Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

der grüne Affe - Page 111

  • Tingitanes

        Le premier de mes portraits : S.B.
        Avant le mariage, qui forme exactement delta, son nom de Juive m'a séduit. Sépharade, olivâtre, "mes yeux noisette" disait-elle. Toutes les scènes se passent à Tanger, dan les quartiers européens, jamais je ne vis tant jouer, Sorano Saddiki, Michel dit Simon. Sylvia B. se confie à moi. Notre professeur de philosophie m'a confié un exposé "Sur les femmes".
      Les arbres et le sanctuaire.JPG  C'est une Corse féministe, morte l'année suivante, et moi je suis encore professeur pour petits, Véra B. nous accueillit chez elle pour mon exposé, c'est ainsi que j'imaginais qu'il était beaucoup plus facile pour les filles de tomber amoureuses à volonté, je les accusais de laisser languir les mâles. "Pourquoi ne m'aimes-tu pas ?" dis-je à Sylvia B. Elle avait fui en tournant la tête.
        Elle n'avait dit ni oui ni non, se mit à m'aimer, seulement, je croyais que le moindre contact de peau l'indignerait, au point de me chasser. Longtemps later,  je croyais encore qu'un baiser décidait de tout, au point de passer au coït immédiatement avant que l'envie ne passe, à la femme. Je ne compris rien non plus le jour où je fus reçu, dans sa chambre, au lit pour la sieste, tout affalée, de côté, attendant que je la redresse pour l'embrasser : je l'aurais étreinte si fort, qu'elle m'aurait repoussé, que je me serais fâché.
        - Tu dormais ?
        - Non.

  • La Naissance du Prophète

     

    1. AL MAWLID (« MOULOUD ») (naissance du Prophète)

    2.  

    3. DATE

    4. Pas plus que pour le Christ, nous ne possédons de traces précises de la date de naissance de Mahomet. Il serait venu au monde le lundi 12 du troisième mois, Rabia al Awal, en 570, « année de l'éléphant ». Cette naissance n'est pas célébrée (sauf sans doute, jusqu'à l'avènement du vizir Al-Malik al-Afdhal, ainsi que les anniversaires d'Ali et de Fatima (1095), dans la dynastie fatimide), car elle ne serait pas conforme à l'enseignement du Coran.

    5.  

    6. RESTRICTIONS

    7. Il existe, disent certains religieux, deux catégories d'innovations : les nuisibles, et les tolérables. En 1207, au VIIe siècle de l'Hégire, le roi Irbil exprima le souhait que l'on se réjouît publiquement pour cette noble naissance. Il n'y aurait donc pas à blâmer cette innovation, digne d'être nommée une bonne tradition (sounna haçanah). En Arabie séoudite, cette célébration n'est pas interdite par le ministère des affaires religieuses. Ce sont les salafistes qui mettent en relief l'interdiction formelle de célébrer ce jour-là : « Le Prophète a dit : « Ne me louez pas comme les chrétiens ont loué le fils de Marie. Je ne suis qu'un serviteur et dites plutôt « serviteur et messager de Dieu » ; ils assimileraient donc la célébration de l'anniversaire de Mahomet à une manifestation d'idolâtrie – ce à quoi se livreraient les chrétiens le jour de Noël. Cette fête, non plus que le Jour de l'an ou le carnaval, ne présente évidemment aucun caractère sacré pour le musulman.

    8. Rappelons que la stricte obédience islamique admettrait seulement deux fêtes : l'Aïd el Adha (Fête du sacrifice) et l'AId el Fitr (Fête de rupture du jeûne). Le Prophète n'a jamais fêté son anniversaire, non plus que ses compagnons. Tout musulman est tenu de suivre ce que le Prophète et ses compagnons faisaient, sans innover, ainsi le jeûne du ramadan et le sacrifice du mouton. Il est inutile, comme le suggère le démon (ce que disent les salafistes) de gaspiller son temps et son argent à de telles occasion : tous deux seraient mieux employés à faire l'aumône et à prier. « Les dépensiers sont les frères des diables et le Diable est vis-à-vis de son Seigneur un très grand négateur » (Allah Taâla, sur le verset 27/17). Que dire alors de ceux qui adressent des prières au Prophète en lui demandant d'exaucer tel ou tel vœu, comme le feraient les chrétiens avec leurs saints, ou bien pensent que Dieu créa le monde pour Mahomet. Mais d'autres musulmans ont

      Vue depuis mon hôtel.JPG

      rétorqué : « Comment les «Salafi» peuvent-ils déclarer quelque chose de haram (interdit) alors que le plus strict de leurs savants, Ibn Taymiyya, permit de célébrer sous certaines conditions, et que ibn al-Jawzi et ibn Kathir encouragèrent chacun en rédigeant un livret intitulé Mawlid et composé de poèmes et de passages tirés de leur sira ? » Cette fête, en marge de la pratique religieuse, relèverait donc de la tradition populaire.

