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der grüne Affe - Page 108

  • Les errances de Pierre Thibault

     

    Poursuivons, sans nous relire : en Union Soviétique, tu aurais moins fait l'imbécile ! Ah, on ne rigolait pas, sous Staline ! Pas davantage sous Khrouchtchev d'ailleurs, ainsi que Soljénitsyne l'écrit. Thibault n'écrit qu'en 1971, et se contente de trois lignes de désapprobation sur les méthodes musclées de Staline, omettant (mais on ne le savait pas) que la plupart des efforts de productivité reposaient sur des esclaves, et que tous les chiffres étaient faussés du haut en bas de l'échelle vu la pénurie de tout. Mais que ne dira—t-on pas de nos régimes à nous d'ici à cinquante ans... et des réflexions de café du Commerce qui règnent ici à tout-va... Voilà que les entreprises russes se mettent à tenir compte non plus du plan quinquennal mais des commandes des clients !

     

     

     

     

     

     

    L'auteur marqué.JPG

    En vérité, immense clairvoyance ! Ce sont les entreprises Maiak (“de Mai”) et Bolchevitka à Moscou, qui ont commencé. Cette réforme marquée au coin du bon sens du zinc de comptoir qui fut étendue à 671 autres entreprises dès 1966 doit être finalement mise en application dans l'ensemble de l'industrie soviétique à la fin de 1968 tandis qu'elle entre en expérimentation dans 390 sovkhoz dès 1967. Il est dur de remettre les pieds sur terre, il est nécessaire de passer par un “stade d'expérimentation” ! Et si j'étais, Moi, chef d'Etat, je recommettrais les mêmes erreurs de planification, il y aurait des policiers et des patrouilles partout, pire que chez Denys tyran de Syracuse : preuve de mon incompétence, et de ma souplesse de verre de lampe.

     

    Profitons-en pour blâmer les Autres de n'y point renoncer comme moi. Le seul but est de trouver Dieu, de se reposer au Centre, d'irradier comme Centre et comme dieu, en tant que dieu. En attendant, on glande un peu. Il s'avère en effet que le stimulant économique du profit dont une part importante doit leur être ristournée sous forme de salaire ou de prime incite cadres et ouvriers à rivaliser d'imagination créatrice et d'ardeur au travail pour présenter en fin d'exercice un bilan positif. Le fameux facteur humain. Ce stimulant fait de vaseline et de scories râpeuses constitue le moteur même des rapports personnels que j'ai voulu ignorer, repousser tant que j'ai pu. En m'y engluant à fond, jouant de tous les tableaux dans une classe, avec virtuosité obligée.

     

    L'enseignant veut renseigner tout autour de lui avec ce qu'il vient d'apprendre, il veut rendre service, mais aussi dominer. Une illustration sommitale montre l'un de ces sexagénaires en col blanc, lunettes d'écailles et cheveux blancs qui pullulent dans l'iconographie détestable de ce volume : “Vous pouvez reconnaître...” Eh non, personne n'est reconnaissable, toutes ces personnalités en uniformes bourgeois ne présentent qu'un éternel camaïeu écaillé de petits visages blancs, 5mm sur 4, où la meilleure volonté du monde peine à reconnaître qui que ce soit, s'i n'y avait la légende. Cette fois-ci, nous n'avons qu'un homme à pochette, tenant loin de lui sur une table la double page d'un journal, et dont on nous révèle l'identité : Le professeur Ievseï Limerman à son bureau. Photographie sans doute à son bureau – l'histoire bégaye, les historiens aussi – l'économiste soviétique Ievseï Liberman, professeur à l'université de Kharkov, est l'auteur du plan de réforme de l'économie productive de l'U.R.S.S. mis en œuvre progressivement depuis 1966 et qui vise à rentabiliser la production de l'appareil économique soviétique en accordant aux entreprises une certaine autonomie de gestion et en réintroduisant dans cette dernière la notion de profit. Belle langue de bois, bien délayée pour justifier d'un fort volume broché, matière ingrate et stérilité de ma

     

    COLLIGNON LECTURES "LUMIERES, LUMIERES" 59 12 27 (émission : 61 02 06 etc.)

