Henri III
COLLIGNON
JACQUELINE BOUCHER “HENRI III”
Parlons d’Henri III, dernier des Valois, roi de France, 1574-1589. Et mettons tout de suite les choses au point : il ne faut pas en rester, et jusqu’à quand nous en faudra-t-il rester à cette image du roi pédé ? « Allô Henri III ? - C’est elle-même ! » - tromperie sur la marchandise : Jacqueline Boucher, autrice de l’ouvrage éponyme, reprend la thèse de Philippe Erlanger dans sa grosse biographie : n’en déplaise à certains petits messieurs qui aimeraient bien l’introduire dans leur cercle, Henri III ne fut pas homosexuel, en tout cas moins que Louis XIII. Henri fut couvert de boue par les braves catholiques de l’époque, plus calomnié encore que Louis XVI. Nous avons surtout conservé les aspects folkloriques de ce grand roi qui essaya le plus possible de maintenir l’unité d’un royaume déchiré par les guerres civiles.
Ainsi de ce fameux symbole du bilboquet : sa vogue n’a duré que quelques semaines à la cour – sur quinze ans de règne, c’est peu. Son épouse Louise de Lorraine fut profondément amoureuse de lui, et ne se remit jamais de son assassinat. Pourtant il posséda, roi de France oblige, nombre de maîtresse qu’il s’efforça de lui dissimuler. On lui attribua même un enfant caché. « Mais les mignons ? » direz-vous – car vous n’êtes pas près de lâcher prise, « il n’y a pas de fumée sans feu ! » - là encore, détrompez-vous : sous Henri IV aussi nous trouverons des mignons, sans que le Vert Galant ait jamais été susceptible de pédérastie. « Mignon » signifiait tout bonnement « favori ». Les satiriques ont parlé de « visage fardé » : mais l’expression signifie aussi bien « empreint de dissimulation », « masquant ses sentiments ».
Qu’on l’ait vu travesti au Bal des Amazones ne prouve rien de plus : tous les gentilshommes s’étaient pareillement mêlés à ce bal, et les femmes y parurent déguisées en hommes. Nous avons vu de tels amusements au carnaval de Vatan dans l’Indre ; cela ne peut prouver l’homosexualité de toute une population ! En revanche, le cadet du roi, le duc d’Alençon, était, lui, complètement homosexuel ; mais comme il penchait du côté des catholiques, pas un pamphlet, on disait un pasquil, ne l’atteignit lui-même, cible facile et autrement scandaleuse ! N’oublions pas que l’homosexualité en ce temps-là était passible du bûcher ; que si Henri III en avait tâté, on en retrouverait la trace en maints écrits, en maintes allusions.
COLLIGNON LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 2039
JACQUELINE BOUCHER “HENRI III” 39 03 17 2
Or il se trouve que nous en sommes toujours réduits aux mêmes sources : les pamphlétaires, qui finirent par le faire assassiner sur sa chaise percée en 1589, parce qu’il voulait léguer le trône à son lointain cousin Henri de Bourbon, de religion réformée… Le souverain pressentait le drame de sa succession et fit de nombreux et ardents pélerinages avec son épouse pour obtenir la grâce d’un enfant. Si nous avons attaqué bille en tête sur ce point, c’est parce qu’il nous semble capital de détruire une légende confortable autant que calomnieuse. L’autrice d’ailleurs ne traite ce thème qu’incidemment, à sa place, à l’intérieur de l’ouvrage, et sans lui accorder plus d’importance qu’il n’en mérite, avec un certain dédain, usant des arguments que nous venons de vous présenter.
Les chapitres du livre traitent de choses bien plus sérieuses : le cérémonial de cette cour, ses fastes, la façon de gouverner, l’esprit baroque, l’atmosphère intellectuelle et l’italianisation des hautes sphères sociales. Il ne s’agit pas d’une étude chronologique, mais d’une approche thématique, ainsi que nous l’avons vu par la disposition des chapitres. Le lecteur navigue ainsi du début à la fin du règne, et si l’on n’est pas au fait des évènements, c’est un peu déconcertant. C’est ainsi que l’on fait plusieurs fois allusion au fameux « duel des mignons », sans nous dire jamais ce qui l’a provoqué, ni quels en furent les protagonistes. Cependant nous sont présentés des tableaux fort convaincants fixés dans nos mémoires, comme celui de ce faste puissamment déployé.
Comme il n’existe pas d’administration à l’échelle nationale, le Roi doit s’assurer la fidélité de ses vassaux en les comblant de cadeaux et de privilèges. Puis, après avoir fait leur « quartier de cour », c’est-à-dire un quart d’année, un trimestre, obligatoire afin de rester dans les faveurs du roi, les seigneurs s’en retournent dans leurs provinces pour y faire appliquer la loi royale. Comment se logeait la cour ? Versailles n’étant pas construite, c’est au Louvre qu’il faut être, et c’est à Paris que l’on cherche à loger.