    9.  

    10. COUTUMES

    11. Or, les mêmes coutumes se retrouvent pour cette fête : sacrifices de chameaux, de vaches, de moutons, festivités, cadeaux, consommation de pâtisseries et de confiseries – les petits enfants arborent leurs plus beaux costumes. En Algérie, grand repas à la tombée de la nuit, fusées, pétards. Offrandes d'aumônes aussi bien sûr. En 2007, le sultan Mohammed VI accorda sa grâce à 710 personnes. Des soirées de danse et de poésie célèbrent la vie du Prophète et divers aspects de la vie religieuse musulmane. A Salé, en face de Rabat, se tient la veille une grande procession des cierges, et plusieurs soirées musicales sont organisées. A Meknès, les Aïssaoua se rendent en pèlerinage sur la tombe de Cheïkh El Kamel, El Hadi Ben Aïssa, « saint de la délivrance ». Au Sénégal, c'est le Gamu, nom du mois de Muharram en ouolof : on ne travaille pas ce jour-là. Cette fête est célébrée d'un bout à l'autre du monde musulman, de l'Egypte à Singapour, en public aussi bien qu'en privé.

    12. Ni le jour de l'Hégire, ni celui du Voyage et de l'Ascension nocturne (voir infra) ne sont cependant fêtés dans le cadre d'un rituel.

     

  • Fragments de la Croix-Jugan

     

    L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly : en ces temps réactionnaires, riche eau pour le moulin des Durs : riche, car bouillonnant de tous les sucs infernaux – à la soudure intime de Dieu et Diable, Barbey gicle la flamme ; répudiant l'encens pour la poudre. Nous sommes aux premiers temps de ce calme d'Empire, où les vieux sangs des passions chouannes pourtant brûlent encore. La Croix-Jugan, abbé, s'est encallé la paume et l'âme en ces tueries, naguère ; de plus, il s'éclate la face à l'espingole, après quelque obscure et sanglant désastre. Qu'un prêtre désespère, s'en défigure et s'en revienne expier que sur les lieux du crime il crime il scelle par son seul Paraître les cours et les destins ; que Dieu même consacre sa proie - voilà qui suscite la pire attirance, celle de la peur, de la plénitude du gouffre, le plus vertical déchirement jamais jeté au feu de l'écriture.

     

    Rien de plus obscène que cette face obstinément cachée de l'abbé de la Croix-Jugan ; le voile retombant dont s'obombre les traits ravagés du suicidaire appelle l'érotisme du troussement, ainsi que la charpie du moribond appelle l'arrachement – le Prêtre cumule sur son visage l'horreur des plaies du Crucifié. De ses mains actionnées par Dieu, de celles des Républicains Bleus du Diable, il a reçu la braise et le plomb : purification d'Isaïe, sceau de Caïn qui ne peut se tuer. Terrible complaisance de Barbey à ne pas détailler les tortures infligées à sa créature, à épuiser l'arsenal des prétéritions : jamais ili ne dit où les balles ou bien les braises ont labouré la chair, ni le tracé, ni la compacité des boursouflures cicatricielles ; mais la redondance généralisatrice nous inculque bien qu'il fallait que ce fût au paroxysme de l'atroce qu'atteignît le martyre de l'Elu.

     

    De même que les exaltés se jettent aux pieds du Sauveur pour les lécher, de même une femme, Jeanne-Madelaine de Feuardent, brûle pour le prêtre aux traits torturés. Son orgueil ne peut concevoir de placer son amour ailleurs que dans ce qui révulserait, mortifierait les sens. Le frisson de la terreur ébranle seul chez cette fille de noblesse les ressorts de la passion : il faut avoir -au moins par le récit des pères – joui des convulsions sanglantes d'une face décimée pour découvrir l'admiration, celle qui jette éperdue et le souffle coupé, dans le miroir tendu à l'aristocratie déchue, par le martyre de son prêtre. Même fascination chez l'auteur par la superposition des extrêmes. Il y a du Racine chez le touffu Barbey, chez le héros, qui, avec l'obstination exaspérante du sectaire, tend les paroxysmes au-delà de ce qui se peut, dans une volonté têtue de débusquer l'absolu.