     

    THIBAULT (Pierre) "LE TEMPS DE LA CONTESTATION" 40

     

     

     

     

     

     

     

    paille opposée à la poutre. Je haïssais profondément cette histoire de l'URSS si triviale, encombrée de tuyaux, de tracteurs, de tonnes de papier Q, sans batailles ni conquêtes militaires. Je jouissais maladivement de ces mots économistes giclant entre mes dents comme autant de morceaux de viande, solide pâtée constructive donnant l'illusion de comprendre et de digérer. L'étudiant se sentait homme, participant à l'effort du prolétariat, invité à s'extasier devant les Stakhanov, ignorant par la force des choses les millions de dos courbés dans “l'enfer des camps”, sur lesquels reposaient les fausses statistiques de triomphes industriels. Ainsi se trouvent mises en application les théories qu'il avait exposées dans ses différents ouvrages dont les principaux s'intitulent – mon Dieu, qu'il y avait moins de gravité, moins d'exhaustivité, moins de lassitude pour exposer à la va-vite les théories exaltantes et fumeuses des candidats, par exemple, à la royauté de Jérusalem au Moyen Âge !

     

    Chimères assurément, mais plus fidèles à l'âme des hommes que ces “Structures de l'équilibre d'un entreprise industrielle”, ces “Moyens d'élever la rentabilité des entreprises socialistes” et “Analyse de l'utilisation des ressources de production” publiées respectivement”, tenez-vous bien, en 1948, 1956 et 1963” - Ph[oto]A.P.N. ! quel sérieux ! Quelle gravité ! Le commentateur ne doute pas un instant que le lecteur ne se rue, sitôt l'ouvrage refermé, sur ces chefs-d'œuvre de gestion, qui eux, au moins, servent à quelque chose ! L'analyse du contenu d'une telle réforme amène certains observateurs superficiels à penser que l'U.R.S.S. (bien placer les points après chaque abréviation) fait un pas décisif vers la restauration du capitalisme. Erreur grossière ! Penser à ces classifications de bibliothécaires sur les livres de religion, disséquées à fond sous diverses cotes, au moins 10, pour les chrétiens, tandis qu'une seule de ces mêmes cotes rassemblait les “autres religions” !

     

  • Description laborieuse de la Bave

     

    005.JPGComment regarder cette photo ? À l'endroit ou à l'envers ? Tant je suis attiré par le thème du reflet. Reflet dans l'eau, ici, de la Bave, à St-Céré, lieu de naissance du populiste Poujade. Mais aussi de Lagarouste, inventeur du levier à rocher ; le précédent n'est pas mentionné : sans doute en eut-on de la honte. Ce cliché fut réalisé pendant un séjour de ma femme au lit. Nous avions vu le défilé d'une noce en voiture années 30, avec maintes casseroles et gamelles accrochées au cul. Ce lieu fut aussi celui de mon accueil en salle de cybercafé, où l'o,n, vint à ma rencontre en raison de ma tenue fort peu orthodoxe, mais je venais internetter, non casser. Dans la rue, je fonçai en droite ligne et les yeux fixes sur deux autochtones qui s'écartèrent en devisant, par prudence.

     

    Le pont d'une arche est repris dans l'eau. Il forme un arc-de-cercle aboutissant (je le sais) non pas à une rue mais à une porte qu'il me plaît d'imaginer désaffecter : du pur Venise. Le reflet montre deux poutres minérales parallèles : entre lesquelles apparaît cependant la Bave, curieux cours d'eau qui ne mérite pas son nom. Comment cela se fait-il ? Ce pont serait-il sans tablier, devenu impraticable ? J'y vois le fond d'une barque, avec ses planches parallèles, enserrant le reflet vague de constructions lointaines, et un moignon de clocheton dans l'eau. A l'air libre en effet, et au-dessus de ce reflet, une longue abbaye d'ardoises, un toit rond religieux plus un clocheton très Centre-France.

