Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

der grüne Affe - Page 20

  • 24 DISSERTATIONS + UNE

     

     

     

     

     

    C O L L I G N ON

     

    VINGT-QUATRE DISSERTATIONS

    plus une

     

    I BRANLOMANIE

    Dans les années 2030, en retard déjà sur le bouleversement des mentalités, nous écrivions ce qui suit :

    « Toute vocation pédagogique es d’ordre sexuel. Mais si vous éprouvez la moindre velléité de tentation de passage à l’acte, vous n’êtes pas faits pour ce métier, vous y êtes même diamétralement opposés. Fuyez vite, loin, à tout jamais. Nous ne parlons pas des femmes, dont le contact physique, n’en déplaise aux effarouchés ridicules, n’a jamais fait grand mal ni aux garçons, ni encore moins aux filles. C’est aux hommes que nous nous adressons, qui forment la quasi-totalité de ce genre de malades : messieurs, s’il vous est arrivé de glisser dans cette fosse à merde, sachez que vous n’êtes plus, que non seulement ne compterez jamais plus au nombre des hommes au sens plein et viril de ce terme – mais que vous serez tombés au-dessous même de ce qu’il est convenu d’appeler « l’espèce humaine ».

    Or, l’éducation sexuelle, obligatoire et jamais assumée (chacun se repassant la patate chaude) est un des seuls moyens légaux et propres dont nous disposons pour cimenter les relations humaines dans le cadre pédagogique. Putain c’est bien dit. Mais con ne vienne pas nous parler d’Autorisation Préalable du Principal ou d’Accord des Parent, car à supposer que nous les obtinssions, ces autorisations, elles seraient assorties de clauses tellement restrictives et tellement comminatoires que pratiquement rien ne serait possible. Terreur latente et l’arme de poing dans la poche. Comme me disait Jeune Sépluqui, « quand je fais l’amour avec mes élèves, je ne tiens pas à ce que n’importe qui puisse venir me prendre par derrière » - c’est de l’humour tas de Cosaques. Aborder la pédagogie sous cet angle me semble désormais secondaire, bien qu’une telle approche ait été déterminante, non dans le déclenchement ni dans le déroulement d’une carrière suivie à contrecœur, mais en tant que justification a posteriori d’un comportement verbal plus ou moins obsessionnel – pour la plus grande joie des élèves auditeurs.

    Le jour de la Décision, il convient d’être au top de son honnêteté, en indiquant ses propres blocages, limites et tout ce qui s’ensuit : les vôtres, et pas celles d’une organisation chapeautante quelconque : « Vous me verrez hésiter, balbutier, rougisser. À chacun les séquelles de sa propre éducation. Mais je dirai toujours ce que je pense personnellement. Vous allez donc tous me rédiger vos questions sur un bout de papier anonyme » - si j’ai fait du bien, du mal ? les deux, sans doute. J’ai fortement soulagé le garçon C. en lui révélant que non, les règles ne coulaient pas « à gros bouillons » ; j’ai révélé au garçon O., très étonné, que oui, les femmes aussi éprouvaient du plaisir. Mais le garçon R. se montra profondément écœuré d’apprendre, à quatorze ans, les gestes exacts de ce fameux « acte sexuel » dont on parlait tant. Et toujours, point capital selon moi, je proclamais à la face du monde que les filles, elles aussi, parfaitement, se masturbaient, et comment. Les jeunes garçons ayant bien trop tendance à « idéaliser » leurs « petites amoureuses » - tu parles…

    La chose me semblait essentielle : révélation pour les deux sexes. Soulagement pour les filles qui pensaient être seules, soulagement souvent émerveillé pour les garçons qui s’imaginaient le seul sexe à ce point tourmenté, sale et dégénéré, dans l’opinion générale des années 80. Il semble que désormais les deux sexes connaissent tout des coutumes de l’autre. Il semble aussi que les films dits porno ne soient pas exclusivement pourvoyeurs de techniques agressives inspiratrices de tournantes, chose qu’ils ne montrent pas, mais participent par là à la simple éducation sexuelle. Que si l’on m’objecte les vies amoureuses brisées de tels ou telles à la suite d’une exposition au porno, nous pourrions en montrer bien plus encore, par milliers, brisés encore bien plus sûrement par la répression sexuelle sauvage perpétrée pendant des siècles par la prétendue Église…

    Or, ne trouvant pas dans l’éducation sexuelle proprement dite un exutoire suffisant à ma perversité mentale, je ne le répéterai jamais assez aux punaises, j’ai exploité le filon du rire. Non pas en me bornant aux histoires de dessous de ceinture dites « drôles », hélas réclamées par les élèves (et accordées par moi) aux dernières heures de l’année scolaire, je me suis saisi de toute occasion dans mes cours, dans mon langage, de sexualiser, ouvertement, la relation professeur-élèves : la langue française, comme toutes les autres je suppose, est ainsi faite, que le moindre déplacement de syllabe ou d’intonation déclenchent aussitôt, dans l’esprit de mes branleurs et surtout leuses, toute une série de connotations marquées au coin (cuneus) de la sexualité.

    Pensez seulement aux incongruités qui peuvent résulter de l’intonation d’un groupe de mots comme « l’habitat urbain » ou « le taureau est entré dans l’arène ». Une fois l’attention aspirée par ce terrain, il est impossible de l’en dégager. Au détour d’une phrase sévère de Pascal ou d’un cours sur les participes, le sexe peut même survenir par simple suppression de syllabes : « Il en a pris l’habitude » devient « il en a pris l’ha - üde », suivi ou non d’un fin silence. Se garder, surtout, de prononcer le moindre terme grossier : le sexuel doit venir en quelque sorte s’imprimer en creux dans le discours, au prix d’une certaine attention, d’où une atmosphère constante de complicité dégoûtante.

    Bien entendu, ces plaisanteries sont on ne peut plus stupides et dégradantes, ne me faites pas l’injure de me croire inconscient. S’il existe un Dieu, je me présenterai devant lui : « J’ai fait rire mes élèves », et il me sera beaucoup pardonné, car le temps passé à rire n’est jamais perdu. Ils rient, ils se débloquent (en marge, au crayon : moi non ; qui a écrit cela?). Ils écoutent chaque phrase, où peut se glisser à tout instant un sexe baladeur, et retiennent, prétend-il, le sérieux en compagnie du plaisant. Tout rire est sexuel. Toute subversion du langage abat un interdit, tout calembour abat une chaîne de calendos. S’il est vrai d’après Freud que la délivrance n’est que pour l’auditeur, tandis que le locuteur renforce son blocage (il rit peut, mais voit rire) (voyeur, non actif), nous serions volontiers tenté par ce paradoxe de poser au martyr, sacrifiant son épanouissement personnel sur l’autel de l’abnégation libératrice, comble de la mauvaise foi.

     

    DU VÉRITABLE OBJET DE MON ENSEIGNEMENT

     

    Nous voudrions établir une ligne de démarcation très nette. Creuser avec véhémence un abîme sans fond : il n’est pas question pour moi du sexe masculin. Rien ne nous est plus étranger que les extases sulfureuses d’un Michel Tournier sur les genoux écorchés des garçons, ou le fumet des pissotières d’école, « autel(s) fumant(s) de la garçonnie ». Rien ne me répugne autant qu'un adolescent furonculeux qui se tripote la quéquette derrière la porte entrebâillée des chiottes. Jamais je ne me suis reconnu dans ces individus grossiers, prétentieux, pétant de vulgarité, toujours prêts pour le poing sur la gueule à 5 contre 1 de préférence. Je n'ai jamais voulu, un seul instant, leur ressembler.

    Ce sexe malotru qui fut le mien par les hasards de la génétique, entre le dérisoire et le pathétique, ne me semble tout juste supportable que sur mon propre corps, à force d'à bite hude. Et s'il existe paraît-il un "masochisme féminin", j'en verrais volontiers l'illustration la plus consternante dans son attirance pour cette espèce de cornemuse flasque et baveuse qui sert d'organe érotique à mes cons génères. Ce cou de vautour pelé, maladif et malodorant, cet incongru et vaniteux sac à pus. Dispenser cours à une classe de garçons équivaut à faire un plongeon nauséabond de 45 en en arrière dans une espèce de fosse-cloaque où fermentent en cloques de longs tourbillons d'étrons et de résidus de branlette. trou,dribble,pharmacie

    La lectrice (les hommes ne lisent pas) comprendra sans difficulté notre particulière attirance pour l'onanisme féminin, si dissemblable, dans son élégance, dans son innocence (car la fille et plus tard la femme se branlent dans la plus parfaite bonne conscience voire inconscience), du trayage cradingue et laborieux qu'effectuent les garçons disgraciés. La masturbation, chez la débutante, n'a pas encore acquis ce stade de fixation qu'il atteint irémédiablement plus tard, quand la femme décide de "choisir" et ne choisit personne.

    Donc, tandis que les hommes seraient prêts à se contenter de n'importe quel croûton, les femmes exigent de la brioche. Pour le faire court : le garçon se "tripote" dans la honte la plus totale ; la jeune fille se caresse dans l'incertitude parfois, ce qui est tout de même moins grave, et reste en tout cas entre soi et soi (le garçon fait des taches ; il ne peut rien cacher ; les filles aussi, mais pour d'autres raisons qui n'ont rien à voir). Pour s'absoudre à ses propres yeux, l'homme se trouve ainsi condamné à l'enfournage répétitif et mécanique ; l'adorateur se mue alors s'il le peut en punisseur déespéré, pilant sous ses coups de boutoir ce foutu sexe capable de jouir à lui seul... le plus souvent à lui seul.

    L'objectif serait donc, plus modestement, de transformer ces jeunes oies butées, résolues à se faire hacher menu plutôt que d'avouer leurs pratiques (telles ces connes d'avant-guerre qui répétaient en boucle "je ne comprends pas ce que vous dites", ayant le putain de culot d'aller jusqu'à nier la question posée) en femmes révélées, reconnaissant leur plaisir sans réticence, et le pratiquant le plus possible sous nos yeux. Nous n'avons rien trouvé de plus complet, de plus ingénieux, de plus irrévocable, que le vénérable Manuel du Confesseur : pour amener n'importe quelle femme à reconnaître ses masturbations, il faut lui parler en confesseur d'expérience, à qui "on ne la fait pas".

    Le questionnaire doit donc porter non pas sur l'existence ou non de l'acte, posé comme indubitable, mais sur sa fréquence. Le qualitatif se trouvant éludé au profit du quantitatif, la femme se débat ainsi non plus sur le oui ou le non, mais sur le combien : "Trois fois par semaine ?... vous ne répondez pas ? serait-ce sept fois ? dix fois ? vous gardez le silence ? mon Dieu ! iriez-vous jusqu'à vingt fois ?" "Ne craignez pas, dit le Manuel, "de pousser le nombre aussi loin que possible dans l'absurde.Tôt ou tard il vous sera donné un démenti à partir duquel il sera aisé d'établir la vérité : car si vous ne le faites pas un nombre incalculable de fois, - c'est que vous le faites. C.Q.F.D.

    Dans le cas qui nous préoccucupe, il s’agit avant tout de parvenir à l ‘identité mathématique jeune fille ≡ masturbation. La Masturbation est l’essence même de la Jeune Fille. Au premier regard entendu, elle comprend sur-le-champ de quoi il est question. « Se masturber » se dit, entre elles, « le faire ». « Faire » par excellence, c’est « se masturber ». Au premier regard entendu, elle comprend que c’est de sa masturbation, à elle toute seule, que l’on parle. Elle ne nie jamais. Plus jamais. Le contact ainsi établi au plus intime, la confiance est totale, absolue. Les allusions peuvent alors se multiplier, de part et d’autre, et c’est alors que l’Interlocuteur apprend avec délices toute sorte de précisions voilées parfaitement claires, sur la fréquence, la qualité de plaisir ou de frustration.

    Autre conséquence extraordinaire : la composante masculine du groupe, jusque là sur la réserve indienne, sur la « touche », acquiert une tendresse inconnue. Eux qui se croyaient sales et méprisés découvrent, ô merveille, ô soleil levant, que ces monstres, ces invraisemblances angéliques, les jeunes filles ! se masturbent tout autant qu’eux, voire plus, en haletant tout aussi fort. Il en résulte une saine complicité – et surtout, surtout : une impossibilité radicale de concevoir une de ces atroces passions sado-maso, ver de terre amoureux d’une étoile. Car, Dieu merci, on ne peut plus envisager de se rouler en suppliant aux pieds d’une jeune fille hautaine et glacée, qui, tout bonnement, se branle comme vous et moi.

    Ceux – et surtout celles – qui auront lu jusqu’ici n’auront pas manqué de se répandre en sarcasmes, invectives et menaces. Nous allons leur river leur clou en trois rounds :

    1. a) Les tartufes

    On pourrait croire qu’en ce siècle où la sexologie… où Sigmund Freud… où les sex-shops etc. - eh bien non. Pas du tout. La dose d’insecticide n’a pas été assez massive. « Freud, connais pas. Veux pas le savoir » - argument adventice : « on ne plaisante pas de ces choses-là avec des enfants ». Je refuse cette sacralisation aliénatrice. « L’enfant a besoin d’être sécurisé ». Non. Secouez les enfants. Montrez-lui la vanité des choses. Scandalisez-le. C’est à ce prix que s’accroît la Conscience Humaine. Tout est permis à qui ne fait que parler. « Mais alors, vous avouez que votre système a-pédagogique est essentiellement destiné à assouvir vos propres fantasmes ».

    Écoutez-moi bien : je n’ai pas envie de débrouiller mon écheveau psychanalytique. Je me comporte exactement comme ceux que je viens de blâmer. Les gens de l’art pataugeront avec des lis dans mes refoulements, transferts et autres. Ils concluront que je suis psychopathe comme tout le monde, attardé comme tout le monde, bref, un pauvre type à remettre dans le droit chemin à grands coups de « projecteurs impitoyables ». Ils me trouveront un Ééédipe gros comme une patate et la bite à papa dans le cul. Tant pis. Ce n’est pas mon boulot. « Qu’est-ce que le moi ? » Je n’en sais rien. Je me suis réveillé (nous nous sommes réveillés) un jour sur cette terre, prisonnier d’un corps, d’un caractère, d’une destinée.

    Irais-je (Irions-nous) m’amuser à vouloir les changer, et, en faisant cela, m’abstenir (nous abstenir) de vivre ? Duperie ; je me soumets à leurs défauts » - massacre de Stendhal. Que si d’ailleurs le centième de mes délires se réalisait, je ne bougerais pas d’un cil. Une jeune fille réellement amoureuse me paniquerait, me pétrifierait de respect. Je ne sauterais pas sur l’occasion. Nous parlerions ensemble, nous essaierions l’un et l’autre d’y voir clair. Peut-être que je l’aimerais. Mais ceci est une autre histoire.

     

    * * * * * * * * *

     

    Un jour, à propos de la surpopulation carcérale, nous avions conclu quel ‘on pouvait bien « s’amuser » dans une cellule, à partir de deux... » - « ...et même tout seul », avais-je renchéri. Une petite fille « chaste et pure » fut la seule à s’étonner en toute bonne fois au milieu des rires gras. « Demandez à votre voisine », lui ai-je dit. « Elle a l’air particulièrement au courant » - de fait, ladite voisine, déjà formée, pulpeuse, portait sur son visage, plein et velouté, voluptueusement sournois, les stigmates mêmes et le masque de la masturbation fréquente et accomplie. Elle s’empressa de renseigner sa camarade à l’oreille tandis que l’Interlocuteur poursuivait son discours. Alors ce dernier fut interrompu par une exclamation dont l’indignation révélait le plus ingénu et le plus intense des émerveillements : « Oh ! Monsieur ! Si je disais ça à maman, je ne sais pas ce qu’elle me ferait ! » (braves parents…) - l’Interlocuteur passa outre, les autres pensant déjà à autre chose.

    Je rencontrai ensuite plusieurs fois la même petite jeune fille dans les couloirs. Elle riait, métamorphosée en jeune fille, ouverte, gourmande, heureuse. Tel est le plus grand péché, la plus belle réussite dont l’Intervenant puisse jamais s’accuser...

    Si notre vision est fragmentaire, c’est par déformation professionnelle. Mais l’étroitesse du machisme permet, elle aussi, d’approfondir. Pour la connaissance de la véritén reportez-vous à votre hebdomadaire habituel.

     

    II

    DES AMBIGUÏTÉS DE L’ AMOUR

     

     

     

    Les enfants ne se livrent jamais. Leurs chairs y font encore obstacle : opaques, hors-jeu. Nous parlerons donc de la chair des jeunes filles, origine du monde.

    Certaines, sur lesquelles je ne m’étendrai pas, possèdent des yeux de vaches, où se lit la vaisselle, l’enfant. Le stade ruminant. Vie faite et cercueil vissé.

    D’autres sont des jeunes filles qui s’ignorent. Ont-elles un sexe, rien n’en transpire. « Les jeunes filles bien » travaillent, rient, jouent, mangent. On les rencontre jusqu’à l’âge avancé, sur les bancs de la fac : les « copines », les « chic filles ». Pas un poil d’ambiguïté. Le sexe ? « On n’y pense jamais » disent-elles. Nous éprouvons devant ces absences le même malaise que devant l’abeille, la fourmi, le termite, dépourvus de cerveau sexué. Nos regards se traversent. Castré, je passe outre. En peau de chèvre.

    Devient fille d’Onan toutes celles aux yeux faufilés : paupières en biseaux, cils battants, lèvres mordues. Plus flagrant : la chair grasse et luisante comme d’une constante exsudation de cyprine, les yeux frottés et charbonnés. La bouche et le rire lourds – l’onanisme Dieu merci n’est plus chlorotique, mais insolent. Le point crucial n’est plus focalisé, mais diffusé. Nous pensons aux lourdes femmes de notre enfance, lourdes choses blanches et chaudes, couvertes de bas, de culottes, d’arrière-mondes vaguement grouillants de dentelles et d’étoffes imprécises aux finalités floues.

    Quant aux adolescentes en fin de course, que dire ? ce sont déjà des femmes, avec leur chevelure, leurs seins, leur pubis, leurs flirts. Elles n’appartiennent plus à l ‘univers fantasmiques – et parfois même, elles baisent.

    Ailleurs.

    ...Nous avons connu des élèves attirantes et tourmentées, supérieures, bourrées de recherches. Nous discutions. Leurs yeux fiévreux traquaient ma vérité, sans y trouver vraiment de quoi m’admirer. Un jour d’exposé où je m’étais assis près d’une fille, nos hanches se sont touchées. Elle s’est vivement décalée, le temps d’un regard de flic fou. L’érotisme des filles est intellectuel. Nous en sommes lassés, à tout âge.

    Quelques-unes ont envoyé des lettres, sur leurs élans, leurs vagues confusions… Naïf

    est celui qui verrait dans leurs demi-aveux le signe ineffable d’une aspiration au harem, au vivier de nos vieux jours éventuels - spirituel, spirituel… Mieux vaut alors nager dans le bonheur parfait : l’éréthisme pédagogique, expérimentée le temps d’un trimestre en 2021, dans une classe de filles presque exclusivement. Tout mon répertoire y fut épuisé. Je me fis passer pour homo : elles m’adorèrent. Je fis l’amour avec la classe entière, métaphoriquement parlant – lorsque G. ouvrait la bouche, je pensais voir un fruit fondant, et toutes ces sortes de choses…

    À la rentrée de janvier, tout soudain, je leur dis : « Aujourd’hui, je ne vous « sens » pas. Nous allons faire une dictée ». Je ne les ai jamais plus « senties ». Lorsqu’elles sont revenues me voir l’année suivante, j’ai balbutié. Je me suis très vite enfui aux toilettes, providentiellement proches. Mes troisièmes étaient devenues des jeunes filles, baisables, sans plus.

    ... »Mais », direz-vous, « parlez-nous des garçons ; vous les avez trop durement esquintés pour ne pas avoir été attiré ».

    Exact. Là aussi j’ai connu mes coups de foudre, uni- ou bilatéraux.

    ...Les petits viennent à vous en toute innocence : leurs yeux clairs et confiants, et toute la panoplie – l’horrible T., aux grandes oreilles rouges, avec sa mine d’assassin au nez plongeant, dissimulant derrière sa bosse la bouteille de grand cru ; le blond B., sa course en va-et-vient dans l’allée centrale : « Monsieur, vous êtes bon ; vous êtes trop bon ; pourquoi êtes-vous si bon ; vous ne devriez pas être si bon ». M., noir de cheveux, blanc de peau, vif-argent, sa main sur mon cul et ma BAFFE immédiate ; Jd., les yeux ronds, la bouche en cerise, la brosse de jais – pour cause d’indiscipline, je l’avais enfermé dans un réduit d’1m² entre deux salles ; les autres élèves avaient remarqué ma rougeur extrême lorsque je l’avais saisi à l’épaule…

    Plus complexes : les collants. Celui qui me montre ses dessins à la fin du cours ; ceux à qui j’ai précisé que je n’avais pas besoin de cirage… Le plus attachant fut encore un certain Holf, capable de me lire Tacite dans le texte, pauvre rejeton d’un attaché militaire belge, fils définitivement noué (sa sœur ôtée à ma section pour ne plus entendre mes allusions nocives à l’impureté des jeunes filles) – Hol me confie, un jour de printemps : « Je n’aime pas toute cette matière qui fermente, ça fait trop « vivant » - pauvre diable morose…

    Certaines conquêtes masculines exigent en revanche une efficacité foudroyante : ceux dont la tête à claques est en elle-même un explosif à désamorcer d’urgence. Ils traînent des pieds comme un yakuza, balancent leurs cartables dans les coins, critiquent bruyamment (maussade et agressif, le ton) – DONC, leur donner raison, leur donner la parole. D’urgence. Que le jeu soit truqué, ils n’en ont aucun soupçon. Vous connaissez d’avance les positions qu’ils vont attaquer – n’ayez crainte : ils se contrediront, ils s’embrouilleront avant vous. Le seul grief cohérent qu’ils pourraient avancer, s’ils avaient la moindre parcelle de conscience, c’est qu’ils sont jeunes, et que vous êtes vieux. Ça ne va pas plus loin. Avouez à fond vos insuffisances, arborez un puissant sourire, affirmez haut et fort que mieux vaut un contact rugueux que pas de contact du tout : « Nous verrons bien comment cela marchera ».

    ...Et tout en professant, clignez de l’œil entre complices, par dessus le marais. Il vous admirera peut-être, du moins vous respectera. Si de surcroît le garçon est beau, s’il vient vous voir chez vous, vous aurez gagné un ami. Et des ragots…

    Si le coup rate, l’Opposant, n’ayant pu séduire le Chef, séduira immanquablement la Masse : un caïd… car ils auront vu dans l’œil vaincu de l’enseignant l’admiration soumise. Je me suis laissé entraver dans la bande d’un store, ligoté, incapable de maîtriser un rire convulsif… « La seule présence de l’élève D. empêche à la lettre le cours d’avoir lieu – comment voulez-vous, madame, que j’accepte votre fils dans mon école avec un dossier pareil ? - ne vous affligez pas : il a sûrement gagné plus que moi.

    Mais dans le meilleur des cas, l’insolence et la vulgarité vous laisseront sans armes, comme si vous aviez douze ans. Vous pouvez gueuler , engueuler, votre caid va se marrer. Vous n’aurez pu mater personne. Tôt ou tard, le « copain » jouera pour son propre compte : « Puisque ça t’emmerde tant prof, ...ne me punis pas pour ce que tu as envie de faire toi-même » - au mieux il se détache, et dort. L’humanité n’a pas besoin d’avenir.

    Pourtant si j’ai devant moi de braves petits bûcheurs aux yeux candides, je vais les trouver ternes, trop sages – et dangereux : « Ma mère ne veut plus que j’aille avec monsieur D. l’année prochaine : elle le trouve idiot ». Ça fait plaisir. Mais qu’une autre « tête blonde », toujours au premier rang, gavée de recommandations, de renseignements, de timbres-poste, rentre ensuite se plaindre à son papa de l’inconvenance de mes propos et parvienne à me faire jeter sur un score de 3 lettres défavorables sur 23 de soutien, c’est intolérable.

     

    III

    LE COURS – SPECTACLE

     

    « Mossou le Proufessour,

    Vous cultivez l’utopie et le flou en chambre : d’abord ce sexe que vous faufilez, puis ces prurits affectifs… Mais nous ignorons toujours le contenu proprement dit de vos cours... »

    Réponse : « La Peur ».

    Seule façon de l’affronter : Le Cours-Spectacle.

    Peur tricéphale : fonctionnelle, bordélique, textuelle.

    Fonctionnellement : la première fois, devant la classe, on se sent con. Je le jure.

    « Faites-leur donc faire des exercices ! »

    Bien sûr mon brave. On peut dicter, aussi.

    En sixième, on m’a collé des cours d’histoire. Je ne savais plus rien des pharaons. Il a bien fallu que je m’y remisse : dictée… Les pauvres ne se rendaient même pas compte qu’ils recopiaient leur livre, phrase après phrase.

    Autre truc génial : la remise des devoirs. Prendre un paquet de copies, et, l’une après l’autre, dans l’anonymat, éplucher toutes les notes marginales. Ça peut durer deux heures quand on est doué.

    Le fin du fin: le cours par cœur. Tout noté. Jusqu’au moindre mot – en tout petit, pour qu’on ne me voie pas compulser. Technique à vrai dire extraordinaire du doigt sur la ligne et du battement de paupières – sans oublier la modulation phonique – mais quel épuisement : avant pour préparer, pendant, et après pour récupérer. Très, très vite, la peur cruciale : celle du bordel.

     

    - T’arrives, tu fais ton cours et tu repars.

    - ...Essaye, pour voir…

    ...Faire avec ce qu’on a – l’humour, la névrose.

    Le bordel est inévitable ? Organisons-le. Et ça donne :

    1) Un cours sur les sangliers. À deux pattes, à roulettes, à feu rouge incorporé, à queue traînante, avec questions véhémentes, interpellations drôlatiques aux moindres velléités d’initiative potachière : comment faire tourner à gauche un sanglier qui veut tourner à droite ; mœurs familiales des sangliers à éoliennes – et toujours : l’amour chez les sangliers.

    2) Un cours sur Le Cid en western comique : « Don Diègue a un pied dans la tombe et l’autre qui glisse », « Monsieur le Comte a eu son compte »… Une dizaine de joyeuses facéties de cet acabite et le cours vire au bordel, mais c’est vous qui l’organisez – à condition de ne plus faillir ; car de ramener le calme, il n’y faudra plus songer.

    3) La lecture à contre-sens, à contrepets, à syllabes retrancher (dont l’absence fait ressentir l’obscénité : «  - jugaison », «  -ré », « mauvaise ré - … -ation », «  - riosité ») ; lectures à imitations successives et rapides d’accents allemand, arabe, anglais, espagnol – bref, les élèves n’ont rien compris, même avec le texte sous les yeux – mais ils ont rigolé, et vu que l’on pouvait cracher sur la littérature, ce qui n’est pas rien. Le texte théâtral se prête particulièrement à ce genre d’exercice : je vous recommande les rôles de fem-mes et d’hommes à voix interverties, le débile mental, Hitler (sur Lamartine, impayable), et mon chef-d’œuvre, le Bègue-Belge-Pédé.

    ...Blâme de l’administration ? Cette injustice m’ulcère.

    Comme il est difficile de se renouveler, il faut faire de répétition vertu. Si vous avez des tics, signalés par les élèves d’ailleurs, incluez-les dans vos fantasmes à tics. Enfin, poussez la mauvaise foi jusqu’à l’extrême : « Je ne cherche pas à vous faire rire, mais à découvrir sous le rire le tragique de l’existence ». Mouchoir.

     

    ...La Troisième Peur est celle de l’effort. Ce texte ne vous dit rien. Vous ne pouvez pas en choisir d’autre, pour l’excellente raison que vous êtes persuadé que tous les textes se valent, et équivalent à zéro – dans ce cas, on se cramponne au texte. À sa première phrase. Elle contient toutes les autres : chaque mot fait l’objet d’une question, qui renvoie à d’autres mots du texte. À la fin de la phrase, virgules comprises, vous pouvez avoir traité le texte entier. Cette première phrase, vous aurez pu la tordre comme un drap qu’on essore : soit un ensemble calembour – explication dudit calembour – assorti du temps de à la rigolade, et vous serez parvenu au bout des longues 55 minutes de cours.

    Petite remarque cependant : pour éviter l’effort de préparer le cours,  vous aurez dû vous dépenser trois fois plus pendant le cours. Pour les économies d’énergie, c’est raté.

    Pourtant, de temps en temps, le hasard, et non pas vous, permet d’accéder à la catégorie des Bons Profs : tout a été fait dans les règles : lecture expressive, avis général de la classe, plan au tableau, remarques fines et profondes. Quand vous ressortez de là, vous bombez du ventre et du cerveau. Vous avez enseigné, formé les esprits. Misère de nous ! Tenez, je ne peux plus y tenir : je vais vous en exhiber deux, d’états de grâce. Les fleurs ne son pas chères. Soit Horace, de Corneille. Un truc hyperchiant. « Lisez ». (L’élève ânonne le premier vers :

    « Je comprends rien !

    Moi : « Normal, c’est de la langue poétique du XVIIe siècle ».

    Soulagement sur les bancs.

    Épluchage : versification, grammaire, sens – ce qui permet (voir plus haut) de potasser, mine de rien, toute l’expression. Relecture des premiers vers. Exercices de diction, d’intonation. Résumer la fin de la scène, truffer de brefs dialogues sur l’État, la Famille, l’Amoir (avec références à l’époque contemporaine), sans oublier le texte, le tour est joué : « Vous avez réussi à intéresser mon fils à Horace ? ...un véritable exploit ! »

    Second triomphe : 75 collégiens dans une même salle pour une « Conférence sur la musique ». Préparation minimum : 1/4 d’h pour l’idée, 1/4 d’h. pour le choix des disques. Au lieu de faire chier le peuple avec du Haydn, je commence par Sylvie Vartan. Jeu : retrouver, en s’y mettant tous, les paroles de la chanson. Elles sont débiles, tout le monde rigole. Un cran au-dessus, Aznavour : même exercice. Barbara : ça marche encore, mais juste. Changement de vitesse : du rock, impeccable. Du pop : ça passe. Attention, premier tilt, confluent rock-pop-chanson-jazz : Pierre Henry, Messe pour le temps présent : « Orphée, tu m’aimes ? Orphée, tu m’aimes ? ».

    Deux filles de 16 ans reprenaient côte à côte ces paroles sur leurs lèvres, les larmes aux yeux. Un crochet vers le jazz, que je n’apprécie pas, mais indispensable pour aborder Stravinsky : la danse de l’Élue dans Le sacre – j’ai bondi la-dessus, tout seul dans ma chambre, à dix-sept ans ! Avec Stravinsky, le poisson était ferré : 9è de Bruckner (5 mn du deuxième mouvement, là où ça balance, là où ça cogne), puis la Cinquième de Beethoven – au bout de 120 minutes, les 75 élèves écoutaient religieusement une sonate de Bach… Si j’avais commencé par Jean-Sébastien, c’était le bordel dans les trente secondes… Tous piégés !

    ...Mais vous ne ferez de bons cours, en vérité je vous le dis, vous ne réussirez quoi que ce soit que par la Grâce. Même la Volonté - est une Grâce.

     

    IV

    BORDEL, CÔTÉ POTACHE

     

    S’il est vrai que le mal se guérit par le mal…

     

    Il n’existe pas de « section calme » ni de « section agitée » ; chacune secrète ses déconneurs attitrés : virez-les, il en repoussera d’autres.

    « Repérez-les dès la première heure ! Matez-les ! » disaient à peu près les manuels dit pédagogiques. Ils oublient, nos braves gens ! que l’on met plusieurs semaines avant de mettre un nom sur un visage ou le contraire. Ils oublient tout autant que tout élève, pris la maîn dans le sac, niera systématiquement, entraînant dans son sillage d’une cohorte de petits Zorros justiciers et catégoriques. Ils oublient enfin que tout élève, par définition, refuse l’école, et s’en trouve très fier, point à la ligne. Au point que d’aucuns, d’emblée, se mettent à déconner dès la première minute de la première heure. Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire : l’opposant tire les sots comme la corde sur le puits.

    À quoi reconnaît-on un sot ? à ses lèvres épaisses ? à son front bas ? à ses intonations de harengère ? discutable. Mais si vous commettez l’erreur de l’isoler, il ne vous faudra pas une semaine pour vous retrouver avec deux, puis trois, puis une demi-douzaine de petits cons fermement décidés à ne pas s’apercevoir que votre cours… est en cours. Ils n’ont d’ailleurs pas le moindre grief encore contre vous.

    Cependant le bordel s’invite, sournois, dès que vous poussez la porte. Sortez-vous, il disparaît : il est bien connu que ce sont les flics, n’est-ce pas, qui excitent les manifestants. À partir de là vous êtes tenté, malheureux ! d’intervenir. La non-intervention est aussi une intervention : piégé. Vous. Et c’est la cacastrophe.

    Comportement a)

    Compréhensif. Les collégiens s’ennuient. Voix posée, raisonnable : sympa. Vous avez la paix. 30 secondes. Pas 31. À refaire, un peu plus ferme. 25 secondes. Vous voici donc par la force des chose au

    Comportement b)

    la gueulante

    Réponses :

    1) c’est pas moi, c’est l’autre.

    2) « Y a pas que moi » - réponse archiconne, mais archicourante, même chez les adultes:pas le droit d’arrêter le petit revendeur tant qu’on n’a pas débusqué le commanditaire… ben voyons…

    3) « Vous nous avez laissé faire au début »

    4) « Vous n’avez qu’à ne pas écouter nos conversations » [sic]

    et pour finir

    5) c’est vous qui avez commencé

    et si bas qu’ils soient descendus, il s’en trouvera toujours pour descendre d’un étage. Rappelez-vous toujours que chez les élèves, la parole est très exactement la seule chose qui les distingue (à peu près) des bêtes. Vous n’en croyez rien ? … Effectuons la manœuvre la plus quotidienne, puante, vicelarde :

    1) L’élève déconne : sarbacane, bordée de jurons.

    2) Vous faites semblant de ne pas entendre : pas que ça à foutre, le cours à poursuivre, etc.

    3) Vous intervenez.

    4) Même et surtout pris sur le fait, l’élève nie farouchement, ôte sa sarbacane de sa bouche pour jurer qu’il ne lance pas de boulettes avant de vous en recracher une sur la chemise. Il gueule, il ameute, il prend à témoin – que dis-je ? il répète et fait croire que c’est vous, le prof, qui avez sorti la bordée de jurons, et même, que c’est vous qui les lui avez appris. Il en répand le bruit à l’extérieur. Il trouve chez les adultes un terrain tout ensemencé. Il est cru, chers conseilleurs de mes fesses. Il est cru. Vous n’avez plus qu’à attendre le 30 juin.

    Pourquoi ?

    La réponse est d’une simplicité atroce : vous n’avez pas le don, le rayonnement, l’aura – le sharisme, pour prononcer à la Busnel – votre gentillesse ? elle cache la peur ; votre sévérité ? elle cache la peur. Ça se sent comme le gibier. Les conseils? Laissez-moi rigoler. Notre métier ne s’apprend pas.

    S’abstraire ?

    Chiche.

    Votre cours préparé, faites votre entrée, dans le vacarme. Disposez vos affaires sur le bureau. Le cours commence. Personne pour écouter, sauf au premier rang. Votre voix ne porte pas plus loin… Parlez pour ce premier rang. Au milieu de la tempête, quelques autres se rendent compte qu’il se passe quelque chose. Encouragez-les à se rapprocher. J’ai réussi ainsi à faire apprécier à cinq ou six élèves, au milieu d’un bordel gigantesque, tenez-vous bien, les Stances du Cid.

    Un craquage :

    « Qu’est-ce qui pue, qui est con, et qui remue ?

    - C’est vous, m’sieur !

    - Non. C’est une classe de sixième.

    Vous n’akJ’ai pleuré un jour, moi, un mâle, ridicule (pléonasme) devant une classe rigolarde : « Il a des complex- es ! Il a des complex-es ! » J’ai hurlé que j’allais devenir fou, que j ‘allais mourir, j’ai crié « je veux qu’on me respecte », j’ai frappé, insulté, « vous êtes des poubelles ! » - tout ce qu’il ne faut pas faire, Monsieur le Conseiller Pédagogique, je l’ai fait, collègues humiliés, je me la suis jouée Jésus-Christ, Les parents d’élèves commencent à se plaindre : « Vous aller tâcher de corriger votre langage. Plus une grossièreté. Plus une ambiguïté ». Le Directeur : « S’il y en a un qui bouge, vous me l’envoyez » - par paquets de dix ? « Vous n’allez pas vous laisser marcher sur les pieds ».