     

    Le héros doit par son seul aspect, par l'exhibition masquée de son voile, infliger à ses spectateurs et à son auteur une attirance comme une répulsion que seuls viennent tempérer le respect dû au prêtre et le mystère “qui fait vrai”. Comme on le pressent, la Croix-Jugan réincarne le Christ “dont le royaume n'était pas de ce monde”, mais n'en fut pas moins pris à tort pour le restaurateur temporel d'Israël : ainsi l'abbé supplicié n'est-il qu'un Signe, tout en passant aux yeux du monde pour un Chouan mal repenti. Barbey ne nous livre d'ailleurs de son prêtre que ce qu'il faut pour l'incarner : quelques chevauchées sombres, quelques visites à la vieille marquise de Montsurvent ou à la Clotte... La cause chouanne est morte, et Jéhoël de la Croix-Jugan ne fait plus que songer, remâcher ; ce ne sont pas là des Actions susceptibles d'enraciner le prêtre dans le tissu social, mais propprement des inactions, des laconismes, des absences.

     

    Précisément le jour de l'écharpage, nous diri (...) -chage, de la Clotte, qui le fixent dans la (...) propos, le verbe : un “creux d'actes” as- (...) vide le potentiel fantasmatique de (...) -nt sous ce silence autant de té - (...) qu'il s'en amasse sous son voile. (...) -e-t-il sans créature dans le (...) l'émacier en Symbole. (..) -ut pivote : passion de (...) Maître Le Hardouin (....) -e fixe (...)

    Flashée de loin.JPG

     

     

    ..........................................

     

    ...De plus, consacré. Consacré, mais “suspens a divinis” : présentant dans son être le mélange le plus détonnant de damnation et de rédemption – par sa sooumission extérieure la plus étroite à la punition infligée, voire au strict conformisme local, inapte à mordre sur la vie privée de cet homme, autant que par son inouï franchissement du tabou du suicide : ainsi par un paradoxal renversement d'équivalences l'assassin du César se rendait-il sacer, inviolable lui-même jusqu'à ce qu'il tombât sous les coups de son successeur. Mais ici, le “droit du poignard'” est appliqué par Dieu lui-même qui promet la fois le salut à son sacer-dos, et l'Enfer s'il enfreint la Loi. La tentatie de suicide initial, par l'opprobre, consacre précisément la mission édificatrice du pécheur avec une force irréversible.

     

    Le refus de témoigner du Christ par Jéhoël de la Croix-Jugan, sa souillure dans le monde par le jet du froc et la prise d'armes, puis à la dé- ou mieux trans-figuration que le sort lui inflige, n'ont eu pour but qu'une mission plus haute encore, qui est de témoigner non plus du Dieu d'Amour mais du Dieu Jaloux, du Dieu vengeur. Lui que manquèrent tant de balles à bout portant doit être tué, par-dessus tous les fidèles, par l'exclusive balle à lui seul réservée, fondue comme dans le creuset de Samiel. Comme Gilles de Rais, pour le salut duquel tout un peuple pria, il soit être immolé, par là même sauvé. Car, malgré son ultime apparition en squelette éperdu, il est certain que Barbey d'Aurevilly n'a pas voulu damner sa créature.

     

    L'admiration chez lui le dispute à l'effroi, y participe (...)

     

  • Sur le "Journal" d'Amiel

     