     

    Trois toits de tuiles, l'un en longueur, l'autre en largeur, le dernier en hauteur. Partout de la construction, à l'ancienne : un autre corps de bâtiment, plus proche, sur la rive gauche, balafré d'une ombre claire, ponctuée de volets blancs, ouverts, entr'ouverts "en tuile", fermés au rez-de-chaussée. Les deux rebords d'un parapet pare-crues, d'inévitables interdictions de tourner à droite ou à gauche, un tas de sable de travaux. Plus bas sur la berge raide, des jaillissements de rameaux revêches, vert bouteille, et le reflet à l'ombre cette fois de ces masses et constructions, formant l'oblique d'un point de fuite. Le pont donc aux deux tiers de hauteur comme il se doit, les constructions que l'illusion de perspective place sur lui, et enfin, à égalité de la longueur (mais l'eau semble repousser le tout vers la droite), une oblique assez nette à 80° : un toit, un balcon saillant sur l'eau avec ses croisillons de bois à l'air libre, une petite ogive, un étai à 45° style "descente en rappel", et jusqu'à nous la coulée verte, au soleil, qui s'élargit en base de triangle.

     

    C'est la rive droite, où derrière le parapet s'alignent mal dissimulés nos hudeux mufles d'automobiles qui foutraient tout en l'air question ambiance, avec leurs tôles de sauvages. Le pire est qu'elles font pendant, pour la masse, aux maisons balafrées de la rive gauche, de même que l'ombre végétale de la même rive renvoie aux constructions claires, à poutres incluses, d'un vaste et lourd ensemble dont le cadrage nous dérobe le toit. Ce qui donne, de part et d'autre du pont et de son reflet : rive gauche, masse oblique des constructions, sur la berge assombrie ; rive droite, en haut la construction magistrale et très claire, en bas, l'ensemble compact, de haut en bas, d'une haie noire, des trois capots hideux et adoucis, de la végétation cette fois éclaircie, au soleil. A présent, errons un peu. Le grand côté d'immeuble, à droite, se fait grimper par du lierre. Il cache et bloque un premier volet fermé. Il enserre et menace ou protège un second couple de volets également fermé.

     

    Plus loin sur la droite, vers le rebord de l'illustration, mon œil inhabile ne saurait dire s'il y a rebond, pliure, ou poursuite de surface plane : je vois encore deux volets, l'un au-dessus de l'autre, aux battants fermés. Un petit rectangle très pur. Un dépouillement contrastant. Le pan de mur bouffé au lierre présente deux niveaux, séparés par une poutre incluse brun foncé, soutachée en parallèle d'une autre poutre plus mince. Le lierre ébauche ici la forme d'un ours vert, dont la tête aveugle et le mufle surgit au-dessus d'un vaste demi-torse, flanqué de pattes avant monstrueuses, levées pour assaillir. Geste protecteur, défensif, ou pour le moins affirmatif. Et l'angle droit, invraisemblable anatomiquement parlant, enserre un de ces volets aux battants clos déjà mentionnés.

     

    Les feuillages de la patte plus proche de l'eau s'effilochent au-dessus de la double poutre de soutènement, plus haute, prête à frapper ou à se fondre. La poutre est la double base d'un triangle équilatéral, se complétant hors de notre vue. Il est rayé de sept poutrelles verticales, avec deux volets clos, entre la deux et la trois, entre la cinq et la six. Un troisième, tout proche e ce rectangle pur déjà décrit, s'entrouvre, on voit son ombre sur le mur. Il est à supposer qu'on a voulu partout, à St-Céré, se protéger des rayons d'une canicule à venir, et nous serions au matin, lorsque l'ombre subsiste encore. Ou bien le soir, si le soleil provient d'au fond à gauche, en direction de l'ouest. Tout est calme.