    Traduction : « Mon cher cul-de-jatte,

    Votre caisse, vos fers à repasser, ce n’est pas ça du tout. Vous allez me faire le plaisir de mettre un pied devant l’autre, de courir un peu pour vous réchauffer, de sauter quelques haies. Et pour voler, rien de plus simple : vous étendez les ailes, comme ça, un peu d’élan, et hop ! » - et hop ! on se casse la gueule. Et surtout, surtout, ne pas se plaindre d’une classe. Le coupable, bon sang, mais c’est bien sûr ! C’est vous !

    - Mais alors,vos solutions ?

    - Aucune.

    Quand on n’a pas la Grâce, c’est cuit. On peut jouer les Sauveurs, les Rédempteurs, on se retrouve tout seul devant sa glace. La Grâce, et la Glace. La vérité n’est pas une aiguille dans une botte de foin, mais une savonnette dans une décharge. Reste la littérature. Le blabla.

     

    V

    L’ÉLÈVE DOIT PAR-TI-CI-PER

     

     

    « M’sieur ! Pourquoi qu’on ferait pas un débat sur quelque chose d’intéressant ?

    Excellente idée : un camarade, on l’écoute. Effort restreint du professeur… Travail collectif… le Saint du Saint...

    C’est un beau moment, certes, quand la salle entière s’arrache les sujets d’exposé : « Moi ! Moi ! » - ou bien qu’elle baisse la tête comme un seul homme pour « passer entre les gouttes ». Cependant, je n’ai jamais connu de dérobade, même des plus timides. Les élèves ont même souvent proposé les sujets. De plus, l’exposé se prépare en commun. Et le débat qui s’ensuivra va permettre à chacun de s’extérioriser.

    Que c’est beau.

    En fait, les élèves repèrent surtout une chose : la suppression du cours. Malheur au prof qui demande à ce qu’on prenne des notes : un exposé, c’est la récré. On y vient les mains dans les fouilles. On pourra même 1) roupiller pendant l’expo, 2) s’engueuler pendant le débat.

    Le prétendu « groupe de travail », en effet, se compose la plupart du temps d’individus sans contact hors de la classe (le téléphone, c’est pour le fun ). Chacun fera donc sont travail dans son coin. Affinons l’analyse : le crac bossera tout seul. Les autres empocheront la note collective.

    Devant la classe, aucun compte n’aura été tenu des recommandations antérieures : ânonnage et bredouillage, transformation (par exemple) de Venise en catalogue de chiffres (dates de construction et dimensions de tous les palais…)

    ...L’exposé, conçu pour bousculer vers la haut, par la prise d’initiative, la collaboration, précipite dans la passivité ou l’embrouillamini. Sa réalisation est rendue quasiment inopérante par le manque de concertation préalable réelle des participants, et le manque d’expérience de l’exposant. Pour éviter ça : c’est vous qui devez choisir le sujet. Mais soyez bien persuadé que tout sujet, choisi par le prof, sera de ce fait même indifférent : « On s’en fout » - tout est dit. Quant aux sujets choisis par les élèves, ce seront toujours les mêmes : les groupes de rock, la moto, la planche à voile. Encore une fois : assez de monde extérieur. Secouez-vos, petits vieux de quatorze ans.

    Surtout n’écoutez pas ce con qui vous suggère de tout mettre à plat, de discuter de touot ce qui ne va pas dans la classe ! un prof lavette ! Quelle aubaine ! ...comment d’ailleurs le professeur pourrait-il tenir le moindre compte des revendications, ces dernières impliquant l’abolition de tout système scolaire ? ...si le prof cédait, il serait immanquablement méprisé.

    *

    Il ne faut pas endoctriner les enfants- très bien ! - l’ennui, c’est que d’autres s’en sont chargés avant vous. Que le débat porte sur la peine de mort, le féminisme – l’impressionnisme (déjà mieux) – le rap – démagogie quand tu nous tiens – vous aurez toujours affaire aux grandes gueules de la classe, ceux qui gueulent le plus, donc sans aucun respect pour l’opinion des autres : ils seront toujours pour la peine de mort, pour Horace Vernet (« avec lui au moins on voit ce que ça représente « ) - contre les immigrés, contre les femmes. J’en ai même vu faire de l’obstruction systématique : ils agitaient tout simplement

    les bras en criant (aaaah ! aaah!) pour empêcher les filles de parler.

    . En un mot vous aurez droit à toutes les beaufitudes de beaufs. Come ce sont eux qui font le plus de bruit, ce sont leurs conneries qu’on aura le plus entendues, le plus retenues. Vous avez gagné : ça vient des parents.

    « ...Eh bien moi, je suis intervenu, j’ai rectifié le tir, dérouillé les timides, guéri les muets, ressuscité les morts et l’Esterel…

    - Vous avez de la veine. Moi j’ai plutôt vu l’élève défendre sa merde comme un chien son os, soutenu par le chœur hargneux de tous ses sectataires… enfin, admettons – que vous ayez insufflé à votre classe l’esprit « démocratique » : on discute entre jeunes gens de bonne compagnie, on apaise les exaltés, on suspend les conclusions – tout est dans tout et réciproquement – le Café du Commerce – qu’est-ce qu’y a à la télé…

    Je crois bien, Docteur, que j’éprouve la violente tentation de supprimer tout débat, l’enseignant enchaînant lui-même les questions et les réponses, le procédé permettant d’une part de camoufler son incapacité à suivre une discussion en prétextant de l’imbécilité des élèves, d’autre part de se livrer à la propagande. Ce serait plus franc, l’élève choisirait comme au supermarché, mais je suis en plein délire

    VI

    TEXTES ET CONS TEXTES

     

     

     

    La matière, c’est le texte.

    Son support, c’est le livre.

    « Nos enfants ne lisent plus »
    - OK chialards. Encore faut-il voir de près ce qu’on leur propose – et ce qu’ils proposent eux-mêmes, les pauvres…

    Car malgré tous les efforts, les thèmes des manuels sont restés identiques. Vous ne trouverez plus la rentrée, ni l’automne, ni la chasse. Mais l’imagination des pédagogues se déchaîne sur le camouflage des anciens. Ce qui donne « les copains », « le jeu » - en avant pour Le grand Meaulnes (oui, ça m’a plu, mais je ne le prostitue pas dans les classes), La guerre des boutons- soit. L’élève qui-ne-paie-pas-de-mine et qui se retrouve premier, ou du souffre-douleur (Charles Bovary ; Bamban ; Silbermann), les ambiances de collège ; les histoires de profs ; sans oublier les subtils distinguos entre « camarade », « copain », «ami » - m’sieur ! c’est pas pareil ! m’sieur ! - ta gueule connard tu vois pas qu’euj lèv’le doigt ? Les belles leçons de morale sur la délation, la triche – les profs rigolos ou terroristes, les farces, les entraides…

    L’univers des enfants… j’ai pressé le citron… les élèves intéressés : ça leur permet ç chacun de placer dans le bordel général son brevet démocratique d’intelligence : trois-quatre

    ah ben ouais… ah trop pas… pour venir réclamer au prof, à l’animateur, l’insulte et la bave aux lèvres, la bonne note de participation.

    Camaraderie, copinage, amitié – je n’ai jamais connu ça. Exclus. Concours de quéquettes, toujours bon dernier – humour. Pour moi la rentrée, « les autres », c’est la trouille : passer inaperçu, ou faire chier tout le monde ?. Et passer pour dingue, puisque je suis dingue : « T’es trop con, on joue pas avec toi » - ça n’est pas dans les livres – on n’en parle pas. Dans les textes, il y a toujours un camarade généreux pour rétablir la Justice – pas pour moi.

    Eh bien évadons-nous ! ...le sport, l’aventure, la Frique, la Mérique, la Zie – le Maine-et-Loire (coups d’épée, gros bras, sexe fort, vent debout, les Noirs, le 100m, le 500m il court, elle accélère, elle remonte, il se décourage clameur de la foule – poumons qui brûlent – pets qui s’empilent – mais dans un formidable élan de volonté hhhan ! Il (ou elle) arrache la victoire (le stade en délire, pipi, la douche euch(tâcherai d’faire mieux la prochaine fois victoire sur soi e tutti quanti.

    Quant à vos Récits d’aventure, je n’en ai rien à battre. Mes élèves n’auront jamais les couilles de les vivre, ils en seront gavés sur l’écran. Ils n’auront jamais le premier pognon pour voir l’Amérique voir plus haut – ou alors en Thaïlande pour les gosses et les dos d’éléphants – où ça, l’aventure -

    Là où tu cherchais des perles rares

    Des ploucs installent

    Leur planche à voile

    Pour faire un p’tit tour dans les étoiles

    Manset

     

    Et pour ce qui est des jeunes spéléos, exploro, ethnolo – c’est au détour du réel, d’un mec, d’une pineco,qu’ils ont pris le virus – pas en classe, qui est à l’aventure ce que le Caprice des dieux est au rugby.

    Allons ! qu’est-ce qui pourrait bien intéresser nos petites têtes creuses ? La LIBÉRATION de la FEMME ? quoi, encore ! ont crié toutes les filles comme un seul homme – en revanche, la drogue, la prostitution, le terrorisme – inconnu aux manuels : AT – tention : l’extérieur soit, mais à la sauce gamin : fade et chiante… sécuriser… comme ils en voient cinq fois plus à la télé, ils trouvent l’école bébé boy-scout.

    « Les Djeunnz, ça s’intéresse au polar, à la science-fiction – plus maintenant – mais qu’il y ait des bons, des méchants, des poulets, des gangsters (pas iraniens), d’un côté les vivants, les cadavres de l’autre – les extra-terrestres, et moi et moi et moi. La brave petite intrigue d’enfant, un gosse tombé du ciel qui fait le détective (« ...mène l’enquête »), que ça à foutre, pas d’école pas de parents, découverte des vilains messieurs, un peu Gitans un peu racistes, tous au trou, pouf ! - ou alors, de l’audace : un jeune délinquant, qui s’est fait entraîner, qui se dégonfle, qu’on oblige, drame psycho, bons sentiments, à la cuillè-reu ou bien dans un ve- rreu, les larmes coulent et glou et glou.

    Les adultes non plus ne veulent pas le savoir : la balance enfonce largement le détective, les délinquants pas de quartier ben si justement, quartiers au pluriel, coupables de quoi ?… d’avoir voulu se désennuyer ?

    Pour la science-fiction qu’ils vivront : tant que l’homme s’emmerdera autant sur cette terre ou une autre, tant qu’il devra crever et qu’il le saura, je me contrefous de tous les gadgets qu’on pourra lui fourrer entre les mains ou entre les jambes.

    À présent fonçons sur les bédés.

    D’abord bravo pour l’opération commerciale.

    Madame Bovary en BD avec 1/100 du texte.

    La philosophie en B.D.

    Je rêve.

    Le LATIN – non, pas de fachos chez nous.

    L’Histoire de la musique en BD, toujours aussi chiant, de plus en plus plat.

    Mentionnons par acquit de conscience le roman-photo, pour godichonnes en mal de branlette. Le porno, ça c’est net. Limite préférable.

    Vous qui avez bossé sur le tas. Les Utiles, les Saute-au-Paf de l’Action, vous publicateurs de livres didactiques, genre « J’intéresse ma classe en dix leçons » - c’est précisément votre foix épaisse . Allez,je m’en sers, de vos manuels. Et même,jem’y accroche. Je ne travaille qu’avec ça. Et je démonte la connerie de tous les textes, la moraline de tous les textes, le passage au moule par les textes. Toutes les lectures du Premier Cycle devraient être signées Moulinex. Poil aux oreilles.

    De mon vivant, chaque texte se voyait proprement étrillé, étripé, désossé, on riait bien fort.

    On peut aussi choisir ses textes à soi. En parler avec sa classe, dans la langue de sa classe. Avec leur vocabulaire, et non pas en édulcoré. Ça réagit, car les enfants sont toujours prêts à soutenir toute subversion. À manier le Fouet à parents (ils le deviendront à leur tour).

    Surtout bien les pénétrer de ceci : tous les textes sans exception, de Corneille à la boîte à conserve, de la copie de sixième à Pascal, sont géniaux. Que pas une virgule de l’homme ne mérite l’oubli. C’est tout ce que nous avons. Tout ce qu’on sait dire. Tout ce qui s’est écrit, dit, soupiré, pété, depuis que l’homme est l’homme.

    Il se peut aussi que la seule activité digne de l’Humanit » soit de se foutre sur la gueule.

    V I I

     

    « OUVRIR L’ÉCOLE », QU’ILS DISAIENT…

     

     

     

    NON à l’ouverture de l’école et MERDE au travail d’équipe.

    Enquêtes scolaires, journaux scolaires, théâtre scolaire.

    Même et surtout entre collègues. Allez-on-va-faire-quelque chose-ensemble.

    Automatiquement ça foire. Sinon c’est moi qui fais tout foirer.

    Tous ces braves scouts aux yeux écarquillés, dadais bien appliqués, me soulèvent le cœur.

    « On va faire ça. Toi, tu fais la même chose en même temps.

    Pauvres gosses. Dans tous les pots la même soupe.

    et si je n’ai pas envie, moi, de « faire » Ulysse tous les vendredis à 9h ? ni d’entendre la classe me rehurler le cours du collègue ? …

    LES ÉLÈVES SONT TOUS LÀ À SE DEMANDER SI LEUR CLASSE EN EST À LA MÊME ÉTAPE QUE L’AUTRE ET SURTOUT SI LE PROF A DIT LA MÊME CHOSE QUE LES AUTRES.

    ...Prenez un bouquins, tas de nazes, et récitez-le par cœur !...

     

    Pour les enquêtes : n’attendez rien des sujets proposés : le ppdd (« plus petit dénominateur commun », comme d’habitude) : L’Amitié, Les Champignons, Votre Commune. Surtout pas «le nombre de masturbations de ma sœur dans la semaine ». Il est bien entendu qu’il n’y a que les garçons pour faire des saloperies pareilles.

     

     

     

     

     

  • TI SENTO

    TI SENTO

    1. Presque toutes les fictions ne consistent à faire croire d'une vieille rêverie qu'elle est de nouveau arrivée.
    • André MALRAUX Préface aux Liaisons dangereuses
    • Collé au mur Boris Sobrov tend l'oreille, ce sont des frôlements, des pas, un robinet qu'on tourne, une porte fermée doucement - parfois, sur la cloison, le long passage d'une main. Le crissement de l'anneau sur le plâtre. Un froissement d'étoffes, presque un souffle - une chaleur ; puis une allure nonchalante qui s'éloigne, vers la cuisine, au fond, très loin, des casseroles. Un bruit de chasse d'eau : une personne vit là seule, poussant les portes, les tiroirs – il glisse plus encore à plat, à la limite du possible, sa joue sur le papier peint gris, mal tendu au-dessus de l'oeil droit : il voit d'en bas mal punaisées une vue gaufrée de Venise, « La Repasseuse » à contre-jour.
    • Boris habite un deux pièces mal dégotté, au fond d'une cour du 9 Rue Briquetterie sans rien de particulier sinon peu de choses, des souvenirs de vacances posés dans l'entrée sous le compteur et soudain comme toujours la cloison qui vibre plein pot sous la musique le tube de l'été OHE OHE CAPITAINES ABANDONNES toute la batterie dans la tronche il est question de capitaines, d'officiers trop tôt devenus vieux abandonnés par leurs équipages et voguant seuls à tout jamais, suivra inévitablement LA ISLA ES BONITA en anglais scandée par Madona - les plages de silence sur le vinyl ne laissent deviner ni pas de danse ni son d'aucune voix parole ou chant.
    • D'autres Succès 86 achève la Face Un, Boris a le temps de se faire un café, d'allumer une Flight ; la tasse à la main, il fait le tour de son deux pièces, jette un œil dans la cour, le jour baisse, ce n'est pas l'ennui, mais la dépossession, comme de ne pas savoir très bien qui on est. Sur la machine à écrire une liste à compléter. Boris s'est installé à Paris depuis quinze ans, il s'y est marié, y a divorcé, n'a jamais donné suite aux propositions des Services. La naturalisation lui a donné une identité : né le 20-10-47, 1,75m - petit pour un Russe - , teint rose, râblé, moustache intermittente.
    • - Les exilés attendent beaucoup de moi.
    • - Tu es Français à présent.
    • Un jour Macha je t'emmènerai en Russie.
    • Mon frère m'écrit d'Ivanovo.
    • - Je ne l'ai jamais vu.
    • - Moi-même je ne le reconnaîtrais pas.
    • Boris tire sur sa cigarette. Le mur de la chambre demeure silencieux. D'ici la fin de la semaine il aura trouvé un logement pour un dissident. Ici ? Impensable. Trois ans écoulés depuis ce divorce. Où est Macha? ...trois ans qui pèsent plus que ces vingt-cinq lourdes années de jeunesse, grise, lente, jusqu'à ce jour de 73 où il a passé la frontière, à Svietogorsk Le voici reclus rue de M., à deux pas de Notre-Dame de Lorette., tendant l'oreille aux manifestations sonores d'une cloison - qui habite l'autre chambre? il n'y a pas de palier ; ce sont deux immeubles mitoyens ou plutôt, car le mur est mince, deux ailes indépendantes qui se joignent, précisément, sur cette paroi.
    • Pas de fenêtre où se pencher.
    • Ce n'est pas un chanteur, ce n'est pas un danseur, ce n'est pas un écrivain, il ne fait pas de politique et ne sait pas taper à la machine.
    • C'est une femme.Un homme roterait, pèterait. C'est une jeune fille, qui fait toujours tourner le même disque. Elles font toutes ça : quand un disque leur plaît, elles le passent toute la journée. Les mêmes rengaines, deux fois, dix fois. Boris n'ose pas frapper du poing sur la cloison : A, un coup, B, deux coups, le fameux alphabet des prisonniers - il ne faut pas imaginer. «Je ne connais pas le sexe de cette personne » répète Boris. « Capitaines abandonnés ». « La Isla es bonita ». Et pour finir, toujours, en italien, « Ti sento ». "Ti sento tisento ti sento" sans reprendre souffle - la Voix, voix de femme, la ferveur, le son monté d'un coup, « ti sento - je t'entends - je te comprends"- ti sento - la clameur des Ménades à travers la montagne, le désespoir - la volupté - l'indépassable indécence - puis tout s'arrête – la paroi.grise - le sang reflue.
    • Déperdition de la substance.
    • Mais cela revient. Cela revient toujours. TI SENTO c'est toi que j'entends toi qu'à travers ta voix je comprends tu es en moi qui es-tu. Il est impossible. Boris frappe au mur, se colle au plâtre lèvre à lèvre, mais on ne répond pas, mais on ne rompt pas le silence, Boris halète doucement, griffe le mur : « C'est la dernière fois. » Il se rajuste plein de honte, se recoiffe, jette un œil en bas dans la cour : c'est l'heure où sur les pavés plats passe en boitant une petite fille exacte aux cheveux noirs, son cabas au creux du bras ; Boris renifle, se lave les mains, se taille un bout de fromage, la fillette frappe et entre.
    • - Bonsoir Morgane dit Boris la bouche pleine.
    • - Tu le fais exprès d'avoir toujours la bouche pleine?
    • Elle pose le cabas sur la table : « C'est des poireaux, des fromages, une tarte aux pommes, un poulet ; des bananes. Ça ira? »
    • C'est une gamine de dix ans, la peau brune, la frange noire et les dents écartées. « Comment va ta mère? - C'est pas ma mère, c'est la concierge. Aide-moi à décharger. Tu te fous l'estomac en l'air à bouffer ce que tu bouffes. » Boris fait semblant de se vexer. Marianne (c'est son nom) passe toujours le cinq-à-sept chez la mère Vachier, à la loge, en attendant que sa mère sorte du travail. La gamine fait les courses en échange d'une heure de maths. Voilà qui est convenu. « Qu'est-ce que tu m'apportes aujourd'hui?
    • - Le quatre page cent.
    • - Vous avancez vite!
    • - La prof a dit "Ça vous fera les pieds".
    • Boris se plonge dans les maths et dans la cuisine, à même la table – à chaque fois le même jeu, la vue de la bouffe lui met les crocs. «  Tu ne peux pas éplucher tes poireaux ailleurs ? ça pique les yeux.
    • Soit un carré A B C D , une sécante x, une circonférence dont le centre... « c'est horrible, tu es sûre que c'est au programme?
    • - Punition collective. Moi j'ai rien fait.
    • - Ca m'étonnerait.
    • Marianne attaque une banane. Boris prépare une vinaigrette, tache le bouquin , jure en russe, écrit d'une main et s'enfonce la fourchette de l'autre.
    • - Tu pourrais fermer la bouche quand tu manges.
    • - Un peu de poireau?
    • - Après ma banane?
    • Boris s'étrangle de rire.
    • - T'es franchement dégueulasse, Boris. T'as fini au moins?
    • - Sauf la troisième question.
    • - Tant mieux, elle croira pas que j'ai pompé.
    • Boris ne comprend toujours pas pourquoi Marianne tient absolument à lui proposer des problèmes de maths.
    • Et tes quatre en français? - Je sais tout de même mieux le français qu'un Russe.
    • Même pas. »
    • Marianne engloutit un yaourt. « Pour une fois » pense Boris « elle ne m'a pas dit T'es pas mon père" pense Boris.
    • Marianne se penche sur l'ordinateur : « Qu'est-ce que c'est que tous ces noms à coucher dehors? - C'est la liste de tous les émigrés russes de Paris. - A quoi ça te sert ? - L'association verse de l'argent aux plus nécessiteux. - Aux plus pauvres?...C'est tous des pauvres? 
    • J'appuie sur le bouton? - elle appuie sur le bouton. Deux heures de travail perdues. Boris l'engueule. Ils se séparent fâchés comme d'habitude.
    • X
    • Le travail à domicile permet de choisir l'heure de son lever. Boris ne dépasse jamais huit heures - la robe de chambre, les bâillements, la barbe qui tire ; le placard, le bol, la cafetière, le réchaud. Un yaourt pour commencer, surtout pas de radio. Les biscottes, le café bu bruyamment, ramassage de miettes, envie de pisser - un homme très ordinaire, en Russie comme à Paris. A huit heures et demie, de l'autre côté du mur, il, ou elle, s'éveille. Pas de bâillement, pas de chanson, pas de jurons, juste des pieds qui se posent, des pantoufles qui s'agitent, un pas léger vers les toilettes.
    • Comme la porte est fermée, on ne peut pas distinguer si c'est le jet d'un homme ou d'une femme. Les coups de balai, dans les plinthes, ne prouvent rien non plus : il existe des petits nerveux, soigneux comme des femmes, qui font le ménage tous les jours. Sans oublier la toilette du matin, sans exception, même le dimanche : eau chaude, eau froide ; puis le petit-déjeuner : cette personne mange après s'être lavée. Logique. Le bol, la cuillère, le raclement dans le beurrier en fin de semaine, jusqu'à la fermeture caoutchoutée du réfrigérateur : aucune différence d'une cellule à l'autre ! ces bruits-là passent les murs. Pas les voix. Puis le claquement exaspérant des quatre pieds de chaise. Mais il y a des femmes brusques.
    • Et le déclenchement des crachouillis du transistor. Indifféremment des infos, de la pub, de la musique de bastringue, du boniment de speaker. Inutile de coller l'oreille au mur. D'un coup tout s'éteint, la vaisselle dans l'évier d'alu, les chaussures qu'on enfile - pas de hauts talons - pas de clé qui tombe, pas de juron - pas de monologue – pas de sifflotement - la porte claque. Boris peut enfin procéder à ses ablutions. Un soir, Boris perçoit un cliquetis étouffé‚ la clé tourne, le battant s'ouvre, des voix se mêlent dans le vestibule - ce doit être un vestibule – vite un bloc-notes : un homme, une femme.
    • Qui invite l'autre?
    • Chacun ôte son manteau ; que se disent-ils? des choses gaies, des choses quelconques. Boris s'appuie si fort que son coeur doit s'entendre, ou le plâtre se fendre. Les répliques se chevauchent, un homme, une femme, peut-être homosexuels tous les deux, Boris ne désire rien d'autre qu'une conversation banale, mais enfin compréhensible - « Je ne suis pas un espion soviétique » - répète-t-il entre ses dents. Les intonations sont franches. Il existe entre les deux êtres une forte intimité. Mais toujours un bruit parasite (chaise heurtée, glaçon frappant le verre) embrouille les phrases à l'instant précis où les syllabes se détachent.
    • L'homme et la femme se séparent. L'homme répond en mugissant du fond des toilettes; il ssont décidément très intimes - la femme répond de la cuisine. Puis l'homme se lave les mains, la voix de femme plus étoufée répond d'une chambre. Voilà une disposition de pièces facile à déduire : de l'autre côté du mur, ce serait la cuisine, plus au fond donc - les toilettes (bruit de chasse d'eau), la chambre à gauche avec son petit cabinet de toilette (des flacons qui s'entrechoquent). Boris esquisse un plan. Au nombre de pas, le logis mitoyen ne doit pas être beaucoup plus grand que le sien ; quand le couple élève la voix, Boris comprend qu'ils se tutoient ; il se félicite de n'avoir jamais introduit de femme chez lui – à présent ils se sont rejoints dans la chambre. Le reste va de soi. Tout cependant n'est pas si facile. Il y a discussion. L'homme exige des preuves. La femme proteste et veut se laisser convaincre. C'est la première fois qu'ils couchent ensemble. Dans ce cas de figure c'est la femme qui reçoit ; mais elle peut être venue sans préméditation. Quoique. Le ton monte. On se bat. « Suffit! » gueule Boris. On ne l'entend pas. Bon sang ils se foutent dessus. C'est un viol. Par où entre-t-on chez ces gens-là ? Il passe la main sur le combiné - des rires, à présent. « J'aurais passé pour un con ».La lutte s'affaiblit.
    • Ça devient autre chose. Evidemment. Mais le lit a beau lancer du fond de son appartement toute une rafale de grincements, les deux salauds peuvent bien se tartiner des couches de gueulements à travers la gueule, la quique à Boris continue à pendouiller. Quand ils se sont relevés, lavés, rhabillés, quittés, Boris bande d'un coup, se précipite à la vitre et se reprend juste à temps pour ne pas soulever le rideau. De sa fenêtre il n'aperçoit que la cage d'escalier de l'autre aile d'immeuble : d'en bas, les jambes - de face, le buste sans la tête, d'en haut, les crânes. Le soir (la scène se répète le lendemain, mais impossible de savoir qui de l'homme ou de la femme, reste sur place...) il faut compter avec les irrégularités de la minuterie, réglée très serrée ; ce n'est pas facile.
    • D'après la disposition des lieux, l'Occupant Contigu tient donc dans un deux-pièces au troisième, avec un retour peut-être sur la droite ; même en passant la tête et tout le torse par la fenêtre, l'alignement du mur interdit toute vision. Boris imagine un invraisemblable jeu de miroirs, de périscopes, de potences orientables. En tout cas le vingt-quatre avril, dans l'immeuble d'à côté, la loge sera vide ; tout fonctionnera au Digicode - bientôt il faudra réintroduire les concierges dans Paris comme les lynx dans les Vosges. La mère Vachier fait la gueule à tout hasard, garde la petite Marianne et refuse toute collaboration : « A côté? c'est l'interphone. » Démerdez-vous. « Code BC24A. » Boris n'a rien demandé.
    • Il n'a même pas posé de questions sur la petite fille. « C'est une voisine, comme ça. ». La portière a besoin de se confier. De l'autre côté de la cour se trouve une deuxième cage d'escaliers aux vitres encore plus sales encore. Moins animée. Boris n'y regarde jamais. « Tu as peut-être tort » suggère Marianne- Boris aussi a besoin de se confier. Tous les soirs avant la télé- on n'entend plus rien,a-t-il – a-t-elle – déménagé ? - Boris s'assoit devant la fenêtre la tête dans l'ombre et observe le défilé des locataires ou visiteurs. Ça monte, ça descend, avec des arrêts dans le trafic, des reprises, des précipitations,des temps morts ; des crânes sautillent de marche en marche, des mollets s'embrouillent, des jupes, des pantalons, des profils : graves, riants, tendus, le plus souvent sans expression. Il y a des hommes qui se grattent le cul, des femmes qui se sortent la culotte de la raie ; personne ne se raccroche du bras, ni ne s'arrête pour bavarder. Normal. Les clients de la psy du troisième se succèdent exactement dans le même ordre. Notaire au deuxième droite. Une manucure, le détective - au n° 26 donc, juste à droite en sortant – là où précisément l'inconnu ou toute nue fait son nid - il ou elle est revenu(e), les habitudes sont les mêmes, les disques aussi : « "Ti sento", le rock italien, à intervalles réguliers.
    • Peut-être un peu moins souvent. Boris guette. Il note dans le noir sur ses genoux. Le carnet comprend une feuille par nom : "A-X", « Tête à l'Air", "l'Oignon Bleu". Ou bien  François Debracque, Aline Aufret, Gérard Manchy : les symboliques, les sobriquets, les noms communs. Pas un russe. Plus de femmes que d'hommes , aucune vraiment qui plaise. « Tu connais bien des bonnes femmes à ton boulot, dit Marianne. Pourquoi tu ne les dragues pas? » Boris a du mal à expliquer que ces femmes-là, justement, à l'Institut Pouchkine, ne se soucient pas de flirter ; elles suspendent leurs organes génitaux aux patères. Ou c'est tout comme. Maintenant c'est Marianne qui mate ; elle soupèse les femmes : « ...Pas mal..Un peu forte. - Et les hommes ? - Tu deviens pédé ? - Je veux savoir qui habite à côté ; il n'y a plus de concierge. » Marianne redouble d'attention. « Mais tu connais tout le monde, Marianne – non ?
    • - Pas du tout - ce cul ! - eh, mes maths?
    • - Plus tard.
    • - Je reprends le cabas.
    • - Garde un éclair pour toi, n'oublie pas l'huile la prochaine fois.
    • - Ciao.
    • Boris joue le tout pour le tout. Il va se poster, sans se montrer, sur le trottoir, tout près de la porte ; le code est faux ; alors il se glisse derrière un locataire qui lui tient la porte. Il voit tous les noms d'un coup sur les boîtes aux lettres : des Italiens, des Français de Corse, des Bretons. Un certain Dombryvine. Abdelkourch. Lornevon. Le courage lui manque ? non, l'idée même de monter au troisième – "bon sang, c'est trop stupide, j'y vais" - mais dans le couloir, là-haut, les portes sont anonymes ; la minuterie allume sur le bois des lueurs de montants de guillotine. Boris redescend très vite dans le noir en s'insultant ; il aura mal retenu la disposition des lieux. Mais le lendemain, il récidive. La rue grouille. Le même homme lui tient la porte. Cette fois il s'attarde : au troisième – ni médecin donc, ni voyante, rien de ce qui se visite – il distingue vers le fond une fenêtre sale : exactement dans l'angle mort de sa fenêtre à lui. Impossible de voir ; de retour au 24, Boris fait son croquis : appartement 303.
    • Manque l'âge, le nom, le sexe. Le sexe manque. Ne pas lâcher prise. “Qu'est-ce que tu lui veux à Madame Vachier ? - Juste parler avec elle. Tu vas aussi lui demander ce qu'elle pense de moi, d'où je viens, qui c'est ma mère... - Ce ne serait peut-être pas inutile. Tu veux savoir qui habite à côté  ? Tu manques de femme?... - Il y a toi. - Cochon. - Je ne veux pas que tu ailles chez la concierge. - Moi aussi je manque de femme. - Elle est grosse, elle est moche, elle est mariée, dit Boris. Il va voir le mari de la concierge. C'est un Alsacien à gros ventre et bretelles, loucheur, boiteux ; Boris met au point une histoire à dormir debout : « Je suis fonctionnaire à l'immigration ; la locataire - il choisit le sexe - du 237 n'est pas en règle. » Monsieur Grossmann - il ne porte pas le même nom que sa femme - est l'honnêteté même. « Pourriez-vous me prêter dit Boris votre passe ? je suis sûr d'avoir oublié mon portefeuille chez Madame Schermidtau 237...
    • - Vous connaissez son nom?” Le souffle coupé, Boris voit le concierge détacher du clou le grand anneau qui tient les trente clés plates. «.C'est elle gui remplace M. Laurent ?” Boris acquiesce, la boule dans la gorge. « Je vous accompagne. » Grossmann est bavard. Il faisait partie des "Malgré Nous" sous le Troisième Reich. Il en est miraculeusement revenu. Il aime bien raconter. Le portail vitré du 26 s'ouvre sans effort : « J'ai le même passe que le facteur » dit Grossmann.Boris monte les étages avec le boiteux. « Dix ans qu'on attend l'ascenseur...Regardez l'état de la moquette... - Il faut bien que les escaliers servent à quelque chose." Vous dites des conneries, Monsieur Grossmann. Voici la porte ouverte. Boris écarquille les yeux et grave tout dans sa tête : le corridor de biais, très court, très étroit, vers la gauche ; trois portes ouvertes, la salle à vivre claire, avenue Gristet, bruyante; la chambre au fond, sombre, retirée - « salle de bain, cuisine » dit le portier - « je vois bien » dit Boris. Difficile après cela d'imaginer, de l'autre côté, son propre foyer, solitaire – il ne ressent pas son appartement – où est-ce qu'il colle-t-il son oreille? Très exactement ? ...Ça n'a pas du tout la forme d'un L... Boris ne cherche rien. Il ne bouge pas. Grossmann comprend ; il reste en retrait, muet. Trop d'immobilité, trop de respect dans le corps du Russe lorsqu'il s'approche enfin des étagères et lit les titres lentement, le "Zarathoustra" de Nietzsche, "l'Amour et l'Occident", « Deutsches Wörterbuch », « A Rebours" de Huysmans, un Traité de Diététique – une Bible - quelques ouvrages sur le vin.
    • Une collection de "Conférences" des années trente - dis-moi ce que tu lis...? La penderie est restée ouverte ; ils y voient une proportion égale de vêtements féminins et masculins - chacun sa moitié de tringle : des habits soignés, sans originalité excessive. Revenant au salon à pas précautionneux Boris aperçoit contre son mur un tourne-disque. J'aurais dû commencer par-là. Sur la platine "Ti sento", rock-pop italien. Boris coupe le contact; le voyant rouge s'éteint. Qui relèverait mes empreintes ? La pochette, luisante, à l'ancienne, représente une femme fortement décolleté‚ cuisses nues, décoiffée, en justaucorps lamé. «Madame Serschmidt ne vit pas seule, dit le concierge. Boris a inventé ce nom. Il s'informe gauchement (« Reçoit-elle des visites ») - Vous devez le savoir, Monsieur Sobrov.» Boris repère encore la Cinquième de Beethoven, la Celtique d'Alan Stivell, René Aubry et un double album de folklore maori.
    • Plus la Messe en si mineur, BWV 232. Jamais il n'a rien entendu de tout cela. Le concierge propose de manger un morceau. Boris refuse, effrayé. « Mais elle ne revient pas avant six heures ! » Boris se retient si visiblement de poser des questions que l'Alsacien précise malignement : « Je reçois les loyers au nom de Monsieur Brenge". Il prononce à l'allemande, "Brenn-gue". - C'est peut-être son frère qui paie ? ...Serschmitt est son nom d'épouse, elle a divorcé... » Grossmann ne confirme rien. Il se dirige vers le réfrigérateur : « Vous saurez toujours ce qui se manche ici ! » - des oeufs, des pots de crème de langouste, un rôti froid en tranches et trois yaourts. « A la myrtille », dit le concierge ; il se sert, rompt du pain, choisit du vin. “Tant pis pour la langouste”, dit Boris - ils s'empiffrent - Boris veut faire parler le gros homme. Seulement, il n'y a plus rien à ajouter. Le portier tente d'en faire croire plus qu'il n'en sait. Il prétend que "tout le monde défile » dans ce studio. « N'importe qui tire un coup ici, puis s'en va. » Ils se défient du regard en mâchant. Rien ne correspond aux longues attentes, aux exaltations de Boris dans son antre – à moins qu'il ne s'agisse d'une autre chambre ? « Gros porc » dit Marianne le lendemain ; « Tu y es allé. Je sais que tu y es allé. Je ne voulais pas que tu y ailles. Saligaud. Vulgaire. Je t'ai vu entrer dans l'immeuble avec le mari de la mère Vachier. « Tout le monde y vous a vus monter la cage d'escalier. Même que tu es entré dans l'appartement, et que tu as regardé partout, fouillé partout, dans les livres, dans les disques, même entre les robes. Et vous avez bouffé du saucisson et du pâté de langouste et ça c'est dégueulasse. Au goût j'veux dire.
    • - C'est chez toi ? - Ça ne te regarde pas. Déjà que tu me fais reluquer les grosses qui descendent les escaliers, et quand il y a de la musique tu arrêtes la leçon de maths même si j'ai rien compris et tu colles ton oreille au mur comme un sadique.
    • - C'est ta mère qui habite là ? - Dans ton quartier pourri ? on est riches nous autres, on a une BMW, on va aux sports d'hiver et c'est pas toi qui pourrais te les payer pouffiard. - Tu veux une baffe ? - .Je le dis à maman et tu ne me revois plus et tu seras bien emmerdé parce que tu es amoureux de moi mais tu peux courir et si tu me touches j'appelle les flics.
    • - Tu t'es regardée? - C'est dégoûtant d'espionner les gens t'as qu'à te remarier ou aller aux putes. - Ça suffit Marianne merde, c'est chez toi oui ou non ?” Marianne prend son souffle et lâche tout d'une traite «Avant c'était chez moi maintenant on a déménagé mais c'est pas une raison t'as pas le droit d'entrer fouiller partout avec tes pattes de porc pour piller dans le frigo et si on avait su que tu devais habiter là on se serait tiré encore plus vite - C'est le concierge qui... - Parfaitement que c'est le concierge - Et pourquoi tu ne vas pas l'engueuler lui ? - Parce qu'il est pas tout le temps à me chercher.Tu ne m'as pas encore tripotée mais c'est dans tes yeux. » Boris Sobrov demande pourquoi le concierge éprouve le besoin de raconter tout ce qu'il fait;
    • Marianne répond que sans ça il ne serait pas concierge, elle ajoute encore qu'elle préfère s'amuser avec Grossmann que de rester à faire des maths avec un vieux grognon - "chez toi il n'arrive jamais rien ». Puis ça s'arrête, la petite fille aux cheveux noirs revient le lendemain avec les provisions. Boris s'est arrogé le droit de contrôle sur tous les résultats scolaires de Marianne ; il consulte le carnet de notes, il joue au père, l'exaspération croît de part et d'autre. Boris lui dit qu'elle a les mêmes yeux noirs que sa fille à lui, qu'il n'a pas revue depuis longtemps. « Elle faisait les mêmes fautes que toi. - Elle est dans ma classe.” Boris est bouleversé. Il demande doucement, comme on tâte l'eau, la manière dont elle se coiffe, si elle travaille bien. Si elle parle de lui...Marianne se rebiffe. « Elle est dans une autre section, ta fille, on se voit aux récrés, ce n'est pas ma meilleure copine, ma copine c'est...
    • - Je m'en fous - attends, attends ! - comment elle s'appelle ta meilleure amie ? - Ah tout de même! Carole.” Boris demande si Carole travaille bien, si Marianne et elle ne se sont pas disputées, si elles ne pourraient pas venir travailler ensemble... « Je ne l'amènerai jamais ici ; tu nous forcerais à faire des choses.” Boris pousse un soupir d'exaspération.
    • Il la laisse en plan, passe à la cuisine pour bouffer du fromage blanc, à même les doigts. Il est bien question de leçon de maths. Quand il revient Marianne de l'air de se payer une tête. Boris fouille dans une pile de dossiers, les dossiers s'effondrent, il les reclasse. Récapitulons. « Tu n'es pas mon père". Elle ne me l'a pas encore faite celle-là. « Tu n'es pas ma mère ». « Tu ne sais rien de moi" - ne pas raisonner. "Intuiter". J'ai divorcé depuis six mois. Cette fillette est déposée chez les concierges par une femme qui n'est pas sa mère. Marianne ressemble à sa fille qu'il n'a pas vue depuis six mois – putain de juge – une femme. Marianne connaît Carole Sobrov. Non seulement c'est sa meilleure amie, mais elles sont devenus demi-sœurs par remariage – sa femme s'est remariée avec le père de cette petite guenon de Marianne.
    • Il se cache le front dans la main. “J'ai très mal à la tête. - Je m'en vais, ciao”.
    • X
    • A peine Marianne et sa tignasse ont-elles tourné le coin du palier que Boris dévisse la minuterie. Panne. « Merde » dit l'enfant. Boris se faufile en chaussons derrière elle dans l'escalier. Juste la lumière du puits de cour. Il dérape sur les marches. La rampe est encaustiquée. Devant lui, Marianne s'arrête dans le noir, relève la tête. Au premier, elle réussit à renclencher la minuterie. Boris la suit toujours. Au rez-de-chaussée, la loge forme l'angle dans la cour. Les vitres laissent tout voir. Boris, dans la cour profonde, se colle contre un mur entre deux poubelles. Comme dans un film. Dans les couples, ce que Boris déteste, c'est le mari : il n'a rien d'intéressant entre les jambes. Tant de femmes raffinées collées à des butors. Le père de Marianne, c'est pareil. Trop grand, trop fort, la voix désagréablement masculine. Ses gestes sont brusques. Il ressemble à une bite. Tous les hommes ressemblent à des bit es.
    • La petite fille pleure, à présent. Même si c'est une teigne Boris se sent bouleversé. Tout le monde s'engueule, le père et le concierge se menacent mais c'est Marianne qui se prend une claque. Boris bondit, arrache presque la porte et se mêle au tas. Le beau-père le prend à partie : « Vous laissez traîner vos pattes sur la petite. Vous faites espionner un appartement privé par l'intermédiaire de cet individu. Vous êtes un fouille merde. Je vous en foutrai des cours de maths. » Tout le monde se quitte pleurant, gueulant, Boris s'en remonte chez lui, brouillé avec Grossmann et sans espoir de fillette à venir.
    • A ce moment "Ti sento" se déclenche dans la pièce voisine, et cette fois, on danse.
    • X
    • "Chère, Lioubaïa Tcherkhessova !
    • "Je souffre à crever parce que le voisin ou la voisine fait gueuler un tube infect en italien, "Ti sento". C'est pire qu'une rage de dents et je ne peux pas m'en passer. Je ne sais toujours pas si c'est un homme ou une femme qui passe le disque, et qui danse. Ce qui chante, c'est féminin, ça crie toujours les mêmes voyelles avec chambre d'écho, mes cours d'arménien vont bien, je m'embrouille encore dans le tatar. "Ti sento" est le meilleur morceau, les autres braillent le rock à la sauce Eighties', je suis sûr qu'on le fait exprès pour m'emmerder, si tu n'habitais pas à l'autre bout de Paris ce serait toi.
    • "D'ailleurs j'y suis allé l'autre jour avec le concierge et son passe-partout. Je n'ai rien fouillé, rien dérangé du tout. D'après le père Grossmann ce serait une sorte de chambre de passe, une fois j'ai surpris des baiseurs à travers le mur mais ce n'était pas toi. Le concierge ment. Il y a là quelqu'un. Qui paye son loyer. Qui n'emmerde que moi. Un jour je le coincerai. Le ou la. Si c'est une femme, ça va chier. Terminé les petites astuces : Marianne c'est ta fille, enfin, celle de ton homme, un vrai, un gros porc - pour l'insolence, la morveuse, impeccable. Elle a craché le morceau.
    • C'est vous qui me l'envoyez depuis trois mois pour espionner. Il n'y a rien à espionner. Il n'y a pas de femme ici. Pas d'homme. Pas d'argent. Comme un moine. Et je suis en règle avec les services d'immigraiton si tu tiens à le savoir. Et je suis sûr qu'elle cache autre chose, ta Marianne. Elle me cache ma fille. La vraie. Elle sait quelque chose sur l'appartement d'à côté. Elle a pleuré quand elle a su ma visite avec Grossmann. Elle est allée se répandre comme une poubelle à la loge devant ton mari de mes couilles, qui a failli me taper dessus.Elle raconte que je la tripote.
    • "Toi, ça fait un temps que je ne t'ai pas vue. La dernière fois c'était au grand bureau. Soixante-dix ordinateurs. A devenir fou. Je ne sais plus comment ça a commencé. Tu as toujours une engueulade de réserve. Moi aussi. Ce n'était pas la même. Petit à petit les soixante-neuf têtes se sont levées, les ordinateurs se sont tus, nos paroles se perdaient dans l'épaisseur de l'air, tu t'es fait virer puis aussitôt réintégrer pour "bons antécédents", pour moi c'était définitif, je travaille pour la misère, tu crois que ‡a m'intéresses de vérifier des listes, de faire le compte des morts, vérifier les adresses , les patronymes : «Ivanovitch » ou « Pavlovitch? »
    • ...Sagortchine a-t-il reçu sa pension ? Que devient Berbérova? A-t-elle trouvé un
    • emploi en rapport avec sa formation ? A quels cours sont inscrits les frères Oblokhine ? Pourquoi Sironovitch a-t-il divorcé ? de quoi est morte la Bibliskaia ? Quel nom portait-elle en Espagne ? Le KGB a-t-il relâché Dobletkine ? Pourquoi tous ces gens-là n'adoptent-ils pas définitivement un nom bien français ? toi au moins tu ne t'es pas remariée avec un Russe. Mais ton Léon Nicolas, dont je viens de faire la connaissance, c'est just un gros tas de vulgarité - le Russe, c'est un prince, ou un moujik. Je sais comment ça va finir : toujours la faute de l'homme ! Je ne suis tout de même pas le seul éjaculateur précoce de France et de Russie Blanche réunies !
    • "Avant l'informatisation nous travaillions ensemble. Avec de vraies fiches, dans les vraies mains. Tu dictais, j'écrivais. Maintenant je travaille seul. J'ai une carte de Paris et de l'Ile-de-France où je peux lire qui, et à quelle heure, dort dans quel lit, et en quelle compagnie. Je te promets de t'aider à la cuisine, j'essuierai mes pieds, je ne te tromperai plus sans en avoir vraiment envie, je ne ramasserai plus de chiens dans la rue, en ce moment je n'en ai pas. Nous écouterons autre chose que de la musique classique, tu pourras aller seule au ciné, tu ne peux pas savoir à quel point ces vingt-cinq semaines m'ont transformé‚ reviens." Le surlendemain Boris reçoit un télégramme ainsi conçu :
    • "VA CHIER. "
    • "Ti sento" se déclenche, Boris prend le métro jusqu'à La Râpée, pour visiter la rue Brissac : il la remont‚ il la redescend, la rue est à lui, il en est à la lettre B. Il hume le parfum du métro, il trace dans les couloirs carrelés, bifurque sans ralentir sous les plaques bleues, suit des épaules, un cul, des talons, s'accroche aux barres, marque ses doigts sur le chrome, invente les coucheries des femmes, note les rides de fatigue, évite les haleines, joue avec son reflet sur la vitre noire et le tunnel qui court, tâte son portefeuille, ne cède jamais sa place. Dans Paris, Boris prend la première à gauche puis à droite et ainsi de suite, ça le mène parfois très loin, il voit des maisons, des trottoirs, des voitures ; des crottes, des gouttières avec les petites annonces collées dessus, la pierre des immeubles, des vitrines de coiffeurs, de bouchers, d'ordinateurs ; des prismes Kodak, des servantes en carton "Menu à 60 F" "Menu à 120 F" – et des gens.
    • Des gens comme s'il en pleuvait, comme s'il en chiait, mal fringués, super-chic, soucieux, d'âge moyen, noirs, enfants, groupés, par couples qui s'engueulent, qui s'aiment, en débris, "alors j'ui ai dit", "pis elle a répondu", "forcément » - les oreilles qui traînent, les narines à l'essence, et le grondement continu de marée montante qui fait Paris.
    • Comme au débouché de sponts, ou sur les places circulaires, il est difficile de trouver "la première à gauche", "la première à droite", Boris s'immobilise, tend les bras dans la foule indifférente, se décide pour un cap. Derrière la Bastille, en un quartier cent fois parcouru, voici qu'il découvre un quartier - "...j'aurais pourtant juré..." - où jamais ni lui, ni personne, n'a mis le pied. Il s'avance en flairant , deux murailles, un trottoir déjeté, une vitre fêlée, « CREPERIE », plus bas en biais « en faillite » et des pavés. Un petit vent. Un caniveau qui pue. Peut-être un vieux qui crochète une poubelle avec application. Peut-être un chien.
    • Et là-haut, dans les étages, "Ti sento ti sento ti sento » - Boris immobilisé - sur le tuyau de gouttière un papier périmé "La Compagnie de l'Oreille » joue "La Cerisaie"- le soleil ne perce pas, un pigeon pique du bec, le chien nez au sol, le pigeon s'envole, fin du disque, le portail s'ouvre, le heurtoir retombe, une femme jeune, vive, sur le trottoir en cape orange ; peut-être que là-haut chez elle les fenêtres donnent sur (le bassin de l'Arsenal ?) Boris lui laisse une bonne distance d'vance, la suit (la cape orange !) place Mazas, à la Morgue au Pont d'Austerlitz. Il baptise la femme "Ysolde", au-dessus de la Seine l'odeur de l'eau emplit les narines ou le devrait, un jeune homme dépasse Boris en rejetant son foulard sur son dos.
    • Place Valhubert, face au jardin des Plantes, il la suit de très près, de feu rouge en feu rouge, la cape orange court et court dans le déferlement des roues, un grondement continu remonte par le Quai d'Austerlitz, les voici côte à côte.
    • Elle a très exactement le nez de Paris, les cheveux bouclés, le sac à main est vert – il la perd – bouche de métro – figure obligée - couloirs d'Austerlitz. Chacun sa voiture. Station, station - près de la porte – montant de chrome - pivote, s'efface - pivote, redescend, remonte – bienfaisante affluence - le nez dans les cheveux d'autres femmes ou sur les calvities, les pellicules - « Place d'Italie » - facile - la cape orange force - Boris lourd et vif contourne les épaules, les hanches, passe de biais, trébuche devant le dos des vieilles.
    • Une autre rame et même jeu. C'est elle, la rockeuse latine – mais à la station vide, enfin, où elle descend, la femme fait volte-face, l'insulte, le frappe avec son sac à main - « Attendez! Attendez ! » - Boris court, trébuche. Ils débouchent tous deux à l'air libre [Nuit, Pluie] :
    • « Qu'est-ce que tu me veux ?
    • - Vous parler.
    • - Me parler, me voir, me toucher, me sauter, dégage!
    • - "Ti sento, ti sento , ti sento"!
    • Ils crient, ils courent [pluie renforcée] - Votre nom? Votre prénom?
    • Un portail lui claque au nez. 26 rue de M. Le même disque aux deux adresses. Boris s'essuie la joue, tourne le dos, s'engouffre dans son propre escalier, tourne la clef de son enclos – aussitôt le disque se déclenche, très fort – alors Boris danse, comme un ours, comme un boeuf sous électrochoc ; le lendemain il se demande pourquoi le père de Marianne amène sa fille à la loge. Soit pour le narguer. Hypothèse exclue : le divorce fut aux torts exclusifs de Boris. Soit pour se débarrasser de Marianne - haine réciproque. Possibilité de récupérer l'affection de sa femme = ? Boris lutte cinq minutes contre la nostalgie. « A moins que » poursuit-il « le nouveau mari ne dépose Marianne chez le concierge que pour se rendre chez une maîtresse - Mauricette » - il l'appelle Tcherkessova - me reviendrait - ah non ! »
    • Le concierge est suspect : parfaitement, Grossmann. Impossible à filer. « Il s'introduit là-dedans comme il veut ; il se sert en saucisson , il prétend que l'appartement sert de chambre de passe ; il déclencherait lui-même « Ti sento" sans parler - quand le disque se déclenche Boris ferait mieux de lorgner par-dessus la loge depuis là-haut plutôt que de courir s'écraser l'oreille au mur, Grossmann lit dans sa chaise longue, bientôt dans son fauteuil roulant – ce n'est pas lui. A moins qu'il ne tienne une télécommande sous le journal ? "Acheter des jumelles".
    • Boris se plaque au mur, haletant, les lèvres sur la peinture sale, soudain le disque ralentit, la voix vire au grave en pleurant, c'est la panne, c'est grotesque. Silence. La cour est noire. Grossmann est rentré. Dans le ciel la rougeur de Paris, les meubles se découpent peu à peu, Boris se déplace avec des précautions de poisson-chat. Les autres cours résonnent, lointaines, aquatiques. Un faisceau mobile sous la verrière de la loge. Et voici les fenêtres partout qui s'éclairent. Fin de la panne. « Sauf chez moi ». Le disque ne reprend pas. XXX 64 06 30 XXX
    • Boris frappe à la cloison. C'est la première fois. Dans l'épaisseur du mur en dessous une tuyauterie transmet un message , la minuterie des cages d'escaliers se rallume. A côté, personne. Pénombre. Inquiétude. Boris téléphone : « Concierge ! Concierge !
    • - Vous êtes obstiné, M. Sobrov.
    • On a trouvé en Chine centrale une touffe de poils n'appartenant ni à l'espèce animale, ni à l'espèce humaine.