    Amiel est un monument qu'on ne visite qu'en tremblant. Visite différée depuis l'adolescence, période sacrée seule où l'on est face à face aux mystères et à Dieu entendu comme Univers. Il est des œuvres en soi enkystées dont on a indéfiniment différé l'ouverture, le Journal d'Amiel est de celles-là, à l'instar des Lettres à Sophie Volland de Diderot. Dont on n'a jamais retrouvé les réponses : anti-Sévigné, anti-Amiel aussi bien, et si j'ai vidé la Marquise au vide-ordures, j'ai à présent besoin de ces deux œuvres si radicalement opposées, l'une anéantissant la vie dans le sein de l'Etre et l'autre exaltant le Faire et la Joie dans la négation, dans le recul infini du moins de l'Absolu. Ces deux kystes sont arrivés au point de maturité et se désengourdissent conjointement pour se faire l'antidote l'un à l'autre, et sans cette double postulation nous serions poussière ou vulgarité.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    L'année 16 est la clé. Là tout s'est joué. Je deviens Amiel ou je m'y efforce, Diderot m'effraye par sa volupté, ses incessantes sécrétions. Amiel plane sur l'abîme : « Effrayants mystères pour l'être qui aspire à l'immortalité, au bonheur, à la perfection ! » Tout cela cher Heinrich-Friedrich, se résout par l'acceptation, par la simple considération du néant. Suivent de ces exclamations jugées faciles, fréquentes chez un jeune homme de 27 ans : « Où serai-je demain, dans peu de temps, quand je ne respirerai plus ! » Eh bien, où nous étions tous en 1719 : nulle part. Qu'y a-t-il de moins effrayant ? « où seront ceux que j'aime ? » allons plus loins : que veut dire « ceux » ? n'y a-t-il pas d'étant que le sein de Dieu ? Que veut dire « aimer » ? Il y a bien de la naïveté suisse dans ces questions européennes . Mais bien de la naïveté aussi d'en prendre le contrepied. Que personne ne rie de ce pertit personnage de 13 ans juché sur l'impériale de l'omnibus, car il a fait le tour de l'humanité - « où allons-nous ? que sommes-nous ? » Bien des ironies ont couru à ce sujet. Mais nous sommes ici devant le « brut de décoffrage », en plein premier degré.

    Et certes historiquement il fallait que ces choses-là fussent dites, de telles questions posées. L'utile contrepoids est Diderot, est d'Holbach (ce dernier athée avéré). Mon seul espoir est que le temps se recourbe au bout de sa flèche et revient se piquer le cul, Ouroboros, « cercle éternel de la nature », ou de tout ce qu'on voudra. Mais qu'y aura-t-il en dehors de ce cercle ? il n'est que chronologique, et non spatial, et nous avons tort de le prendre ainsi. « Les éternels problèmes se dressent toujours devant nous, dans leur implacable solennité ». Nous ne sommes pas dans le meilleur Amiel. D'autres extraits, bien postérieurs à 1847, nous ont profondément touchés, dans leur grandiose profondeur. Ce sont ici de bien froides déclamations. « Nous avons dépassé tout cela ». « Mystères de toutes parts. La foi pour toute étoile dans ces ténèbres d'incertitude. » Assurément. On ne s'en lasse pas. Le Christ lui-même, quoique figé, nous sert de symbole de toute la condition humaine. Mais l'homme Dieu merci s'amuse, Amiel déployait de l'esprit et de l'enjouement. Il ne le déploya que 60 petites années, de 1821 à 1861. Il n'écrivit que 15 d'entre elles. Que c'est long. Ces années nous sont familières, par les films, par les romans. Car nous sommes cernés par les ans. Nous régresserions au temps des calèches sans trop de difficultés, nous nous réadapterions. Plus avant, ce serait plus difficile. J'aimerais voir Case départ, dans les années 1780, où florissait l'esclavage en Amérique du Nord. Déjà plus de regard, la tête qui retombe. « N'importe ! pourvu que le monde soit l'œuvre du Bien et que la conscience du devoir ne nous ait pas trompés. » Des pages précédentes m'ont appris que nos illusions étaient d'apercevoir en dehors de ce qui est des principes que les choses nous ont insufflés, après avoir affirmé leur existence. Autrement dit, celui qui nie Dieu se sert de cette raison même que Dieu lui a donnée. Vous avez lu cela cent fois ? Eh ! n'avez-vous pas aussi lu ou contemplé sur un écran cent fois les mêmes familles riches et leurs membres se courtiser, voler, trahir, aimer, avec les cent mêmes situations et les mêmes dialogues dans les mêmes dix ou vingt styles ?

     

    Ce que vous admettez en narration, il vous faut vous y résoudre en basse métaphysique, ou haute, selon que vous considérez les cimes ou les raisonnements qui croupissent à leur base. « Donner du bonheur et faire du bien, voilà notre loi, notre ancre de salut, notre phare, notre raison d'être ». Donner tout cela en étant, faute de pouvoir faire. La croix de papier kraft est collée contre le fondement de l'action, pour empêcher de « faire ». Au moins soyons joyeux, heureux s'il se peut, afin d'encourager à vivre. Tout cela fait bien catéchisme. Bien rassurance. Bel entassement de lieux communs nécessaires. Le satanisme primitif, posant le problème « du-bien-et-du-mal ». Comme dit le plagiaire, « je transmets la bonne parole ». « La religion de l'amour, du désintéressement, du dévouement dignifiera l'homme, tant que ses autels ne seront pas désertés, et nul ne peut les détruire pour toi tant que tu te sens capable d'aimer. » Doué d'aimer serait plus juste, car la chose ne s'apprend. Large bide.JPG