     

  • Ecrire, dit-elle. Et de deux.

     

    Ecrire, dit-elle, ces choses pensées en rêve, ces vers géants qui plongent dans les sables frappant de plain-fouet, m'apprennent à concevoir la vie - ce pan de mur ce morceau de sucre - lump of sugar. Elle respire mal. Il est très grave d'entrer en littérature.

     

    Je suis sur le point d'être arrêté.

     

    Cette brume aux senteurs d'épices imprégnant les replis cérébraux, à distance de vie éternelle, une proie pour l'ombre, l'épicier compte et l'esprit soufflera sur les flots. Un souffle ayant contenu tout ce qui s'est passé, tout ce qui s'est pensé, les maîtres ont réponse à tout, c'est une réponse agaçante. Et s'élever, dit-elle, au-dessus du désert, ballon d'hélium d'observation - sauve ton peuple !... Redresse tes murailles dit-elle, et laissant subsister les trous pour respirer, nie wirst Dû Gott aufeinmal einfassen (1), Schade !

     

    Dommage.

     

    Tu te creuses.

     

    Dieu traîne partout. Une seule voûte, un seul couvercle : sky, le ciel, skull, le crâne.

     

     

    La gerbe oubliée.JPG

    Brouteur des poils de Dieu !

     

    Parcours du combattant : dix chaussettes à fond de tiroir, trouvez la paire dans le noir, j'entends des pas, j'entends sonner de vastes salles, plus loin, plus loin - l'armoire est énorme.

     

    ET DE DEUX... 2032 02 11

     

    La boucle est bouclée. Se mord la queue, passant de la dernière ligne à la première. Le voyez-vous, l'aveugle, récoltant son petit morceau de lard ? Afin de réchauffer ses verrues sous sa cuisse.

     

    Dépose à mes pieds ta liqueur prostatique. On est prié d'éjaculer dans les crachoirs disposés à cet effet. Relire à la loupe Sénèque, Lucrèce, Stace. Avec des dictionnaires et des notes adventices. Sens dérivés. "Argot d'époque".

     

    Feuillets moisis, après que les Harkonnen auront fait justice, litière - de toutes les prétentions littéraires : en ce temps-là, les plus forts parvenaient au sommet de la pyramide, sous les pommeaux de douche. Nous ne serons connus qu'au hasard, un nom, un titre, et des médiocrités seront tirées vers les hauteurs. Salut, lecteurs interplanétaires ! Salut, déchiffreurs de versions ! Est-ce un complément d'objet ? ce mot signifie-t-il "croissance" ou "taille" ? "Pocm" en russe signifie les deux. Savez-vous que "pocm" se lit "rost" ? Que les Russes employaient un autre alphabet ?

     

    La littérature croupirait dans quelque conservatoire blindé que nul n'ouvirait plus. Qui tient son livre entre ses dents ?... Ici commence un nouveau jour assombri par la défaillance. La rancoeur entasse ses sédiments. Chaque nuit je perce les brumes, reviennent un Père jeune et si coupable qui n'est pas mien, le Livre semble une vaste construction molle, gélatineuse avec de vastes zones d'ombre, de si subites pollutions nocturnes.

     

    Je veux prendre un sentier dur et bien égalisé, les pins écartés de part et d'autre, les jeeps des forestiers circulent au ralenti. L'air frais, l'odeur balsamique.Né pour me plaindre j'échoue à écrire, danser, tenir des bougies. La stéarine brûle et sèche en croûte souple sur la peau, je crie les heures à intervalles réguliers, comme un sereno madrilène. J'avance dans ma vie sans goût sans autre lien que la chronologie, mon stylo glisse jusqu'à ces moments fixés.Le coeur s'est brisé sans se bronzer. Secrets mal gardés. Opéras détruits. Nuages au loin, mains tordues, plat-bord fuyant à ras de l'eau. Il faut se décider avant le crépuscule, l'horizon grignote le bord du soleil qui, "rouge de sang, disparaissait dans les entrailles de la terre". Note en marge de mon père :

     

    "N'exagère pas."

