Proullaud296

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  • C'est fou ce qu'il peut m'arriver comme conneries...

     

    Il existait en ce temps-là un aspirant dictateur, férocement caricaturé par ses adversaires, qui l'accusaient de toutes les turpitudes et tous les ridicules. Enfant je le connaissais bien, jouant même aux billes avec lui. La dernière fois que nous avons joué à la tic, il était gros et gras et rubicond comme à présent, très laid, bouffi de visage et la voix « pousse-pour-chier ». Mais je l'aimais bien. Passant alors dans des salons ouverts, sans s'être même ablutionné les mains, il m'invitait à le suivre : on y mangeait, on y buvait le thé debout à grand renfort de petits doigts en l'air et de smokings, les femmes à l 'avenant. Qui étais-je, moi, pour m'y introduire ? Pourquoi tant de belles manières, surjouées, contrefaites, pour quelles dignités devrais-je me présenter à tous ?

     

    Mais l'amour du jeu parvint à l'emporter : nous nous sommes assis à une table de tric-trac, mais le tablier représente une carte de France : l'un de nous la voit nécessairement à l'envers. Chacun occupe une ville de France, conçue comme une place-forte, par le symbole d'une petite bille, compacte, en acier. Le jeu consiste, à l'aide d'un bâtonnet également d'acier, à pousser ses propres sphères sur celles de son adversaire, afin de s'emparer de ses villes ou forteresses ; dans certains cas, il est même permis d'utiliser une sarbacane, où les petites billes peuvent se loger ; on souffle, et hop ! plus d'armée ! Afin de renforcer les lignes de défense, un petit boudin de tissu court d'une bille à l'autre pour les protéger.

     

    Seulement, je manque de la plus élémentaire adresse, mes billes roulantes ou projetées atterrissent un peu partout, se dispersent : impossible d'atteindre l'objectif. Autour de notre table des spectateurs désœuvrés forment cercle. J'essuie quelques railleries, mais sans méchanceté ; après tout, les fameux sbires de Le Pen, puisqu'il faut l'appeler par son nom, ne montrent pas de méchanceté particulière. L'ennui, ce serait plutôt les tricheries du personnage : il tire d'un berceau de poupée bien opportunément placé à sa gauche deux billes supplémentaires dont je n'avais pas l'équivalent, il déplace le jeu lui-même pour lui fournir prétendûment une meilleure assise, modifie sans cesse la disposition de ses boudins de protection, tantôt devant telles billes, tantôt devant telles autres : impossible de me tenir à mes stratégies successives.

     

    Chacun de ses tirs, pour autant qu'il y en ait ! reste précédé d'une interminable réflexion pendant lequel son front se plisse atrocement. Cela manque de l'horloge des tournois d'échecs internationaux. Alors ma foi, plus question de barrette d'acier ni de sarbacane ; avec mes propres doigts, d'en haut, j'assaille vaillamment ses positions et les défais une à une ; rien ne me prouve que cette technique soit interdite. D'ailleurs il ne m'a pas renseigné sur les règles du jeu ; il me répèteque je suis trop jeune, trop bête, mais élude mes demandes de précision, comme si c'était un grand mérite d'écraser un novice. Un valet substitue alors une carte d'Europe à celle de la France, et me remet mes clés d'appartement et de voiture, que j'avais égarées.

     

    Arbre et mur, immeuble.JPGMa situation change alors du tout au tout : je défends toujours une région d'Espagne située juste au sud des Pyrénées, tandis que mon adversaire, bien lointain désormais, se trouve relégué dans la contrée d'Arkhangelsk, en Russie. Tout m'échappe, de la possession des clés à celle des territoires, pour ne pas dire les règles du jeu lui-même : cette nouvelle carte d'Europe est en plastique transparent ; au travers, nous voyons très bien encore par transparence la carte précédente, celle de la France. Et c'est mon adversaire qui obtient qu'on enlève celle de l'Europe, qui embrouille tout, « par égard pour [sa] femme » - en quel honneur ? qu'est-ce que cela signifie ? je serais donc seulement le couillon à qui la valetaille rapporte ses clés, tandis que mon adversaire modifierait à son gré la règle et les accessoires du jeu ? Alors ont retenti les trompettes du Jugement dernier...

     

     

     

    X

     

     

     

    Mon père n'avait pas plus d'autorité. Il ne comprenait pas plus que les autres ce fait indubitable : un mariage n'est pas une conflit d'autorité, mais une collaboration dans un but commun. Peut-être ses interminables vaisselles à la main l'ont-elles amené à se considéré comme soumis. Il ceignait son tablier, comme Courcelles, professeur de faculté, tout en grommelant très fort contre moi, qui devais prendre sa suite plusieurs décennies durant. La vaisselle en effet, mes bien chers frères, avant l'invention du lave-vaisselle, tenait absolument de l'Hydre de Lerne, si même elle ne l'avait pas engendré : c'est un monstre aux cent têtes, dont l'une coupée fait renaître dix autres.

