Proullaud296

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De Brioude à La Chaise Dieu

 

A Brioude, chargé de mes deux lourds bagages, je m'aperçois qu'il y a un hôtel parfaitement miteux juste en face de la gare. Les renseignements ont été très difficiles à obtenir.

 

Aurore.JPGJe ne saurais me souvenir de tout. Ma chambre est au deuxième étage, il faut tourner la clef deux fois, à l'envers, pour ouvrir et fermer. Je suppose que je me suis reposé, puis qu ej'ai mangé. Il y a une salle à manger au premier, raide, le couvert mis depuis des semaines pour un repas fantôme. Voulant faire peuple, je demande au bar si le repas a lieu "là-haut" ou "ici". "Ici". Malgré l'étonnement léger du garçon (38 ans, petit brun), je demande à être servi à l'intérieur. Vue sur un flanc de voiture. Repas honnête, je n'ai même pas demandé "ce qu'il y avait". Derrière moi des routiers tout simples parlent métier avec des intonations d'enfants ou de braves gens.

 

Ils discutent de conditions de travail et de revenus, sans aigreur. Je suis allé me promener après le repas, d'abord sous la pluie. Voilà ce que j'ai remarqué : Brioude est une ville mal

 

foutue, où l'on sent encore l'absence de plan d'urbanisation, ce qui prévalait encore bien sûr aux siècles dernier. Un gros bourg mal grossi. Rien de pittoresque, une basilique Saint-Julien fermée, et mon bourdonnement intérieur : "Je vais réussir à me perdre à Brioude, et il faut le faire". Une espèce de demi-fou m'entend, croit que je lui adresse la parole, je le détrompe avec des mines effrayées. Mes airs naïfs, pour ne pas dire couillon, m'attirent toujours des abordements pique-assiette ou pédés. Je ne veux pas avoir affaire aux pédés, aux drogués, aux originaux. Cela devient tout de suite revendicatif ou agressif. J'aperçois encore une silhouette de ce type. Les faux soixante-dizards et faux clodos doivent pulluler ici, l'été. Rester chez soi en juillet-août. Comme il n'y a pas de télévision en chambre et que je dois me lever aux aurores, je me suis contenté de radio. Je savais que la patronne serait debout dès cinq heures et demie. Les clients m'avaient bientôt expliqué tous les horaires de car, avec leurs arrêts, "là derrière, pas loin".

 

Je ne suis pas d'ici. Sottement, je me fixe un petit 6 h à la gare. Donc à 5 h ½, j'aide moi-même la patronne à descendre les chaises des tables ("Vous permettez ?"- ça fait peuple, et serviable.) Et je me mets en route à travers la petite ville aux premiers passants parmi les poubelles. Je demande au boulanger s'il faut prendre à gauche ou à droite d'un chantier, avec ses échafaudages. Il faut passer devant lui, en short, progresser sous son regard en gardant l'air naturel, lui dire par exemple alors qu'il ne m'a rien demandé, que je prends le car vers Le Puy. A l'horaire qu'il m'indique, le car est déjà parti.

 

Mais je ne me presse pas. Le départ est devant la gare, et nul détour dans l'agglomération, que je sache, n'est prévu. Ou j'ai mal compris. Le chauffeur, 40 ans, brun, mince, portant beau. Les passagères sont des dix-sept ou dix-huitenaires qui le tutoient avec une familiarité titillante. Il m'est demandé si j'ai une réduction, je dis que je ne sais pas, le chauffeur me répond que ce n'est pas lui qui va me le dire. Elles sont si jeunes que je n'ose exciper de mon âge pour demander une réduction-de-vieux. Tout le long du trajet, les conversations vont se succéder, où l'on ne parle que de cul sans jamais y faire allusion.

 

Le chauffeur s'appelle Tonio. Les filles le houspillent, lui parlent de ses nuits blanches, de sa petite amie, de leurs petits amis, de la pluie et du beau temps, sottises d'adultes aussi bien, échanges d'insipidités acidulées. Telles qu'elles en diront plus tard, devenues dures et âpres au gain, comme le laisse deviner un profil de mâchoire près de moi. Mais je sais de quoi l'on parle avec des jeunes filles : "Ce ne sont que des copineries", mais je sais bien, moi, pour l'avoir pratiqué des années durant pendant ma carrière de prof, que l'on parle de cul, de cul, et exclusivement de cul. De vitesse de doigt le long de la hampe, de précision dans les effleurements. Mais uniquement par la pluie, le beau temps. C'est la voix, c'est le charme qui font tout. J'ai aimé un nombre incalculable de jeunes filles. Je leur ai imaginé à toutes le sexe et la technique. Celles-ci se rendent aux oraux du bac, section vente, peur-être, un bac de filles, un bac de montagne.

 

Je repense à ces filles agglutinées sous les porches d'Oloron-Sainte-Marie, le dimanche soir avant le retour au pensionnat. Que d'innombrables branlettes se préparaient là... Entre filles, chacune sa chacune... Que c'est beau, que c'est avantageux d'être une fille... L'une d'elles, montée en cours de route, toute petite, avec du rouge dans les habits, m'a souri. Il y a des vieux que l'on trouve sympathiques, même si l'on ne couche pas avec. Je n'ai jamais eu que cela comme succès féminin. N'empêche que j'étais bien satisfait en arrivant à la gare du Puy. Les bavardages devenaient un peu passe-partout.

 

Des garçons étaient bien montés, puis redescendus, ce qui fait une phrase plus cocasse que je n'eusse cru ; mais plus jeunes, plus neutres, plus balourds. Engoncés. Considérant leur sexualité comme sale. Et j'ai dit au revoir au chauffeur, arrivé là trois bons quarts d'heure trop tôt, consigne inefficace (les fentes à pièces encore en francs, et inutilisables). Xxx 59 02 16 xxx Puis vers huit heures est venu vers moi un employé, jeune et nettement maghrébin, qui m'a emmené non loin de là pour signer le contrat. Ce fut un spectacle étrange. Le petit Marocain remplissait des papiers, me réclamait des documents et des garanties, d'un air empressé, fébrile, tandis que son petit patron de petite entreprise paradait au téléphone, le ventre avantageux, le verbe haut : il n'avait plus de véhicule disponible, même jusqu'à Brive, et pérorait sans fin.

 

Je sentais qu'il exerçait une autorité outrancière, y compris auprès de sa secrétaire, toute grise et victime de ses frustrations (à elle ou à lui ? “le français, langue de la précision” : pas ici). Je me souviens cependant que le petit employé m'avait dit que de "La Chaise-Dieu", j'aurais vite fait le tour", parce qu'il n'y avait "pas grand-chose à voir". Et la prière, connard ?

 

Commentaires

  • Il existe aussi des échafauds d'âges...

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