     

  • Polyglottes et bouffeuses de gaufres

     

    - Soupov, ne commence pas à marchander.

     

    - Toi Fitzel, bouscule donc un peu ton vieux : sous le traversin à droite, l'oseille...

     

    Le représentant s'éponge le front, siffle le fond du litre.

     

    "Parfait, mesdames, parfait !" Il s'essuie les lèvres. "Le français n'a plus de secret pour vous !

     

    - Das mag sein dit Jeanne en rapprochant son assiette ("cela se peut") – Fitzel se carre au fond de sa chaise : "¡ Si que está cómico ! ("il est vraiment comique !")

    Flèches vitraillières.JPG

     

     

    - I'd rather said : ridiculous

     

    - Vous, vous là, d'où sort cet anglais de cuisine ?

     

    - Sie hurten mich ! Vous me faites mal ! se plaint-elle.

     

    - Kitaxè pos inè kokkino o kyrios dit la Naine ("Regarde comme il est rouge le monsieur")

     

    - De votre temps, bafouille l'homme, de votre temps, on passait le certif à douze ans ! On manquait l'école aux vendanges !" - ses yeux se mettent à rouler – Jeanne lui presse la main, qu'il retire furieusement – lui renouvelle son cidre – qu'il repousse – qu'il vide pour finir – il se redresse à fond de siège, enflammé d'une résolution subite ; entre deux doigts, il cueille sur la cheminée la gravure roulée, la déplie sur la table :

     

    "Chaque mot découvre un visage" dit-il "et multiplie les clés de l'humain, multiplicates keys to humanity – toutes éclatent de rire – AINSI hurle-t-il LE JEU ROYAL -

     

    - ...le roi est mort interrompt Marciau, ech châh mat -

     

    - ...qu'on appelle "échecs" – Xadrez [chadrech] - ...exalte le Dieu-Cheval – qui fraie sa voie libre à la Mort... - Ma mort, ta mort, sa mort – Or poursuit-il que remarquez-vous, là, sous les pieds de l'évêque ? è una serpiente, un serpent - le représentant désigne de plus en plus rapidement les détails de la gravure : "En roumain ! - A mietza, la mitre. - Finnois ! - Borekkü ! (la bourse). - Norvégien ! - La cordelière, de hartlinck ! - l'homme crie, écarlate : Vous inventez ! - Nil invento dit Soupov, je n'invente rien. Le représentant retombe sur son siège. La Jeanne lui tamponne le front : "Nous avons bluffé.

     

    - C'est pour me rassurer. - Nous ne connaissons pas un mot de toutes ses langues, dit Soupov avec bonté. - Je savais bien que c'était impossible" – le représentant s'efforce de crâner. Il repousse le mouchoir. Fitzelle ricane à petits coups. De derrière une armoire elle extrait un bandonéon flétri, large comme la main. L'instrument saisi d'un côté déroule un soupir aigre A la cabreto politas ! - Trop facile grommelle la Naine de très mauvaise humeur tout à coup. Mais le bandonéon scande sec, Fitzelle cloche d'un pied sur l'autre et trace des ronds de jambe en s'emmêlant les touches quando vieïra l'aguaida / qué maliz em la paya / a peçar del ascado – dansa las vièlhas ! - C'est du bidon - Ta gueule et la Jeanne enchaîne les sauts en se marchant sur les pieds, la Toulousaine cambre la taille, la Soupov tourne et rôtit ses gaufres comme un diable ses damnés. Marciau la saisit par derrière et la roule en cercle. Jeanne entraîne la Naine dans sa valse cagneuse ell's dans' entr'elles et on s'en fout. Soudain la grande se met à crier Du beurre !... Des pommes ! et disparaît dans la resserre en laissant la Marciau bras en l'air. Fitzelle aussitôt s'arrête et gueule de l'huile ! en secouant sa main par grandes secousses cacophoniques, comme on se brûle. Apparition des pommes et de la poêle à frire à long manche en bois – la Soupov s'empiffre et les pelures serpentent.