     

    Nous trouvons dommage et désuet, assurément, cette langue de bois d'Eglise, mais nous pourrions aussi habiller cette phrase de rhétorique marxiste ou partisane, de droite à gauche. Ici le sommeil repart à l'assaut, régulièrement, des autels de ma vigilance... Ceux de Dieu m'ont souvent paru des estrades de tribunal. Mais l'éventail des transpositions est infini. Toujours est-il que nous avons en nous ce même modèle de vertu. 15 avril 1867 (7h. du matin) – que dirons-nous ? que le temps passe ? que cette date nous extasie, 146 ans plus tard ?

     

  • Oniriques

     

    Poliment, je le remercie. Toujours pas d'hôtel. Ma foi, je me lance : il suffit de tirer de ma poche un long document de papier, où figure une non moins longue déclamation. Tantôt de la prose, tantôt des vers. Des badauds s'agglomèrent, portant ma foi plus attention à mes revendications (je me souviens seulement qu'elles étaient agressives) qu'aux sculptures dans mon dos. J'ai composé cela jadis, avant mon voyage, avant mon existence, et cela m'est venu assez vite, en plusieurs langues : une sorte d'Esprit Saint ; une seule langue me résiste encore : le portugais. J'ai reconnu dans l'assistance trois grands barbus lusitaniens, collègues de radio, bien plus capables en langue française que moi dans celle de Camõens. Et tous les jours, à la même heure, je ressors de ma chambre d'hôtel enfin découverte pour imprégner les touristes de passage de mes compositions...

     

    Alors, dans les rues, je déclame. Je déclame sur celle que j'ai perdue, qui n'a plus sa conscience, et je me rends compte que la vie est bien la vie, qu'il n'y a pas de rechange, même dans nos têtes. C'est une douleur jusqu'à l'étourdissement, les passants m'écoutent un instant, et ne voyant aucun chapeau d'aumônes au sol, voyant que je marche encore, repartent à leur vie ; c'est de la prose, ce sont des vers, c'est de moi ou d'un autre, c'est d'une langue ou d'une autre, français, polonais, tüütsch de Suisse... le tout très beau, très cadencé, abusrde ou merveilleux, ou les deux. Mais je proteste, contre la beauté de la vie, sa brièveté, son absurdité en effet.

     

    Un homme sur le trottoir s'arrête devant moi ; il me demande avec accent de lui déclamer quelque chose, n'importe quoi, seja o que for, en portugais – honteux soudain, je m'arrête : je n'en sais pas un mot. Le portugais, je le lis, avec difficulté – sans pouvoir en articuler un mot. Il soulève sa casquette et s'en va, déçu. A peine a-t-il fait dix mètres qu'il se heurte, sur le trottoir, à un compatriote, qui le gratifie avec talent d'une grande tirade de Pessoa. Quelle joie illumine alors son visage ! J'accélère vers lui, vers eux, qui se fondent dans la foule des passants, tandis que je me heurte à mon tour – c'est la journée des folies ! - à mon épouse, descendant précipitamment les marches de l'hôpital : ce n'était rien, le choc passager, l'émotion, la suspension des fonctions vitales, mais elle est là, retrouvée, intacte. Annie au lit.JPG

     

    Il ne me semble pas que l'émotion se lise sur mes traits avec autant de netteté que devant l'auditeur portugais de naguère. Suis-je à ce point dépourvu de sensibilité ? Mon Dieu que de sottise... « Oui », me dit-elle, « j'ai tout entendu ; cet ouvrier t'a mis en difficulté, Ghislain m'en est témoin. » Ghislain : ce petit caniche humain qu'elle avait apprivoisé, l'accompagnant jadis en tous lieux jusque dans son lit, frisé, pomponné, maniéré, qui revient dans nos vies, sans avoir crié gare... Que vient faire ici Fanuc, mon metteur en scène, qui m'inspecte en public et me rajuste mes effets, reboutonne mon col, pour une première... C'est une scène que ce trottoir, le projecteur n'est que le soleil, l'acteur ignore son texte, récite ou improvise en dépit du bon sens, pourtant, je me sentais si bien, au sein de la foule qui défilait, si indifférente, si protectrice, en accord total avec un ensemble qui nous englobait tous...