     

    Je ne fis donc ni une ni deux : avisant un bol sale et quelques couverts qui traînaient sur la table, je les ai insolemment jeté sur le sol en gueulant : « C'est toi qui est chiant ». L'audace était forte, jamais je n'avais parlé ainsi à mon père. Je rajoutai quelques grossièretés pour faire bonne mesure et suis ressorti dans la cour. Je découvre alors, à ma plus profonde stupéfaction, que m'attends là, au beau milieu, un autre père, un Noir ! Je regarde ma main, parfaitement blanche, mais cela ne prouve rien. Ma mère aurait-elle eu des velléités de coucheries exotiques ? ...Me veut-il aussi du mal, celui-là ? Sera-t-il moins agressif ? Pour en avoir l e cœur net, je lui lance avec force un couteau venant de la cuisine.

     

    Le Noir l'évite d'un mouvement preste du cou ; imaginons que mon autre père, le Blanc, le vaisselier, sorte à ce moment dan la cour, et vienne en renfort contre moi ? je suis foutu !Alors sans attendre, je déguerpis, monte à ma chambrede l'autre côté de la cour : elle est facile à reconnaître, sa fenêtre éclairée commence à se distinguer dans le jour tombant. Dès que j'y serai, mais ce sera long ! je me barricaderai – le Noir ? il est parti ! Monsieur a dédaigné mon attaque, Monsieur avait « d'autres choses à faire » ! il ne se soucie pas plus de moi que mon autre père, scotché à sa vaisselle ! Insultez-les, attaquez-les, ils ne réagiront pas ! de quoi retourner à l'évier pour de nouvelles bordées d'injures...

     

  • Mauvais sujet repenti

     

    Il se fit un masque de poils entrelacés, se confectionna une voix persuasive, sans trop d'inflexions typiques afin de ne pas effrayer, ni susciter la dérision. Il ne prêcha point, ne distribua pas de nourriture, dont les exsudations du chat se trouvaient abondamment pourvues pour tous, mais répandit les consolations dans ces oreilles de minuscules femmes battues, et même, dit-on, de certains hommes prêts à frapper, qu'il persuada du contraire. On l'accueillait partout avec mystère, mais ce fut un secret vite éventé : un chat parcourait la Grande Echine, et fortifiait tous les cœurs. 

     

    La charité est une étrange chose : on ne saurait imaginer à quelles tortures vous soumet une âme sensible ; la férocité, têtes coupées en chapelets, membres boucanés avant d'être jetés aux chiens, n'occupait plus qu'un coin de sa mémoire de pirate, comme une existence étrangère autrefois jetée là. A quoi rimait donc à présent ce sauvetage de femmes en détresse et si minuscules ? Pouvait-il simplement semer l'effroi dans le cœur de ces maris de forme humaine ? Car il les effrayait, il n'en pouvait douter, à voir tous ces spadassins microscopiques détaler à son approche, toutes ses griffes dehors : très petit pour le gros chat où tous vivaient, immense aux yeux de ces gnomes au carré.

     

    De plus – il s'en avisa au retour d'une expédition punitive : non content de l'avoir privé des plaisirs humains, le sort ne lui avait pas même accordé la quiétude ordinaire aux félins. Certes, l'effrayant sommeil de l'espèce l'envahissait à toute heure de jour ou de nuit – mais du moins les chats éveillés n'ont-ils rien d'autre à faire que de chasser, s'ils sont sauvages, ou d'attendre leur pitance ; mais lui, Brian, sitôt éveillé, se sentait investi d'une mission : chaque cerveau d'homme porte en charge l'humanité. Un instant il pensa réclamer à la Grâce Divine les restrictions cérébrales d'un chat, moyennant toutes ses capacités instinctives, mais s'étant retenu d'extrême justesse, il reprit son train chaloupé, débusquant et serrant délicatement dans ses crocs les maris brutaux, ne les relâchant que lorsque sous l'effet de l'émotion ils avaient lâché ce signal de peur, la merde.