    ILS Y RETOURNENT.

    • Le concierge souffle au deuxième palier ; il resserre ses bretelles . -...Vous n'avez jamais vu de petite femme blonde, frisée?...Nez en trompette, cape orange ?
    • - Les femmes changent souvent de vêtements. Je ne sais pas ce que vous trouvez à cet appartement. Il est loué. Personne n'y habite. Vous feriez mieux de consulter les petites annonces.
    • - Je ne veux pas déménager.
    • - Les annonces matrimoniales.
    • Vous me prenez pour un cinglé.

    ILS ATTEIGNENT LE TROISIEME ETAGE

    • - Le r'v'là votre appartement...C'est ouvert. Il y a de la lumière. »
    • En bleu de travail à même le sol, un coffret d'électricien entre les jambes, les yeux levés la bouche ouverte, le père de Marianne. Il dit : «J'installe. - J'installe quoi ? » Il se redresse. Un mètre quatre-vingt dix. Des cheveux gris blanc. Boris ne lui serre pas la main. L'Alsacien est de la même taille. « Vous ne m'avez pas dit que vous étiez électricien, dit Grossmann.
    • - A l'occasion.
    • Le concierge sort trois bières du frigo. « C'est petit ici dit-il. Je me suis trompé dans les branchements l'année dernière. Moi aussi je bidouille de temps en temps." Il prononce « pitouille ». Boris demande lâchement au père de Marianne ce qu'il tient dans la main. L'autre appuie sur les touches d'une espèce de boitier blanc ; chacune d'elles correspond à un bruit particulier. Il fait entendre successivement : l'ouverture d'une porte, le déclenchement de la radio, la chasse d'eau, une baise. Tout cela sort d'une bonne dizaine de haut-parleurs habilement dissimulés dans tous les angles des plafonds.
    • - Je peux aussi allumer ou éteindre les lumières, lever ou baisser les stores.
    • Ses doigts pianotent avec désinvolture, c'est un vrai tonnerre de stores.
    • « Vous pouvez mettre un disque en route ?
    • - Je n'y ai pas encore pensé.
    • "Ti sento" trône sur le tourne-disque, noir, insolent .
    • X
    • Les trois hommes se retrouve au « Rétro" pour de bons instants de gueule. On a les amis qu'on peut. Les garçons portent des tabliers blancs, des moustaches en crocs et des rouflaquettes. Décor ordinaire, prix modérés. L'Alsacien picore des moules en faisant des grâces, , Boris ne quitte pas des yeux le grand Auguste, père de Marianne, second mari de sa femme, qui décortique l'os de son petit salé. « Tu comprends Boris dit Auguste en mastiquant – ce tutoiement me souille l'estomac - nous sommes quatre à louer cet appartement ; Heinrich - il montre l'Alsacien qui empile ses valves au bord de son assiette - nous a signalé une belle occase.
    • "En revanche il ne paie rien et peut baiser à deux pas de chez lui - tu ne manges pas ? » Boris enfourne précipitamment sa fourchette de nouilles : « Je ne crois pas ce que vous dites, fait-il la bouche pleine.Grossmann avale d'un trait un verre de Traminer. « T'entends ça Heinrich, v'là l' Russkoff qui se la joue fleur bleue. Mais y a personne là-dedans, mon vieux, rien que des couples de passage, comme toi et moi! » L'Alsaco rit très fort. Boris : « Connaissez-vous une femme blonde avec une cape orange ? avec un sac à main. » J'aurais bien revu ma femme ; Auguste me protégerait contre les rechutes.
    • A haute voix : « Je peux venir avec vous ? » Auguste devient dur. Il dit que c'est trop tôt. L'Alsacien bien rempli devine tout. Il se rejette en arrière, repousse les moules : « Ma femme ébluche des patates à la loge - tranquille! La sienne vient souvent au 126 faire des passes. » Et Boris ne bondit pas. « Vous êtes tous montés sur ma femme ? ...On ne peut pas satisfaire une femme en la faisant pute !... Est-ce qu'elle va bien ? - Comme une pute dit Auguste. - Vous mentez. » Le ton monte. Boris dit qu'on lui vole un amour immortel, juste au-delà du mur ; que c'est une jeune femme isolée qui vit là, chaste, mystérieuse, attirante, d'origine italienne, et silencieuse. « Quant à la connasse qui partage ton lit maintenant, elle ne mérite pas tant de recherches. »
    • De retour chez lui Boris, calmé, examine la situation. Il avait failli
    • nouer des liens : ces hommes indignes ne
    • l'impressionnaient plus.
    • X
    • Ce que se disent les petites filles
    • - Je vois ton père tous les jours dit Marianne.
    • - Plus maintenant dit Sandra.
    • - Tu t'appelles Sandra dit Marianne c'est naze.

     

     

    • Sandra souffre de son prénom : une idée qu'elle a. Sa mère la couve ou l'engueule, c'est selon : « Tu ne verras plus ton père. - C'est pas juste. - Il me tirait par les cheveux. - Pourquoi Marianne elle peut le voir, papa ? » C'est Marianne qui répond, un soir, sous les draps : « Un jour il me tripotera, et comme ça il aura des emmerdes ; les étrangers, c'est tous des anormaux. - Pourquoi tu fais ce qu'il te demande alors ? - Ça m'intéresse de me faire tripoter. - Il le fait ? - De toutes façons je ne peux plus y aller. - Tu lis que des cochonneries. - Toi aussi. - C'est pas les mêmes livres.
    • X
    • Lettre d' Irène (“Tcherkhessova”) à son ancien mari
    • Cher Boris,
    • Auguste nous laisse de plus en plus tomber. Il s'absente, et ne boit pas. Son humeur est de pire en pire. Tu m'as parfois claquée mais après on s'embrassait, lui, c'est ni l'un ni l'autre. Je m'ennuie tellement que je me mets à lire. Marianne, c'était pour avoir de tes nouvelles, mais elle ne dit que des méchancetés, Auguste ne veut plus qu'elle te revoie, il a peur que je te rencontre, il nous boucle toutes les trois, il revient à deux heures du matin, il ne sent même pas la femme, on peut dire que je n'ai pas de chance.
    • L'après-midi va sur sa fin, il y a encore du soleil. Sandra lit beaucoup. Je t'embrasse.
    • Irène.
    • X
    • Suite
    • Une femme blonde en cape orange, très à la mode en ce temps-là, Sandra, et Marianne, en jupe vert crado, se faufilent dans l'appartement mystérieux ; les pièces ne conservent aucune trace d'occupation : murs propres, meubles d'hôtels, fringues bon marché sur les cintres, autant d'hommes que de femmes ; Sandra déchiffre les titres sur l'étagère : « Ainsi parlait Zarathoustra », "Vieux crus de Bourgogne", les "Fables" de La Fontaine, qu'elle ouvre sur un canapé bleu, les genoux bien droits. « Qu'est-ce qu'on est venues foutre ici ? » dit Marianne. La tête plate d'Irène (une idée qu'elle a) pivote à la recherche des judas décrits par Auguste. Marianne se dirige à pieds joints vers le tourne-disque. "Ti sento", qu'est-ce que ça veut dire ? - "Je t'entends", "je te sens", dit Clotilde.
    • Elle applique son oeil au viseur : juste aux dimensions de son orbite. Sandra, qui lève les yeux, ne voit de sa mère que la tresse blonde remontée en crête, à l'indienne - "Ti sento ti sento ti
    • sento..." - Marianne ! Qu'est-ce que tu fais dans mon dos ? » La rhytmique passe d'un baffle à l'autre (échos stéréo, effets de vagues, caisse claire – "ti sento ti sento") - « Les Italiennes crie Marianne faut que ça gueule ! »
    • Irène voit tout par l'œilleton : Boris qui danse avec des grâces d'ours, qui se balance,qui tourne sur soi-même, puis d'un seul coup fonce droit sur le judas. La perspective déformée fait voir une grosse tête de tétard avec un petit corps et des petites pattes derrière. Si Irène se retire, il verra la lumière, il se saura observé – deux yeux de part et d'autre se fixent de trop près pour se voir, c'est Boris qui recule, qui montre le poing, qui prend un gros cendrier puis qui le repose, pour finir il se tourne et se dégrafe la ceinture, sa femme s'enlève du trou, le disque continue à gueuler.
    • Quand le silence est revenu, les trois espionnes se sont regroupées sur le canapé, elles se parlent tout bas, un verre se brise de l'autre côté de la cloison – "et s'il s'ouvre les veines ?" dit Sandra, "Tu connais mal ton père" répond sa mère. « Ce qu'il faudrait dit Marianne ce serait de faire venir ici une femme très jeune et très blonde. Moi j'aimerais devenir une jeune femme blonde. - Ça m'étonnerait ricane Irène. Marianne dit d'une voix bizarre qu'elle en connaît une qui lui plairait bien, qui serait prête à emménager ici ; elle n'a qu'un seul défaut : « Elle a voulu me tripoter. - Tu ne penses qu'à ça dit Sandra. - Où as-tu connu cette femme ? Dit sa mère.
    • De l'autre côté une porte claque, une clef tourne dans la serrure, Marianne n'a pas répondu, « Il s'en va » dit Clotilde. Elles quittent précipitamment toutes les trois le 127 et descendent quatre à quatre les escaliers. « C'est papa ! C'est papa ! » crie Sandra . Elle saute contre le carreau sale ; en face dans la cage vitrée symétrique Boris tête basse - « vite ! » - Sandra fait le tour, pousse le vantail du rez-de-chaussée, reçoit son père dans ses bras, Boris chancelle, Marianne et sa femme se sont rejetées à l'intérieur, Auguste rapplique sur le trottoir les deux hommes se gueulent dessus en même temps Qu'est-ce que vous foutez là ? - Sandra s'enfuit en pleurant, on l'entend courir dans la rue de l'autre côté du vantail.
    • « Elle remonte vers le métro dit la mère, pour une fois elle se prend Marianne dans les bras - « tu trembles ? » A voix contenue les deux hommes continuent à se quereller, ils ne veulent pas se battre, ils n'ont rien à se reprocher, rien de bien précis - « Le judas ! » crie Boris – puis tous s'enfuient, Marianne et Irène repassent la porte cochère en retenant leur souffle, Sandra est sur le quai, elle n'a pas osé prendre le métro toute seule.
    • X
    • Boris viole des domiciles
    • Boris tient à la main une lampe sourde. Il a juré qu'il finirait bien par savoir « ce qui se passe ailleurs ». Au moins savoir « ce qu'il y a » : des objets, des profils de vases dans la lumière,
    • des coins de meubles, des coudes de fauteuils. Et puis la peur, l'envie d'être surpris, d'être abattu : les intestins, le coeur. L'intérieur. Il a eu l'idée d'envelopper ses souliers. Il voit des.piles de livres, un bureau, un miroir où il se reconnaît avec sang-froid - pourquoi ces portes intérieures ouvertes ? qui est-ce qui bouge dans l'armoire ? - autant de sourdes palpitations. Déjà Boris aimait de jour longer les murs où les fenêtres au rez-de-chaussée se défendent sous leurs jalousies de bois ; il regardait furtivement, par-dessus, la préparation du repas et les lèvres qui remuent dans le vacarme des voitures, la blême électricité du jour qui tombe ; plus au premier étage, parfois, des têtes coupées par des larmiers, des bras levés dans des armoires, qui ferment des volets.
    • Ce qui instruit aussi c'est de se porter en avant des passants, pour capter leurs propos tronqués, insensés, « alors je lui dis... » - « et elle a répondu... » - Boris choisit les appartements momentanément vides, c'est toute une enquête, toute une filature, il épie les femmes seules mais toutes se méfient, instinctivement, se retournent à l'improviste, il se rabat sur la loge du concierge, un soir qu'ils sont au cinéma – rien d'exceptionnel : des tiroirs, des ficelles, des cartons, des rideaux champêtres et la Bible en allemand. Il flotte une odeur de loge. Non, le bon plan, ce serait d'entrer juste sur les pas d'une femme mariée, sans viol, avec des enfants bruyants, un mari dans un fauteuil qui demanderait "Qu'est-ce qu'il y a au programme à la tévé ?" - les gens auraient laissé la porte ouverte.
    • ...Il s'est introduit par la cuisine, s'est glissé dans le vestibule‚ aplati dans l'allée du lit, la peur au ventre et la retraite coupée, s'est dévoilé. « J'aimerais qu'on viole mes intimités », c'est ce qu'il a dit, le mari a gueulé «Appelle la police ou les dingues », il s'est enfui d'un bond. L'étape suivante est de surprendre un couple pendant son sommeil. Il dort deux heures à l'avance. Plusieurs fois il s'enfuit sous les signaux d'alarme. Il acquiert une grande dextérité dans le maniement des clés plates. La marche à l'aveuglette : silence absolu, retraite assurée. Les doigts sur la lampe, translucides et rosâtres, l'ombre des os – des sens d'aveugle – aucun heurt. et ne heurte rien.
    • Les enfants n'entendent rien. Eviter les chiens, à tout prix éviter les chiens. Mais parvenu sur place : jamais - les gens ne ferment leurs portes intérieures. Boris hésite, sent s'épancher l'onde mixte d'un couple, devine formes, souffles, parfois le néon de la rue - la veilleuse - ou la lune – qui surlignent un profil ou modèlent un visage entier – sur les lits de doux mouvements de dessous l'eau. Les couples aux yeux fermés se regardent ou se tendent le dos, jamais ne font l'amour, ni ne s'éveillent. Boris ensuite redescend à pied la rampe du parking souterrain, sans arme, sous le plafond trop bas la lumière et la forte musique où se fondraient les cris de victimes, sur fond de vrombissement d'extracteurs d'air.
    • Le sol est noir semé de paillettes, les voitures de longs corbillards aux chromes troubles, Boris ne sent pas le danger. Il ouvre les portes, ne trouve qu'un parapluie télescopable qu'il jette sous de grosses roues, plus loin. Il couche dans le duvet vert qu'il tenait sur son dos et s'allonge place 27 ou 30, à 7 h une équipe de réanimation le tire à demi asphyxi », il doit se présenter chez un psychiatre commis d'office, il maigrit, ne parle plus, reste en liberté, ressort plus fréquemment - ti sento ti sento ti sento" – chaque soir de plus en plus fort, la cloison tremble il n'en parle pas pour éviter de passer pour fou - ses déplacements ne sont pas encore sous contrôle, une nuit, mouvant paisiblement ses doigts en coquille rose, il se sent soudain saisi au- dessus du coude : « Qui t'a mis sur le coup ? »
    • - Personne, personne, dit Boris.
    • Le cambrioleur fait main basse sur tout ce qu'il trouve avec une banalité de toute beaut‚ le Couple sur sa Couche sommeille dans la présence, Boris suit le voleur sur le palier, le frappe et le laisse évanoui, il a le coeur qui bat à se rompre, c'est à présent une nécessité : repérer l'immeuble et les allées et venues, s'introduire de jour dans l'escalier, chercher refuge dans des coins très exposés, les concierges n'existent plus, les siens sont les derniers ; il reconnaît volontiers qu'il lui serait totalement impossible de travailler en banlieue.
    • Cela devient de plus en plus monotone, de plus en plus excitant. Un homme seul soudain sortit de son sommeil, ouvrit les yeux, se dressa, le fixa sans frayeur. Boris sortit à reculons, heurtant une chaise, ce n'est rien murmura l'homme à sa femme qu'il n'avait point vue. Aussi les jours suivants Boris se livra à une frénésie d'effractions, perdit toute maîtrise, mangeant peu, ne buvant plus une goutte de vin. Il s'engagea dans une interminable suite de pièces de plus en plus profond devant une file de - fauteuils, tables, dressoirs, houssés de blanc, et comme une lueur l'attirait il se trouva auprès d'une veilleuse comme on en voit souvent au chevet des enfants.

    Le mort est sur le dos, nez découpé, bras le long du corps, femme à son côté les yeux grand ouverts, boucles noires détachées sur le blanc cassé de l'oreiller. Un souffle passe ses lèvres entrouvertes et la femme sourit, découvre sa poitrine et son bras jaune, Boris éclate en sanglots et se retire au pas de charge à travers tous les meubles, dévale les étages et sur le trottoir lâche une clameur de victoire. Il se barricade chez lui jusqu'à midi. Il a dormi sans rêve, sa bouche n'est pas sèche, vérifiant son haleine au creux de la main il la trouve très pure, le soleil donne à travers un trou du rideau.

    • Tirant du lit son bras gauche il observe à présent l'étrange phénomène de la terreur, un frisson dressant chaque poil au sommet d'une minuscule pyramide, quoiqu'il éprouve une intense irradiation de paix. Il respire profondément, rejette le drap des deux jambes et se prépare un café‚ des chansons plein la tête, il se fait des grimaces en se rasant. Il sait qu'il ne retournera plus dans les appartements obscurs où s'endorment les spectres. Il change tous ses habits de la veille. En promenade il s'achète des chocolats et des pralines pour vingt francs‚ et, l'estomac délicieusement barbouillé, passe rue Broca, traverse Port- Royal, son pas est vif, l'atmosphère encore matinale, je suis heureux de vivre seul..
    • Il se tient droit, respire le trottoir fraîchement arrosé, se perd place Censier, remonte vers la Mosquée, repère une affichette contre l'invasion du Tibet, voit sortir de Jussieu une marée d'étudiants. Puis Boulevard Saint-Germain, le pont, rue Chanoinesse le cœur neutre, indolore à présent, rue Massillon, puis le métro. Il se récite des vers, personne ne fait attention aux fous dans le métro. Demain – trois mois depuis le divorce – finies les scènes de soixante-douze heures – nuits comprises - bénie soit la solitude, la solitude, la solitude. Il revient chez lui, chez son disque, chez une femme imaginée dont il est fier de se passer.
    • Il jette sa veste sur le lit, court se coller à la cloison et frappe au mur, c'est la première fois qu'il ose, que ça lui vient à l'esprit, les solutions les plus simplistes vous surprennent comme ça, d'un coup, de taper comme les prisonniers de partout - un coup pour A , deux coups pour B, c'est l'illumination, c'est l'évidence, il tape 17, 21, 9 ; 5, 20, 5,19 ; 22, 15, 21, 19 « QUI-ETES-VOUS ? » ça répond "M-O-N-I-C-A" puis le mur dit « 21, 5, 14, 5, 26 » - « Venez me voir » - cest un appartement de passe pas vrai dit une voix ce n'est pas vrai TI SENTO TI SENTO TI SENTO chant de cristal tout en écho tout en feed-back « estatua spaventosa, io son la tua schiava, ti sento ti sento ti sento" - « statue effrayante je suis ton esclave car je t'aime perchè ti amo et Boris danse, danse, depuis Monteverdi, Gesualdo, Lulli, toujours, toujours dans l'opéra italien la modulation en finale "perchè ti amoooo" - Boris danse, danse, "this is a long-playing record" - l'amour est d'être l'écho de l'Autre l'infinie répétition de miroirs face à face à l'infini qui se recourbent il est sûr qu'elle aussi danse de l'autre côté du mur il sait qu'ils s'effondreront haletants sur les divans exactement symétriques il sait que ce moment ne devra pas cesser.
    • Viens dit le mur vien me voir - et la voix,la voix du disque interminable crie, vivante, en boucle, fend le plâtre et bat dans l'aorte, dans l'occipitale – ils sont bien habillés tous deux, pâles, très pâles, calmes. Elle a souri la première, il a ouvert les bras, il ne la connaît pas mais c'est comme
    • si l'on se revoyait, se remerciait – vous avez tous connu cela - dans les deux sens du mot reconnaissance : le vrai désir vient des traits du visage « j'ai pensé à vous Ne me regarde pas comme tu as tardé » peu importe qui parle, ils s'assoient loin l'un de l'autre.
    • X
    • A quatre rues de là une famille unie regarde la télé un captivant programme : ce sont deux captifs en effet, l'homme, la femme, tournant dans un petit appartement, frappant les portes et fenêtres, sondant les murs, balançant leurs gros plans de gueule sur les caméras repérées hors d'atteinte et les insultent, cherchant sous l'évier des pots de peinture et de n'importe quoi, s'étreignent désespérément ; juste à l'instant où ils s'exclament "s'ils veulent du spectacle ils en auront", Auguste tourne la tête vers son épouse en larmes qui éloigne les enfants, deux filles sans expression, qui se tiennent par les épaules : « Vous avez assez regardé. Sandra, Marianne, on part en promenade » et les filles cherchent le plus longtemps possible leurs vêtements de pluie.
    • Auguste dit alors qu'il faut en finir, sort de sa poche un téléphone, Sandra pose la main sur le poignet de son beau-père, atteint la télévision avec de grandes difficultés respiratoires.
    • Boris et Monica, nouvelles connaissances, se trouvent déjà rendus aux dernières extrémités de leurs adieux : allongés sur le petit lit de reps rouge, ils se sont pris aux épaules, par la taille, la bouche et les larmes, et se sont placés côte à côte, sans se toucher. Le pli de leur bouche s'est effacé, puis ils se sont souri, se sont pris la main, se sont relevés pour vérifier posément la fermeture des portes, ont adopté le comportement le plus ordinaire.
    • Ils ont attendu. Monica s'est levée pour passer le disque, ils ont dansé en se serrant, la harpe électronique dans les oreilles comme une armée en marche ; à quatre rues de là Sandra et Marianne réconciliées dévalent l'escalier : « Je ne peux pas supporter dit l'une d'elle qu'on tue, qu'on torture, il y a trop longtemps que l'école est finie, que les seuls événements sont ceux des parents et des beaux-parents. » C'est à peu près ce qu'elles se disent. «  Nous allons vivre ensemble ajoute Sandra, et Marianne sous ses cheveux raides se moque d'elle : « Il faudra chercher des hommes, comme les grandes ! »
    • Les deux filles donnent l'adresse au Commissaire le plus proche. Elles parlent de « torture ». « Séquestration » rectifie le Commissaire. Pendant ce temps, Auguste le Nouveau Mari et Irène la Nouvelle Femme décident pour Boris (et Monica, qu'ils ont recrutée dans la rue) un châtiment pire que la mort, la Perpète :
    • Marions-les. As-tu vu comme ils s'aiment ?
    • Tu as laissé sortir les filles ?
    • Monica sera comme un taureau qui survit à la corrida : irrécupérable ; tomber amoureuse de sa cible ! Je n'aime pas la banalité.