     

    Fanuc ne se lasse pas de me tapoter partout, des épaules aux genoux (il s'incline) : « Mon vieux, tu es plus soigné maintenant, plus moderne (il désigne la foule), plus en phase. » Qu'il cesse de m'effleurer. Arielle et Ghislain forment à côté de nous un petit couple ridicule qui discute avec animation sur un point de mise en scène, ils sont de petite taille, mon rival secoue ses bouclettes en élevant le ton, rien ne peut distraire le courant humain qui défile et s'enroule comme un tourbillon sur l'Amazone. Nous nous rabattons sur la terrasse d'un café : tel un banc de sable où s'échouent les débris fluviaux. « Je viens rarement », s'écrie Ghislain de sa voix de tapette, « vous savez que j'ai déménagé ? »

     

    Certaines personnes parlent avec une telle intensité, leurs paroles percent à ce point le vacarme, que nul ne peut ignorer un détail de ce qu'elles émettent. Ghislain est de cette trempe. Il va s'en prendre une. Sur le guéridon de terrasse je tripote les cendriers avec une rage contenue ; Arielle me les ôte des mains sans cesser de prêter l'oreille à ce verbiage ghislainien. Je me lève. Au comptoir, je demande une chambre. « La 302 monsieur, voici la clé ». Ils viendront bien me retrouver : ils se demanderont où je suis passé, le personnel viendra les informer : « Chambre 302 ». Malgré notre retard, il faudra bien qu'Arielle, au moins, monte le retrouver. Nous serons en retard, mais de quoi ?

     

    Où allions-nous ? Que se passerait-il si nous n'arrivions pas ? Serions-nous si indispensables ? Combien je déteste mon temps, comme tous les autres temps, et de combien s'en faut-il que je sois le porte-parole de qui que ce soit ici, Vienne ou Lisbonne qu'importe... J'ai mal refermé derrière moi. Un chat se faufile, seul compagnon, qui me rejoint sous ma couette. Un courant d'air vient tout refermer. Le chat s'agite ; il s'est coincé. J'enfonce ma main et le prend par le cou, entre les épaules, pour me consoler de caresses – mais l'animal me griffe, c'est une femelle, opérée du dos, une vigoureuse femelle pure gouttière, et d'un geste du bras, je l'éjecte. Elle s'évade par la fenêtre et Dieu sait quels balcons ou corniches ; ce fut ma seule visite.

     

     

     

    Plus loin, c'étaient les nazis. Vous n'avez pas connu cela. Notre professeur de philo nous disait qu'il fallait toujours discuter. Une voix s'était levée : « Et quand on est coincé entre deux soldats allemands, on essaye aussi de discuter ? - Je n'ai pas dit non plus qu'il fallait être con. » Ma chère, votre généralisation tombe à l'eau. Il en est de même pour tout raisonnement. Nous n'avons qu'un outil imparfait : ne le jetons pas pour autant. Echappons-nous vers le haut, pendant que les nazis nous courent aux talons dans l'escalator : saurons-nous courir galvanisé sur les toits ? Et si un nazi, lourdement armé, se révèle capable d'engager la poursuite là-haut ?

     

  • Elucubrations voyageuses

     

    Le Blanc, au moins, je ne le raterai pas : avec ses deux mains dans le savon et son tablier de bonne femme... C'est une bonne expérience, une belle démonstration, que j'ai eues là. Je voudrais que toujours les mots coulent en moi comme dans une fontaine, et qu'il me suffirait de puiser si je veux écrire.

     

     

     

    X

     

     

     

    Chemin de Fardeloup.JPGNous étions à Florence. Uffizi à part, fort mauvais souvenir ; une atroce vague de chaleur prime sur les chefs-d'œuvres. Avec femme, petit-fils et belle-mère pour compléter. Nous logions dans un meublé, aux tiroirs comblés de vieux cahiers d'écolier, les bahuts de vêtements d'enfants ayant appartenu à la maîtresse de maison. Nous sommes donc sortis dans la rue : c'étaient de vieilles maisons, hautes, étroites, comme à Die ; cela grouillait de petits commerces et de chalands. Une ville remontant au fond des siècles : 59 av. J.C. Nous sommes revenus de notre promenade plus nombreux que nous n'étions : une autre famille, semblable à la nôtre, apparentée sans doute, aimable et parfaitement francophone, s'était jointe à la nôtre, et nous formions un groupe animé d'une douzaine de personnes, car ma femme était aussi avec nous : «Accompagnez-moi jusqu'en haut de cette côte », disait-elle, « vous écouterez une conférence que je dois y donner » - elle donna l'adresse d'un établissement scolaire (scuola primaria)- maisen vain.