     

  • Badinter

     

    Dans la collection « Etonnants classiques » de Granier-Flammarion, Sandrine Costa présente un dense opuscule, La peine de mort », «de Voltaire à Badinter » précise la couverture : deux bourreaux en noir poussent un condamné en blanc, dessinés par Joëlle Jolivet façon Tardi, vers les deux bras immenses d'une guillotine sur fond rouge sang, tandis qu'une foule de visages ronds, satisfaits, se lèvent pour contempler l'accomplissement de la justice. En haut à gauche, le trapèze droit du couperet, d'un gris tranchant. Tout est dit, un peu trop dit peut-être : cet ouvrage défendra l'abolition de la peine de mort, et fut repoussé de la main par un jeune homme de ma connaissance : « Je sais d'avance tout ce qu'on va dire », sous-entendant clairement qu'il ne souhaitait pas changer d'avis : il était pour, en toute bonne conscience.

     

    De fait, la présentation des textes, à partir surtout du XVIIIe siècle dit « des Lumières », adopte les lignes numérotées, permettant la référence commode pour les dissertations et autres exercices de lycée ou de faculté. Ce serait donc un ouvrage de propagande, pour la bonne cause, à mettre sur le même plan que d'autres livres scolaires ou universitaires : certains sont exaspérés par tant de textes plaignant les pauvres femmes toujours victimes, les pauvres noirs toujours esclavagisés, les pauvres immigrés toujours ployant sous le poids du racisme. Certains mettent tout cela dans le même panier, le panier de son en particulier où tombe la tête du guillotiné - on n'y pense pas car c'est atroce, la tête rebondirait, un détail.

     

    Après tout, cette atrocité, l'assassin l'a commise, en un sens il la recherchait, il est donc juste qu'il la subisse à son tour. « Œil pour œil, dent pour dent » et même, paraît-il, dans l'Armée Rouge, « Pour un œil , les deux yeux, pour une dent, toute la gueule ». Et la majorité dite silencieuse serait facilement, après une campagne élémentaire, reconquise à cette loi dite « naturelle ». Or il se trouve qu'une autre voix s'est élevée dans l'Evangile selon saint Mathieu 5, 38-39 « Vous avez appris qu'il a été dit: Œil pour œil, et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre». Voilà ce qu'il faut faire. Sur quoi d'autres voix que celles du Christ s'élèveront, traitant Jésus de Bisounours, disant que « C'est bien vieux tout ça », que « les temps ont changé ».

     

    Certains partis rétabliront la peine de mort, au moins pour les meurtres d'enfants, puis de proche en proche au policiers, puis à tout le monde, comme au bon vieux temps d'avant Badinter, qui ne put sauver Bontems justement, exécuté fin novembre 72. Il raconta l'exécution, précisant que derrière lui, les juristes avaient tous des gueules d'assassin, tandis que toute l'humanité se concentrait sur le visage du confesseur et du condamné. Albert Camus a lui aussi rédigé d'admirables et cruelles pages sur ces crimes d'Etat, commis avec préméditation, car toute la société enferme et brime à l'avance sa victime pendant des semaines, des mois, des années, ce que nul criminel ne fait avec un tel degré de conscience et de persévérance. Mais justement, ces pages apparemment sont trop belles pour convaincre, les paragraphes les plus sobres prendront des aspects de littérature sans l'avoir cherché, juste en raison du sujet.