     

    • - Tu te rends compte de ce qui peut leur arriver seules dans la rue ?
    • - Elles sont déjà au Commissariat.
    • - On va leur rire au nez. Je ne veux pas que mon ancien mari – que Boris soit tué.
    • - Ne t'en fais pas. Tout le monde comprend tout au moment de mourir.
    • X
    • Dans l'appartement 127, Boris prend une résolution : armé d'une paire de ciseaux, il tranche tous les fils qui se présentent. Le disque s'interrompt, le silence tombe comme une masse, Boris parle dans un micro qu'il a découvert sous un pot ; peut-être sa voix débouche-t-elle dans un gros mégaphone au milieu d'une pièce vide : plus la peine de l'écouter. (il crie à s'en péter les veines). Derrière une armoire qu'il fait pivoter s'enfonce un escalier, où s'entassent des journaux, des cageots, de la poussière ; descendant plusieurs étages, il parvient au niveau des caves – quatre étages exactement - "Ti sento" se déclenche « Qu'ils y viennent, qu'ils y viennent » dit-il ; Auguste et Irène font alors irruption au 127 abandonné, baissent le son. Ils sont accompagnés d'une demi-douzaine de gabardines grises mettant à sac tout ce qu'ils trouvent dans les deux appartements, dans les deux immeubles.
    • « Regarde, crie Auguste en brandissant des disquettes : rien n'est plus à jour ! Il ne foutait plus rien, du tout ! »
    • Les filles sont ravies.
    • Il règne un tumulte hors de toute mesure ; tous se bousculent dans le boyau qui mène aux caves, on s'interpelle en français, en itlaien, en russe, pas un coup de feu n'est tiré, cependant, Boris s'est faufilé dans un dédale. Partout règnent des portes à claire-voie, des planches verticales, des dos d'armoires en biais. La sciure, et la pénombre qui descend des soupiraux. Les couloirs se retournent sur eux-mêmes. Le tapage des poursuivants permet d'abord très bien de fuir sans discrétion, puis le silence s'établit. On n'entend plus, là-haut près des trottoirs, que les passages espacés des voitures. Boris est cerné, dans un labyrinthe de bois. Sa main serre une solive hérissée d'échardes, il est assis sur une cuisse, s'il dégage son pied le couvercle d'un seau (par exemple) s'écroulera. Sa respiration courte soulève sous son nez la poussière d'un abat-jour et les sbires se rapprochent. Ils écartent les obstacles avec la précision
    • des joueurs de jonchets  Mikado. Les deux filles arrondissent les yeux et mettent le doigt sur la bouche, Boris se minimise - « Il nous le faut vivant » - et lorsqu'il s'aperçoit que sans l'avoir senti sa manche imperceptiblement glisse contre un vieil étui de violon, Marianne pointe exactement sur lui son doigt et souffle à mi-voix : « Ti sento ti sento ti sento ».
    • COLLIGNON HARDT VANDEKEEN

      Jacques,pulvériser,château

  • SINGE VERT 2 ET 3

    HARDT VANDEKEEN « LE SINGE VERT » N° 2 2 - 7

    LES SALES TENTATIONS

     

     

     

    ...Celle du viol, par exemple. Tous les jours tu en lis un dans les journaux. Et comme tu es un homme (c'est écrit sur ta carte d'identité) tu te poses des questions : qu'est-ce qu'il prend à un mec, à un mec comme moi, grand, fort et généreux (les chevilles...) - de se ruer sur une femme et de lui faire subir ça ? Dutroux, par exemple (tout de suite le cas extrême) - "donnez-le moi, qu'il gueulait le grand Belge à la télé, "donnez-le moi" (que j'en fasse de la charpie, que je les lui broie à petit feu entre deux pierres TRES rugueuses) - un violeur n'est pas un homme. Déjà un enquêteur - un essayiste - a commencé son livre comme ça : "On devrait leur couper les couilles". Les violeurs déconsidèrent, disqualifient les hommes.

    Les mâles. L'espèce humaine. C'est à cause de ces cons-là que les femmes, forcément, d'emblée, se méfient. Même de moi quand je leur adresse la parole dans la rue - demandez un renseignement, dans la rue, pour voir - je n'aborde jamais une femme dans la rue ; Marie M. s'est vu demander l'heure, elle a aussitôt ouvert son parapluie à la gueule de l'homme éberlué en criant « Ça va pas, non ? » Seulement moi je me dis - c'est ça, la tentation - «  ce mec, le violeur, combien de fois s'est-il fait refuser ? » Levée de boucliers. IMMEDIATE : "Vous n'allez tout de même pas vous apitoyer sur le violeur ? il y a des putes !" Le viol légal, en quelque sorte... Mais les putes, c'est pas grand-chose.

    C'est un peu pour les hommes comme la masturbation pour les femmes ; levée supplémentaire de boucliers : "On ne fait pas ça nous Monsieur ! » - comme dans les années 50. Mil huit cents... Cependant nous vivons dans une époque évoluée, où pour peu qu'on la pousse un peu, une femme digne de ce nom admettra très bien, sans difficulté, qu'elle se.. enfin... de temps en temps... le manque, vous comprenez... Oui. Quand une femme est en manque, elle.. comment dirais-je... - ...pour beaucoup d'hommes hélas, les détraqués par exemple, ceux qui aiment la recherche (pas la chasse ! je n'ai pas dit la chasse !) - le va-et-vient solitaire ne suffit pas. Eh oui. On est comme ça.

    Une femme attendra une semaine, un mois, un an, dix ans - en trichant un peu, avec soi-même - un homme, un détraqué (voir plus haut), un obsédé, recherchera plutôt, même imparfait, même payant, un contact, un vrai, avec un vrai corps. Et peu importe si ce n'est pas pour la vie, avec un salaire, deux gosses et un trois-pièces cuisine... Et c'est là que tout se complique. Parce que la femme, là, en face, celle que vous voulez courtiser - elle voit très bien dès le premier mot où vous voulez en venir - cette femme-là, elle rêve d'amour, de tendresse, de sentiments profonds et partagés, avec un bon salaire et le trois pièces cuisine de tout àl'heure. Elle ne le dira pas, parce que ça n'est pas à la page, mais dans le fond...

    Et elle dit non, bien sûr ; ou "peut-être" ; ou "plus tard" ; ou (un peu dépassé) "j'ai la migraine". Elle est libre. Aucune femme n'est obligée d'assouvir les désirs de tous les clebs en rut

     

    Elle sait qu'elle peut tenir une semaine, un mois, trois mois - voir plus haut - elle est libre tout de même non, pauvre imbécile ! Surtout que de toute façon elle jouira tout de même mieux en prenant calmement tout son temps avec elle-même qu'avec un Chevalier-Sabreur du quart de seconde. Putain de différence. Seulement le mec qui ne sait pas s'y prendre (certains disent s'y engluer) commence, à la cinq centième fois, à se décourager. "Il ne sait pas s'y prendre". "C'est facile" (c'est les femmes qui disent cela : "C'est facile". Les hommes aussi, d'ailleurs - quoique...)(Sondez un mec, un peu, pour voir ? ) - l'homme donc, disais-je, celui qui ne sait pas s'y prendre, enfin pas très bien (il y en a. ; des tas...) - se met à se poser des questions ; dans l'histoire, le sexe inférieur, c'est lui. Xxx59 03 15xxx

    Alors il se traîne chez les putes, ou tout seul, chez lui, à l'abri - etc... A la six centième fois - là, je fais exprès - il s'aigrit. Il disjoncte. Et il y en a même qui violent. Aucune excuse. Un viol, c'est un crime. Jusqu'à vingt ans - ça compense toutes les fois où le violeur a été relaxé. Ou relâché... Mais la tentation, la sale tentation dont je parlais au début, c'est d'aller tout de même, en se faufilant bien, sans être vu, dans un tout petit couloir dérobé de la prison, lui porter des oranges... - Ah non alors là permettez c'est inadmissible ! Vous allez trop loin ! Merde, qu'il aille se faire soigner ! un violeur, c'est un malade ! » - bon, c'est par où, le sens du poil ? voilà... voilà... calme... vous savez, moi, j'ai 53 ans, trente-et-un an de mariage, ce n'est plus mon problème - et dans le temps, j'étais très aimable avec les putes, parce qu'elles me tiraient une belle épine du pied, elles me disaient parfois : « Avec toi c'est sympa, parce que tu nous parles, au moins... »

    Il paraît qu'ensuite, le client ne parle pas mais se tire vite fait, «parce qu'il se sent coupable ». Pas du tout. C'est fini. On n'a pas forcément joui (la femme n'est pas là pour ça, elle a d'autres moyens). Et puis, post coitum homo animal triste. Maintenant que je sais que les femmes me prennent pour un potentiel violeur, je ne leur parle plus; je ne les regarde plus ; "jamais dans le cadre professionnel !" - comme ledit cadre professionnel vous prend les 3/4 de la vie on ne risque plus de perdre son temps à draguer. Jamais on ne parle d'amour. Des fois qu'on se fasse poursuivre pour harcèlement. Les femmes passent raides, souriantes, au bureau, vachement aimables, "fraîches et efficaces", décolletées jusqu'au nombril, la jupe au ras des trompes - sacrilège ! sacrilège ! comment osez-vous parler des femmes ! - bref la vie sans amour n'est plus qu'un avant-goût du cimetière. Voilà le résultat, messieurs les violeurs. Encore que je ne sois pas bien sûr, tout de même, que ce soient vraiment eux qui aient commencé - Ta gueule. A la niche. Allez couché, le pit-bull.

     

    SUITE

     

    Cher Monsieur,

    Dans votre journal, une expression m'a profondément troublé : vous dites que "des chaînes de télévision accessibles à tous projettent après minuit des films où la pornographie la plus atrocement vulgaire le dispute à l'esclavagisation de la femme, à la chosification du corps, à la bestialisation de l'amour".(J.F.K.) - ah non ! vous n'allez pas vous y mettre aussi ! "La pornographie, c'est l'érotisme de l'autre"! Laissez-moi je vous prie contempler au sein de la nuit les merveilleuses images de mes contes de fées, juste compensation d'une réalité suffocant sous la chape de plomb qui nous est infligée par le puritanisme féminin !

    Dès que vous proposez à une femme un peu de tendresse, même le plus poliment, le plus courtoisement, le plus respectueusement du monde, la voilà toutes griffes dehors, déclenchant un véritable tir de barrage contre l'espèce de bite à pattes (c'est ainsi que nous sommes catalogués dès que nous avons l'audace de sortir du strict cadre des conventions socio-professionnelles) qui se permet d'oser profaner la Huitième Merveille du Monde, leur cul ! (appelons les choses par leur nom...) Et que les professionnel(le)s du "c'est facile" et du "il n'y a qu'à" veuillent bien remballer leur langue de bois !

    La femme fait payer, soit avant (c'est clair et net), soit après (il faut alors promettre implicitement de consacrer 101% de son temps à "s'occuper d'elle, s'occuper d'elle, s'occuper d'elle" (Simone de Beauvoir, "les Mandarins"). Comme dit Jacques Brel, "Les putains, les vraies, c'est celles qui font payer pas avant, mais après"... Pour ne pas avouer qu'elles éprouvent du désir, elles sont même prêtes à prétendre qu'elles ont besoin d' "être amoureuses" pour faire l'amour : ben mon vieux, si on devait attendre d'éprouver de l'amour pour le faire, nous ne le ferions pas souvent... Ces femmes, toutes animées de bons sentiments, prêtes n'en doutons pas à faire interdire la pornographie et la prostitution, je les considère comme indirectement responsables des agressions sexuelles qui nous scandalisent tous. Voir les sommes explosives de frustrations qui fermentent dans les esprits des détraqués.

    rap,fleurs,vulves

    Si l'on pouvait réellement compter sur la collaboration amoureuse des femmes, certains ne seraient pas aussi tentés de se rabattre sur le passage à l'acte,

    l'agression... Pourquoi serait-ce donc toujours à nous, les hommes, d'endosser la responsabilité de ces crimes ? Quant à l'esclavagisation de la femme : ces actrices, que je sache, sont majeures, consentantes et (grassement) payées. Les hommes d'autre part, ces bourreaux, ne sont-ils pas, par hasard, aussi rabaissés (si rabaissement il y a) que leurs partenaires ? Quand ma femme et moi faisons l'amour, sommes-nous vulgaires ? Qui de nous deux avilit l'autre ? Verra-t-on des femmes un jour porter plainte parce que leur mari fait l'amour "sans les aimer suffisamment"? J'en ai plus qu'assez de cette dichotomie : les femmes angéliques victimes d'un côté, les hommes affreux dominateurs esclavagistes vulgaires de l'autre.

    Angéliques, les femmes ? ravagées par la masturbation comme elles sont ? allons donc ! les dernières en tout cas à s'arroger le droit de nous faire la morale... Laissez-nous donc regarder nos films érotiques nocturnes en toute quiétude...

    Telles sont donc les considérations peu distinguées dont je voulais vous faire part.

    Bien à vous, Signé : PITBULL

     

     

    DEUXIEME SUITE

     

    Lecteurs, jugez de mon embarras : il me faut atténuer, annuler l'effet des pages qui précèdent, alors que la seule sincérité de la mauvaise foi les a dictées : si j'étais femme en effet (ce qu'à Dieu ne plaise : interrogé un jour par une amie, si je désirerais vraiment devenir femme, et pressentant à son regard qu'elle était sur le point de m'initier à une confrérie bien plus redoutable encore et plus restrictive que celle des Frères en Virilité, je lui répondis "Je n'ai pas envie de passer d'une prison à une autre") - je me comporterais très exactement de la même façon que la femme actuelle. Il me serait en effet rigoureusement impossible de supporter la brutalité rêche de l'horrible organe que les hommes trimballent là, au bas du ventre ; si j'étais femme, je serais lesbienne, ce qui fait bien rire autour de moi.

    Mme de Staël déclara un jour qu'elle n'aimerait rien tant que de devenir un homme ; que l'unique chose qui l'arrêtât, c'était de de n'avoir pour partenaire que les femmes. Réfléchissez encore à cette apparente boutade sur les "lesbiennes" : elle signifie "Au fond, je ne veux pas devenir femme du tout". Comme l'a dit je ne sais plus qui en effet, la vie d'une belle femme dans la rue correspond à celle d'un lapin le jour de l'ouverture de la chasse. Ce à quoi, si j'étais intégriste, je répliquerais qu'elles n'auraient qu'à se transformer en laiderons, puisque de toute façon elles seraient bien décidées à ne rien accorder de leurs faveurs ; ce à quoi les femmes avisées HARDT

    répondraient qu'elles voudraient être belles pour elles-mêmes ; à quoi je répondrais à mon tour en les renvoyant à leur indécrottable narcissisme, ainsi qu'à leurs phalanges agiles. Avez-vous compris pourquoi les islamistes veulent transformer les femmes en sacs de linges, au corps invisible ? Vous souvenez-vous de l'émission lointaine sur les roses d'Ispahan, où l'on apercevait partout, dans les roseraies, sur les chemins, d'immenses cercueils verticaux, comme autant de blattes dressées sur leurs pattes de derrière, 52% de la population : les femmes ? La "vedette invitée", invitée justement à émettre un avis favorable, exotique et lénifiant sur ce beau reportage, répondit que c'était là faire indirectement la propagande du port du voile, de l'enterrement vivant des femmes de l'Iran.

    En ne le dénonçant pas, le reporter s'en était fait complice. Tête de Sylvain Auger, qui n'avait cherché comme d'habitude qu'à faire plaisir... En fait, je hais la différence ; je trouve inadmissible de ne pas avoir le corps de l'autre, du moins les avantages que je lui suppose (masturbation fréquente et inaperçue, homosexualité non moins fréquente et inaperçue), tout en refusant les inconvénients, bien réels ceux-là (se garder à droite, se garder à gauche) - comment une femme peut-elle se sentir en sécurité auprès d'un homme ? Me voici à présent tombé dans l'excès inverse : je propose de supprimer tous les hommes à la naissance, tout juste capables qu'ils sont de déclencher les guerres et les violences de toutes sortes.

    On peut donc se passer des hommes. Mais "si l'on avait attendu après les femmes pour faire la révolution, disait Gramsci, on en serait encore à l'âge de pierre." Bon, ça me reprend. Il est vrai (ou imaginé ? ) que mes sourires aux femmes, dès qu'elles ont compris où je voulais en venir, se sont toujours soldés par des moqueries ; mais la femme risque pire : le viol, la torture. Je pourrais peut-être considérer la femme comme une personne, cela me changerait, et non plus seulement comme un objet dont la seule présence est un refus offensant de mes désirs, voilà, j'aurais pu y penser plus tôt. Dirait Donald. Et, disait Stendhal (la citation est mon péché mignon, prouvant au passage un manque total de maturité), "si je tenais enfin entre mes bras l'objet de mes désirs, qu'en ferais-je, qu'en ferais-je ? " - eh bien donc ! je retourne à ma vie conjugale et professionnelle, des culs plein la tête et des soupirs plein les bourses.

    Vous me direz que je pouvais aussi bien garder ça pour moi, et que vous n'en avez rien à foutre. Je répondrai, ayant décidément réponse à tout, ce qui s'appelle aussi n'avoir réponse à rien : tant d'autres m'imposent ce dont je n'ai, moi, strictement rien à cirer, que je peux bien me permettre moi aussi de délirer, ça rime. La rime, y a que ça de vrai...

     

    N° 3

     

     

    NETANIAHOU, LES JUIFS ET LES AUTRES

     

    Attention à ce que je vais dire. Bien regarder où je mets les pieds, en ces temps-ci où péter de travers peut vous mener devant les tribunaux - un simple éditorial ironique par exemple... Nul ne peut être assuré de ne jamais être emprisonné ou torturé pour ses opinions - c'est Jean Ferrat qui le dit, la preuve... L'antisémitisme c'est pas une opinion : c'est un délit. Je hais les antisémites. J'adore les juifs. Il paraît que c'est la même chose que l'antisémitisme, en plus subtil. Merde alors. Une femme, les femmes. Un juif, les juifs : ça n'est déjà plus des maths. Déjà le pluriel, c'est suspect: un simple "s", et nous voici vacillant sur la berge du ravin, SS, et nous tombons dans le badinage.

    Dans l'atroce. Mettons le malsain. Ma spécialité, le malsain. Je fais quoi ? Je me détourne ? Je me bouche le nez ? « Le raciste, l'antisémite, c'est pas moi, c'est l'autre ?" Moi le goy pur porc, dès que j'ai connu l'existence des juifs, et de ce qu'on leur avait fait - j'avais treize ans – ils m'ont fasciné. J'étais un petit con : toujours à me faire remarquer, tellement supérieur aux autres (le fils de l'instit ! pensez ! ) - forcément, les autres n'étaient pas d'accord. Les cons. Alors j'en rajoutais. Dans une quatrième, vous le savez, il y en a toujours un qu'on appelle "le singe". Le singe, c'était moi - der Affe, war es ich gewesen. Il n'y avait rien tant que je craignisse, ni que je provoquasse - que la persécution : taraudant les autres – taraudé.

    Chiant, et récoltant toutes les persécutions du chiant. Le pion Mafille me suivait, me protégeait, moi je semais Mafille pour retrouver ma petite cour et lui filer tout mon filon de blagues dégueu, quitte à ce qu'il se détournassent d'un coup dsè qu'ils en avaient marre : à ce moment-là j'étais tout seul. Et je me souviens bien de toute cette cour de récré de lycée, les trois préaux bourrés de garçons sous la pluie battante, en train de me huer dans les chiottes où je m'étais réfugié, au beau milieu, gueulant "mort aux vaches" par-dessus le battant. Un chef-d'œuvre de jouissance. Tout ça pour dire : la persécution, j'en connais un rayon. Or voilà que je tombais sur un peuple persécuté dans les siècles des siècles. Des gens absolument comme tout le monde, qu'on s'obstinait à traiter de façon différente, à discriminer. Bon sang je connaissais ! J'ai pris fait et cause pour eux, tout de

    suite, immédiatement : "les juifs". C'étaient les autres qui les créaient ; s'il n'y avait pas de juifs, on les inventerait. C'est bien Sartre qui dit cela, dans sa « Question juive »... Mais je ne connaissais pas « La question juive », et tout ce que je voyais, c'était que moi, moi le persécuté, j'étais tout seul. Impossible de trouver une communauté, un groupe qui se serrerait les coudes pour moi, et que je défendrais aussi. Je me suis donc mis à envier les juifs : si tu en insultais un, tu pouvais te retrouver illico devant les juges, traîné par la LICRA ou par le CRIF. Tandis que moi, la tête de con, si on m'insultait, je n'avais que ma gueule, ou mes deux poings, pour me défendre : il n'y a pas d'Association internationale des têtes de con.

    Vous allez dire que c'est sans proportions, ridicule, ignoble ; jamais personne n'a pensé à m'envoyer en camp de concentration. Mais à l'asile, si. Ce qui est une autre histoire. Tout le monde voulait m'envoyer à l'asile. Figurez-vous que j'étais fasciné par Hitler, qu'on aurait bien dû y fourrer, avec toute sa clique – mais il y avait de la relève, à ce que j'ai appris. Or Hitler, lui aussi, se croyait persécuté, il avait même réussi à persuader tout un peuple qu'il était persécuté, lui, le Peuple Elu, et à faire l'intéressant au-delà de tout ce que j'aurais pu imaginer : pendant plus de dix ans, tous les Boches les yeux fixés sur lui ! ça c'était du spectacle, du cérémonial ; du mystère, de la morbidité, de l'adoration.

    ...L'antisémitisme ? un détail, comme disait l'autre ; une erreur, comme Céline l'avait chevroté, misérable, dans son falzar à ficelle, à Meudon - bref, c'était bien dommage, vraiment, qu'Hitler eût été antisémite, sinon, c'était valable, je me cite, c'était jouable. On n'est pas seulement « pas sérieux quand on a dix-sept ans" ; on est même particulièrement con. Alors "les juifs" ; avec tous les guillemets possibles, eh bien ils sont devenus, pour moi, des personnages sacrés. Pourtant j'en ai connu, des juifs, j'en connais encore : des gens bien ordinaires, beaucoup d'intelligents, beaucoup de cons, exactement comme tout le monde, et beaucoup à la fois très cons et très intelligents, ou alternativement, selon les moments, les circonstances, avec toutes les nuances, proportions, sautes ou égalités d'humeurs, très précisément comme tous les putain d'humains de cette putain de planète.

    Mis à part qu'ils en ont peut-être marre que l'on parle d'eux comme de bêtes curieuses.

    Mis à part qu'il sont tout de même mis à part. A cause des autres, voir Sartre (je n'ai pas lu ; vous avez lu ? ) - à cause de moi : meilleurs que les autres ; meillleurs médecins ; meilleurs musiciens ; meilleurs acteurs , etc... Je ne devrais pas dire ça. ¨Personne ne devrait dire ça. Mais ça

    se dit. Et ça leur cause du tort. Tous compliments éminemment réversibles, provocateurs de jalousies injustifiées, certains ne vont-ils pas jusqu'à vouloir se convertir dans l'espoir inavoué de souffrir pour tout le monde ? je comprends que le rabbinat se montre plus que réticent... Le pavé de l'ours, qui assomme son maître. Voici en effet comment je comptais ouvrir cette chronique ("l'incipit auquel vous avez échappé" ) : "Bravo Néthaniaou. Vous avez pleinement raison. On ne touche pas à un juif. On ne touche pas à un cheveu d'un juif." "Il n'y a aucune commune mesure entre démolir des maisons et assassiner des enfants dans les attentats." (Madeleine Allbright). "Un homme qui tue un homme pour défendre ses convictions ne défend pas ses convictions ; il tue un homme" (Stefan Zweig).

    Il ne faudrait pas me pousser pour que j'apporte mon soutien à l'aile droite la plus belliqueuse de la Knesset, à condition qu'elle soit laïque, voire athée ; on doit bien trouver ça, dans la diversité des partis israélien ; ne pas oublier en effet que ce pays constitue le seul représentant de la démocratie en ces régions. Et puisque le racisme est indécrottable, bien des gens remplacent l'antisémitisme par un bon vieux racisme anti-arabe - aussi des Sémites, soit dit en passant. Et d'embrayer : "Qu'est-ce que c'est que ce peuple qui n'est capable d'engendrer que des tueurs, de l'Algérie au Pakistan" ? Nous attendons toujours une manifestation des ayatollahs condamnant en termes vigoureux les massacres de femmes et d'enfants", "Nous attendons une série de sanglantes fatwas contre les auteurs de ces boucheries au lieu de persécuter Taslima Nasrin et autres"...

    Tiens, j'enlève les guillemets, je reprends ça à mon compte, merde. Les réfugiés palestiniens ? à vingt kilomètres de chez eux, tu parles d'un exil ! - vous voyez bien que je déconne... On ne parle pas de ces sujets sans déconner - "qu'est-ce que c'est que ces écoliers qui se reçoivent des balles en pleine tête, leurs parents ne peuvent pas les retenir chez eux au lieu de les pousser à jouer aux martyrs ??" Deuxième déconnage, je vais bientôt ressortir les mêmes conneries criminelles que Pandrault à propos de Malik Oussekine. Je donne raison aux Juifs ( LESQUELS ?), je donne raison à Néthaniaou, je donne raison à Tsahal, à la haine, à l'esprit borné de revanche, un peuple persécuté a le droit de se venger de la terre entière - je vais où, là ? vous comprenez pourquoi vous voulez me mettre à l'asile ?

    Alors comme je joue au brave père et grand-père de famille, je me dis : "Soyons calme. N'ayons l'air de rien. Tout dans les mots. Ne manifestons aucun sentiment extérieur. Invoquons Sartre (voir plus haut), qui pensait en substance que l'homme n'est pas dans ses mots, mais dans ses

    actes." - dans mes actes ? aucune différence d'amabilité, de traitement social, entre un Arabe, un Juif, un Serbe ou un Belge. Je ne dis jamais le moindre mal d'eux, sauf en colère, et en précisant que je suis en colère. Le Chœur : "Ah le brave homme, ah le brave homme." Je prêche partout la tolérance, je l'enseigne, je la répands, je sais que nous sommes des millions comme moi. OUF. Mais ce que j'aime, c'est d'exposer mes états d'âme. Tout le monde s'en fout ? Voire : n'oubliez jamais (c'est un Persécuté qui vous parle) que tout ce que les autres voudraient vous empêcher de faire, ils l'ont déjà fait eux-mêmes.

    LA MORALE C'EST LES AUTRES QUI TE LA DICTENT, TOI TU RESTES DANS TON COIN ET TU FERMES TA GUEULE. Le Singe Vert ne fermera jamais sa gueule. Mais il n'a pas les moyens de se faire entendre. Je demande zéro franc. Mais photocopiez-moi, diffusez-moi, moi-moi-moi ; et à propos de ridicule, n'oubliez pas ce mot de La Rochefoucauld : "Qu'est-ce qu'un homme sans ridicule ? C'est un homme que l'on n'a pas suffisamment observé."

    Chalom, Lekhaïm, Mazel Tov : « Paix », « à la Vie », « Meilleurs vœux » - je dégouline de miel, mais à part ça ? à part bêler ? m' indigner dans mes pantoufles ? à part bien me conduire en suivant mon petit catéchisme des droits de l'homme (je ne devrais pas ironiser) ? Eh bien ce n'est pas difficile. Rien. Et ça, croyez-moi, il y en a des millions à le faire. Je pousse même la complaisance jusqu'à ajouter, de façon désormais invariable en queue de ma torchative publication : je dénie à qui que ce soit le droit de m'intenter quelque procès que ce soit en tirant une citation de son contexte par exemple, et réitère mon entier dévouement à la Justice, à la Liberté et à Moi-même.

    C'est tout de même malheureux d'en être obligé à ça. Quelle époque. Ou bien c'est moi.

     

     

     

     

     

  • SIDOINE APOLLINAIRE I 61-72

    1. 44

    V, 89-97-107

    Nous refouillons du groin le texte au vers 84, lorsqu’un sanglier homérique vient s’encastrer dans la déclamation de l’Afrique : c’est le gibier par excellence, celui de l’épieu, qui permet le mieux la démonstration de force physique. Plus tard, le cerf, élancé, christique, détrônera ce monstre velu, bien digne ici de symboliser l’immonde Genséric, retranché dans sa bauge : avec ses boutoirs blancs, son visage noir, Le morceau de bravoure est inévitable. Dieu sait de quelle chaîne d’imitations il est issu, de quel pont-aux-ânes il est le schibboleth.

    Rien ne manque : la meute des Romains qui aboie, en remuant la queue, qui le débusquent pour « se battre dans la plaine », tandis que la bête se gonfle d’orgueil superbit, mais dans ses buissons, le lâche ! Et hardiment, le traducteur se fend d’un « taïaut » pour nous rendre le « heia » de toutes les langues. Répondit l’écho. Les chiens se sont raffermis à la voix de leur maître Majorien, et tout est rentré dans l’ordre. Élève Apollinaire Ducobut, vous avez bien passé votre épreuve. Quant aux universitaires, ils n’ont pas manqué d’en faire tout un répertoire statistique. «  ..."alors la rage aveugle dédaigne de sentir les blessures..." - « poursuite »: ce mot désigne aussi le projecteur suivant sur scène l'acteur dans son faisceau. jute,balbutiement,maçons

    Voici Majorien, empereur de l'ombre, "pourquoi remettre les combats ? Pourquoi redoutes-tu la mer, toi que si souvent le ciel même aide à triompher?" Reprends des forces, Majorien, dirige tes armées, repousse les avis contraires et les Vandales, accorde-toi l'estime qu'on te dispute. "Bien plus, ne possèdes-tu pas à présent », Rome, « un empereur éminent" – tibi princeps est nunc eximius "dont les siècles prophétiques proclament qu'il viendra pour la destruction de la Libye" : et tu débarqueras sur le Rivage des Syrtes et tu repousseras le Vandale ainsi que les tribus du désert, en cet isthme si mince du monde romain. ("Cette déclaration qui étonne dans la bouche de l' Afrique s'explique par le désir de Sidoine d'enchâsser dans son vers une célèbre expression virgilienne (Enéide, I, 22) – laissons à d’autres un peu d'érudition à glaner, et qui, le troisième, recevra de moi son nom ? Scipion l'Africain vainquit Hannibal à Zama (202), le Second détruisit Carthage (146), mais plus personne ne s’abaisserait à apprendre ces choses-là.

    Majorien sera le troisième - prévu par les siècles des siècles - il aura tant œuvré, tant laboré, qu'il recevra nécessairement son dû, des mains mêmes du destin. Bélisaire, en 535, réalisera la prophétie, sous l’empereur Justinien. 80 ans d’erreur, Sidoine – qui ne trouve rien de mieux dans son panégyrique - moyennant finances et honneurs, "au pluriel, au pluriel !" - que d'emboucher l'ancienne trompette : rappel des nobles origines, exploits militaires (chaudron de noces en pleins champ glorieusement renversé), espoirs fondés sur cette nouvelle paire de biceps – en vain, bis. Empoisonné, le Majorien.

    Deuxième fuite au galop de Sidoine, cette fois-ci, pour longtemps. Il compose chez lui des lettres, se baigne, se délasse et supervise ses domaines. "Voilà, Majorien, la récompense que le destin doit à tes travaux" – debent hoc fata labori. Aide-toi, le ciel t'aidera. C'est écrit, mais tu l'as fait quand même. "Pourquoi je désire le voir s'embarquer sur la flotte, entrer dans mes ports, tu enculeras mes truies (pauvres bêtes), pénétreras dans ma Ville » Carthage : ainsi s'affronteront nos deux vestiges - voir Carthage et mourir - « je vais, si tu permets, le dire brièvement, com-pen-di-eusement, dans l'ordre des évènements." Croisons les jambes sur nos sièges, aiguisons nos oreilles et notre entendement. Il y aura des plaies et des bosses, des chasses glorieuses, de hauts exploits sous de grands chefs, et quelque illustre commandement précurseur de celui-ci : chef des métèques au service de Rome complètement pourrie.

    Pourquoi le souffle de Majorien gonfle-t-il ainsi sa cuirasse ? drapant dans sa ruine les lambeaux de sa pourpre autour de ses pieds plats. Remontons donc nos bretelles jusqu'au "grand-père de Majorien" : "On rapporte que son grand-père gouverna l'Illyricum et les marches du Danube, aux lieux où la martiale Acincus de Pannonie affirme sa puissance" : avant de passer par la note finale, étonnons-nous toujours de cette faculté de franchir tant d'escarpements albanais.

    V 97/107 OUI

     

     

    1. 45 V, 107-115

    Après les flatteries viennent les exploits, les "enfances", à la tête de l'armée de métèques dite "romaine". On raconte, fertur, V 107 les prouesses du grand-père : il s’empare de la forteresse d'Acincus : c'était Alt-Ofen,"connu par sa célèbre fabrique d'armes”. Ce fameux aïeul dirigea l'Illyricum : vaste territoire, à l’écart des circulations contemporaines. Ces antiques tardifs se vantaient de leurs si récents ancêtres, palmiers de bien plates racines.

    L'Illyrie, la Pannonie sont de rudes contrées souvent infertiles, balayées par les queues des chevaux. Des ordres retentirent, les chevaux hennirent, et les éphémères humains s'empressèrent de s’affronter. Quelques clampins empanachés firent cortège vers Constantinople, côte après côte, sous le soleil et les averses. "On trouve consigné dans les fastes romains les actes de ce général, ses campagnes contre les habitants de la Scythie" – les Goths ? - "quand ses armées foulèrent l'Hypanis" – "l'Hypanis", c’est le Bug.

    ...Théodose, à l'époque où il prit à Sirmium le titre d'Auguste, eut un Majorien comme maître des deux milices, au moment de partir pour les régions orientales de l'Empire." Théodose, dernier empereur des deux moitiés à la fois de l'Empire. l'empereur Théodose, eut la brillante idée de séparer en deux l'empire de Rome, et l'autre non moins brillante de massacrer le peuple d'une ville à poil dans une arène, se trouvait donc à Sirmium soit Belgrade, alors exempte de Slaves. Dans cette ville promise à son brillant avenir, il prit le titre d'Auguste, qui n'évoque plus pour nous qu'un clown barbouillé qui déconne.

    Théodose, sur le point de partir en orient, eut donc un Majorien, et non pas Majorien lui-même, comme maître des deux milices : fentes à seins, et cavaliers. -"On trouve consignées dans les fastes romains les actes de ce général" - "les fastes" ("romains » n'est pas dans le texte, mais nous devons toujours, nous autres barbares, nous faire préciser les choses) étaient les jours porte-chance, où se déroulaient les victoires de Rome. On y trouve combien de fois on a levé les trompettes contre "les habitants de la Scythie", V, 115. Puis nous reprenons pied dans le dérisoire,- "et que le vivandier lui-même, saluant les frimas" – salut, frimas ! comment va ? - "se rit en son cœur... des glaces de Peukè" - du grain à moudre – ils s’essuyaient d’un revers de main et riaient comme nous.