     

    Avant de retrouver nos alliés de Florence, nous avions parcouru depuis Paris une distance considérable, et jeme souviens bien qu'au lieu de faire au plus simple, nous étions passés par Dieu sait quel toboggan routier de banlieue, au-dessous duquel vivaient entassés dans des geôles grillées une quantité de prisonniers : émigrés clandestins en instance d'expulsion ; cela ressemblait, y compris les grilles, à ces énormes bosses de montagnes russes, dans les foires ; après cela, retrouver notre chemin... ! pour le moment, tirant la langue, nous escaladions cette pénible pente, à pied, nous tordant les chevilles dans des bouches d'aération au ras du sol, rendues invisibles par des bouchons d'étoupe : franchement, à quoi pouvait donc bien penser la municipalité ? comment pouvait-on pousser plus loin l'absurdité administrative ?

     

    Nous sommes donc rentrés bredouilles, dans ce vaste logement de location ; les pièces en étaient innombrables : nous allions vivre dans un véritable palais, délabré comme il se doit. Ma mère n'avait pas bougé ; ma belle-mère se jeta sur un canapé ; pour la rafraîchir, je suis allé chercher dans une vieille salle de bain attenante, dont j'entendais fuir les robinets antiques, des animaux sculptés dans le bois : la salle d'eau en effet, outre sa baignoire sur pieds, comportait aussi des vasques à ras du sol, où flottaient divers jouets en forme de canards ou de pieuvres ; sans doute les enfants, aujourd'hui absents, les choisissaient-ils avec soin avant de les emporter dans leur bain. Les toilettes, heureusement, se trouvaient ailleurs, car il n'est rien de plus désagréable de sentir en se baignant sa propre merde mal déparfumée par un simple tirage de chasse : aucun désodorisant n'est suffisamment efficace pour dissiper ses propres odeurs.

     

    Heureux celui qui ne respire pas, qui plus est, celles des autres ! bref, ma fille avait enfin trouvé chiottes à son pied ; les miennes étaient bouchées : c'était vraiment un vieux palais, très mal entretenu. Les gogues étaient vraiment le grand problème dans ce palais aristocratique. Sonia par miracle en trouva de propres.Les miennes étaient bouchées, obstruées, blindées. Les salles de bain présentaient toutes les étapes de la dégradation, depuis les plus convenables jusqu'aux défoncées envahies de cafards. Quand enfin nous eûmes satisfait aux besoins naturels et aux ablutions, nous arrivâmes bons derniers à la table familiale. Ce fut un grand et long repas. Il ne manquait ni un cousin ni un service. Ni même, divin jeu de mots, une grande partie de Sept Familles ; mais la pioche était dissimulée dans un tiroir entrouvert, et nous devions, l'un après l'autre, deviner au toucher de quel membre il s'agissait, père, fille ou grand-mère par exemple, d'après le découpage de leur figurine respective.

     

    Et même après ce jeu, où les préséances avaient marqué le pas, ce fut à qui aurait l'honneur de nous tenir à ses côtés. L'assemblée ne cessait de croître dans ces grands espaces, par l'adjonction de nouveaux venus, jeunes, dynamiques, parfaitement inconnus. Deux grands escogriffes trentenaires ainsi se présentèrent à nous, moustachus et joyeux. Très vite l'un d'eux s'est relevé, sans que l'on eût pu dire s'il était en grand déshabillé ou en guenilles de luxe, où il s'empêtrait dans un grand discours classique en excellent français ; pas une trace d'accent italien. Et pour ma part, j'étais assis juste en face d'une grande fille sportive et joviale, qui ne cessait de me faire du genou sous la table.

     

    Qu'aurais-je fait, grand Dieu, d'une jeune sportive ! ...il doit leur en falloir, de la course de fond ! et non pas de la frousse de con... Après de telles agapes mondaines et vulgaires, nous avons retrouvé notre couple légitime, gravissant une pente herbue vers une école en hauteur, enfin seuls : Arielle déplorait tendrement que depuis notre arrivée en Toscane, soit une bonne semaine, nous n'ayons pu trouver un seul instant d'intimité, ne fût-ce que pour nous parler ; mais nous allions enfin y remédier. Quel étrange épisode en vérité de notre vie, plein de bruits et de couleurs, à Florence...