    Cathédrale d'Angoulême.JPG

     

     

    Et l'on dira, « tout ça c'est du blabla ». Certains crimes sont si horribles qu'ils ne laissent aucune place à l'attendrissement ni à la pitié. « On ne pleure pas sur la victime, pourquoi pleurer sur l'assassin ». Ces arguments figurent dans le livre collectif ici présenté. Mais ils sont réfutés, car ce ne sont pas des raisonnements, ils n'en ont que l'apparence. Ils s'appuient, justement, sur la sensibilité, sur le sentiment, le ressentiment, l'indignation, la passion, qui ne sont pas les meilleurs alliés du raisonnement raisonné. Le raisonnement doit être froid, mathématique : une vie, une vie. Mais derrière cette apparente identité algébrique se cache l'inhumanité. Le châtiment est disproportionné, par l'inhumanité de l'angoisse, des mois durant, qu'il génère, ou alors, il est insuffisant : il faudrait, pour bien faire, exercer sur le corps du condamné les mêmes tortures qu'iil a infligées à sa victime : il faudrait rétablir les lents supplices, violer les violeurs (y a-t-il un candidat dans la salle ?), étrangler lentement, exercer sur le condamné toutes les brûlures et toutes les mutilations.

     

    Auquel cas la peine de mort serait encore trop douce, « qu'ils s'estiment heureux » disent les partisans. De plus, et déjà du temps de l'abolition en 1981, le terrorisme existait déjà : nous avions devant nous des gens qui recherchaient le martyre, témoignage religieux ou politique, et souhaitaient la mort, qui de punition devenait récompense et honneur, voire affichage dans les écoles subventionnées par nos soins. Et nous sommes tous passés par ces indignations, ces réflexes naturels. Pourtant nous ne voudrions pour rien au monde exécuter la sentence nous mêmes. L'abolitionniste bisounours n'est qu'un lâche ? Peut-être. Mais le partisan qui laisse faire le bourreau « parce qu'après tout, merde, c'est son métier », ne me semble pas moins lâche ; et si nous nous sentons incapables d'exécuter nous mêmes l'assassin, nous devrions en toute logique nous sentir incapables de réclamer sa mise à mort. Mettre à mort, c'est faire basculer dans l'inconnu, dans le néant, dans le terrifiant, un homme comme nous, que nous avons bien de la veine de ne pas être, comme nous, qui renâclerons aussi, qui nous révolterons aussi lorsqu'il nous faudra passer l'arme à gauche. Le partisan de la peine de mort croit appliquer un raisonnement, il cède à une émotion ; l'adversaire, également. Mais au moins, il ne superpose pas, à un meurtre, un autre meurtre. Nous ne savons pas ce que c'est que la mort. Nous ne savons même pas de quoi nous parlons. « Mais les terroristes ! Tout de même ! » Eh oui, je pense cela aussi.

     

    Ce sont d'infâmes, d'immondes vermines. Pour tuer un humain, il faut d'abord le dégrader de l'humain. Ensuite, on l'impression de ne plus tuer que des poux, de traiter par le gaz des Stücke, des « morceaux » comme disaient les nazis. Or, les terroristes n'attendent que ça : que nous les exécutions, que nous devenions les bourreaux des bourreaux, et eux, deviendraient des victimes, à point nommé, se frotteraient les mains ou ce qu'il en reste.

     

  • Quatre rêves

     

    52 04 19

     

    En voiture dans une impasse et cherchant la route de Mérignac, je demande mon chemin à une maison en bordure de chantier où me reçoit une femme d'une cinquantaine d'années aux épaules largement dégagées, un peu ronde. Son mari habite en face et n'est “pas très avenant”. Elle est rejointe par une autre femme, sa mère, qui lui ressemble beaucoup, et qu'elle embrasse sur les omoplates. J'ai bien envie de faire pareil avec la fille. Elles reçoivent des sacs en plastique transparents contenant les copies d'un petit garçon, avec des notes scolaires en rouge pas toujours très fameuses (2,5 en musique).