    V, 107-115

     

    1. 46 (V, 114-115)

     

    L"Hypanis, mais c'est un fleuve ! Si les armées le foulent, c'est qu'il est gelé ! Ô exploit ! Si le vivandier l'entame, c'est pour le faire fondre, qu'on puisse enfin boire, par Hercule ! Et ces touchants points de suspension, ne sont-ils pas là pour amener un bon jeu de mots ? .Peukè - n'est-ce pas là cette île au large du delta danubien, où il faisait bien froid dans la glace, "'mais pas tant toutefois qu'ici" ! Et notre vivandier de se marrer, de se tordre, de se boyauter ! moins cinquante, vous pouvez toujours bomber le torse avec vos moins quarante ! ...eh bien non, cette ponctuation annonce une coupure – à moins qu’un vers ici ne soit tombé, d'où ces points de suspension d'une lacune supposée…

    ...Il n'y avait donc pas de plaisanterie. Juste le rappel du froid et du chaud, que tout général se doit de supporter sans broncher. Le cercle des clichés antiques est tout aussi étroit que les nôtres.

    (V, 114 – 115)

     

     

    1. 47

    V, 116-125

     

    Les vers 116 à 118, à première lecture, semblent obscurs : il est question d’un gendre, d'un triomphe militaire, et d'un ami que l'on aurait gagné : "Le père du souverain actuel fut le gendre, socerum, du précédent". C'était "un homme de valeur", comment pourrait-il en être autrement. Au siècle dernier encore, la vertu du père portait à l'indulgence les juges - « qui se contenta toujours d'une seule charge éminente", militaire s'entend, afin de suivre son seul ami", ou "un seul ami", tant le fractionnement entre plusieurs factions était fréquent. L'homme dont on parle est républicain, c’est-à-dire attaché à la "chose publique".

    Honnête et droit. Il suit son ami, fût-ce dans "les circonstances douteuses" ou "les mauvais jours" - ainsi, pas de dilemme. Il refusa toute promotion, car on lui présenta les faisceaux, oblatis fascibus. Ce fut même la cour qui les lui offrit, « pour l'arracher à son cher Aétius," Mais il resta fidèle. Et c'est ainsi que croissait son prestige. V, 120. Nous n'avons plus ce sens de l'amitié. Un Danois nous le redisait en 64 de l'ancien style : et l'amitié n'avait rien à voir avec l'homosexualité, surtout en ces contextes officiellement très chrétiens. Cet ami, c'était Aétius, qu'il n'a pas trahi : "sa fidélité, insensible au prix, (pretio non capta) n'en devenait que plus précieuse" – bien plus concis et fort en latin, comme de coutume ! Notre homme rappelait Caton, chacun pouvait lire dans son patrimoine, et même, "gardait tant de modération que le bruit courait qu'il épargnait déjà les biens de son fils" : Latin, paysan, radin. il épargnait sur l’argent de ses enfants, tout en "administrant" les biens publics "en toute souveraineté". "Il était ce que fut autrefois le questeur pour les consuls" : celui qui distribue le pécuniaire aux troupes.

    À l'origine en effet, le consul était suivi par son questeur : celui qui distribuait la solde. Cette fonction était alors totalement dévoyée ; les questeurs étaient remplacés par des personnes plus versées en comptabilité. Lui cependant traitait les deniers publics en fonction de sa loi morale particulière ou plus précisément "en toute souveraineté". Les pièces tintent au fond de la sacoche. Pourtant nous ne connaissons "ni le nom ni les fonctions exactes du père de Majorien"Tel était Majorien Senior Avoir un père honnête était un bon point. Nous punirions donc plus les fils de voyous ? ...que penser du fait que nous enquêtions toujours sur le milieu d'où sont issus les criminels ? L'opinion publique fait peut-être état de ces antécédents ; la justice ne le devrait pas - mais il résista, plus grand que ceux qui recevaient les honneurs - Major honoratis : deux mots pour le latin, 7 pour le français – "plus grand que ceux qui recevaient des honneurs", misère ! Cerveaux et cœurs identiques : Péguy opposant l'honneur aux honneurs ("au pluriel, au pluriel !") - or Aétius devait se faire trucider par l'empereur Valentinien III lui-même – ...ô vieux livres effrangés, affectionnés, que nous avions coutume de railler dans les mains de nos vieux maîtres... V, 116-125

    .

     

    1. 48

    V, 126-132

    Mais voici qu'intervient la femme d'Aétius. Les clichés vont ici se heurter. Une sorcière se déchaîner. Pire, une Gothe, qui boit et qui pue l'oignon. Elle reproche à son homme, Valentinien III, de favoriser son valeureux fidèle au détriment de son détritus de fils : "Mais par malheur, sed forte, l'épouse du général, jalouse déjà, s'était aperçue que la réputation du jeune homme grandissait" – Majorien. Envahie par la bile » - au moins ! - elle avait distillé en son cœur de barbare (per barbara corda) un poison intérieur" – précisons : la femme d'Aétius est gothe d'origine ainsi que ma grand-mère - Jeuteborg à présent musulmane – femme et barbare, passions, déchaînements, rien à tirer de ces animaux-là. "Aussitôt elle observe toutes les fureurs du ciel, consulte les ombres et les constellations mises à contribution, manque le foie de crapaud bouilli et autres sensibleries.

    Examine des "fibres" entendez les entrailles, afin de ravir à Dieu, oui, le Dieu des chrétiens, ses secrets, par tous les moyens. Maman j'ai peur. L'ensemble des combinaisons chiffratoires, aussi. bien que le zodiaque (l'interprétation du traducteur me semble un peu forcée : la science (des nombres) aurait amplement suffi). V, 130

    Et la voici enfin, Mesdames et Messieurs, mane Damen und Spermien, la sempiternelle Médée, pétard délavé de carton-pâte (qui fait "ouh-ouh" sur son balai etc.) V, 132.

     

    L'épisode suivant fait allusion à la fuite de Médée, qui découpe son petit frère par morceaux qu'elle jette derrière le char de son ravisseur, afin que son père soit retardé par cette pieuse collecte, et ne la rattrape plus. V, 126-132

     

    1. 49

    "Telle la Colchidienne, Colchis, V, 133 - que va-t-elle faire ? ...se conformer à son cliché (seule Pina Bausch, dans ses ballets de notre millénaire, a su parfaitement représenter les hommes et les femmes, si démunis l'un et l'autre - mais nul n’écrivait cela) : Sidoine substitue aux connaissances absentes un beau vide éculé. "Elle parcourt l'astrologie, méditant sur les nombres, science suprême, garante de l'équilibre des astres au-dessus de nos têtes «  - car la mathématique règne dans les cieux, Poussière d'étoiles que nous sommes, pourquoi donc échapperions-nous aux lois d'attirance et de répulsion, fondés sur les mêmes équations ? - « ...interroge les morts, scrute les éclairs (fulmina rimatur), examine les entrailles, se réjouissant d'avoir ravi à Dieu son secret par tous les moyens" 132 que tout cela serait palpitant si nous n'avions mille fois lu ces affres de la divination ; l'homme d'alors adore les femmes investies de pouvoirs interdits… « Sur la poupe du vaisseau pélasge, se tenait farouche à côté de son mari terrifié" – Jason et Médée jamais ne furent mariés – voyez comme les Romains révèrent les terrifiantes, graves et sèches criminelles endurcies, près de Jason simple vainqueur de taureaux et de guerriers surnaturels : voulant s'adjoindre les secours de la magie, le voici lié aux puissances vaginales. Médée, "prête à jeter les lambeaux du corps d'Absyrte devant son père", 134 scelle son amour sur le fratricide, découpe son frère en morceaux, le "dépèce" comme disent les journaux, afin de retarder sa poursuite. Son père qui la pourchasse ensevelit les débris de son propre fils avec les honneurs qui lui sont dus : interminables rituels pour un bras, pour une jambe, sans rattraper jamais la meurtrière, prête "à commettre un crime plus impie que la mort de son frère assassiné : combattre avec son cadavre et employer comme traits (sibi tela // facit) les membres fraternels" jetés par morceaux d'un char au grand galop. ? 136 elle avait des dispositions, la sorcière. Nous ne comprenons pas le sentiment qui pousse les assassins à prendre une scie, une épée, pour trancher dans la chair humaine. "Telle la Colchidienne farouche", Sic torua (...) Colchis - la Colchidienne, c'est la sorcière. "employant comme des projectiles les membres de son frère ? A-t-elle jeté les morceaux de son frère depuis un navire, ou depuis un char ? Vérifions : elle ne le découpera que sur la terre ferme, à Tomis (ville signifiant "découpe"...)

    Sidoine opère un savant brouillage. Il veut terroriser son auditoire, à qui assurément il en faut plus. C'est Jason, "mari" par les faits, qui sera terrorisé par son épouse. V 133/136

     

    1. 50 vv. V 136-139

    C’est la chair que je vois, fragile, putréfiable - contagieuse... T'abaisserais-tu, homme indigne, à cette épouse au cœur de bourreau, aimerais-tu cette femme ? Jason traîné plus tard jusqu'au feu, qui le consumera. Éloignez de nous toute grandeur et toute épouvante. L'appartenance au sexe importe peu. Le berserk, l’amok d'amour, n'entraîne plus de tels démons. V, 136 La magie, assurément, a raison. Mais nul ne l'a démontré. Seulement, la Raison ne doit pas broyer tout le reste, car l'Irrationnel, acculé à ses millénaires, venime encore. L'épouse d'Aétius sera donc assimilée à qui donc ? Mais à Médée la magicienne, voyons ! ô pauvreté des références ! Ô similitude effroyable des films et romans ! Petit vieux, repenche-toi sur ces écrits fanés ; sous tes doigts naît la survie.

    Au moins la Bible nous épargne-t-elle, autre message de profonde humanité, le détail des coups portés par Caïn. Le frère découpé, le père contemplant les débris de son fils et les faisant incinérer l’un après l’autre ! Mais Sidoine opère un retour en arrière : "Telle encore le jour où elle étouffa le feu lancé par les taureaux (ignem taurorum),136-137 bien qu'elle fût elle-même plus brûlante" : il nous manque ici, passés les ridicules balancés en pleine face, les parallèles de nos puissants anthropologues - « elle enveloppa de flammes gelées le héros tremblant et celui-ci, dit-on, grâce au philtre protecteur grelottait au milieu des bêtes embrasées".

    Cet épisode m'avait émerveillé à dix ans, quand j'avais découvert dans ces "Contes et légendes", tirés de l'Antiquité, ce récit fantastique des taureaux soufflant le feu par les naseaux. Je lisais cela sur un lit, tout blanc. Devant ces légendes si contournées, si incroyables. Il n'y a pas plus aujourd'hui de barbarie qu'autrefois : mais la culture se mesure à présent à la proportion de populace qui s'instruit : il n'y en a pas plus que jadis, par l'excellente lapalissade que ces gens-là n'éprouvent nulle envie de connaître, ni de jouissance à profiter des arts, plastiques ou littéraires. V, 136-139 -"et le héros tremblant, grâce au philtre protecteur, grelottait au milieu des jeunes taureaux embrasés". V, 139

    Médée ne lésine pas sur les moyens : flammes brûlantes transformées en flux glacés, tandis que le Héros, ridicule, tremblote. C'est un jouet, ce Jason. Quelle mouche l'a donc piqué d’aller ainsi subtiliser la toison d'or ? Nous n'avons plus à notre disposition que l'horreur telle quelle, et n'adorons plus l'irrémédiable divinité. Vains propos de remplissage. "Elle enveloppa de flammes gelées le héros tremblant – et celui-ci, dit-on, grâce au philtre protecteur, grelottait au milieu des bêtes embrasées." Flammes gelées" qui laissent froid, sans autre écho que leur cliquetis.

    V, 136/139

    1. 51 V, 140- 146 Retour à la femme d’Aétius

    "Donc, quand la femme d'Aétius, depuis longtemps impuissante à se dominer, animi dudum impatiens, eut appris que l'empire, et pour longtemps, était destiné à Majorien, ., à "ce type-là" dit le latin, elle pénétra, les bras déchirés, dans la chambre de son époux et laissa éclater sa fureur en ces termes" - le traducteur prend ici quelques libertés, rajoute "la femme d'Aétius", que nous avions oubliée . (les hystériques, ne font jamais dans la demi-mesure) " elle pénètre "la chambre" – bref : nous aurons droit à ces mugissements de furie qu'on leur attribue afin de se faire octroyer les pires choses, assassinats et autres.

    La femme pousse en avant et reste à l’arrière. Sait mieux que nous ce qu'il faut faire mais ne fait rien. Laisse éclater sa fureur en ces termes" – faut-il que le débat en soit tombé là ?. Le public masculin sourit machistement : il y a bien longtemps que les hommes commandent. Le Christ a remis les femmes à leur place. Ce général n'est qu'un pleutre à l'ancienne, qui ne mérite que le plus plat mépris. Souvent naguère encore la femme excitait le mari à bander socialement, "c'est toi l'homme, et moi, ta femme, j'ai l'air de me soumettre à un mou du cul". Ici de même, nous lisons, sans la moindre pointe d’humour : "Sans soucis, tu reposes (iaces, tu gis), "oublieux des tiens, s'pèc'eud fainéant, et Majorien sera le souverain du monde" – enfin, ce qu'il en reste – "(ainsi l'exigent les destins)".

    144 Ô démesure de l'hystérie ! ô exaspération ! (du grain à moudre aux machos) - lorsqu’une femme, incapable de gicler d'elle-même au premier rang, pousse à toute force son mari pour qu'il en prenne plein la poire, pour la gloire er pour ses bijoux ! "Les astres le proclament dans leurs constellations, Claman hoc sidera signis, 145 – pitoyable Aétius, qui sera poignardé de la propre maisn dit-on de Valentinien III, empereur d’opérette.

    ... Ici la femme se livrera aux pratiques magiques les plus effrénées - jusqu'où, dans les sphères huppées, les antiques superstitions n'infectaient-elles pas les narines ? ...ces destinées de Majorien, qu'il s'agit de connaître à l'avance, "les hommes [les] réclament dans leurs vœux, hoc homines votis. V, 140 ​/ 146

     

     

     

    1. 52

    146-149

    Elle s'interrompt : "Pourquoi évoquer les astres, quand l'amour lui a fait un destin plus beau ? 146 « un tout autre destin. Vox populi, vox Dei." L'amour des peuples. L'espoir du guerrier salvateur. Rien n'est plus beau que l'affection des peuples", assurément, la fin de phrase est ajoutée par le traducteur. Le peuple, si flatté aujourd'hui, ne possédait en ce temps nulle préoccupation politique. Peu lui important qui le gouvernait, pourvu qu'il pût vivre en paix, C'est pourquoi l'histoire des populations et de leurs mœurs, pour passionnantes qu'elles soient, ne doit pas se substituer à celle de la succession des princes et des héritages territoriaux. Infinie fluctuation des usages et des dynasties, tels doivent être les deux pôles de l'Histoire, immobiles par définition.

    L'éditeur peut à présent se fendre d'un sous-titre, Les éminentes qualités de Majorien, dernier guerrier de Rome, venu trop tard, tué trop tôt (voilà que je sidonise...) :puisque cet intertitre apparaît dans nos marges. C'est Loyen, ignoré d'Anglade, qui l'affirme et le plante là comme un jalon. Attendons-nous aux tartines obligées sur les glorieux ancêtres, l'éducation forcément spartiate, le chaud et le froid, les premiers succès ; je plonge : "Bien qu'adolescent, il ne se montre jamais avide de posséder : est cupidus nunquam ; il est au contraire modéré dans ses désirs" – parcus : économe, comme son père. Sans doute était-il assez riche lui-même.

    Je ne suis plus qu'un vieux qui a des manies.

    146-149

     

     

    1. 53

    149 - 151

    Ses qualités restent d'un païen. Vertu bien chrétienne, bien romaine, mais peu conquérante. L'abondance des pourritures ecclésiastiques à venir chez le futur évêque se compense ici par une absence totale d'allusions à Dieu ou à l'Évangile dans tout ce qui précède, spécialement les panégyriques. L'empereur, chrétien pourtant, n'incarne pas les valeurs chrétiennes, mais ancestrales. Le christianisme n'est qu'un badigeon. Plus tard Sidoine s’y engluera. On accapare, mais c'est pour tout gratter : avare voulait dire aussi cupide. Le christianisme est passé par là, et se vautre depuis suffisamment de temps sur les cœurs pour les avoir modelés - « ...l'adolescence » : ne pas oublier que ce mot n'est pas chargé du respect sulfureux que nous lui attribuons de nos jours, en phase avec "branlette", "fragilité", "sensibilité". Il s'agit alors d'une pleine jeunesse, ardente, puérile encore, capricieuse dès qu'elle en voit un autre en possession de ce qu’elle n'a pas. "Encore pauvre, il distribue déjà des richesses". Il s'agirait donc chez le jeune Majorien du manque de cupidité personnelle, qui ne diminue en rien le désir de reconquérir, pour sa patrie ; "il ne se contente pas de conseiller de grandes entreprises, il s'y attache" – suadet consilia et sequitur. 150 Conseilleur et payeur. . Le mot "grandes" n'est pas dans le texte, monsieur Loyen fait ce qu’il peut.

    Le chrétien Majorien, sans que le Christ soit mentionné, distribue ses biens aux pauvres et ne désirera pas le commandement pour les avantages matériels qu'on en peut tirer : grosses payes, beaux vases et blondes à gros seins : la largesse, largitio, sera toujours appréciée, au Moyen Âge, pourvu que ce ne soient pas sur les fonds d'État - quand exactement les hommes se sont-ils mis à blâmer le gaspillage clientéliste ? "Tout ce qu'il médite est haut, il accélère ce qu'il espère" : "Toutes ses pensées sont élevées – totum quod cogitat altum est. 150

    Latin de basse espèce. Alternance peut-être de hauts et de bas, inversés dans la traduction ; "il presse la réalisation de ses espoirs", urget quod sperat – parallélisme des deux quod ! ô vanité des miens ! Brave petit jeune homme prometteur, brave condescendance envers le blanc bec prometteur ! - mais volonté, d'un bloc. D'une pièce, comme il convient à l'instrument du destin de tout temps. Pas d'atermoiements ; ni de glissement de la francisque à la rose… Flatter Majorien, c'est pour l'instant flatter Ricimer

     

    La civilisation étouffe sous ces lieux communs. Habilement utilisés sans doute, pour un nouvel empereur qui n'hésitera pas à courir en tête de ses troupes, au lieu d'intriguer comme un scorpion au fond de son palais ; au fait, qui vit jamais Ricimer charger à cheval depuis qu'il tire les ficelles à Rome ? il était ami de Majorien, sous le commandement d'Aétius ; puis avec Majorien, il renversa Avitus. Et voici le drame : la gloire personnelle avant la patrie. Autre lieu commun… « Ricimer liquide les successeurs sitôt qu'ils prennent la moindre supériorité. "

    V, 149 – 151, 66 09 09

    1. 54

     

    V, 151 / 159

    Nous poursuivons pour l'instant comme ceci : V, 151. : Ludum si forte retexam, « faut-il à nouveau décrire ses jeux ? » "S'il fallait retisser ses prouesses" - " "Faut-il à nouveau décrire ses jeux ?" - pitié ! Le traducteur Loyen introduit ici un mouvement factice absent de la phrase latine, mais correspondant bien au caractère rebattu, rabâché, d'une telle prétérition : il est de coutume en effet, ô combien, de relater les exploits d'une jeunesse nécessairement guerrière et sportive, depuis Héraklès ou Achille, jusqu’à l’empereur Majorien ou qui que ce soit. . .Sidoine Apollinaire se lance alors dans un sinueux rappel mythologique, par un tour de clown acrobate, sous forme d'énigme, Sans doute nous étalera-t-on des records de javelot ou d'exploits cynégétiques : « Une seule de ses journées a surclassé tous les exploits que l'on prête à ton javelot ». Ainsi des « enfances », plus tard, de Roland, Gargantua, et autres. Notre empereur aux increvables pectoraux se lance donc dans l'archerie :

    « Trois flèches lui ont suffi pour faire trembler devant lui un serpent, un cerff, un sanglier. » Ce double « f » pour indiquer aux cuistres que les deux prononciations coexistent. Ces trois animaux renvoient sans doute à quelque allégorie symbolique : faudra-t-il dépouiller le Dictionnaire des symboles de Gheerbrandt ? « Moins habile à balancer ses traits contre l'ennemi fut celui... » - début de l'énigme. Il s'agit d'Alcon, sur lequel se déchaîneront tous les calembours. Plus fort que Guillaume Tell le Fictif. Il éprouva "plus" de crainte "que" l'enfant : serpentis corpore cincto. « voyant son fils enlacé par un serpent, éprouva plus de crainte que l'enfant, quand il courut à son secours, jusqu'au moment où, du même coup, il donna le trépas et la vie, » 155/157( une platitude traînait sur le bas-côté, Sidoine n'a pas manqué de la ramasser) «tenant ferme sa main, malgré son cœur tremblant » (et de deux).« Son inquiétude, » « mêlée d'un espoir grandissant, l'avait poussé à déployer toute sa science, pour ne donner la mort qu'à un seul des deux êtres dont les corps étaient confondus ». 157/158 – un tel exploit ne s'applique ordinairement qu'à des créatures mythologiques. L'exercice de flagornerie est obligatoire !

    C’est donc à juste titre qu’il écrit "tout ce que l'on peut faire en un jour avec des traits" (flèches, javelots), "une seule de ses journées l'accomplit" ; Majorien, capable de viser si industrieusement, ne pourra qu’annoncer le desserrement des anneaux étouffants du Vandale. .. V, 160

     

    1. 55

    V 160 / 164

    Toutes les enfances de chef se ressemblent. Nous les lisons pourtant avec avidité, curieux d'apprendre à quel moment la destinée bifurque. Parfois le biographe manque de documents. Nul doute, par conséquent, que le jeune Majorien n'excellea au coup de poing ganté de plomb : libeat decernere cestu ? « Eryx le Sicilien s'efface » (le Marcel Cerdan d'époque) (puisque les futurs empereurs romains se détectent à la force du biceps) (plus coup de poing américain) (.(or le ceste avait été interdit depuis 500 ans) – et « Sparte ne vit pas fleurir pareille science aux temps où l'athlète frotté d'huile » (ils l'étaient tous) du gymnase de Thérapné terrassa Amycus sur les sables des Bébryces, suscitant son admiration ». V, 160 Nous aurons une idée de l'anachronisme en imaginant qu'on puisse, de nos jours, vanter l'excellence d'un président qui aurait si bien jouté pour jeter bas le cavalier adverse...

    Attendons-nous donc, passé l'obligatoire boniment de foire, au reportage sportif de rigueur, gueule en sang et que le meilleur gagne. Eryx le Sicule éliminé, puis les Spartiates en vrac, fût-ce à leur apogée. Pollux casse la gueule à l'athlète Amycus en provoquant son admiration - V, 161/163 -

    Sidoine était-il con ? Ou toute son époque ? ou les seuls milieux du pouvoir ? Furent-ils tous ainsi frottés d'ail militaire, tandis que de puérils ludions poétiques leurs torchaient le cul en suçant leur argent ? Me serais-je donc entiché d'un esprit frivole, nourri de sottises – "Quelle vigueur dans les jarrets !" s'exclame-t-il, dans les pieds, Loyen, foin de ce jarret qui sent le veau  Qui vigor in pedibus ! - plutôt le "jeu de jambes" des boxeurs.

    Sidoine en effet ne sait rien. Il meuble. Il flagorne, il antiquise, il suit les modèles éculés - louer les jambes du Président ? À présent c'est d'Euryale qu'il s'agit, il n'y eut donc pas un athlète depuis Virgile, fallait-il sans cesse recourir aux vieilles peaux gonflées de muscles  ? V, 164

     

    1. 56

    V 166 176

    Comment peut-on extrapoler de la force physique à la capacité de soutenir un Empire ? Euryale dans l'Enéide prétendait-il à quelque gouvernement ? c'était le pédéraste de Nisus, tous deux périrent noblement.

    Voici "Parthénopée, fils d'Atalante", championne de course, qui, dédaigneuse, avait même consenti à partir en retard, dont Sidoine rappelle l'exploit cent fois relaté, raccrochant ses wagons sans trêve : « elle parcourut d'un pied superbe » (je préfère « d'un pied léger, parce que cela se dit LÉVI PÉDÉ , ce qui vaudrait à présent deux procès) « l’aride forêt de Némée »("lui dont la mère, volant sur la poussière d'Étolie, avait fait frémir Hippomène", assez ! assez ! – pour "la jeune athlète" (la virago, dit le texte) cuisses au vent, « qui s’élance, légère, sous les yeux du public frémissant" – pitié ! pitié ! « effleurant à peine le sol du bout de son pied », V 171 quoi de plus beau qu'une femme qui court.

    ...Souvenirs de mes dix ans, quand les pères donnaient à leurs enfants, pour leur meubler l'esprit, Contes et légendes tirées de la myshologie, au lieu de les abandonner à leurs tablettes ! - hélas, les émerveillements n’ont pas survécu à l’enfance. Nous seront encore infligés les épisodes de ce conte, sans en omettre un seul détail

    Comme il est facile de railler : il vient une grande modestie, une honte, elles aussi spectaculaires et cent fois attendues, rien de vivant dans ce spectaculaire, rien où batte le sang, que du vieux, du sage, du résigné. Après tout, ces auditeurs s'attendaient à de tels verbiages et couvraient de récompenses les dispensateurs de tels divertissements  - notre Hippomène, "se retournant tout pâle, vit qu'il n'avait derrière lui que la moitié du chemin", medium campum, "et que la distance était encore longue jusqu'au but". V, 172 - revois tes calculs camarade nous ne sommes pas ému - tout est rebattu

    Pour nous, il nous faut ralentir au contraire, à partir du latin lui-même, bien plus épineux, impossible à rendre sans virtuosité :

    . « Pressus », « serré de près par le souffle tout proche, flatuque propinquo, ici la fin du vers correspondant à la suspension du souffle, mystère, suspension, parenthèse, il courait maintenant plein d'angoisse dans l'ombre de son adversaire, lorsqu'au détour de la borne, au moment d'être dépassé, il brisa son élan en jetant par trois fois une pomme » - V 175/176 soit trois de suite, et non trois fois la même...

    La belle se baissera, ramassera les fruits d'or, perdra la course. V, 168-176.

    iam curreret anxius, in hostili umbra, "dans l'ombre de son adversaire" – celle qui le fera tuer s'il est tant soit peu dépassé. Rien de plus figuratif finalement, de plus évocateur, que cet homme courant dans l'ombre, sous la menace immédiate de la nuit mortelle. Nous voici soulagés, l'espoir rebondit en début de verre, le héros va trouver quelque chose : trois pommes d'or lâchées successivement sur la piste, pommes qu'il avait préparées, à tout hasard, dans sa large ceinture. V, 166/176

     

     

     

     

    ççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççççç

     

     

     

    1. 57

    LUMIÈRES, LUMIÈRES »

    LOYEN « SIDOINE APOLLINAIRE ET L'ESPRIT PRÉCIEUX EN GAULE »

     

    Sidoine Apollinaire et l'esprit précieux en Gaule  me parvint de l'étranger dans un état lamentable. C'est un fascicule des Belles-Lettres, « série de guerre » (1943). ...Imaginez  : la Chute de Rome, en 476, serait notre année 1976 (ancien style) ; nous serions donc, nous autres, en 520, plus ou moins dans les mêmes peurs, car aujourd'hui, comme toujours, l'Empire s'écroule. Quant aux grands propriétaires lettrés, issus de la noblesse et ne frayant que peu avec les basse couches, aussi longtemps qu'on ne viole pas leurs arpents, ils composent des vers. En pagaïe et à grandes brassées, à grand renfort de plagiats et de citations.

    En imitant outrageusement les anciens, car bien sûr plus rien de bon ne pouvait naître. Ou bien sous forme de petits jeux de salons, niveau versiculets sans conséquence. Ils s’entrecongratulent en louanges dithyrambiques : le collègue enfonçait Virgile et Homère, et s'il s'était mêlé d'écrire de l'histoire, c'est bien alors que Tacite en serait demeuré... tacite, jeu de mots ! Virgile en personne, qui n'a su composer à peu près – le pauvre ! - qu'en hexamètres dactyliques, n'était qu'un amateur. La moindre des politesses en revanche exige que l’on dénigre ses propres productions, « bagatelles » ou « jappements de chiots » ; et lorsqu'en toute modestie, en toute verecundia, l'on a reçu sa brouettée de compliments, il est du dernier chic de se récrier : « Il ne fallait pas ! » Aussi chercherions-nous en vain une once de sincérité, de confidence intime.

    Dans l'effondrement de l'Empire, il est sidérant de voir ce ramassis de singes savants rivaliser de contorsions huppées tandis que la civilisation croule, que s'affrontent les armées de Barbares :

    « et les poétaillons entassent leurs vétilles ».

     

    1. 58

    Les plumitifs latins illustrent cette décadence, en pratiquant leurs petits jeux versifiés - Sidoine pourtant, dans ses vers, livre parfois des renseignements précieux, au bon sens du terme. Par la suite, il adopte la seule attitude possible pour un aristocrate : afficher ses convictions chrétiennes (rappelons que les Barbares sont déjà christianisés, sans croire toutefois à la divinité du Christ), puis accéder à l’épiscopat. Meilleur moyen de maintenir son rang social. C'est alors chez Sidoine un déferlement de mauvais goût dans ses écrits, où toutes les figures bibliques dansent un gélatineux sabbat en compagnie de tout l'Olympe. Les fausses modesties d'artiste laissent place aux pires clichés masochistes de repentir et d'adulation, dont le très diarrhéique Augustin

    avait déjà fourni le répugnant modèle.

    Et ce sont les textes de Sidoine qui transmirent à travers siècles, jusqu'à Chateaubriand, jusqu'à un Huysmans, leur potentiel d'admiration. Même les textes administratifs de Clovis se vautrent alors dans le galimatias, où le choix des mots se trouve systématiquement le plus opposé à leur sens premier, tandis que le peuple, qui ne lit plus, qui n'écrit plus, comme tous les peuples de toutes les époques, sombre dans la langue la plus abâtardie.

    Pourtant nous avons sur le tard adoré, de Sidoine, ces coruscations, ces heurts de syllabes, ces beaux balancements ; jamais ne me lasse, en dépit des meuglements de notre temps, de faire bruire sur mes lèvres les éclats de ces vieilles orfèvreries explosées de la syntaxe...

    R.59

    Jungle, salmigondis de références et de clichés. Les philosophes ne sont plus connus que par un bon mot ou un tic, ne sont plus lus que par l'intermédiaire de résumés ; les descriptions abondent, surchargées de couleurs rose et or, les femmes de la mythologie ressemblent avant l'heure à des sapins de Noël, on n'a plus rien à se dire et les Latins se sont épuisés à ressasser Orphée, Médée, Scipion vainqueur d'Hannibal et autres passages du Rhin par César. La poésie précieuse est devenue un embrouillamini de métaphores filées comme des perles, un condensé de tout ce que le goût peut produire de plus boursouflé.

    « Il offre à son lecteur » poursuit Loyen André « un décor de féerie – non sans le ramener sur terre par l'évocation réaliste des bruits de la route et du fleuve : entre lesquels s'élève l'édifice : «Des incrustations de marbre aux reflets variés courent sur la voûte, » - tougoudoup, tougoudoup, « tracent leurs dessins chatoyants sur les vitraux d'émeraude – on ronfle. Sur la façade s'appuie le triple portique d'un atrium, fier – fier, il est fier le portique - de son marbre d'Aquitaine (…) « D'un côté, c'est le bruit de la route, de l'autre, le vacarme de la Saône – le vacarme de la Saône ! - [où] le chœur des bateliers lève vers le Christ » ça faisait longtemps « son refrain de marinier, tandis que les rives lui répondent alléluia » - répondit l'écho  - c'en est au point où même la note 11 fait figure de halte reposoir : « (...) Il s'agit de la cathédrale Saint-Jean, à Lyon, où des fouilles récentes ont fait retrouver sous le chœur les restes d'une église gallo-romaine. »

     

    1. 60

     

    « Epistula » n'est pas la question angoissée de la maîtresse de maison surprenant un de ses amants lâchement soulagé derrière un radiateur, mais un mot latino-grec signifiant « lettre ». « Ep. II, 10, 1. voir le résumé substantiel du rapport de Wuilleumier-Cornabœufs de Saint-Broutard à l'Acad. des Inscript. et Belles-Lettres le 21 fév. 1936, p. 47 et s.) ; sur le plan de l'église, malgré ses entortillis, notre Sidoine constitue un témoignage valable du point de vue archéologique.

    Il s'agit aussi d'inscriptions chargées d'orner plaques, objets, bibelots et autres. De façon rigolote et astucieuse, car la poésie, n'est-ce pas, est un jeu, merci J.R., qui nous a fait chier entassés à 38 deux heures de file dans une salle de classe. « On trouve chez [Sidoine] des inscriptions destinées à accueillir le visiteur à l'entrée de la piscine ou des bains d'Avitacus, » - aujourd'hui Aydat, dans le Puy-de-Dôme et défiguré par les pavillons de vacances, « des invitations à dîner, des billets accompagnant un cadeau. »

     

    « Toutes ces petites choses » convient le commentateur « tirent leur valeur de la manière parfois exquise avec laquelle un sentiment vrai est mis en relief, ou encore d'une pointe finale, d'un jeu de mots plaisant, d'une malice gentiment amenée : « La nuit dernière a attaché quatre poissons à mes hameçons ; j'en ai gardé deux, accepte les deux autres/ Ceux que je t'envoie sont les plus gros et rien n'est plus naturel : n'as-tu pas la plus grande part de mon cœur ? » - goût de chiottes.

    Ou encore : « C. XXI » Viens avec ta femme, hâtez-vous tous les deux, mais l'an prochain... vous viendrez trois : c'est mon vœu. » - nous sommes atterrés. « L'œuvre de Sidoine », poursuit le courageux Loyen, « n'offre qu'un exemple d'épigramme galante : cette éclipse du genre est révélatrice de la situation faite à la femme » (fermée du haut, ouverte en bas) « dans la société du Ve siècle. » ; la cuisine, le hidjab, et c'est tout. Voici donc une vision gracieuse :

    Bienheureux le métal qu'enferme l'éclat du métal et (caressant) la bouche de votre Majesté, plus éclatante encore, car lorsque Elle daigne y plonger les lèvres, c'est son visage qui communique à l'argent sa pureté » - le français ne rend que très imparfaitement la magnificence de ce rond-de-jambe ; nous avons apporté quelques adoucissements euphoniques à la traduction de Loyen. Ailleurs, « le déséquilibre initial entre le sujet traité : un incident de la vie quotidienne et l'étendue du poème (...) est masqué (du moins on s'y efforce) par le développement de brillants lieux communs (...). « Lambeaux de pourpre » disait Horace « faits pour resplendir au loin » : le bois sacré et l'autel de Diane, (…) l'arbre décoratif autour duquel s'équilibre un tableau - (…) « décor de bergerie ou » de « mythologie »etc. Euric, royal époux de Ragnahilde avait assassiné son frère pour parvenir au pouvoir, et occupait l'Auvergne: plus très regardant, notre Sidoine…

     

    1. 61

    Le chapitre IV se poursuit comme ceci : « On peut regretter que Sidoine n'ait pas limité son activité poétique à ces jolis bibelots. Il se trouvait, hélas ! à l'étroit dans le cadre resserré de l' « épigramme ». Sa faconde naturelle, le goût de son époque l'entraînaient vers les développements plus amples et son ambition vers la « grande poésie ». » Notre commentateur a de l'humour, non dépourvu d'une certaine tendresse : « Si l'on reprochait à mon poème dit Sidoine d'être trop long et de dépasser les limites de « l'épigramme », on prouverait clairement par là qu'on n'a lu ni les Bains d'Etruscus, ni l' Hercule de Sorrente, ni la Chevelure d'Earinus, ni le Tibur de Vopiscus, ni aucune des Sylvettes de Stace, mon préféré - mis à part que Sidoine est à Stace ce que Dubosc est à Bedos, Stace lui-même étant à Horace ce que Bedos est à Beaumarchais, s'il en rester encore pour savoir de quoi je parle. « Ainsi, » (reprenons notre fascicule) « entre l'école de Catulle et celle de Stace, Sidoine choisit-il la dernière. Il s'autorise du précédent des Sylves » - « pour consacrer lui aussi de longues pièces, écrites dans le mètre de l'épopée, l'hexamètre dactylique, aux menus sujets de la poésie de circonstance.»...

    Nous vous renvoyons à votre Sidoine Apollinaire et l'esprit précieux en Gaule de chevet, par André Loyen, en 1943 maître de conférences à la faculté des lettres de Rennes, car nul n'est parfait. Rennes a supprimé sa chaire de grec : elle a sans doute’ supprimé celle de latin. Bientôt la littérature française

    pas de vers dûment répertorié

    FIN DE « L'ESPRIT PRÉCIEUX en Gaule »

    GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG

     

    1. 62 v. 177/184

    Nous rejoignons le texte en V, 177 - cinq vers à présent touffus comme des taillis : "Qui voit à cheval Majorien méprise le fils de Léda » V 177- d'abord, "Majorien" ne figure pas dans le texte, le nom propre n'apparaît pas. Coups de menton, louanges fanées, Castor je m'en fous, « et le jeune héros aimé de Sthénébée » : Bellérophon. Quant au "fils de Léda", c'est Castor, vous alliez le dire. V 178 « Le jeune héros aimé de Sthénébée » : Bellérophon, tueur de monstres, dompteur du « cheval ailé", plus exactement « empenné » - Pégase, vous l’aviez sur le bout de la langue.

