Les passionnantes découvertes de Donald Benovsky
Cher et adorable public privé de ma présence durant deux semaines, bonjour et bonne fête aux Claude, bien oubliés le lendemain de la Saint-Valentin. Quant à Jiři, ce serait la forme tchèque de « Georges », et le prénom de Benovsky, philosophe, auteur du « Puzzle philosophique », dont nous prononcerons le titre à la française. La philosophie est universelle. Pas pour tous. Une astuce des éditeurs qui veulent vous refuser est de confier votre manuscrit à un lecteur qui n'y connaisse rien : tel poète jugera d'un roman policier, tel mathématicien se verra confier un roman de trois volumes, et le verdict sera négatif. Votre serviteur n'est jamais parvenu à trouver de l'intérêt à quelque ouvrage philosophique que ce soit, même à supposer qu'il le comprenne.
Le présent ouvrage est annoncé par un avant-propos de Engel, philosophe genevois. Puis par une préface de l'auteur. Il s'agit d'un ouvrage d'introduction à la philosophie, « matière étudiée dans la classe de terminales appelée « Philosophie » comme certains l'ont écrit sans humour au bac, ce qui est encore plus drôle. Et ce n'est pourtant pas si bête : la définition même de la philosophie est l'un des chapitres les plus ardus, de même que la réponse à la si exaspérante et populaire question « A quoi ça sert ? » - le peuple est exaspérant. Ça sert à penser. Dès que l'on pense, c'est de la philosophie. Peut-on enseigner à penser ? Non, mais à exercer sa pensée. Avez-vous la prétention de penser mieux que moi ? non, mais nous pouvons nous exercer à mouvoir les muscles de notre esprit, de même que le sportif exerce les muscles de son corps, qui ne peuvent être efficaces d'ailleurs que si son esprit s'applique à ses muscles.
Et sans corps, essayez voir de penser. Ceux qui ne veulent exercer ni leur corps ni leur esprit ni l'ensemble des deux qui est indubitable ne sont pas des hommes libres, mais des flemmards, tout simplement. Des adeptes du fauteuil-bière devant les matches, ou des perroquets plus ou moins bornés. Rassurez-vous, les stades intermédiaires permettent d'établir une typologie humaine quasiment inépuisable. Quant au puzzle philosophique, vous l'avez deviné, il est impossible à monter. A la fin du meuble, il vous reste toujours entre les mains une pièce qui ne va nulle part, comme dans le sketch de Gad El Maleh. La philosophie n'est pas faite en effet pour accoucher d'un système, d'une idéologie, d'une application politique ou religieuse, mais pour lever l'une après l'autre les questions comme des lièvres dans une battue.
Ce livre (obtenu en ôtant le « è » de lièvre) traite avec humour et proximité de cinq prises de tête que l'on peut comprendre jusqu'à un certain point. Le langage en est simple, donc suspect aux jargonneurs et aux snobs, qui sont moqués dans la préface : il ne faut pas en effet systématiquement
soupçonner un ouvrage de simplisme sous prétexte qu'il emploie un vocabulaire et des tournures de phrases accessibles. Il ne faut pas non plus comme Cons-Sponville aligner des phrases toutes faites et pas trop choquantes comme un éditorial de Sud Ouest. Et la philosophie ne saurait non plus se contenter de l'étude du présent, sous formes de solutions toutes trouvées pour le Pakistan, la Chine et le Japon, lesquels ont déjà leur philosophie, que nous ignorons pour la plupart : un peu de modestie. La philosophie, nous y revenons, n'est donc pas uniquement réflexion sur le temps présent, dans une perspective utilitariste : c'est ainsi que bon nombre de philosophes autoproclamés viennent débiter leurs opinions sur la prétendue crise financière ou la meilleure façon de traiter les criminels récidivistes : la philosophie ne consiste pas à donner son avis sur tout et sur n'importe quoi comme votre voisin de palier, dont vous êtes le voisin de palier.
C'est ainsi que les plateaux de télévision recrutent des têtes télégéniques, tenant plus d'Alcibiade que de Socrate, et du soufflé au fromage que du menu cinq étoiles. Entre ces deux écueils, le spécialiste incompréhensible et le Monsieur Tout-le-Monde auteur d'âneries, le philosophe doit se frayer son chemin, modeste, ardu, sans fin, mais pourvu de beaux panoramas. Voici quelques petites choses que j'ai comprises au début, puis que j'ai laissé tomber par faiblesse de tête. « Le monde extérieur existe-t-il, ou bien n'est-il qu'une représentation de mon cerveau ? Le fait que les autres voient le même monde est-il alors le fait d'une hallucination collective ? et si le monde est unique pour tous, comment se fait-il que chacun possède sa solution pour Israël ou l'enseignement ?
Autre chose : « soros » veut dire « le tas » ; à partir de combien de grains de sable peut-on parler d'un « tas » de sable ? Vous n'en avez rien à faire ? Mais si vous avez 100 000 cheveux, vous n'êtes pas chauve ; à 100 000 moins un, non plus ; ni à 100 000 moins 10. Si A est B, que B est C, ainsi de suite jusqu'à Y = Z, alors A est Y. Partant de là, à partir de combien de cheveux est-on chauve, à partir de quelle teinte peut-on vous qualifier de blond, à partir de quel signe êtes-vous mort ou vivant ? La décomposition, certes, mais certaines parties de nous sont déjà mortes, regardez les jolies taches brunes sur le dessus de vos mains... Vous voyez qu'un problème idiot du Journal de Mickey peut dégénérer en question grave : est-ce que sucer, c'est tromper ? - vous n'entendrez pas parler de ça dans le Journal de Mickey...
Commentaires
A quand la suppression de l'épreuve de "philosophie", puisqu'il paraît que "ça sert à rien" ?