est-il facile et honnête pour lui d'en tirer parti, peut-il impunément se glisser sans dommages dans ces diverses personnes ?

Cerrtains autres, peut-être les mêmes, s'aperçoivent avec désolation que c'est seulement au coucher que se révèlent de fortes résolutions, juste au moment qu'il n'est plus temps ; il ser tenté d'espérer une belle mort à venir, pleine de vaillance et d'enseignement pour son entourage s'il y en a ; mais c'est peut-être aussi qu'il se faut raffermir et recomposer avant de doser inconsciemment le bon mélange, devant produire les rêves sinon révélateurs, du moins réparateurs. Parfois, au réveil, cette résolution a traversé la nuit : mettez-le en pratique.

Il vous faut donc dominer, discipliner les courants divergents, les utiliser, à des fins littéraires (pour ceux qui manquent d'ancrage concret). Les invocations, équilibrages et déséquilibrages cuisinés dans le rituel des pratiques et prières (d'aucuns diront superstitieuses) devraient dans l'idéal permettre une vie perpétuellement passionnée, que bien peu d'entre nous pourraient supporter. Il existe des livres de prières pour les trois cent soixante-cinq anges de l'année ; chacun peut se les procurer dans les librairies spécialisées. Peut-être y croirez-vous ; maintenez cependant toujours une distance, et n'oubliez pas que la sincérité rend fou, mais que la fausse science est bonne.

Birobidjan P.S. Je ne sais pas quoi faire de mon sexe. Pourquoi ? Mourir perplexe.

50 11 03

 

J'ai rattrapé mon chat sur le fleuve Amour, gelé, en vagues.

(Dans l'autre monde, le chat s'est enfui de sur mes genoux. Je l'ai caressé sous la gorge, et le temps de sentir une grosse cicatrice, il m'est sauté des genoux et je ne l'ai jamais revu. Pouvait-il croire que je voulais l'achever ? Quelle terreur nocturne ai-je ravivée, quel égorgement animal, je l'ignore. Les deux occasions où je l'ai revu, il s'est enfui).

Le fleuve Amour, séparant la Chine de la Sibérie, longeant le Birobidjan où Staline établit des juifs, signifie en réalité « fleuve boueux ». Dommage.

 

 

50 11 05

J'ai l'impression d'être sans cesse au lit, sans cesse à table. J'ai l'impression de vivre sans cesse la même journée, tel un moine attaché à sa règle. Comme le moine, je mourrai sans avoir vécu autre chose qu'une longue journée. Qui serait cet homme qui aurait vu tant de vieilles villes parmi les rochers. Est-il vrai que je n'aie pas de caractère ? Je cède à celui qui gueule. Mais peut-être y avait-il une grandeur chez mon père, une fierté. Toutes les nuits me voici face à moi-mêm

 

50 11 23

Quelle est cette métropole où elle et moi nous retrouvons, grouillante, sous une pluie battante ? Qui attendons-nous au coin de cette avenue d'intense circulation ? Reconnaîtrons-nous le véhicule qui doit nous transporter ? derrière nous s'élève une digue, extrême-orientale : Houang-Ho ? Shinano de Niigata ? Nous formons des numéros de téléphone : personne ne répond. Plus tard, dans l'après-midi, me voici dans un amphithéâtre de faculté, une de ces constructions circulaires et plongeantes à l'ancienne, où pérore un de ces clowns promus professeurs de faculté : de taille immense, mains en battoirs, pieds démesurés, dispensant une leçon très inattendue ma foi sur les rapports entre Proust et les Essais de Montaigne. Jean-François Revel, dans son ouvrage Sur Proust, éditions Grasset, collection "les cahiers Rouges", contient un chapitre (le V) consacré à "Montaigne à propos de Proust", où il réussit à rapprocher ces deux auteurs qui a priori se situent à des confins opposés de la galaxie littéraire.

Jean-Luc Picard le cite en ces termes, p. 158 : "Montaigne et Proust connaissent les hommes parce qu'ils sont eux-mêmes plusieurs hommes... Ils ont cette sensibilité en toile d'araignée qui permet de capter en soi la façon exacte dont l'autre se sent en-dedans de lui-même." "Il faut (à mon avis), précise Picard, chercher [leurs affinités] non dans les sujets manifestes de leurs oeuvres, encore moins dans des courants ou des écoles, mais dans le type d'hommes et d'écrivains qu'ils incarnent." Mais ma personne, dans l'amphithéâtre, se montre peu sensible au sujet traité, bien plus concentrée sur les gesticulation de l'enseignant, tant il est vrai que le corps, plus que le discours, exprime l'âme.

Plus cet homme s'agite, plus ses extrémités se développent : c'est de la véritable acromégalie, agrandissement maladif hormonal des mains et des pieds. Il monte et descend les escaliers, interroge voire interpelle des étudiants qui n'auraient pas envie de s'exprimer, de "participer" comme on dit sur les bulletins scolaires. Le voici désormais torse nu, bronzé, immense, à la façon d'un Zeus Lance-Eclair. Il rabroue une certaine demoiselle Mouton pour sa lecture à haute voix particulièrement molle et monotone. Ma lycéenne s'appelait de même, avec un "h" : "Mouthon", mouth on ? Mais voici le professeur en bronze qui ressort sous la pluie ; l'auditoire l'entend déclamer, chanter, brailler : il ramène bras-dessus bras-dessous une paire de retardataires. Nous en restons tout époustouflés, mais plus que jamais sur la réserve, peu désireux de participer à ce cirque ; n'ai-je pas cultivé dans mes cours ce genre de transmission du savoir ? Et ne serais-je pas devenu aussi grandiose, aussi grotesque, si j'avais pu accéder moi aussi à l'enseignement supérieur ?

50 11 27

J'ai tant besoin de mon corps complémentaire. De mon corps comme reste, excroissance, résidu de l'esprit, mais seul véritable. Simplement la prochaine fois je prendrai une femme qui ne pense pas. Tant de messages notés dans l'urgence, jetés après six semaines ; tant de commentaires enamourés de soi. Que faire de tous ces « bonheurs d'écriture” ? Repente pertruatur. Berdé moralister évencté - Sagolas de perso lamaltibus latinum popinae.

Seges actéôn sogastaque leniant. Adque praepotentem regere ligna sinant, dum molities inter aedes Paphlagoniam erithursentes. Latinum verum.

 

50 11 29

Comment peut-on ainsi passer toute sa vie au lit ?

50 11 30

« Ma mère a pissé au lit. Tout est détrempé : je dois tout nettoyer » : une telle épreuve me fut épargnée. Mais en la nourrissant de compote sur son lit de mort, recueillant sur ses lèvres les bavures et les redirigeant vers sa bouche, je me suis soudain

détourné pour pleurer, pensant à cette inversion des rôles, aux deux bouts de la vie.

50 12 01

Je marche (je suis une jeune femme) dans une ville coloniale munie de grands terrrains vagues. Je chante d'une voix très claire. Les hommes se tiennent à distance. Mon chant doit à la fois les charmer et les éloigner. Les paroles sont dans ma langue. Au moment où je traverse un long terrain vague au sol gris d'argile très fine, un rideau ou plutôt un store géant s'abaisse devant moi, m'emprisonnant. Cela devient l'intérieur d'une pièce. Un vieux monsieur corpulent et paisible s'assied près de moi sur un banc, une petite fille nous regarde d'un air de blâme ou de méfiance, je continue à chanter “Motchisvo” (“Liberté”). C'est un grand apaisement, il me semble que je peux avoir confiance en cet homme.

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