    ...Ancêtre de St Georges et de saint Michel qui écrasèrent leurs dragons respectifs. Bellérophon « triompha, dit-on, de la chimère de Lycie, supprimant d'un seul coup trois existences. » V 180 / 181 la Chimère était chèvre, lion, et serpent par la queue. « Si les destins t'avaient fait naître alors, intrépide Majorien, Maioriane ferox ! Pourvu de toutes les qualités d'une bête, fera ! -il ne s'agit que d'exterminer le plus d'ennemis possibles  - «  tu n'aurais pas permis que Castor connût les rênes" (de cheval), et ne lui eusses pas même accordé la grâce de l'apprentissage, "Pollux le ceste" ("Castor et Pollux, le retour") - en ces vitrines arides hantées de carton-pâte. "Tu aurais ridiculisé les trophées de Bellérophon" - "Le scalp de la Chimère" - beau titre) – c'était me dit sainte Wikipédie le fils de Glaucos et le petit-fils de Sisyphe, lequel engendra tous les Atrides. V, 177-184

    XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXR. 63

    Les auditeurs lyonnais et autres sourient d'un air entendu. Rites, mythes, gestes. Ces embouteillages mythiques annoncent les nôtres, encombrés de Démocratie, d'Égalité des Chances et de Communauté internationale, chimères de nos logorrhées. Ces grands noms antiques ridés jusqu’à la moelle, tissés d'inextricables liens de parenté, n'étaient-ils pas aussi riches en résonances, en sujets de dissertations, que nos fumées contemporaines ? Savons-nous de quels rêves seront hantés les cerveaux futurs ?

    Ces panégyriques excessifs étaient passés dans les mœurs. Nul n'y prenait plus garde. Nous croyons encore en nos idoles ; un jour prochain nous n'y croirons plus : "Saisit-il le bouclier ? Il l'emporte sur le fils de Télamon" ( c’est le grand Ajax) qui défendit contre la torche d'Hector, contra Hectoris ignem – au milieu des vaisseaux grecs au sec sur la sable, la flotte même d'Ulysse, malgré sa perfidie". V 185 187

     

     

    1. 64 V 188 / 198

    S'il est ma foi bien souhaité que Majorien puisse sauver l'empire en flammes, était-ce bien judicieux de rappeler la perfidie d'Ulysse ? Perfidie cependant incontournable. La préciosité remédie à sa fadeur par la surabondance. L'intempérance. L'avalanche. Quant aux emphases du traducteur (« Saisit-il un bouclier ? (... ) Veux-tu connaître sa maîtrise... ? »), elles sont d'aussi mauvais goût... ma foi, que Sidoine lui-même : « Veux-tu connaître sa maîtrise dans le lancer du javelot ? » Le poète se fendra d'une comparaison de plus, à l'avantage de Majorien bien sûr.  Ce passage est un embrouillamini de la plus belle espèce – on pense à autre chose en le lisant. C'est aussi vain ma foi que le 300e western. Ces allusions renvoient au chant onze de L'Enéide, que l'on n'étudie plus, car il est bien connu que Virgile a moins bien réussi ses passages guerriers. V, 188-191 - on s'entretue pour voir de quels agrégats nos corps sont composés, comme un premier pas de l’investigation, qui de la cellule à l'étoile expose le secret des matières pensantes. "C'est avec moins de force que » (Thésée) "perça de sa lance marathonienne Créon » ) - V 192 193 c'est bien de Créon, tonton d’Antigone, qu'il est question - curieux télescopage en vérité ; la légende n'y regardait pas de si près.

    Grands hommes, à vous la gloire, à nous la graine. "C'est avec moins de vigueur", poursuit l'increvable Sidoine – j’agonise - "que la déesse vengeresse (…) brandit la foudre contre les Danéens" – la peste, sur l'armée grecque.de l’ Iliade, la boucle est bouclée...

    Est-ce que Majorien n'était pas en train de plaisanter avec son entourage en attendant que le Panégyrique se passe, ou de sourire d'un air entendu, de même d'ailleurs que l'auteur - « c'est nul, mais ça se fait » ? V 194 195. Quant à la faculté de discerner le juste et l'injuste, je n'y crois pas - la culture, ni même la connaissance, ne garantissent pas une grande âme, ni la noblesse ou l’impartialité d’un jugement - images, images encore : le fils d'Oïlée », le petit Ajax, empalé sur les récifs et vomissant des flammes – splendide - consultant ces volumes c'est moi que je scrute, ce sont mes côtes que j'écarte - tandis que le public se racle un peu la gorge : Parva loquor, « Soyons brefs ».

    V, 188-198

     

    1. 65

     

    Que nous reste-t-il ? l'attitude. Et quelle attitude plus légitime, en temps de troubles, que l'érudition ou son semblant même ? « ...lorsque la Grèce eut sa nuit de Troie et un embrasement semblable » - je suis écrasé

  • ROSWITHA

    C O L L I G N O N

     

    R O S W I T H A

     

     

    Moi.

    Roswitha.

    68 ans. Murée dans mon passé.

    Condamnée.

     

    Certains de mes papiers portent mon nom : Stiers.

    Il n’est pas trop tard pour régler mes comptes. Je ne me suis fixé aucun but.

    Toute ma vie derrière moi. J’ai agi aussi absurdement dans mon ménage qu’Alexandre sur ses champs de bataille.

    (Ce débat ne m’intéresse plus).

    Veuve.

    Domicile Blumgasse 40, WIEN, 1er étage. La fenêtre de la cuisine donne droit sur la Brigitenauer qui mène au Pont du Nord, qui mène à Prague. La pièce éblouissante tremble au niveau des quatre voies de circulation surélevées. J’aime ce grondement continu. Ma circulation est parfaite.

    Je ne peux me défaire d’aucun souvenir. Leur valeur marchande est nulle. Au mur, une carte des capitales européennes où se fixent les reproductions en plastique des divers monument : j’ai conservé St-Paul de Londres, l’Escorial et le Hradschin. Mon lit a des colonnes torses.

    Je me n’ennuie jamais.

    Je possède des étagères et des Figürchenmöbel (meubles à bibelots) surchargés de poussière. J’essuie deux statuettes nues, l’une en position fœtale, l’autre sur le flanc, « offerte », comme ils disent : de mon doigt recouvert de tissu, je suis les plis des figurines, aines, seins, nombril.

    À 68 ans tout continue : j’évolue et me questionne ; ce n’est pas du tout ce repos, cette résignation que j’avais imaginée. On m’a menti : les humains ne sont pas tous semblables.

    II

     

    Je n’ai commencé à vivre que fort tard, après le mort de mon mari, c’est-à-dire après son départ avec Annette, qui l’a nettoyé en dix-huit mois.

    À son retour, je l’ai vu dormir, dormir, dormir : devant la télévision, au lit, le matin jusqu’à dix heures, l’après-midi de deux à quatre, jusqu’à cinq en été.

    ...Lorsque mon père se penchait sur moi pour m’embrasser dans mon lit, sans qu’il y prît garde ma vue plongeait par le décolleté de sa chemise de nuit.

    À dix-huit ans, je suivais mon père.

    Diplomate, désœuvré, il m’emmenait partout. Nous sommes arrivés à Puigcerda par la route de Ripoll. En 1933, l’Espagne était encore calme, et mon père passait toutes mes fantaisies. Nous sommes descendus de nos mulets, le dos scié du cul aux omoplates. L’alcade en personne m’a soulevée de la bête pour me déposer, jambes raides, face au panorama.

    Après le dîner de fonction, j’ai entraîné mon père par le bras et nous avons tourné par les rues de Puigcerda, enroulées sur leur butte comme autour d’un sombrero.

    Le lendemain matin, je suis sortie sur la terrasse, il était déjà neuf heures, et les chasseurs tiraient dans la vallée.

     

    III

     

    Arrigo

    Je mens. Je m’appelle Arrigo Sartini et je mens. Mon âge est de 35 ans, j’étouffe, je veux me venger de tout et ma dignité est grande. Je vis avec Nastassia, depuis 60 mois que j‘ai comptés . Nastassia est la petite-fille de Roswitha.

     

    L’humanité : la tenir en réserve, comme du fumier pour les fraises, sans l’admettre à sa table – et qu’ils n’aillent pas faire, les hommes, d’une solitude, que j’ai choisie, une solitude imposée.

     

    IV

     

    Nastassia

    C’est la petite-fille de Roswitha. Troisième personnage de l’histoire.fuite,yatagan,boulevard Elle vit à Bordeaux, elle est folle, elle peint. Son langage est très littéraire, très fleuri, très ridicule. Non, je ne laisserai pas le lecteur se rendre compte par lui-même. Oui, je prends le lecteur pour un imbécile. Elle s’adresse aux personnages qu’elle a représentés sur ses toiles. Elle dit :

    « Accourez, fantômes bien-aimés. Fantômes éclatés, pulvérisés sur ces murs. Sur mes murs il y a des tentures. Des éclats de ma tête sur les tentures. Vous êtes dans la poussière que je respire.

    « En 1823, un homme, ici, s’est suicidé. Il s’est tiré dans la bouche. Son crâne s’est ouvert. Le revolver est tombé en tournant, sur ce guéridon nacré, au milieu des boucles et du sang.

    «  C’était mon ancêtre.

    «  J’aurai aussi des descendants. Des successeurs. Je profère à voix basse vos noms sacrés.

    «  Il y a celui qui me pousse, physiquement, aux épaules, et me force à sortir.

    «  Celui qui dérive, évanoui, nu, renversé, sur sa barque.

    «  À présent je suis toute à vous. Je vous ai constitués. Vous m’avez façonnée jusqu’à l’intérieur de mes paupières.

    «  Tenez-vous prêts. Nous ne sommes plus seuls. Plus jamais seuls. Je suis l’épouse d’ARRIGO.

    « Je resterai toujours avec vous. »

    Ici, Nastassia ajoute une phrase apprise :

    «  Je m’agripperai au cou de la dernière Girafe en peluche que mon père, le Para, veut m’arracher. »

    Puis :

     

    « Fantômes, voici : très loin, à l’est des Alpes, à Vienne, ROSWITHA nous appelle, ROSWITHA nous convoque. J’arrive. Nous arrivons, chargés de bombes. Pas un de nous ne manque à l’appel.

     

    V

     

    Retour à Roswitha (Vienne).

    Lettre à Nastassia, en allemand, anglais, et français :

    «  Liebe Nastassia !

    «  Komm Dū mein liebes Kind, komm !

    (« J’ai besoin de tes lèvres fraîches » : cette phrase a été raturée. )

    «  Here comes the plane

    « The hand that takes

    (« Voici l’avion / La main qui prend » - L. Anderson)

    « Nastassia, c’est moi qui t’ai élevée, moi ta grand-mère - deine Großmutter, et ta mère, Deine Mutter, traînait d’asile en asile.

    « Les souvenirs me font mal, c’est pourquoi, itaque, je ne veux plus que tu m’abandonnes.

    " Arrigo, Nastassia, ne m'abandonnez pas.

    " Songe à ma vengeance, qui est la tienne, souviens-toi de tes jeux sur la plage du lac, à Neusiedl.

    " Souviens-toi de tes dessins d'enfant, et du crayon toujours à retailler.

    " Le complot portera mon nom : R.O.S.W.I.T.H.A. Signé Roswitha"

     

    La vieille dame pense qu'ils règneraient tous les trois, NASTASSIA, ARRIGO, "et moi, tous trois indécelables et frappant partout, sur les despotes mous.

    " Post-scriptum : Emportez tout avec vous. Tout ce qui vous retient, afin de l'avoir à vos côtés, toujours présent, pour le combattre de toutes vos forces.

    "Nastassia, tu es partie à l'autre bout de l'Europe, au sud-ouest de la France, chez les Welsches. Tu t'es calfeutrée dans les tentures, tu t'es barricadée dans les toiles que tu as peintes : il ne faudra rien oublier. Je ne sais rien de cet Arrigo.

    Ta Grand-mère qui t'aime,

    Roswiha

     

    VI

     

    Nous revenons à Nastassia (Bordeaux). Elle peint, elle est folle, elle dit :

    "Fantômes - "

    ...encore !...

    "...dans la discipline, regagnez le bois lisse de vos cadres ; revenez dans vos propres portraits. Nous partons.

    "Derrière les tableaux que je décroche court une araignée. Arrigo, mon époux, court la ville afin de rassembler une montagne de papiers, documents, passeports.

    " Prenez place sur les toiles, dans les toiles, faceà face, ou dos àdos, car je ne verrai plus vos traits - et vous roulerez dans mon dos dans vos cercueils plats, cercueils vitaux, mon ventre, en épaisseur, à plat."

    Fin de citation.

    " J'en ferai d'autres ! j'en ferai d'autres ! Faro gli altri !" criait Francesca da Rimini en tapant sur son ventre, à la mort de ses fils.

    Arrigo répliqua :

    " Nastassia n'est pas seule à trancher des racines. A mon père mourant, je réserve au milieu de mon coeur une place de choix".

    Ils partirent.

     

    VII

     

    Roswitha (Vienne) pense :

    ...Ils sont en route.

    Chaque semaine, ma petite-fille, Nastassia la folle, me rendra visite. Elle feuillettera les journaux sur la table de nuit, il y aura "Hör Zu" ("Ecoute"), "Kurier", "die Krone".

    Elle s'assoira au bord du lit, étalera la revue sur la courtepointe. Arrigo, son époux, restera debout, il fera quelques pas dans la pièce. Il regardera pour la centième fois la carte au mur des capitales d'Europe. Il touchera un objet, s'informera de sa provenance, le soulèvera. Le replacera sur sa place de poussière.

    Je lui répondrai, il m'ennuiera, il sera correct.

    ...............................................................................................................................................

    " J'aurai appris du moins à ne plus geindre. il y a dix ans que je ne geins plus. C'est fort peu. Depuis la mort de mon mari très exactement, nettoyé en dix-huit mois par sa grue (von seiner Gimpelhure) ; vers la fin je l'ai vu dormir :le matin jusqu'à dix heures, l'après-midi de deux à quatre.

    " Cinq heures en été.

    " J'ai brûlé des kilos de jérémiades.

    " J'écris à Nastassia.

    Wien den 26. Juni 198*

    "Liebe Nastassia,

    " Heute bist Du 22 - vingt-deux ans - tu liras très agacée mais je revois cette petite fille de huit ans que j'avais emmenée sur le Neusiedlersee en 1962 - godu tu me parlais sans cesse tu réclamais à boire à manger, une balle, un crayon. J'acordais tout, j'étais ravie.

    " (...) et puis viens. KOMM.

     

    VIII

     

    ...et retorne l'estoire a reconter de Nastassia et de sa folle compaignie...

    Nastassia dit que des lambeaux de rêves resteront ici à tout jamais, qu'ils ont dit (les déménageurs) "N'en prenez que 40 !" - et que dos à dos, ventre à ventre, une fois de plus, en voyage, le Nu, la Bombe, la Fille au Couteau, l'Egorgé Nocturne et l'Homme de Théâtre, tous tableaux NOCTURNES sauf

    les Fils de l'Aube et

    le Trépané

    Le camion roule, roule, tous les cadres s'entrechoquent.

     

    Roswitha, femme deVieille, attendant sa petite-fille

     

    Sie sagt:

    "Dieu merci, je suis parvenue à soixante-huit ans sans devoir porter de lunettes. Je mis sans fatigue. J'ai connu les exécutions, les pogroms. Je n'éprouve plus de plaisir, les mots croisés m'engourdissent sur le fauteuil, parmi le bienfaisant vacarme des automobiles.

    " Nous autres, les Habsbourg, nous n'avons pas cédé aux vertiges de l'épuration. Je peux recevoir sans encombre tel ex-secrétaire de Seyss-Inquart.

    « Le sang a séché – taches de vieillesse sur mes mains, nécrose des tissus.

    «  Il m’apporte, cet ex-secrétaire, de bien belles grilles à compléter.

    «  Il me laisse des exemplaires du Völkisches Blatt. Chacun peut le lire à la demande chez tous les restaurants du XIIIe arrondissement.  

    «  Cet homme s’appelle Martino.

    «  Martino voudrait que je distribue des tracts : « Toi qui connais bien Vienne... »

    «  J’en ai une pile sur la table. Mais, par ordre alphabétique, ça fait 11 900 rues.

    Au téléphone :

    « Non, Lieber Martino ; ce n’est pas parce que je suis « aryenne », comme vous dites… Passez me voir quand vous voudrez. »

    * * *

    Nastassia, petite-fille de Roswitha, peintre, folle, raconte

    C’est le trajet vers Vienne. Nastassia dit :

    « Depuis Genève, j’éprouve une peur sourde. Arrigo se tient près de moi, silencieux, les mains serrées sur le volant. Ses mains ressemblent à des serres. Il me dit : « Je pense à mon père, qui est en train de mourir ». Nous roulons vite. La voiture, surchargée, prend les virages trop larges, le ciel baisse, la nuit tombe. Rapidement c’est une muraille, grise, devant nous. Arrigo accélère :

    «  - C’est la neige. » Ses mains tremblent. Les flocons se jettent à l’horizontale. À droite, un talus qui s’abaisse, se relève, et se rabaisse, comme une ouate qu’on déchire. Je vois aussi du néon, nous avons quitté l’autoroute, je vois encore, des feux de position, qui s’enfoncent, qui se perdent – Arrigo se guide sur les ornières et se met à rire.

    «  Il s’arrête.

    «  Il descend courir tête basse vers les néons.

    « Sur le pare-brise la neige monte, grain à grain, s’édifie. Nuit noire, dix-sept heures Il reste une chambre !

    «  Au restaurant, sous le toit surchargé de neige, Arrigo s’épanouit, commande un menu d’une voix forte et décharnée, je ne l’ai jamais entendu mastiquer l’allemand de la sorte – avec des contractions de doigts, des trismes mandibulaires…

    «  Je devrai vivre dans cet hiver des mots. »

    «  Dehors, lever de tempête – ici les menus cartonnés, rouges, savonneux, les Mädchen couleur ketchup et bas blanc ». Le lendemain après l’amour ils ont tous les deux affronté la plaine blanche et crue, le ciel et le sol deux plaques d’amiante. La route a disparu, on roule au jugé sur la neige rase.

    «  Le terrain monte. Devant eux un camion-remorque contre-braque et zigzague à reculons.La remorque part en travers.

    « Zusmarshausen. Je ne sais pas prononcer ce nom. Arrigo se paie ma tête. Sapins. Moins seize. Ça dérape. Sur le plateau j’aperçois les premiers chasse-neige. Le premier gros sel gris.

    Nastassia appelle :

    « Arrigo ! Arrigo ! »

    Arrigo ne répond pas. Il pense en allemand.

    Le froid descend malgré le jour. Il ne neige plus. Nastassia se souvient confusément du chuintement du radiateur, sous les tentures du motel. Nastassia serre ses deux poings dans ses deux gants. À mesure que ses bronches se bloquent, elle entend près d’elle Arrigo respirer plus profondément, enfoui dans sa Germanie.

    Nastassia ferme les yeux.

    Ses cils brûlent. Elle tremble.

    - Kannitzferstehn – tu peux pas comprendre – une langue dure comme une lame, les joues d’Arrigo dures comme un rasoir.

    Le ciel gris.

    Le peu de jour qui est passé.

    À Salzbourg il est quinze heures. La lumière baisse. À l’abri, sous les portiques, un thermomètre indique – 18. Les douaniers se penchent :

    - Rien à déclarer ?

    Un officier ricane :

    « Französisch Bazaar ».

    Les deux doigts à la visière.

    Salzbourg se rapproche. Arrigo ne manifeste aucun étonnement . Un petit homme ouvre la portière. Il ressemble à Charlot, trait pour trait. Il baragouine avec conviction. Arrigo veut l’aider à porter les valises. Charlot refuse.

    « Nous sommes dans un palace.

    Le petit sexagénaire chaplinien gravit l’escalier en heurtant les valises qu’il dépose au seuil de la chambre en plein monologue.

    « Je vois des dorures, des plafonds immenses. Arrigo veut refermer la porte – le petit homme est toujours là.

    - Vielleicht sol ich Ihnen etwas geben ? Peut-être dois-je vous donner quelque chose ?

    - Jawohl ! répond le petit homme avec solennité.

    ...Arrigo se jette sur le lit tout habillé :

    « Lis-moi du Claudel.

    - En allemand ?

    - En français.

    Le froid glisse sous les doubles-fenêtres. La neige s’est remise à tomber, et, dans la nuit, il tonne, des éclairs bavent entre les flocons.

    Nastassia, épouse d’ARRIGO, note ses impressions :

    « Nous sommes sortis dans les rues. Il fait si froid que nous devons alternativement

    «  fourrer une main dans une poche, frotter notre nez ; main droite, main gauche.

    « Nous contournons la cathédrale par le nord à travers une place glacée, l’orage vire « lentement, nous suivons une pente raide tout au long de la falaise.

    «  À même le roc de la Citadelle un panneau métallique aveuglé de néon :

    « E R O S C E N T E R »

    - C’est ça que tu veux visiter à Salzbourg ?

    «  Je sais qu’il va répondre : « Oui, les putes ».

    « Il répond : « Oui, les putes ».

    « Deux maisons à angle droit s’engagent sous les rocs. De grandes femmes tristes font des signes. « La plus âgée parle français. Arrigo disparaît au premier. On m’apporte des triangles de fromage

    « cuit, de marque « Edelweiss ». J’ai bien changé, oui, bien changé.

    « J’obtiens de l’eau. Je grimpe l’escalier sous les cris allemands – je suis poursuivie. Je «  pousse une porte, Arrigo est de dos, tout habillé. Je vois qu’il fume. Trois prostituées nues

    «prennent des poses qu’il leur indique en tudesque. La taulière est montée derrière moi. Arrigo se « retourne d’une pièce :

    - Je ne les touche pas.

    - Je ne t’ai rien demandé.

    « Il leur dit de s’embrasser. Elles s’embrassent/ D’écarter les jambes. Etc. La taulière dit : «Il a payé ». Je réponds : « Ça suffit ».

    Retour à l’hôtel. Le petit Charlot nous refuse l’entrée : « Il est déjà dix heures ». Nous lui donnons 25 öS.

    « Lis-moi du Claudel.

    « Dans le réfrigérateur nous trouvons du Sekt, des triangles « Edelweiss », du bourbon. « Du tokay. Arrigo me parle en dialecte, je fais observer qu’en Autriche on ne parle pas si raide. « Dans la salle d’eau la baignoire est verte et les parois vert et or. L’étroitesse de la « pièce donne au plafond une hauteur obsédante.

    « Nous prenons le dîner au rez-de-chaussée. Personne ne s’aperçoit que nous sommes « ivres.  

    « Clientèle polyglotte.

    « Un télégramme sur un plateau d’argent :

    « PÈRE DÉCÉDÉ »

    Nous remontons immédiatement dans notre chambre. Arrigo se montre fébrile :

    - Pas question de rebrousser chemin.

    « Il ajoute :

    - C’est un piège.

     

    « Sur-le-champ je dois improviser une oraison funèbre. Elle n’est jamais assez « élogieuse, jamais assez sobre…

    « J’ai connu le père d’Arrigo : un homme grand, ridé, qui parlait du nez. C’était un ostréiculteur. Ses seuls voyages : Marennes, Arcachon. Il entretint toute sa vie des polémiques avec « les savants ses confrères : allemands, hollandais, anglais. Des lettres d’insultes en toutes les « langues.

    - Retravaille la péroraison, dit Arrigo. Et puis, apprends l’allemand.

    - Hai dimenticato l’italiano ?

    - Je ne veux plus entendre cette langue de portefaix.

    - Je te traite de con, en français. »

    « Le discours est achevé/ Il reste du gin. Arrigo vomit dans la baignoire :

    - Pour ce prix-là on peut tout saloper.

    - Je ne suis pas d’accord.

    Le lendemain la note s’élève à öS 1200. Arrigo comprend 120. Grimace du caissier. Grimace « d’Arrigo en flagrant délit d’oubli de langue. Le caissier nous toise mit Arroganz.

    « Vienne est encore loin. Le ciel s’est dégagé. Moins treize à quatorze heures quinze. « Nos haltes se multiplient. La radio de bord hurle, sirupeuse.Nous écumons toutes les stations-service. Café, café. Les clients s’expriment avec mesure : ils sont ivres.

    « À seize heures, la forêt, la pente, la neige au sol ; les coups de vent sur les viaducs, la sensation de rouler au sommet d’un ballon qui se dérobe.

    « La taïga.

    « Puis la route qui se creuse, les talus dénudés, frangés de toupets de sapins, la route qui redescend, les remblais qui s’espacent – soudain, une meule lumineuse de fils tissés, entrecroisés, saupoudrés d’un fouillis d’éclats, comme un ciel reversé en contrebas : Vienne, illuminée, dédalique, arachnéenne et déliée – svastika déglinguée - Rosenhügel dit Arrigo.

     

    XI

     

    À présent Roswitha, 68 ans, reprend la parole

     

    ...H’ai appris sur Arrigo de certaines précisions.

    Il tiendrait un « Emploi du temps ».

    Nastassia m’écrit :

    « Je t’en apporte un exemplaire ».

    Il en change à peu près chaque mois :

    « Mercredi 18h : Lecture. 18h.26 : Correspondance. 18H 53 : W.C. »

    - Fait-il l’amour à heures fixes ?

    Nastassia l’en soupçonne.

    J’ai l’idée de fabriquer à mon tour, moi, Roswitha, un « Emploi du temps ».

     

     

     

    XII

     

    Arrigo, terroriste au service du R.O.S.W.I.T.H.A

     

    Il dit :

    « Je suis convoqué au 26e étage de la Tour de Verre Circulaire.

    « Il y a des barrages aux 10e et 20e étages.

    - Même les chefs d’État se font contrôler, M. Sartini.

    « Le Bureau, pour me recevoir, adopte la position de « tir groupé ».

    «  Il y a :

    El-Hawk, Seisset, Laloc, Roïski.

    « El-Hawk » (« le Faucon ») me fixe par dessous ses lunettes. Ses phalanges craquent.

    « Seisset le Français porte une monture en or et la moustache en brosse oxygénée.

    « Les mots sortent tout ronds de sa bouche étroite et rose.

    « Laloc est basané, Roïski myope.

    « Ils devront tous disparaître.

    «Il faut toujours éliminer le plus de personnes possibles avant de vivre.

    « P.S. : J’espère tout de même vivre quelque chose de bien plus exaltant qu’une stupide histoire d’ « espionnage »!Hi hi !

    - Vos responsabilités (disent-ils) sont écrasantes. Nous vous fourniront la Liste, l’Arme et l’Alibi ».

    « On me fournit aussi une villa badigeonnée de jaune au fond d’une cour d’auberge.

    « Au premier », dit mon guide, « un nid conjugal : immense cuisine, mansardée chambre, une quantitude de recoins et le palier interne sur mezzanine. Téléphone, balustrade en bois clair ».

    Nastassia, brune, compagne d’ARRIGO, parle de « chrysalide qui s’enterre », en effet :

    - les murs sont profonds

    - les fenêtres creuses

    - au milieu du jour, il faut l’électricité

    - les clématites obscurcissent les vitres

    - etc.

    ...  « Suprême raffinement » (dit le guide) : « une grille différente ferme chaque fenêtre, avec une serrure différente, prête à bondir d’un angle à l’autre sur ses losanges de ferraille coulissante.

     

     

     

    Arrigo,

     

     

    Arrigo, époux de Nastassia, continue d’écrire :

     

    « Su nous

     

    « Si nous étions frère et sœur, nous ôterions nos organes génitaux pour la nuit. Nous les enfermerions sous plastique dans un tiroir de table de chevet.

     

     

    « La moquette du premier étage répand, sur toute sa surface, une moiteur magnétique.

    « Les motifs du papier peint sont d’horribles gros yeux empilés.

     

    Nastassia, brune, épouse d’Arrigo, prend la parole

     

    « Le premier soir « de la villa », une puanteur précise nous guide vers le four, où pourrissait dans un pot jaune – un ragoût de vieux bœuf.

    « J’ai descendu l’escalier de bois en tenant les deux anses à bout de bras, l’estomac chaviré. Tout a disparu corps et biens dans la poubelle de l’auberge. J’ai respiré sous le ciel noir, observé le bâtiment du Heuriger, c’est ainsi qu’on nomme les auberges de ce pays.

     

    « Le hangar de bois faisant suite à l’auberge, vers nous, vers notre « villa », ; bruissait de lumières comme un Boeing aptère où flageolaient des ombres d’incendie. J’écoutais le violon, le hautbois, la caisse claire. J’écoutais cogner les poings et les culs de chopes, et le micro gras où les lettres « p » tapaient comme des pouf de tambours.

    « Quand la baie s’est ouverte entre les planches, j’ai vu l’orchestre courbé, tordu sur ses instruments.

    HOY ! HOY !

     

     

    - hurlait la noce - ma parole ! Moi même, Nastassia, je criais avec eux comme des chiens ».

    Nastassia – dit le narrateur – a remonté le perron vers chez elle, perron couvert de feuilles recroquevillées, frisées, par le gel. Au 123 bientôt, de l’autre côté de la rue, des quatre rails en creux de la Straszenbahn - « c’est ainsi qu’on nomme les tramways dans ce pays »- Nastassia, folle, peintre, exposera ses toiles, dans une chapelle à demi-souterraine au badigeon jésuite, avec au fond d’une voûte à berceau une croix plate, en stuc, à même le mur.

    « Je pense », dit Nastassia, « à ces crochets de fer auxquels Adolf H. fit suspendre ses propres officiers ».

     

    XIII

     

    Premier rêve d’Arrigo, petit-gendre de Roswitha

    « Sous les yeux empilés du papier peint, je me débats au sein d’inextricables foules encombrant la salle d’attente d’un dispensaire : formes allongées ou accroupies, appuyées l’une à l’autre.

    « On en trouve jusque dans le cabinet du cardiologue où l’on s’assoit et où l’on parle fort. La prescription est inaudible et Frau Doktor élève la voix. Elle porte une tignasse rousse et m’envoie, à moi, Arrigo, malade – une plaisanterie.

    « Ses deux voisins rient très fort. La consultation est terminée. Deux femmes jusqu’ici effondrées se lèvent soudain pour prendre leur tour, la cardiologue se nomme

    ROSWITHA

    - et n’est pas cardiologue mais neurologue.

    « Je suis admis à m’allonger sur un divan d’angle – quatre femmes à présent exposent leur cas toutes ensemble avec animation. Je sens ROSWITHA de plus en plus attentive, de plus en plus lasse. Puis elle referme les rideaux, demande d’une voix éteinte qu’on n’admette plus personne et se détend sur un fauteuil à bascule.

    « Quand elle se redresse, c’est mon tour. Et quand je me suis levé, j’étais banalement nu. Roswitha se trouve à table, face à moi, dans un restaurant de luxe bon-dé où règne le sans-gêne d’une cantine.

    « Des clients debout attendent nos places. ROSWITHA se penche au travers de la table, mais sa voix domine à peine le vacarme. Elle est très rajeunie. Lorsque nous nous sommes levés sans avoir pu achever les gâteaux, un gros homme les a saisis, puis avalés dans un rire vulgaire. Il est satisfait d’avoir pris nos places.

     

    XIV

     

    Nastassia, peintre, brune, folle, se confie – s’exhibe : SA HAINE DU PEUPLE. Se fait menerE par son mari dans cette halle où des Tchécoslovaques boivent, fument et pètent. Elle s’est vêtue pour cela d’un bustier violet, d’un diadème sur son chignon vieux jeu. Elle a commandé ein Gespritzt et contemple les tablées d’ivrogne.

    Le jeu consiste à fixer un Slave immigré dans les yeux jusqu’à les lui faire baisser.

    Arrio s’est enivré peu à peu, ils ont gagné un lièvre au loto, ils l’ont relâché dans la cour : à moins de gagner le Mauerpark tout proche, cet animal ne survivra pas. Les tourtereaux (Nastassia et Arrigo) rempochent toute leur monnaie, sans le moindre pourboire.

     

    XV

     

    Nastassia contredit cette version

    « J’aî donné öS 20 au violon, dans sa casquette doublée rouge »/

    Ajoutons que la neige est revenue, suivie d’un froid féroce.Il faut boire un schnaps de prune appelé Slibowitz, très parfumé, à même le goulot.

    Pour en revenir à la neige : ce sont d’abord des mouchetures sur le côté des marches, et, le matin suivant, les marches sont couvertes comme des tombes, bosselées, que Nastassia castre à la bêche. Les pelletées flottent, et retombent. Le ciel reste plombé, les gens disent :

    « Nie war es so finster, il n’a jamais fait si sombre.

    La nuit vient avant quatre heures. La nuit, ils ne sortent pas (Nastassia et Arrigo). La neige s’écroule du toit ; ils croient qu’on secoue la porte d’entrée. Arrigo, blême, a tiré au hasard dans le noir. Des clients de l’auberge rôdaient dans la cour. Nastassia ajoute :

    « Je décroche le linge séché par le gel, le tissu se déchire, les dos des chemises, les mouchoirs, avec un bruit de papier. Le premier décembre, le thermomètre atteint moins vingt ».

     

    XVI

     

    Roswitha revoit toute sa famille. Elle écrit :

    Observer, sans agir. Sans railleries. Vivre comme une vieille – comme les autres vieilles -

    qui m’a donné le modèle de la vieillesse ?

    Je fais exactement tout ce qu’elles font.

    Personne ne se méfie.

    CE DÉBAT NE M’INTÉRESSE PLUS – il ne faut plus que ce débat m’intéresse.

     

    XVII

     

    Nastassia, brune, folle, peintre, prenant possession de sa nouvelle (éphémère) demeure

    Elle dit :

    « La salle de bain se trouve à l’angle le plus sombre de la maison. La pièce est dépourvue de radiateurs. Les carreaux émaillés, mauves, ajoutent à l’impression de froid. La baignoire fuit.

    «  J’utilise la machine à laver des locataires précédents, des Suisses. Les fils électriques traînent sur le pavé de la salle de bain, dans l’eau. Hier, de grandes étincelles claquaient sur le carrelage dans une enivrante odeur d’ozone.

    « Arrigo et moi faisons souvent l’amour dans la baignoire.

    «  Je ne suis pas retournée à la galerie de peinture : l’autre côté de la rue, au-delà des rails de la Straszenbahn, me semble aussi éloignée que l’autre côté de la ville. »

     

    XVIII

    Arrigo, espion sans envergure, reçoit enfin ses « Premières Instructions »

    Il dit :

    « Premières instructions : attirer Tragol, mâle, et N., femelle, jeunes. Les peindre nus (cf. Nastassia). »

    Ils se tiennent par les épaules sur le canapé, ils se voient dans un miroir, Nastassia les peint à la lumière d’un spot. Derrière le dossier, une tenture leur masque ARRIGO armé d’un revolver à silencieux. ARRIGO observe leur reflet.

    Il attend que l’esquisse au fusain soit tracée.

    Tragol et N. (« Nouchka ») se retournèrent, ARRIGO, démasqué, se montra. Ils éclatèrent de rire. Nastassia prépara, parce que c’était l’heure, une salade de fruits de mer, avec du poulpe, au sépia. Les betteraves ajoutaient dans les sauces de petites îles violettes, un fort poisson gisait dans ces liquides.

    L’appréhension fit glisser les mains de Nastassia et la jatte s’écrasa au sol. Tragol, mâle, Nouchka, femelle, tous deux jeunes, aident au ramassage des débris.

    « Attention de ne pas vous couper ! »

    ARRIGO se fait traiter de comique au téléphone, par une voix parfaitement blanche.

    Il dit :

    « Mes proies m’échappent. J’ignore pourquoi je devrais les abattre. Je crois plutôt que : Rien.

    «  J’éprouve les tranchants de la jatte contre mes lèvres : si je presse, mon sang coulera. Nastassia pousse un cri ; je me suis entaillé. Elle suce ma plaie dont elle recrache le jus violacé.

    «  Je lis dans les journaux (poursuit Arrigo) qu’un groupe de forcenés (mâles), u crâne parfaitement rasé, se sont introduits mitraillette au poing dans une Institution Scolaire. Poussant la porte d’une salle de classe, ils ont menacé les élèves et leur professeur ».