     

     

     

    Je cherche non pas la mort mais l'acquisition d'une supériorité dans le domaine des pouvoirs de l'esprit, qui me permette un jour ou l'autre, anteou post mortem, soit de dominer les circonstances matérielles de façon à les incorporer à quelque chose de plus grand, soit d'acquérir la volonté de les changer matériellement. Tous les efforts de notre vie peuvent se ramener à cela, et se justifier à cela.

     

     

     

    « Eh bien, lui dis-je après qu'elle eut achevé sa conférence, revenons à Paris. » J'ignore par quelle aberration ou étourderie nous nous sommes retrouvés non pas sur l'autoroute de Pise, comme il eût été logique, mais sur une route à quatre voies au milieu d'un vaste embouteillage de type « accordéon » : trente mètres dégagés, long arrêt, trente mètres, nouvel arrêt, ainsi de suite jusqu'à plus soif. Notre envie de nous retrouver enfin dans notre vie précédente, avec les commodités d'une vie amoureuse et tranquille, ne devait pas être si intense, car elle m'a oublié, ou j'ai oublié de la rejoindre, après un arrêt hygiénique dans une quelconque station-service. Alors ma foi je la rejoins à pied, d'abord avec succès, sans la perdre de vue ; mais, vous pensez bien, sur autoroute... Peut-être un automobiliste m'a-t-il pris en pitié ? Qu'est-il arrivé ? Pourquoi suis-je en cette chambre, au chevet de mon amie, tandis qu'une infirmière lui passe un gant mouillé sur le front ? « Elle a fait un malaise » : au volant ? Elle aurait survécu ? J'assiste à ses soins ? Une aide la redresse, entreprend de la nettoyer.

     

    Dans ce mouvement, ses deux seins dépassent la mince barrière du corsage d'hôpital. Ce n'est ni déchéance ni laisser-aller ; je les trouve agréables à regarder, même partiellement, dans leur rondeur de gros yeux qui roulent. Mais si les seins s'exhibent, minimum d'information de la part du personnel : origine du malaise, temps de récupération, motus. Qui sont ces gens qui viennent la visiter ? Une grosse s'agite, mère juive et chapeau à voilette. D'autres, hommes et femmes. Qui peut la connaître ? Je ne suis donc pas tout pour elle ? Un couple de sexagénaire, la femme en bleu ; ils n'ont pas un regard pour elle mais s'entretiennent du plus sérieusement avec l'infirmière. Ils obtiennent assurément plus de renseignements que moi : la patiente ne serait-elle pas mieux indiquée pour ce faire ?

     

    Il me faudra donc passer la nuit (combien de nuits?) dans cette ville inconnue. Aucun lit n'est prévu, je ne suis pas la mère d'un enfant malade. « Il ya des hôtels dans le quartier », merci infirmier, tous me considèrent comme un poids mort. Alors voilà, je sors à pied, à la recherche d'un hôtel. Dans ce quartier d'hôpitaux, il n'y que des rues droites, des murs et des résidences dépourvues de tout intérêt. Puis d'un seul coup, ça arrive dans les villes, surtout espagnoles, une rue semi-piétonne (les voitures sont au pas), qui s'arrête net : deux bornes, et le plateau plonge sous vos pieds ; en face, au même niveau, sur trois autres meseta symétrique, la fantaisie d'un urbaniste a dressé trois structures métalliques, dont l'usage reste problématique.

     

    De plus, un immense bâtiment pose un pied sur chacun de ces rochers : c'est une église tripode, magnifique, d'acier luisant. Cela ressemble, pour ceux qui s'y connaissent, au Patineur de César. Et comme je suis là, bouche bée, je m'aperçois que d'autres également admirent ce chef-d'œuvre, accoudés au même balcon : en banlieue, la créativité ontemporaine a plus de liberté tout de même. Je demande la ville où je suis : « Colleville ? » C'est tout récent, cela vient de sortir de terre ? Il existe bien, dans le Calvados, un petit village ainsi nommé. Personne ne répond. « Il y a trois autres Colleville, ou quelque chose d'approchant, dans le Calvados », me dit-on enfin. Et mon interlocuteur de se répandre en considérations étymologiques fastidieuses.

     

    ATTENTION, DOUBLON, VOIR PLUS BAS