     

    Je dérange. Je repars sur un tronçon d'autoroute en chantier, me retrouve en plein dedans, à moitié embourbé dans le ciment. Je demande à un ouvrier en blanc la route de Mérignac en lui disant “Dites-moi, mon petit...”, puis j'avise réflexion faite un patron, couvert de plâtre et de peinture. Il se fout de moi en m'appelant également “mon petit”, puis en proposant de ne me répondre qu'après son boulot, car il “travaille”, lui ! “...de 7 h à 17 h.” Je réponds “Moi aussi”, ce qui est faux. Il me dit que la réponse dépend de tel garçon qu'il aime comme un fils. Survient un jeune homme de 17 ans aux jambes nues et propres, et qu'il prend par l'épaule.

     

    Pressentant un long baratin foutage de gueule, je me réveille.

     

     

     

    52 04 21

     

    Je reçois un coup de téléphone qui me permet d'espérer une bonne fortune. A l'adresse indiquée, je trouve un bordel ormé de deux pièces, une salle d'attente où règne une Asiatique (je regarde un film porno sous-éclairé assez banal), et une pièce où se passent, sur des lits superposés, des unions assez confuses voire douloureuses. On me laisse regarder (un sexe de femme en gros plan avec du sperme autour), mais le prix est de 99 € : trop cher pour moi. “Je peux aussi bien le faire tout seul chez moi.” Je ressors, c'est à Vienne, il me reste une heure avant le train, je marche au milieu de la circulation, la pente descend très raide, je me souviens d'avoir foulé un sommet pourvu d'un peu de neige mais de ne pas avoir profité de la vue puisqu'elle était la même que durant l'ascension.

     

    A présent j'essaye de ne pas me faire renverser : la Westbahnhof est vers la gauche, mais ma gare est tout droit, en bas de la pente. Un léger malaise : un saint hindou, barbe et dhoti blanc, veut s'occuper de moi, il a l'air inquiet, mais en fait ce n'est rien. Je me réveille.

     

     

     

    52 04 23

     

    Dans une petite préfecture du Massif Central où je me suis réfugié. Une énorme porte dans une ruine de donjon, où je voudrais pénétrer. Nul ne peut me dire comment m'y prendre, les habitants questionnés se dérobent et la nuit tombe. Pourtant ce portail figure à l'envi sur les cartes postales, c'est la plus belle chose de la ville. Comme j'erre au pied de ce donjon et que la porte s'est ouverte par inadvertance, j'espère entrer, quand un magnifique oficier de gendarmerie en bottes vient jeter un regard soupçonneux et la referme sur lui. C'est l'hôtel de police, j'entrevois les bureaux.

     

    Je me contente de l'hôtel à touristes, mes réserves d'argent diminuent, je cherche un appartement en ville, ma famille est là dans ma chambre, ma mère voudrait me voir bien installé, pas trop cher et confortablement. Elle est allongée sur un lit. Je lui dis que si je devais retrouver à Aurillac (mettons) le confort d'ailleurs, cela ne servirait à rien d'avoir voulu une rupture avec ma vie antérieure. Sonia et David, présents au moins en pensée, semblent m'approuver. Décidément, j'aurai trimballé un œdipe intact toute ma vie. Les camarades nouveaux que je rencontre au bar ne sont pas tellement sympas, d'ailleurs, et à peu près aussi auchés que moi...

     

     

     

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    Je cours en remontant une pente goudronnée dans les Pyrénées. Un petit homme bun court également, de l'autre côté d'un parapet, sur la même route. Je prends de la distance, mais je m'essouffle, et le petit homme (Dufourg), sans se vexer, me rattrape et me demande si je veux continuer. Cela, deux ou trois fois. Arrivent les touristes, de plus en plus nombreux, sans se presser. Je le rejoins alors sur sa section de route, déjà bien dégagée. Puis je veux rejoindre les touristes, faisant tomber les volets de bois, qui protégeaient la section du nain, sur les pieds de l'un d'eux qui proteste.

     

    Plus tard, relisant le récit de notre course-poursuite, je vois que l'auteur me traite comme un fils blond d'instituteur, qui ne serait finalement pas allé jusqu'aux Ecoles d'En-Haut, où m'attendait une petite fille d'instituteur, blonde et très sage.