    À cet endroit du récit (poursuit le Narrateur), les comptes-rendus divergent. Les uns disent que les Salopards ont arrosé l’ensemble, abattant les corps parmi les tables renversées, dans un bruit atroce. D’autres journaux affirment :

    - que le maître, se glissant le long du mur en direction de la seconde porte, a désarmé les Hommes par derrière et les a mitraillés avec leurs propres armes, jusqu’au bout du couloir.

    - que le maître s’est enfui, sans plus.

    - que le seul terroriste survivant serait parvenu dans le bureau de Sir A. Zery, président de sept sociétés fictives. Celui-ci aurait sévèrement réprimandé le  survivant pour le caractère expéditif du commando, mais ne lui en aurait pas moins remis une somme important.

    (« Cette dernière affirmation, dira ultérieurement Arrigo, ne m’a pas été communiquée par voie de presse et je me refuse à en révéler la source ».)

     

    XIX

    Martino, Quatrième Personnage de l’Histoire

     

    Il dit :

    « Il faut les supprimer tous les deux, ARRIGO et sa femme !

    «  Je crains que mon poids, mes bras courts, ne me permettent pas une efficacité maximale. Mais ce couple d’incapables revient chaque soir de nuit, à pied, en remontant la Lainzerstrae. Le fracas des tramways sera mon plus précieux auxiliaire.

    « La Lainzerstrae vire sans cesse à gauche, en montant. Les lumières y sont faibles.

    «  Le couple se faufile, l’un suivant l’autre, le long des murs, sur le trottoir rétréci. Ils rentrent tous les deux la tête dans les épaules, à leurs pieds la neige est silencieuse.

    «  Le couple prend des chemins de traverse : tout un système de ruelles à angles droits parmi les murs bas des maisons de plaisance, où se faufilent des passages enneigés menant à des jardins privés.

    «  Balançoires ankylosées par le gel, buissons. En bas des pentes s’ouvrent des portières de grillage, ils pourront s’enfuir, les rats : entre les bancs et les stères de bûches.

    «  La crosse glacée du Lüger me brûle la peau.

    (ARRIGO dit à NASTASSIA :

    «  Nous avons bien fait. Les chiens sont couchés, les propriétaires ont perdu les clés de leurs portillons. L’Autriche présente, au sein de son cadastre, des espaces rigoureusement inextricables.

    «  Tu feras ce soir un bon tour de cour avec ta carabine. Et puis, Nastassia, lis bien les petites annonces. Achète « Krone Zeitung » au premier Indien transi que tu verras dans les rues marcher à reculons à six heures du matin, entre les voitures, aux feux rouges sans chaleur. Ils touchent 1 öS par exemplaire vendu ».

    XX

    Roswitha, vieille, commanditaire supposée. Elle dit :

    « Je suis restée allongée huit heures de suite. Beaucoup trop pour mon âge. Des pensées noires sont venues. J’ai revu mon père, et sa fâcheuse manie de (…)

    « Je me suis retirée là, entre deux meubles, derrière les fenêtres sur sur. Patience. Patience dans le tumulte.

    Réflexion :

    « Les Empereurs de l’industrie, comment sont-ils fabriqués, à l’intérieur ?

    ...et et abruti d’Arrigo qui répète je veux me venger…

    - C’est vrai, confirme Arrigo. Et quel tort m’a-t-on fait ?

     

    XXI

    Roswitha, vieille et folle, parle de Martino, vieux nazi

     

    Elle dit :

    « Les tracts sont toujours sous l’armoire.

    «  Hier, réunion politique. Vingt personnes, âgées, ou des gamins. Je me suis assise sur une chaise très raide.

    « En 1945, MARTINO et moi plongeons à bicyclette dans les fossés, sous les alertes.

    - Vous allez vous faire tuer !

    - Oui, mais en plein air !

    « Les bombardiers battaient des ailes. Un jour ils nous ont visés. Nous avons ri tous les deux, sous les herbes au ras de l’eau, mourant de peur. Je me souviens aussi de la débandade des Hitlerjugend Bergmanngasse…

    « Hier Matino faisait son discours sur une estrade de classe. Il portait un ciré vert, déchiré d’en bas par un chien. Le bouton du milieu manquait. Martino manquait d’éloquence. Ses mains pendaient au niveau du sexe. Il les a regardées puis de sa main gauche il a saisi son poignet droit, pour l’immobiliser.

    « Le public suivait les mouvements de ses mains, tandis qu’il répétait : « Auschwitz n’est qu’un montage hollywoodien ; les victimes sont de faux disparus.

    XXII

    Arrigo, petit-gendre de Roswitha, brun, fou, parle

     

    « Nous sommes traqués. On a ENCORE frappé sur notre porte l’autre nuit : l’armature en fer tremblait sur le verre cathédrale ».

    « Il neige encore. Dans la cour, les déménageurs :

    ZIGEUNER U SOHN »

    « Nos meubles et nos caisses descendent le perron. Deux Yougo glissent sur leurs talons. Ils disent, dans leur langue :

    - Plus à droite. Lève. Attention.

    « Les Yougo portent des cartons cubiques. Ils respirent fort. Un troisième, invisible, dispose le chargement dans le camion. Les voici qui manœuvrent sous la voûte, nous quittons la cour du Heuriger.

    «  - Nous serons très bien chez mon oncle », dit Nastassia – quel oncle ?

    «  Il fabrique de la poudre. Quelque chose de tout à fait artisanal. Juste au-dessus de chez nous ».

    « Une vieille de vieille vient de crever, après trente-huit années de séjour. L’appartement est libre.

    «  Le camion passe la voûte. Le chargement mal arrimé balle dans les virages. Les Yougo s’arc-boutent : pavés, tramways, aiguillages. Par le bas du cul laissé béant, nous voyons des pavés pâtissés dans l’asphalte, la neige boueuse, les pare-chocs, les calandres. Nous sommes secoués dans la pénombre, accrochés aux meubles, avec des sourires contraints ».

    ARRIGO ne veut rien dire à NASTASSIA : il éprouve l’impression absurde absurde, mais très nette, que les Yougo les comprendraient, même en hébreu. Surtout en hébreu.

    Le camion s’est glissé en marche arrière dans une haute galerie traversière en stuc, qui le gaine, juste au-dessus de la bâche. La galerie débouche dans une arrière-cour.

    Vienne regorge d’arrière-cours.

    C’est là, dans des bâtiments opaques et bas, qu’on fabrique la Poudre.

    Juste avant la cour dans la galerie monte un escalier tournant. La rampe, en spirale, gêne les mouvements. Les coudes s’éraflent. Les Yougo ahanent, s’effacent, obséquieux.

    Le fils de Roswitha - !!! - porte une tête rousse, toute en poils. Les poings sur les hanches, il casse le cou, du haut de son mètre 55, pour nous voir trimer :

    « Si vous fumez, crie-t-il à travers sa barbe, ne jetez pas de mégots par la fenêtre!BOUM !

    Il se marre.

    Ce con.

    Les Yougo craignent leur employeur ; pourquoi faut-il donc que j’en frotte un, dit Arrigo, ventre à ventre ? » dans l’escalier à vis trop étroit ?

    ...Quand la vieille de vieille est morte, elle venait d’acheter une baignoire. Une baignoire toute neuve, rose, avec l’étiquette encore au fond.

    L’appartement est dégueulasse.

     

    XXIII

    MARTINO , vieux nazi corpulent, se confie

    Il dit :

    « J’ai vécu moi-même dans cet appartement, au-dessus de la poudrerie. Moi j’aimais bien ma tante. Il y avait la cave, où ces imbéciles se réfugiaient en 45 : la rampe de fer encore au mur pour descendre, et le couloir, sous la terre, sous la poudre, avec ses soupiraux étirés comme des yeux de Chinoises.

    « Au fond, c’était me réduit à brouette ; je la tirais dans l’escalier. Ce qu’elle pesait !

    «  Il y avait des portes en fer rouge, ouvrant sur des pyramides de gaines à cartouches. On n’entrait pas, à cause des rats. » (« der Rattten wegen »).

    « Et plus profond, trois autres caves.

    «  Une caisse à main gauche, remplie de sciure – trois tortues hibernantes bourrées là-dedans, énormes, j’ai déblayé la sciure avec les doigts pour dégager les carapaces. Les tortues sifflaient je me suis fait pincer.

    « La tante consommait ses confitures avec vingt années de retard : des rangées de bocaux sur les étagères pourries – il fallait tâter du bout de la petite cuillère – si le foie pince on jette tout. Le foie pinçait souvent.

    « Je les vois d’ici les deux Frantzouses quand il faudra remonter le charbon dans les seaux sans anses !

    « Je dois être le seul maintenant à connaître l’emplacement et la quantité de juifs du 17 mai flingués sous l’escalier pourri qui descend au cul-de-basse-fosse. Là où le sol est resté nu.

     

    XXIV

     

    Roswitha, vieille de Vienne, prétendue terroriste

    Elle parle :

    Autour de moi, 60 % de vieillards : VIENNE. Je veux sonder chaque vaisseau exsangue de ce grands corps, y découvrir quoi y rampe.

    Plus de 30 000 rues, suffisamment pour une vie – ma tentation, depuis l’enfance, de me mettre à compter, comme ce personnage de théâtre, un, deux, trois – jusqu’à l’infini.

    Je ne passerai pas, de mon vivant, la lettre G du répertoire…

    Après-midi d’automne. J’ouvre la fenêtre sur le pont Brigitte. Chopin hurle sur le tourne-disque ; il acquiert ainsi, dans le fracas de la circulation, une intensité insoutenable. Je colorie sur son papier toilé une grappe de raisins ; ce sont de petits crânes d’huile translucides.

    Cortot est mort avec trois pieds de fard sur les joues.

    Raisins délicieusement aigres, rues infiniment prévisibles, silences et chats traversant à pas lents comme des mains sur un clavier. Je peux entendre, sur le disque, chaque grésillement du repiquage.

     

    XXV

    Arrigo, espion, soliloque.

    Il dit :

    « Sans mission. Sans rien à vaincre.

    «  J’erre, de rue en rue. J’entreprends de lentes et systématiques explorations. Mes levers sont durs, le thermomètre intérieur stagne à 13, le feu s’est assoupi pendant la nuit.

    «  J’enfile ma robe, descends l’escalier coudé de la cave. L’air est glacé, les brumes chaudes du sommeil s’effilochent, il ne reste plus bientôt qu’un tronçon tiède au fond de mon ventre, vers l’aorte et la face interne des reins.

    « Je jette de grandes pelles de charbon dans un grand seau noir. Les fragments de combustible frappent le métal battu, les pas des Viennois matinaux glissent devant le soupirail asiatique. Je porte à deux mains comme un Saint-Sacrement la masse du maudit seau qui me scie les paumes.

    « Il faut reposer le récipient devant chaque porte, derrière chaque porte à ouvrir et à refermer. Il faut boucler tous les cdenas. Déjà les Officiants des Poudres, dans la cour, sont en exercice.

    « Ils me frôlent dans les couloirs sous les ampoules nues. La voix du Fils de Roswitha, petit barbu roux, retentit d’ordres aigres derrière une paroi de bois interrompue à vingt centimètres du plafond.

    « L’art autrichien par excellence : le recoin.

    « Je monte les étages en courant : si je me reposais, la coupure inférieure du seau m’arracherait un cri de douleur.

     

    Nastassia, brune, folle, compagne obstinée d’Arrigo. Elle parle. Elle dit :

    « C’est à moi de secouer la grille du poêle. Mon oncle, fils de Roswitha (le roux) s’obstine à dire « le four ». C’est le même mot en allemand : der Ofen.

    « Je vide les cendres. La matière grise monte en suspension, imprègne les narines, les cheveux. J’étage les papiers, le bois et le petit charbon. Puis le gros.

    « Le poêle (le four…) - s’éteint ou ronfle un peu au hasard. Nos mains à tous deux restent nores et grasses, nous nous nettoyons l’un à la cuisine, l’autre à l a salle d’eau, au-dessus de la baignoire vieux rose. L’étiquette est demeurée collée. Quatorze degrés ce matin. Petit déjeuner sur la table plastifiée, contre le mur, informations en allemand, entrecoupées parfois d’une voix d’outre-tombe :

    « Werbung » - « Publicité ».

    « Parfois quelques mots de français, si brouillés, si lointains... »

     

    XXVII

     

    Arrigo, sans emploi, médite

    Il dit :

    « Tous les petits matins, quand je me lave, et que la buée forme sur les vitres une pellicule décente, j’aperçois, au même étage, de l’autre côté de la rue, un ouvrier quadragénaire ventru et blanc. Il enfile son pantalon : le rebord des fenêtres ne me permet pas d’en voir plus.

    « Nastassia dit :

    - Tous les matins, je t’entends ramer ou piaffer sur le tapis de sol pour te former les muscles.

    «  Je réponds :

    «  - Il faut faire l’amour et monter les seaux de charbon ».

    «  J’ai trouvé à la cave, derrière l’étagère aux confitures, un message sans date, dans une enveloppe très épaisse et piquetée de jaune :

    «  - Voilà six mois que nous vivons là » - dit le message, « Thérésa et moi. J’ai 43 ans, et je ne « pense pas atteindre beaucoup plus : juste un fils à faire naître. Thérésa est de race noire, peu bavarde, et mal considérée. Elle craint le froid. La cave est sèche, sombre et glacée. C’est tout.

    - Il y a « c’est tout » sur le manuscrit ?

    - Oui. (Un temps). Crois-tu qu’ils sont enterrés dans la cave ?

    - Beaucoup de gens, répond, vivent sur des charniers. À Poitiers, en France, on a construit tout un lotissement.

    - Ne plaisante pas.

    - Je ne plaisante pas.

     

     

    XXVIII

    Roswitha, rousse et vieille, se secoue

    « Je connais une armurerie Benedikt-Schellingergasse.

    PREMIÉRE RUE TIRÉE AU SORT

    On ne refuse pas une arme à une vieille dame.

    Le magasin se trouve en haut de la rue, près des arcades de la Hïttelsdorfer.

    Il enveloppe l’arme dans un papier journal, comme un bas morceau de poulet. Il s’est penché de tout son buste au-dessus du comptoir, le ventre compressé parmi les crosses. J’ai enfoui dans mon cabas le pilon du Lüger avec mes Sellier subsoniques – de quoi flinguer 127 personnes – les maniaques notent tout – je vais distribuer les tracts nazis de Martino mon jeu sera subtil chaque victime

    sera choisie dans telle rue par Ordre Alphabétique mais abattue plus loin, après filature.

    Benez- (Jara-) gasse : qui était-ce ? < compositeur d’opérettes > - clé de contact – ce sera bien facile.

     

     

    XXIX

    Arrigo, à son tour

    Nastassia me prête son arme. Le crime, conséquamment, ne sera pas de moi.

    Le revolver pèse lourd au fond de ma poche 850g toutes les places assises de la Strassenbahn sont occupées, sexagénaires, septua- octogénaires, souffrantes et ventripotentes, la balle se noie dans la tripe.un

    Je suis resté debout sur la plate-forme arrière avec cinq ou six hommes de mon âge. Incongrus. De trop. Les hommes circulent toujours debout à Vienne. Ils se tiennent aux courroies. Nos corps masculins se heurtent dans les virages, pas un ne sent le Lüger dans ma poche.

    Il faudrait que je chante comme un enfant.

    « J’ai un revolver, j’ai un revolver…

    Je ne connais pas ma cible. Vingt mille öS à gagner.Un emploi sûr. Tout Vienne à traverser ; des

    vieilles qui montent qui descendent. Parfois un vieux avec sa canne ou son tripode.

    ...Tout à l’heure, j’avais vu déboucher sur moi la rame rouge sortie du brouillard. Je me suis engagé sur la voie pour prendre une photo-souvenir. Je m’en souviens maintenant. Il y a cinq minutes. Mon appareil photo pend à mon poignet gauche, au bout de sa dragonne.

    Une dragonne est une petite courroie.

    C’est un petit Nikon, il décrit un cercle à chaque secousse, comme un pendule.

    Le revolver est plaqué contre ma cuisse. Si je tirais, il me fracasserait la cheville, ou le genou.

     

     

    XXX

    Roswitha, vieille, dangereuse, armée

     

     

    Le Narrateur :

    Elle, Roswitha, échoua dans son entreprise. D’abord, le trajet de la Boschgasse à la rue Beneš était long, difficile.

    Les deux rives du Danube sont mal reliées.

    Roswitha vit de petits blocs de quatre étages, que séparaient de prétendus espaces verfs balayés de coups de vent. Devant elle, une Hongroise poussait un lourd landau

    Il n’y avait que la bordure des trottoirs, le sol restait meuble. Roswitha parcourut la Jara Benešgasse, le musicien. Chaque étage avait un balcon de ciment. Les locataires mettaient un point d’honneur à personnaliser leur balcon : sur le mur en retrait, un fer à cheval, un joug et un épi, une roue et un fer à cheval, un pot de fleurs. Une roue.

    Les pelouses formaient des plaques aux teintes indéci

    Porte 8, « Harowitz Beltram » - gitan ? Un paillasson : ce sont de braves gens. Roswitha s’aperçut qu’elle avait oublié son arme.

    Dans la voiture, à même le siège avant.

    Harowitz ouvrit la porte. Roswitha tenait la main dans son sac à main.

    Il crut que Roswitha venait mendier.

    « Excusez-moi, dit-elle. Je voudrais prendre sur votre balcon ce bel épi de maïs que j’ai vu de la rue.

    Les sourcils de Harowitzse contractèrent, mais il s’effaça : les vieilles dames sont respectées en Hongrie. Elle détacha l’épi de maïs et sortit en remerciant.

    Harowitz referma doucement la porte sur elle, et Roswitha, sur le palier, avant de descendre, s’essuya soignement les pieds.

     

     

    XXXI

    Nastassia, peintre, et le marchant (justement) de tableau

    - Connaissez-vous mes toiles ?

    Le marchand est un phoque et secoue ses bajoues poilues : « J’ai tout ce qu’il me faut : du Nolde, du Kokoschka, du Romako. »

    Il soulève à mesure les cadres au bas des murs. Chez lui, tout est laid : fauteuils en peluche rouge, tenture à rayures, toiles à touche-touche toutes époques confondues.

    Le marchand de tableaux transpire. Il reçoit en pantoufles :

    - Vos toiles choqueraient ma clientèle. De plus, ma clientèle ne serait pas assez choquée. »

    Un couple bien mis à présent s’avance. Le marchand signe un papier, le couple bien mis signe à son tour, la femme porte un tailleur Elisabeth II. Quand elle s’incline, pour se venger, Nastassia aperçoit une vilaine veine bleutée.

    Un domestique monte sur une chaise et décroche le tableau vendu : il représente un homme vert, qui tient ses boyaux dans ses mains :

    Introspection,

    d’après Egon Schiele.

    « J’ai beaucoup de toiles en attente, dit le gros homme. Je paie des impôts considérables.

    Le couple achète aussi, pour la cuisine, un vase de fleurs hollandaises, avec un papillon en trompe-l’œil.

    Nastassia prend congé, refuse le thé.

    - Ne vous fâchez pas, Madame… ?

    - …

    - Vous trouverez d’autres marchands… Dès que j’aurai une place libre… Apportez-moi un tableau un autre jour… Ils sont très jolis vraiment (l’air penché, avec la tasse et la soucoupe) – allez donc voir Untem de ma part…

    - Je m’en garderai bien, Herr Hyckner…

     

     

    XXXII

    Arrigo, demi-fou, squatter :

     

    « Je fais comme si j’achetais la forêt. Un morceau de forêt. Plus tard j’achéterai tout le reste.

    « Une partie plate, aménagée, préférée par les sots. L’autre montueuse. Broussailleuse. Dieu merci les touristes préfèrent les terrains de boules. Ma maison est au milieu des ronces.

    « Je resterai seul.

    « Libre, beau, riche et seul.

     

    XXXIII

    Nastassia, folle, peintre, se livre à des spectacles hasardeux

     

    « Rencontre atroce et simple sur la Benkgasse, courte et avortée en parvis d’asile : deux vieux de sexe indéterminé, soutenus l’un à l’autre, à peine capables de marcher, dans un seul manteau lâche d’où sort une canne. Démarche tremblante et les yeux vides. La vieillesse est la pire folie, une canne pour deux et le vide.

    « Si je suis folle, que ce soit par excès de raison, car je suis venue de très loin, pour cette rue qui tourne entre trois bancs de ciment.

    « Les deux silhouettes saccadées, comme elles se dirigent vers l éternelle noria des allées.

    « Le manteau gris qui flotte.

    «  Rue suivante.

    «  Roswitha m’a appris les vertus immarcescibles de l’Ordo Alphabeticus.

    «  Bennogasse. Hauts, très hauts bâtiments, moulures sucrées, boîtes à Viennois, suants, tanguant sur les trottoirs, le pied devant l’autre, sans cannes, sans luxations, ni rien qui retienne à la vie. Les filtres aplatis de Marlborough dans le caniveau sec. Étages jaunâtres, verdâtres, tous les « - âtres ». Au bout de la rue je repars sur le trottoir opposé, l’inversement de perspective n’apporte rien, c’est dans ces rues parfois que justement le drame se déclenche, l’enfant qui traverse, la voiture Corps Diplomatique, le crâne écrasé entre deux nattes blond sanglant, le père beugle achevez-moi et toute la compassion dégoulinant d’étages en étages…

     

    XXXIV

     

    Arrigo, espion, brun, fou, en des lieux puérils et faussement secrets

     

    «  ...Dans un quartier reculé de Vienne. Tous les quartiers de Vienne sont reculés.

    « Tables désalignées, plafond bas, des noms devant les hommes sur les tables : balayeurs, visseurs d’écrous, vêtus de bleus de chauffen plafond infrarouge. « Entre eux et moi, dans l’espace vide, les ouvriers déambulent. À l’aise. Où que j’aie vu des ouvriers, toujours à l’aise. Avec des mains noires, et la voiture au fond sur pont élévateur.

    « Je me suis rapproché du bureau (Büro Vier). Donc, les conversations me deviennent audibles, transcriptibles. J’ai froid malgré les rayons infrarouges.

    « Les verrières sont recouvertes, à droite, à gauche, de grands tissus aux couleurs de l’Autriche, de la Pologne (rouges), du Zaïre (bleu et jaune), du Brésil vert. Le soleil se couchant, le vert envoie sur tous et tout des taches d’affections cutanées. Le dialogue s’est établi, après installation, sur l’abondance des réfugiés nourrissez-les, Vous nous donnez trop peu, bien trop peu – zu wenig nach !

     

    « Mais nous ne pouvons pas les abattre ! »

    Le camp d’Emshaufen qui déborde.

    - Tous ces Polonais sont riches ! ils ont tous leur voiture !

    - Ils n’en tireront rien ici.

    - Ouvrez les espaces verts de Ketten.

    - Mais les vivres ? ...les tentes ?

    - Demerden Sie sich ! (dans le texte)

    ...du moment que Sandro touche son fixe…

    - On ferme ! On ferme ! Wir schliessen !

    Des ouvriers poussent des poutres métalliques sur des rails.

    - Herr Sartini ? c’est au fond.

    Une salle d’atelier aménagée en buffet. Les tables forment un grand U, sans apprêt : nappes négligées, plats de pommes de terre. Une annonce en polonais : « Les réfugiés de Krimphausen sont fiers de vous présenter les meilleurs mets, préparés pour vou ».

    - Un peu d’héro dans la sauce ? ..;c’est Amnesty qui fournit.

    - N’écoute pas ce ravagé.

    Arrigo Sartini voit une femme assise sur un coin de table, jambes écartées sous une grosse assiette de purée ornée de bougies d’anniversaire.

    « Je m’appelle Genova. J’aime la purée. »

    Il sait qu’il ne reverra plus la femme. C’est toujours comme ça dans la vie.

    Les traits de Genova ressemblent à ceux de Nastassia. Son nez lui plaît, long, fin comme une queue de goy. Elle dit :

    « La religion de mes pères, rien à foutre. »

    Elle souffle les bougies et engloutit le plat.

    « J’offre une Vyroubova ? »

    Genova accêpte, jette l’assiette en carton et les bougies dans une poubelle à ses pieds. Il passe lamain dans les cheveux noirs de cette femme. Il n’imagine aucun piège. D’un coup elle se recule, relève une mèche, ils se lèvent tous les deux en se rajustant :

    « J’ai une place pour la London de Haydn, viendrez-vous ?

    - C’est gratuit ?

    Il ne la reverra plus : Nastassia l’attend ce soir chez les… les…

    Comment se fait-il que nous puissions fréquenter – qui que ce soit ?

     

    XXXV

     

    Roswita, vieille, fille de diplomate, Viennoise

     

    Elle dit :

    - À soixante-huit ans, une femme n’intéresse plus qu’elle-même. Je marcherai tant que je peux. Ils vont bien voir si je ne « réinvente » pas les rues de la ville. Bensasteig : se garer Bergmanngasse, je monte l’escalier.

    « Essoufflée je débouche sur un fond d’impasse.

     

     

  • Réserves

     

    62 06

     

    Ce n'est que fort tard que j'ai appris - ô candeur de mes maîtres ! - qu'un mot grec ne pouvait avoir qu'un seul accent, sauf si un enclitique le suivait.

    Il a fallu que je le découvrisse moi-même. C'était « évident », chers professeurs. Ben voyons. De même qu'il était « évident » que le do, le ré, possédaient chacun leur fréquence : c'était « évident ». Pour moi, « do » pouvait aussi bien être n'importe quelle note, puisque de n'importe quelle note on pouvait, effectivement, faire partir une gamme... dont la première note ne pouvait être qu'un « do », arbitrairement ! J'ai passé de onze ans jusqu'à vingt ans à ne pas pouvoir comprendre ce système des gammes, de do, de ré, de mi.. Dans l'impossibilité donc de faire la moindre dictée musicale, où mes seules notes justes étaient celles qui étaient fausses, par étourderie. Car je faisais des efforts, je vous le jure. Mais voilà : les hauteurs des notes, c'était « évident ». Un seul accent par mot grec, c'était « évident ». Pédagogues de mes couilles...

     

     

     

    62 11 11

    Seigneur accorde-moi juste un vers, une expression qui puisse 'm'immortaliser, “les moutons de Panurge”, “l'œil du maître” "daffodils" : car ce n'est que par là que l'homme survit, juste un fragment de phrase.

    Il ne me reste plus le temps que d'inventer, de découvrir, une simple formule qui me rappellerait,.

    chat,chou,snow

    A présent l'écriture me fait ressentir. Prenez leçon de moi, écrivains ratés.

     

    62 11 19

    .D'autres qui découvraient l'existence d'Aix-en-Provence, ou du Puy-en-Velay – sauf une : “Ah oui ! J'y suis allée en vacances !”Alors Jeanne d'Arc, pffff ! Cette foutaise...

     

    62 11 22

    Il nous en vient d'ailleurs tant d'autres (« Tu te sers, Viêt”, à un copain de Saïgon, dont la sœur (pourquoi pas) répétait « moi j'écarte et tu enfonces” - volontiers ma foi : il s'agissait de forcer entre deux mâchoires de pince les deux plaques d'un sous-verre...)

    62 12 04

    Bonjour.

    Je souhaiterais vous renvoyer l'article dont le n° de facture est le 9267236, mon numéro de cliente est le 503 556 20, mon adresse est A. Malheureusement, le relai "O" ne consent pas à vous renvoyer le paquet en cause, disant qu'il lui faut une icône de type "smartphone" (appareil que je n'ai pas) afin qu'il puisse cliquer dessus. Je trouverais dit-il ce symbole "en regardant sur internet". Or, en explorant votre site, il m'est impossible de repérer une telle icône (ou une "clé"). Malgré les documents en ma possession et que je présente, rien ne convient, trois fois de suite, et le délai de rétractation se trouve atteint. Pourriez-vous me préciser ce que je pourrais faire.

    Avec mes salutations les meilleures.

    A Téléphone7.

    62 12 07

    Le monde est comme ça depuis la nuit des temps et sera comme ça jusqu'à la nuit des temps. Parce que la seule vérité, la seule de chez Tout Seul, c'est qu'un jour ou l'autre on va tous CREVER. Alors on fait tout ce qu'on peut pour ne pas y penser, car un monde habité par la VERITE serait un asile de fous où tout le monde hurlerait d'horreur. On prend donc un peu de hauteur, au lieu de débiter des vérités à deux balles. Tenez, moi, par exemple, je ne me gêne pas pour vous faire de la métaphysique à deux balles.

     

     

    61 08 30 (?)

    C'était encore le temps où nous descendions la rue Paul-Louis Lande pour déboucher sur la faculté des Lettres, qui fut transférée trois ans plus tard, progressivement, au centre des terrains vagues talençais. Les bus en direction du campus grouillèrent. Puis nos étudiants se motorisèrent : tâchez-voir de trouver une place libre dans les parkings, à l'Université Michel-Montaigne : les roues trébuchent sur les racines au pied des grands arbres plantés là pour faire joli, et qui ne tarderont pas à encombrer, pour peu que les édiles s'en mêlent, ou s'emmerdent.

     

    62 01 17

    Exactement ce que j'avais demandé à mon directeur de maîtrise, qui fut nommé à Lille. Puis je me suis rendu compte que potasser une maîtrise se faisait au petit bonheur la chance, et que le prof se contrefoutait totalement de vous suivre dans vos travaux : l'étudiant français travaille sans filet avant de se planter devant un jury d'inspecteurs de travaux finis.

    Alors j'ai calé. Mais non sans une nostalgie tenace pour tout ce que cette préparation de bientôt 40 ans m'aura permis de côtoyer

     

    62 01 29

    Je préfère alors renoncer à la liberté, car la tyrannie me manquerait trop (pour l'exercer). Maintenant, qu'on l'exerce sur moi, pas de problème, j'ai d'ailleurs toujours plus ou moins eu l'impression d'en subir. Les frontières dues à la liberté d'autrui sont trop subtiles, mouvantes d'un individu à l'autre et même d'une heure à l'autre. Respecter la liberté d'autrui, c'est se soumettre je ne dis pas à la tyrannie mais au moins à l'arbitraire, aux caprices, aux humeurs d'autrui, c'est chiant comme la mort, c'est se fatiguer toujours à jouer au funambule, parce que personne ne respecte exactement l'autre comme l'autre voudrait être respecté, on appelle ça "les rapports humains", ça fait chier, et j'ai autre chose à foutre, alors j'évite les autres le plus possible. Tout le monde n'a pas l' "instinct" des frontières, on m'a toujours engueulé pour mes gaffes, alors je me replie, je parle à 4 ou 5 gens et à mes fournisseurs, et ceux qui ont le sens des relations humaines eh bien tant mieux pour eux, quant à moi j'ai assez gigoté sur mon fil en faisant le guignol et en me cassant sans arrêt la gueule, alors maintenant stop, rideau, walou, point barre.

     

    62 02 09

    Mme Thérèse n'a sans doute jamais vu de film porno : ce sont toujours les femmes qui font les avances, et jamais je n'ai vu de violences. C'est un vrai paradis : des femmes qui veulent, et qui ne prennent pas les hommes pour des salopards violeurs et vicelards. Donc des films très éloignés de la réalité. Mme Hargot, dépassez donc le générique, et cessez de prendre les hommes pour des porcs et des bourreaux. De toute façon maintenant j'évite les femmes le plus possible, et je ne m'en porte pas plus mal. Vous avez gagné, Vous êtes (re)devenues carrément dissuasives,moralistes, puritaines et repoussantes. Vous nous méprisez. Au moins comme ça vous êtes libres. Eh bien, pour votre gouverne, nous aussi.

     

    Si vous souhaitez récupérer le contenu de votre blog, allez dans l'administration du blog, puis dans l'onglet "tableau de bord" puis dans l'onglet "outils" et cliquez sur "exporter".

    Vous recevrez ensuite un email sur l'adresse du compte de blog.

    Dans cet email envoyé par "sudouest service" vous avez un lien pour télécharger l'archive de votre blog, avec l'avertissement suivant : "Une fois le fichier téléchargé, nous vous invitons à décompresser l'archive avec le logiciel de votre choix (7-zip par exemple). Pour consulter votre blog en mode "déconnecté", ouvrez simplement sur la page "index" se trouvant dans le dossier décompressé."

    Il s'agit en fait d'une copie de votre blog que vous pourrez regarder sur votre ordinateur, même en étant déconnecté d'Internet.

    ...C'est on ne peut plus clair. Vous n'avez rien en caractères hébreux ?

    ...

    avez-vous observé combien l'agglomération bordelaise s'étend désormais très exactement autour de son cimetière ?) - 63 02 26

    63 03 24

    La "table du temps et des fêtes mobiles" sur mon missel ne va pas au-delà de 1960, considéré sans doute en ce temps-là comme le comble de l'avenir, au-delà duquel il eût été dangereux, indécent, de porter l'esprit.

     

    Je m'en fous de la Grande Librairie. Djian n'est capable que de sortir des conneries niveau Sud OUest Dimanche ("rendre aux autres ce que j'en ai reçu", on dirait le curé de ma paroisse). Les autres ne sont que des parvenus convenus devenus cons. Des écrivains qui fabriquent du pâté de campagne pour Carrefour. Et que je te vante ma petite cuistance, et que je te fais le modeste, et que je ramène ma petite tronche de gonzesse à claques... La semaine précédente, c'étaient Onfray et Lucchini, alors "Plus dure sera la chute" comme ils disent. Mais vraiment, quand je vois ces énergumènes de la platitude, je ne me sens pas, mais alors pas du tout écrivain. Pourtant je le suis, dans mon fond de tiroir. Seulement, ceux-là ne sont pas de ma bande. Ma bande à moi tout seul. Et zobi cake.

     

    Travailler quinze heures par jour, je ne vois pas en quoi ça forme l'esprit. On a juste le temps d'aller chier et de courir se coucher. Les médecins, les hommes d'affaire, et autres, font des métiers passionnants, je ne dis pas. Mais 9 métiers sur 10 sont ultrachiants, tu passes ta vie à gagner des clopinettes pendant que le patron et les sous-chefs n'arrêtent pas de t'engueuler parce que tu ne vas pas assez vite. Alors un avenir de zombie comme ça, la jeunesse n'en veut pas. "Le travail" n'est pas une valeur en soi. Merde alors.

    H72f0c36baa1608a164b9b5d06e6c21ef.jpgaka

     

    Ka mate, ka mate! ka ora! ka ora!

     

    Ka mate! ka mate! ka ora! ka ora!

     

    Tēnei te tangata pūhuruhuru

     

    Nāna nei i tiki mai whakawhiti te rā

     

    Ā, upane! ka upane!

     

    Ā, upane, ka upane, whiti te ra!

     

    Vais-je mourir, vais-je mourir ! Vais-je vivre vais-je vivre !

     

    Vais-je mourir, vais-je mourir ! Vais-je vivre vais-je vivre !

     

    C’est l’homme aux cheveux long

     

    Qui est allé chercher le soleil et l’a fait briller à nouveau

     

    Je marche vers le haut, je marche à nouveau !

     

    Un pas vers le haut, un autre… le soleil brille !

     

    J'aime pas les anniversaires j'aime pas les gens j'aime pas mes amis j'aime pas ma femme je m'aime pas j'aime pas le suicide. Alors je couche avec ma femme je reçois mes amis je fréquente des gens je souhaite des anniversaires, et quand je me regarde dans la glace je me tutoie. Quand même. Et toujours pas de suicide, tiens, là, ça ne marche pas. Et à force de se faire enculer, on y prend goût, on se met à aimer la vie (car la vie n'est qu'un grand boyau anal), et l'un dans l'autre on se démerde, oui, bon, c'est c'lààà ouiiii, et si je me tais ça ne dérange personne, ILS continuent à discuter sans moi, et même, de choses intéressantes, qui ne sont pas moi, ce monde me surprendra toujours.

    14 05 16

     

    non, la culture n'est pas en recul. Ce sont les projecteurs qui se braquent toujours et de plus en plus sur les plus cons. Nous avons toujours été une minorité, une ELITE, parfaitement, je répète une ELITE. Dont 99% des "gens" se foutaient et se sont toujours foutus. Mais qui ont fait l'histoire du monde.

    21 05 16

    - je me demande si cette famille Norel ne serait pas descendue d'anciens juifs, d'où leur piété ostentatoire ; je me souviens que tout le monde avait récité la prière avant de se coucher, à genoux sur les tommettes roses de la cuisine ; après quoi j'étais allé coucher avec mon camarade, et nous avions échangé fait sous les draps des concours de pets. Ensuite, j'avais dû me relever en pleine nuit pour vider sur le fumier le contenu d'un pot de chambre plein à ras bord, croupissant depuis des jours sous la grande armoire ; impossible de se rendormir vu la puanteur intacte -

     

    Les maîtres à penser de Nuit debout sont des bolcheviks d'occasion, des Che Guevara bas de gamme dont la vraie passion n'est pas la liberté mais la servitude. S'ils arrivaient au pouvoir, ils commenceraient par enfermer tous les opposants dans des camps, ce que le communisme a su faire de mieux. La radicalité est toujours une preuve d'impuissance. Ils sont archi-minoritaires et ne représentent rien.''

    - Pascal Bruckner - A NOTER 21 MAI 16 FAIT

    Je ne suis peut-être pas génial, même que je viens d'annuler d'un coup de pouce huit lignes extraordinaires surtout question modestie. Mais enfin j'aimerais bien que la fermeture sans cesse repoussée de ces blogs privés stoppe ses effets délétères : une connexion, zéro, une, zéro, c'est un peu trop binaire tout de même, au point de ressembler à l'électro-cardio d'un agonisant, ou à l'électro-encéphalo de Ribéri. Nous étions nombreux à demander la glaire, euh la gloire, alors ne nous déceptionnativisez pas. Vous êtes déjà nombreux devant la Phynale, à humer les relents d'aisselles moites, de crampons terreux et de couilles écrasées. Bientôt vont retentir les harmonieux "Paris, Paris, on t'entube !" ( oui, bon, il y a des enfants sur la toile), je regarderai une mi-temps, sur mon ordi de bureau, comme ça ma femme ne viendra pas me ferche. Allez, bande de mégalo, joyeuse joie de vivre, et revenez me donner la joie de donner. Je m'en fous de mon nom, il ne me plaît pas, j'aurais préféré Tartempion ou Crachouillard. Monsieur et Madame Tête-en-Feu ont une fille, comment l'appellent-ils ? Macha. Je vous laisse réfléchir là-dessus.

     

    Hardt Vandekéén von Kohn, Graf von Hüttelsdorf und Barstatt-Mandegen. Sieg, ZOB! Sieg, ZOB !

    • Croyez-moi, quelque amour qui semble vous charmer,
    • On n'aime point, Seigneur, si l'on ne veut aimer. Burrhus, I, 1 de Britannicus A NOTER 63 05 22 F ITR

    Bataille, comme Foucault; comme Baudrillart, comme Barthes, m'ont toujours profondément indifféré. Ce sont des philosophes qui parlent qui parlent qui parlent. DE quoi, on s'en fout, ils s'en foutent, ils ronronnent comme un chauffage central, ils pourraient parler de la cachexie des bêtes à corne ou du céleri rémoulade, je m'en fous, ils s'en foutent, ils font du bruit, pas la moindre passion, pas la moindre personnalité, ils font cours, parfaitement interchangeables, ils répandent la poussière, on ne sait pas ce qu'ils pensent au juste, eux non plus, quand ils ont fini on referme son classeur, on secour sa poussière et on va au bordel.

     

     

    La procédure d'export est simple. Le blogueur peut exporter son blog en se rendant dans la rubrique "Outils" de l'onglet "Tableau de bord". 

    Cliquer sur la demande d'export

    Vous recevez AU BOUT DE QUELQUES HEURES un mail (à l'adresse indiquée dans l'onglet "compte", si ce n'est plus la bonne, il faut la changer avant de faire la demande d'export)

    Cliquez sur le lien reçu dans votre boîte mail et téléchargez l'archive. Elle est compressée, il faut la dézipper (généralement vous avez un outil pour cela sur votre ordinateur) dans un dossier que vous créez (généralement, il suffit de faire "glisser-déposer" le contenu du dossier d'archive vers le nouveau dossier). Pour accéder ensuite aux données du blog, double-cliquez sur le fichier "index.html" qui ouvrira votre navigateur (même hors connexion).

    Il est nécessaire de préciser que cet export contient une archive de tous les contenus et media / fichiers publiés sur le blog et sont restitués dans un format ZIP. Ce format n'est pas ré-importable sur un autre outil du marché mais peut être conservé sur votre ordinateur et consulté même hors connexion, même quand le blog n'existera plus. 

     

    Si vous souhaitez des précisions, merci de me contacter à :

    jm.leblanc@sudouest.fr

     

     

    63 6 27

     

    Tiens, je m'en fous totalement de cette fermeture inique (sa mère) sur la plate-forme Sud Ouest. Rien ne sert à rien puisque de toute façon vous devez mourir, on connaît, j'en ai fait mon pain sec de tous les jours. Mais j'aime aussi la devise de Sarah Bernhardt : "Quand même !" que mon grand-père meusien prononçait "quante même). Que feriez-vous si vous étiez en train de jouer à la balle et qu'on vous annonçât la fin du monde dans vingt minutes ? Question posée à St Louis de Gonzague : "Je, dit-il, continuerais à jouer à la balle". Ce "Je, dit-il", n'est-il pas admirable ? Ledit saint mourut à 22 ans dans l'extase pour ne pas dire dans l'éjaculation. A chacun sa connerie la mienne c'est de continuer coûte que coûte, même si j'ai manifesté une grande passivité, car la passivité "pour avoir la paix", la "lâcheté" si souvent dégainée par des  crétins qui  ne vous arrivent pas à la semelle (à se demander de quoi Allah se mêle), eh bien ça se paye, comptant, très gros, très douloureux, au moins autant que toutes ces merdes à couilles qui vous balancent sans se gêner leur propre exemple à la gueule, en toute modestie. J'ai appris une chose, moi qui me suis toujours comporté comme tout le monde, c'est-à-dire comme un génie méconnu dont on s'arracherait plus tard les documents biographiques, c'est qu'il suffit ("y a qu'à, faut qu'on, vrai con) de laisser parler sa personnalité ou faute de mieux sa personne, et alors, alors mon pote, tu peux écrire tout ce que tu veux, ce sera bon de toute façon, parce que ce sera toi. Turanzin. Car il ne suffit pas d'être refusé par tous les éditeurs pour être excellent. Et je m'arrête, parce que je vais dire des conneries. CETTE PHOTO EST DE VINCENT PEREZ. LE DANSEUR QUI SAUTE, LE PHOTOGRAPHE N'A PAS COMMUNIQUE SON NOM. IL EST RUSSE ET VIT TRES LOIN D'ICI, PERSONNE N'EN A RIEN A FOUTRE.

    XXX 63 07 01 XXX

    63 07 02 l'incapacité de l'auteur, y compris dans sa vie personnelle et sociale, de consentir au moindre effort pour instituer des relations dites « efficaces ». « J'y suis bien arrivé », « Comment on a fait nous autres » - eh bien, ramassis d'ignares, lorsqu'on a bien une fois pour toutes constaté que tous ses efforts ou prétendus tels ce qui revient au même aboutissent rigoureusement au même résultat, à savoir infinitésimal, on laisse tomber, je laisse tomber. Immaturité ? Parfaitement. Paranoïa puérile ? Oui. 63 07 08 noter : shakespeare fait

    We are such stuff
    As dreams are made on; and our little life
    Is rounded with a sleep.

    The Tempest Act 4, scene 1, 148–158



    63 07 13

    Et qu'on m'ôte donc ce disgracieux scrotum, ce fétu ridicule - coupez ! » - au nom, disait-il, des promesses non tenues - les femmes, que je sache, n'ont jamais rien promis. XXX 63 08 01 XXX

    Dans un bar de Bagnères-de-Bigorre j'observais un jour un ancien para qui paradait au bar ; il tenait en laisse eût-on dit un petit homme de son âge, qui buvait ses paroles, suivait ses regards avec la dévotion dévorante d'un véritable chien, prêt à bondir à la gorge de quiconque sur le moindre signe de son maître.

    Il y avait là quelque chose de bouleversant, d'insondable, et de profondément pitoyable. Je pensais aussi à ce Philippin asexué, chevalier rampant, Anaclecto (Reflets dans un œil d'or) : soumis, servile, adulé comme un chiot familier ; de tout le film je demeurai fixé sur ce second rôle où je m'identifiais sans distance ni restriction, au détriment de l'intrigue essentielle, que j'estime encore inimaginablement invraisemblable. Bonheur hypnotisant de la cette intense soumission. De cette garde extatique en piteuse déroute devant la folie meurtrière - je n'approchais pas d'une telle extase. J'étais grand, lourd, blanc. Le jour où mon ami Landry, calquant toutes mes expressions à m'en exaspérer, m'avait mystérieusement traîné derrière les chiottes pour m'exhiber son petit bout de chair grêle et visqueux, je m'étais esquivé sans un mot dans la gêne la plus extrême ; pourtant nous avions tous les deux treize ans.

    Jamais nous n'avons par la suite évoqué cette erreur. Mais se rouler dans l'herbe comme un chien ventre à l'air devant les cousins Gine que je trouvais beaux (morts alcoolos côte à côte au cimetière à St-Lys), je l'avais fait. Déculotter Jean-Guy Rabot dans le fossé pour le sucer, je l'avais fait. Les garçons de mes classes auraient décelé sans faillir ce désir non de sexe mais de soumission. Seule une extrême connaissance de soi doit toujours corriger la vocation, et sans relâche y présider.

     

    63 09 06

    Quand je vois tous ces ingénieurs hautement diplômés qui se précipitent généreusement sur l'Europe pour résoudre le problème du chômage, j'en ai les larmes aux yeux.

    XXX 63 09 10 XXX

     

    63 10 10

    Bientôt nous allons élire les présidents en fonction de leurs coutumes sexuelles. On n'a qu'à faire comme l'empereur Héliogabale : il mettait devant lui à poil tous les candidats à de hautes fonctions, et il choisissait celui qui avait la plus grosse. Comme ça tout sera résolu. Et pour les femmes, on prend le tour de nichons. Et allez hop !

     

    Je suis désolé, l'Education Nationale ne fait pas EXPRES d'orienter les élèves en fonction de leurs résultats. Les matières dites "bourgeoises" sont des matières fondamentales, et quelqu'un de nul qui ne veut pas travailler n'aura qu'une "mauvaise" orientation. Ou alors, on étudie aussi d'autres matières, mais sans culture générale. DONC, une orientation pour ceux qui ne savent rien de culturel. J'ai fait 39 ans de "conseils de classe", et JAMAIS nous n'avons orienté QUI QUE CE SOIT en fonction de son origine sociale. Mais à 4 en maths et 2 en français, forcément, on ne devient pas PDG. C'est quoi, ce mépris des "petites professions" ? Un maçon, c'est plus con qu'un ingénieur ? Un jardinier, plus crétin qu'un notaire ? L'Education Nationale fait son boulot, il faudrait que les journalistes arrêtent depuis 40 ans de tirer dessus à boulets rouges avec des griefs parfaitement ineptes. Après, les parents embrayent et répètent à leur enfant que ce qu'ils apprennent c'est de la merde "bourgeoise" qui "ne sert à rien". Ensuite, ces élèves-là sèment le bordel en classe et prétendent qu'ils ont de mauvais profs. Y en a marre de l'hypocrisie. C'est la vie qui fait le tri, si ce n'est pas les profs d'abord, c'est le patronat, et un coup de pied au cul, un !!

    55 02 01

     

    Mais moi, l'auteur, l'indécent, dont l'intervention ici même est le comble de l'indécence, je suis passé directement de ma campagne axonienne (de l'Aisne) à Tanger, urbaine, exotique, sans rien de commun avec Paris. Enfance à la campagne, adolescence marocaine. Ni paysan, ni Pied-Noir, auparavant changeant de village, extérieur à tout, vivant reclus chez ma grand-mère, et les fils du fermier – puis, d'un coup, filles espagnoles et juives de Tanger, sexe et nombril, seul.

     

    le brequin vit avec la brequine dans une petite grange a flanc de montagne----il y neige depuis hier et on ne le reverra caracoler au bord des torrents que lorsque reviendra le printemps avec le retour des oies sauvages----le brequin en profitte pour brequiner joli et refaire son poil d'hiver et la brequine pour tricotter coudre tresser la paille en faire des paniers et des chapeaux pour quand viendra l'été----ils dorment plus longtemps car avec  le changement d'heure et la neige qui a cassé les poteaux électriques il n'y a plus de courant dans l'étable------en plus il a perdu sa carte bleue et n'a donc plus un sou pour faire venir les dépanneurs ou s'acheter un groupe électrogene--------encore???????????????? (Françoise D.)

     

    Descriptions "en l'air", sans illustrations. Comme un match de football à la radio, et ça marche encore très bien. Vous imaginez. C'est précis, c'est vivant, et je donne mon avis de façon outrecuidante. Et ce n'est pas long. Allez-y.

     

    64 01 31

    Elle s'en va : « Ciao, bonne émission » avec un accent néo-aztèque à couper au couteau. Voir un homme s'escrimer sur un cahier n'incite pas à la conversation. Je veux une efficacité immédiate. « S'intéresser à elle » ? Navré. Je ne sais plus si je souffre ou si j'en prends mon parti. Les « moi » seraient donc successifs ? Voyons voir comment les moi sont. Ma cohérence est donc : « Moi, vivre ? Ça va pas non ? Avec tous ces risques ?

    Plutôt rester morpion, plutôt toute sa vie, râler contre le monde entier. » - est-on naturellement introverti ? ¿ Mexicana, me quieres ? De l'intérieur de ma voiture, et vitres relevées, je demande cela aux femmes que je croise sur les trottoirs. Et je me réponds en chantonnant sans fin, sur l'air de Papa maman la bonne et moi : « T'es vieux t'es moche t'es con tu pues / Tu crèves t'es vieux t'es moche t'es con... », etc... Donc: j'ai eu peur. Mais : l'ai décontracté surtout, l'air de s'en foutre, consentir à perdre mon temps, à ne pas « faire mes devoirs » pour Papa l'Instite, il me reste à tourner en troisième personne pour composer le personnage. XXX 64 02 5 XXX

     

    64 02 13

    Mon épicier arabe m'appelle « chef ». Moi, jamais je n'oserais appeler qui qui ce soit « chef » (malgré mon gendre qui m'a dit que tous « ces gens-là » nommaient « chef » les personnes qui leur semblaient sympa). Il m'a toujours semblé à moi que c'est l'expression du plus grand mépris, et il m'est arrivé si souvent de prendre publiquement des tronches de chien battu que je me demande pourquoi les autres en ont ainsi profité, au lieu de m'avertir fermement de reprendre, sur les traits de mon visage, mes esprits, ma dignité.

     

    64 03 03

    N'importe quel candidat peut être accusé de n'importe quoi. Moi-même, si n'importe qui fait une enquête sur n'importe quoi, je puis être jugé justiciable de quoi que ce soit. Le monde est UNE NOUVELLE DE KAFKA. Je ne crois pas à la justice, quelle qu'elle soit, de quelque époque ou de quelque pays que ce soit. Exemple : j'ai le nez au milieu de la figure ; or, un nez ressemble plus ou moins à un pénis. Des enfants peuvent le voir en pleine rue. DONC n'importe qui peut m'accuser de pédophilie, et il se trouvera toujours quelqu'un pour le faire, surtout si je suis candidat à la présidence de la République. Fermez le ban.

     

    64 03 23

    La Grande librairie, toujours aussi fausse et banale. L'enfance comme pureté... Je me suis toujours senti sale, double, insincère, d'aussi loin que je puisse remonter dans l'enfance. Toujours l'impression de ne rien faire ou dire de ce qu'il fallait, et pire, toujours l'impression que je ne pensais pas, que je ne sentais pas ce qu'il fallait. Croyez-moi, c'est atroce. Et ça ne m'a jamais quitté. Et en plus, certains connards viennent me dire que je l'ai fait exprès, et que je ne vais tout de même pas me mettre à me plaindre. FUCK YOU ALL.

    ILV, 64 05 04

    Madame, Monsieur,

    Un nouveau ticket vient d'être créé.

    Vous pouvez le consulter à l'adresse http://www.inlibroveritas.net/ticket-public.html?open=kpWXZA%3D%3D.

    Si vous avez des questions, consultez notre FAQ http://www.inlibroveritas.net/faq.html

    12 05 17

     

    Bon, encore une interdiction. Pas les Noirs, pas les Belges, pas les pédés, pas les bonnes femmes, pas le gouvernement, pas le pape, pas les vieux, pas les esquimaux, pas les enfants, pas papa, plus rien, on ne rigole plus, du tout du tout du tout. C'est vilain de rire. C'est pas beau. Ca fait de la peine. Bouhouhouhou. On va tous chialer, et après, eh ben on se foutra sur la gueule au nom de la morale et de la pitié compassionnelle.
    . Pas les chiens, pas le sexe, pas les oiseaux, pas la merde, pas Dieu, plus rien on vous dit, plus rien plus rien plus rien. Merde ! Putain ! Chiottes ! Cul de curé, pine d'ours et bonne d'enfants !

     

    64 6 3

    aller sur moteur de recherche DERNIERE HARKA ... pour sauter comme eux faut du poil au .. et bien entendu du poil aux f... oyez gentilshommes qui sont ces manants etc ...
    ou alors ELOGES DU PARA www. apophtegme .com
    ou héritage/symbo4 camp d'idron c'est le lieutenant R.MAIRE qui avait adapté ce chant de la légion .. sur la route près d'un vieux chène , pour sauter comme eux etc ... hémanridron.com paroles paillardes ..
    Amitiés MCM

    Écrit par : MARECHAL | 30/05/2017

    3 juin 2017 ilv, présentation du « Péché de chair ».

    Ce qu'il advient lorsque des machos sans énergie veulent faire de leurs maîtresses des créatures sans volonté propre.

     

     

    30 09 2017

    Je constate depuis plusieurs années que le moindre universitaire auteur d’une thèse poussive se voit désormais ouvrir largement les portes de l’édition dite savante, alors même que plus aucun écrivain contemporain ou presque ne serait capable, et ne parlons pas de dignité, d’évoquer l’œuvre d’un de ceux dont il a hérité. Qui voudrait d’une préface de Yannick Haenel sur Melville, ou d’un texte de Mathias Enard sur Balzac ? Pas moi ! ASENSIO, noter

     

    64 10 04

     

     

    Quand j'étais gosse je voulais me libérer de mes parents, et mes rêves étaient de déclencher une guerre mondiale. Puis en grandissant je le suis aperçu que tout le monde était contre moi et me mettait des bâtons dans les roues parce que j'étais un peu bizarre et même complètement dingue. A présent j'ai compris que je me prenais pour un aigle et que je n'étais qu'une poule ou le roi des cons. Alors qu'on arrête de nous bassiner avec des histoires à la graisse de kangourou. Parce que les aigles, de là-haut, eh bien ils vous chient dessus.

    64 11 04

    64 12 27

     

    Mon agence immobilière exigeait une indemnité après désistement, et je prétendais au téléphone qu'on m'avait volé mes papiers d'identité ; ils veulent me voir en personne, je réponds que je pars au Nicaragua (incohérent d'ailleurs : comment aurais-je pu, sans papiers ?) ; puis c'était mon propriétaire à Rostren, ce gros plein de barbe, qui entendait se faire payer pour un mois de plus (j'étais parti sans préavis), demandant à mon principal de me retenir mon loyer sur ma paye !

     

    Hélas, pour un Camus il y a cent crétins fils du "poheuple" qui foutent le bordel dans la classe en empêchant les autres de bosser, voire en l'empêchant de le faire parce que c'est un lèche-cul du prof. Les "enfants de pauvres" sont persuadés que"ça ne sert à hhien " de faire des études et qu'il vaut mieux se mettre à trouver un boulot au lieu d'aller flemmarder à la fac. Quand on n'a pas les bases on n'a pas les bases point barre. C'est une fatalité, parce qu'on n'a pas les documents sous la main d'une part, parce qu'on hérite d'une culture qui nie absolument la nécessité du savoir, et qui emboîte le pas derrière tous les contempteurs de l'enseignement qui aboient et chient sur tous les profs qui sont tous des crétins par principe. Je suis pour le retour au préceptorat, et pour ceux qui ne le peuvent pas, il y a le téléenseignement qui marche très bien aux USA et en Australie. Sans qu'on ait besoin de passer la moitié du cours à empêcher les fils du peuple de se bagarrer entre eux en faisant le plus de bordel possible. Quelqu'un qui veut s'élever dans la condition sociale doit d'abord s'isoler et bosser. Mais aller dire et répéter que la salope d'Education Nationale et les pauvres cons de profs FONT EXPRES de perpétuer l'ordre établi sont des criminels de la pensée.En sport, il y a les premiers et les derniers,quelle que soit la façon de s'entraîner. Pour le sport, on trouve ça très bien. Pour l'éducation, c'est l'abomination de la désolation. L'éducation procède par "élimination", et alors ? comment voulez-vous faire autrement ? Il faut mettre 18 à tout le monde au nom de la démocratie ? Il faut délivrer des diplômes de math sup à des prétentieux qui ne savent même pas faire une division ? Et je ne parle pas de la littérature, qui ne sert mais alors là absolument à rien de rien ! Il y a 95% des gens qui refusent la culture sou prétexte que c'est la "culture bourgeoise" - mille excuse, je préfère Mozart à Mireille Mathieu et Voltaire à Cyril Hanouna.

     

    3 1 2018

    C'est vague comme la mer ce que tu réponds. J'estime que tout le monde sans exception prend exactement les mêmes risques que le voisin, et que si on ne risque pas sur un plan, on risque sur un autre. Simplement, les uns exhibent leurs risques et les autres risquent sans le montrer. Un fonctionnaire pépère risque autant, en ennui, en monotonie, en vie conjugale, en soucis financiers, avec ses fils qui se droguent, que Untel qui grimpe sur l'Himalaya. A la fin on meurt tous, et c'est le risque supérieur, et sans filet pour personne. Exemple, je n'ai rien risqué pour "la sécurité de l'emploi", mais j 'ai risqué ma santé mentale en faisant un métier universellement méprisé, à me faire engueuler par des gamins qui n'hésitaient pas à répandre partout le bruit que je ne savais pas faire mon métier, avec le soutien de tous les journalistes. Je n'admets pas que certains estiment, unilatéralement, avoir pris "plus de risques" que moi. Changer de partenaire conjugal, d'accord, c'est un risque, mais conserver toujours le même contre vents et marées, eh bien c'est un putain de risque aussi, et j'en ai pris autant plein la gueule que d'autres.

     

    5 janvier 2018

     

    Il n'y a pas la moindre trace d'antisémitisme dans Voyage au bout de la nuit, qui est d'une fraternisation universelle. Ce n'est pas Céline, l'auteur, c'est le génie, par la bouche dégueulasse de Céline. Maudissons le trou du cul de Céline qui a chié cette oeuvre, mais bénissons la merde fécondante qui en est sortie. Quand j'écris, ce n'est pas moi qui écrit. Il serait temps de faire la différence entre ce qui est écrit par la bouche de Dieu et le salopard dans lequel, que vous le vouliez ou non, Dieu a choisi de s'incarner. Cela dit, je n'ai JAMAIS défendu l'antisémitisme. Les chefs-d'Oeuvre, SI.

    1

    Gérer

    J’aime

    Didier Blum Vous cautionnez avec une analyse tordue très celinienne. C'est votre choix, je ne le respecte pas.

    1

    Gérer

    J’aime

    Bernard Collignon Hugo était un salaud, il a provoqué la folie de son frère en lui chipant sa fiancée. Claudel était une pourriture, qui a laissé sa soeur croupir à l'asile. Voltaire était une pouffiasse, qui a maudit les juifs dans son Dictionnaire philosophique. Shakespeare était un antisémite forcené. Je serais très obligé à vos Seigneuries de bien vouloir daigner m'indiquer les ouvrages qu'il me serait bien permis de lire, avec ma plus profonde révérence.N'oublions pas non plus que Villon a poignardé un prêtre, et que Vigny en a dénoncé un autre pour le bagne, afin de profiter de sa propriété. Et vidons, vidangeons toutes les bibliothèques infectées par cette bande de dégueulasses immondiciels.

     

     

    Sans propagande, un pouvoir ne peut rien faire, vu le nombre d'opposants qui vont toujours lui aboyer aux basques, quoi qu'il fasse. Pour qu'un gouvernement soit efficace, il faut museler l'opposition, qui sinon devient hystérique (voir tout ce que l'on a déversé sur Sarkozy, Hollande, Trump,Poutine). Et quand tout le monde est dans la rue, on change le gouvernement, qui de l'opposition passe, cette fois, aux manettes, et à son tour musèle l'opposition. La démocratie est paralysante. Tout le monde braille, et rien ne se fait. C'est tantôt les uns, tantôt les autres qui ont le pouvoir et le pognon, les hommes sont comme ça, et de temps en temps le peuple ramasse tout de même quelques miettes, lesquelles seront remises en cause bien entendu par une opposition, etc... C'est la nature humaine, et qu'on ne vienne pas nous bassiner avec la perfection de la vertu : elle n'a donné que des catastrophes.Gérer

    65 04 28

    L'édition, c'est réservé aux colosses de la communication humaine. Et rien 'exaspère autant que de voir ces athlètes s'efforcer de démontrer qu'ils sont aussi de petites choses fragiles et secrètes... Le pire, c'est qu'en même temps, ils le sont. Il faut être né comme ça. Voir Céline qui a joué les persécutés alors qu'il entraînait des autocars entiers de médecins spécialistes d'hôpital en hôpital à travers tous les Etats-Unis et le Canada en une frénésie de tournées de chanteurs de rocks...Et que je te baratine, et que je te pousse tout le monde au cul,  et que je te fais des conférences en anglais devant les plus hautes sommités médicales... Je t'en foutrais, moi, du petit toubib souffreteux de banlieue ! à la fin, peut-être,  mais celui qui a pu le plus peut le moins. Et Lamartine amoureux transi qui courait tous les bordels d'Italie ! ça fait du monde je te jure... Etc, etc... Bref, si on n'est pas menteur, tricheur, parano et schizo, on ne devient rien, mais rien du tout, en littérature.

     

    65 06 16

    Si tu veux de la concurrence, depuis des mois j'entends le sang circuler dans ma tête, un bruit sourd et aigu à la fois, plus des vertiges. Mais je ne vais pas passer ma vie chez le médecin, qui va me déclencher un traitement du tonnerre de Dieu avec de la chirurgie, de la chimio et tout le bataclan, et une fin de vie de larve entre fauteuil et hôpital, pour la plus grande gloire de l'héroïsme médical et de la Sécurité Sociale.

    65 06 17

    3

    65 07 20

     

    Une bonne dose de don pour l'intrigue, aussi. Ceux qui réussissent jouent tous un DOUBLE JEU. C'en est même répugnant. "Ah que je suis malheureux ! ...pourriez-vous me présenter à Untel ? ...et me préciser le montant de mon compte en banque svp ? Aaaah, quelle souffrance que la condition humaine ! De quel côté la caméra ?

     

    65 08 08

    Sur Facebook, on peut râler contre tout et n'importe quoi, on se sent vachement important, et quand quelqu'un ne vous plaît pas on peut l'allumer comme une bête ou le saquer. Et franchement, je ne peux plus m'en passer. Il y a eu "avant Facebook" et "après Facebook". C'est fini, la timidité, les interrogations sur la manière dont il faut parler, diriger son regard, faire attention à ses mimiques, avoir peur de tout le monde et de soi-même, fini tout ça. Merci Facebook d'avoir transfiguré ma vie. Et je peux même me foutre de ma propre gueule. Merci.

    A noter de mon Liégeois :

    On médit de la pornographie mais c'est la pornographie qui m'a sauvé de l'amour. S'il n'y avait pas eu ça, je crois que je serais devenu fou... 

     

    Pas du tout, pas du tout... J'ai erré en jouant à touche-touche,
    "tiens, si j'essayais ça... tiens, si j'essayais ça". Et à un moment
    donné, "ça" c'est débloqué, mais je serais bien emmerdé de te dire
    comment. J'ai eu de la chance dans mon errance, c'est tout. Je
    n'appelle pas ça "vouloir", en serrant les poings, en serrant les
    dents, avec la logique et les coups de poings sur la poitrine
    "gourou-gourou c'est moi que j'ai les plus grosses". Je trouve
    parfaitement ridicules les gens qui parlent de leur "vvvvolonté" alors
    que c'est le hasard et la Grâce de Dieu (tout de suite les gros
    mots...) qui font tout le boulot. Il faut bien que les faibles
    arrivent aussi à se démerder, de temps en temps.

    65 12 02

    Oui, désolé, je marche, je cours, je galope. Chez les gilets jaunes, je discerne la volonté de hurler sans y remédier, jusqu'à ce qu'on en crève en tourbillonnant sur soi-même. La rage d'imputer aux autres tous les malheurs du monde n'a d'égale que la rage de certains autres à vouloir vous démontrer que tout est forcément de votre faute à vous. Les deux positions sont aussi connes l'une que l'autre, et je les renvoie dos à dos. Non pas en face à face,mais en fesse à fesse. Face au néant, que veut dire "avoir raison" ? Le raisonnement mène aux mêmes abîmes autodestructifs que l'hystérisme. L"hystérisme étant bien fatigant, je me permets de choisir la flemme.

     

    65 12 02

    C'est emmerdant, mais que j'offre mes faiblesses à tout vent, Lefth me l'a déjà sorti. Fâcheux. Réponse : ce n'est pas parce qu'un masochiste se tortille en gueulant "Vas-y fais moi mal mets-la moi bien profond je jouiiiis" que l'on doit obtempérer en s'acharnant sur le connard. Quand je vois quelqu'un qui a l'air con, ou boiteux, ou nègre, je ne vais pas lui gueuler dessus "ah le négro, ah le boiteux, ah le con". Non. Je m'abstiens, je me détourne, je le laisse tout seul avec sa merde, ou bien j'essaie de trouver un remède, un adoucissant, et non pas "ah, tu jouis des coups de poings dans la gueule ben tiens connard en v'là une dizaine"... Désolé.

    Décembre 2018 :

     

    C'est de LUI que je parle là, pas de moi. J'ai été comme ça plus ou moins il y a fort longtemps, la préhistoire. Oui le cerveau peut des choses, mais par définition il ne peut rien contre l'irrationnel. "je sais bien, mais quand même", c'est ce que je le fais, c'est ma devise.Si je me soumets au pire c'est parce que je sais qu'il sera remplacé par pire encore parce que je n'ai pas l'envergure pas la résistance et que je préfère les catastrophes connues aux catastrophes inconnues. Je n'ai pas envie de me retrouver dans un poste de police ou à l'asile de vieux parce que j'aurai voulu être libre, planquer ma femme et me retrouver à brailler sur un trottoir. Quand je fais l'intéressant je résiste parce que je sais que je me rends ridicule ou odieux je sais de quoi je parle merde j'ai 74 ans si je n'ai toujours pas compris c'est en effet que je suis con. J'attends des autres qu'ils me foutent la paix si ce n'est pas trop demander. Tu me vois aller faire des scènes de ménage dans un bureau d'éditeur, me casser la gueule dans une manifestation, voyager et arriver complètement claqué avec la tourista dans les boyaux, partir au Tibet et devenir un glaçon qui délire ? Vivre avec un mec et assassiner une pute pour compenser ? Tripoter une petite fille et me retrouver en taule ? Faire de la politique et me faire insulter ? Conquérir une connasse et me retrouver sous une avalanche de coups de téléphone insultants ? Enfin quoi merde ! Me ruer sur des islamistes et finir égorgé avec les couilles dans la bouche ? C'est confus ce que tu dis ; des généralités généreuses. Moi, c'est clair, concret, désastreux et destructeur. Alors pour le peu de temps qui me reste, NON, MERCI, NON, MERCI. Je continue exactement comme j'ai commencé, je connais le chemin, j'irai jusqu'au bout de ma ligne sciemment réfléchie et pesée archipesée avec mon cerveau et mon affectivité, advienne que pourra, n'advienne rien du tout, d'ailleurs, n'en déplaise aux esprits chagrins, merde, con, putain, chiottes.
    SI VOUS AVEZ LU JUSQU'ICI SANS RIGOLER, VOUS AVEZ GAGNE UNE BRANLETTE GRATUITE. De Schubert.

    devise.si

    http://devise.si/

     

    65 12 26 :

    J'ai lu, j'ai lu, mes poumons sont vides, je ne peux plus crier, ça m'arrivera de temps en temps, comme un chien qui fait couic-couic sous les roues des connards. Je ne peux pas être "pour le peuple". J'ai toujours détesté les travailleurs, les pue-la-sueur qui ne respectent rien de rien, qui rotent à table et qui conspuent les arabes, les juifs, les femmes et les pédés. Qu'ils se bagarrent avec les bourgeois si ça les arrange, moi je suis du côté des érudits qui à travers les siècles, les guerres et les épidémies, dissertaient sur une virgule chez Lucrèce ou les significations d'hiéroglyphes. Et quand je réagis, c'est comme à des piqûres de moustique. A bas les idéologies, vive les langues mortes, moi je travaille sur ce que je connais. Les crève-la-faim sans culture me font chier, les bourgeois qui les assassinent m'écoeurent à dégueuler, vive la Divinité, vive les Bouquins.

     

    66 01 14

     

    Re: bco

    Les ballades avec toi au ralenti sur les petites routes de l'Entre-Deux-Mers sont de véritables petits joyaux de bonheur et de respiration. Les femmes sont magnifiques à regarder, à adorer, à se masturber devant des images, mais dans la vie quotidienne ce ne sont que des soucis, des récriminations d'éternelles victimes, quand on baise on est un salaud et quand on ne baise pas on est un pédé, de toute façon on est un homme DONC on a tort, tu n'as qu'à lire les médias, alors non, excuse-moi, les femmes, c'est PAS un bonheur. Toujours à se foutre de votre gueule ou désireuses de profiter de la situation, non, merci. Sauf toi, bien entendu. Les femmes ne sont supportables que si l'on évacue totalement la notion de sexe et de sentiment. A ce moment-là, ce n'est plus la peine qu'il y ait des femmes, ou des hommes, évidemment.

     

    20 01 19

    Exact. J'attends que les choses se simplifient, que Dieu se mette entre parenthèses par exemple et que la Tout Eiffel se dresse sur sa pointe. Et si je regarde froidement, "je ne sais pas toi" comme on  jargonne, mais moi je vois la mort, et ceux qui voient autre chose c'est qu'ils se sont mis un bandeau sur les yeux pour voir l'intérieur du bandeau et pas la mort ; quand je regarde "froidement", c'est "froidement", pas avec des fioritures socio-psycho-éthiques et je ne sais quoi. La seule vérité c'est la mort point barre. Le cabotinage est mon expression naturelle, je suis un acteur qui se regarde jouer, et il  n'y a pas de honte à chercher la justesse de ton pour ne pas emmerder les autres et ne pas s'emmerder soi-même. Le manque de cabotinage s'observe chez les pierres et chez les grenouilles, et je me sens plutôt humain, tu vois. Dès que je me réveille je dois surveiller mes pensées qui commencent à galoper comme un hamster dans son tambour et sous les projecteurs. Je suis calme ne t'en fais pas, j'explique. Je me défends toute la vie contre le malheur justement, c'est-à-dire contre moi, et contre la sottise, la mienne et celle des autres.

    14 02 19

    Les ouvriers sont des connards, impossible à cultiver. Ils m'ont tiré
    les cheveux longs pour  voir si c'étaient des vrais. Ils détestent les
    arabes,les juifs et les pédés.Vous n'arriverez jamais à en faire lire
    un. Je préfère de loin les intellos, on a au moins un langage commun.
    Vive la culture, bordel, vive la culture. Mais, je suis incapable
    aussi, comme les ouvriers, d'écouter un raisonnement suivi : je trouve qu'il y
    a des "sautes" du raisonnements, des incohérences, des "logiques" qui
    n'en sont pas. Exemple typique : "Les hippopotames ont la peau verte,
    DONC le vent vient de l'est. "DONC" ? "DONC" ? ...et quand vous ne
    comprenez pas, les intello se fâchent ! vous faites exprès de ne pas
    vouloir comprendre ! non : je n'aime que les dingues et les
    illogiques.

     

    16 02 2019

     

    Oh que oui que c'est dur, toujours les regards ironiques, les petits airs entendus et supérieurs, les moues de mépris, les ricanements, les "Tu parles !" déchiffrés sur les lèvres des passantes dès que je les regarde, ça te fabrique un climat de rancune et de haine que je ne te décris pas. J'adore ce que tu me dis : "La sacralisation de leur petit con ou leur liberté sexuelle". Leur liberté consiste essentiellement à refuser tous les hommes sauf les 2% qui de toute façon s'envoie qui ils veulent, et à pouvoir se branler en soufflant comme des locomotives. Les fachos espagnols commencent à se repositionner contre le "Fffféminisme". Redresserions-nous enfin, faute de mieux, la tête ??

    18 02 19

    La raison démissionne. Pour ma petite pomme prétentieuse : il y a désormais pour moi deux catégories : la mauvaise, qui veut tuer du juif, et la bonne, qui ne veut pas tuer du juif. Oui, je me classe dans la première catégorie, parfaitement, et je vous emmerde.

    21 02 19

    Je ne crois pas que l'humain détienne la clef de l'humain... A un moment donné, c'est la force des choses, le destin, appelez ça comme vous voulez, qui décide. Quand un homme tombe, il bat des ailes dans le vide avec ses bras. Mais il se casse la gueule. Combattons quand même, pour l'honneur..

     

    12 03 19

    Pascal Taintignies Les femmes comme vide couilles pour protéger les enfants