     

    Il devrait s'attendre à des attentats ; dormir même n'était plus sans danger. Les femmes d'autre part, voyant qu'elles pouvaient se faire secourir sans trop payer de leurs charmes – puisqu'il ne s'agissait que d'un animal trop gros pour ce faire – au demeurant peu attiré par des femelles d'une autre espèce - les femmes humaines, donc, ne lui manifestaient plus leur reconnaissance, sinon sous forme de caresses distraites, puis, insensiblement, imperceptibles. Et comme toutes les pensées humaines s'obstinaient à le persécuter, il se demanda, au cours d'une de ces douloureuses somnolences, si les instincts amoureux ne l'assailliraient plus, hélas, que périodiquement, à la féline. Comme pour tous les chats. Ou s'il continuerait à ressentir de loin en loin, à la ressemblance des mâles humains, ces chatouillis de toute heure et de tout lieu. Aussi l'oreille au moindre bruit lui tressaillait, triangulaire. Des pouvoirs inconnus s'éveillaient en lui ; la félinité ne laissait pas de présenter certains avantages : il pouvait s'attarder à volonté dans ces espaces où le rêve ôtait tout pouvoir sur les choses. Pour commencer, Brian se contenta de fariboles : évoquer (c'était un apprentissage) son ancienne compagne perdue corps et bien – étrange chose en vérité. Puis il s'aperçut qu'il n'avait de souvenirs vraiment solides que ceux qui dépendaient de son ancienne humanité. Il en vint à souhaiter recouvrer son ancienne forme, celle qui suivait, du moins, sa mort, car quant à revenir hurler dans la tempête d'un voilier, il n'y fallait plus songer : « Je suis mort depuis cent ans, bel et bien mort ». Un financier, en rêve, lui objecta qu'il ne fallait pas ainsi prendre, puis révoquer ses décisions : la commutation d'espèce, de l'humaine à la féline, et vice-versa, ne se traitait jamais à la légère ; lui, Fugger, ultime rejeton d'une illustre race, ne pouvait prendre sur lui de ramener Brian à sa condition première. Mais il promit de consulter Dieu, ou toute instance suprême. 

    Aux morts de 70.JPG

     

     

    C'est ainsi que Brian-le-Chat, s'étant profondément repenti, redevint homme. Et homo zurück factus est. Mais si le passage d'homme à chat n'avait pas été plus douloureux que l'éveil d'un songe, la retransformation en humain pensant, et surtout agissant, s'avéra terrible : du moins au plus. Et toute la Nature se révolta. Le banquier disparut sans doute en quelque contrée de l'au-delà (de quoi sert de mourir, pensa Brian, s'il doit y avoir encore de ce côté-ci des « contrées »?) L'accession à une conscience nouvelle se fit à la façon d'une circulation rétablie dans un réseau sanguin fortement compressé. Brian retrouva la sensation de lucidité, d'une seconde mort ajoutée à la première, les actes et les pensées du félin qu'il fut se reculant alors avec une terrible netteté.

     

  • Annette et les Tusculanes

     Annette, qui présente ce choix de textes annexes que l'on n'a jamais le temps d'aborder dans le cours de l'année scolaire, avant-propose son texte de la façon suivante :

     

    « La société que dépeint Juvénal dans les Satires est contemporaine de celle que font revivre les Lettres de Pline » (le Jeune) « (on peut fixer la date de leur publication en 100 ap. J.C.), mais quelle différence de ton ! » (nous allions tous le dire) « Il arrive à Pline d'exprimer son mépris ou son indignation, mais dans l'ensemble il aime admirer et aussi se faire admirer pour sa générosité et ne demande qu'à oublier, en famille, parmi ses amis, dans l'entourage du prince, » (id est de l'Empereur), « les désordres qui ont marqué la fin du règne de Domitien », autre grand modeste. « Au contraire Juvénal, par goût sans doute, et aussi pour s'inscrire dans la lignée des satiriques dont il se réclame (Lucilius, né vers -180, ou Horace), critique les mœurs de son temps : » - bémol, please ; Juvénal, courageux mais pas téméraire, n'appelle par leur nom que les personnages morts depuis belle lurette - « personne ne trouve grâce à ses yeux. Dans la sixième Satire, il s'adresse à son ami Postumus qui lui annonce son intention de se marier : pour le dissuader d'un projet aussi insensé, il se lance dans une attaque en règle des matrones », c'est-à-dire des Romaines mariées, qui ne sont pas nécessairement ventrues ni mamelues. « Qu'il suffise de préciser que cette satire est la plus longue de toutes celles qu'écrivit Juvénal, et sans doute la plus célèbre ! » A présent, chères petites latinistes, plus le pédé au fond de la salle, aiguisez vos petites dents traductrices : Est pretium curae, « il vaut la peine ».

     

    Jamais nous ne supporterons tout un texte en latin. Des notes, encadrées sur deux colonnes, vont nous abreuver de traductions et de commentaires verbeux, complets et filandreux ; c'est véritablement le cauchemar des éditions scolaires : note 1, répétition de l'expression, traduction accompagnée d'observations grammaticales, renseignements oiseux, 26 en tout pour 38 vers : intenable. « Cognoscere est sujet de est, pretium attribut ; quid agitent, à quoi elles s'occupent », le fréquentatif suggèrent qu'elles déploient une grande activité », et que c'est là qu'il faut rire ; toto...die (notez le contre-rejet et la disjonction!) » s'exclame la présentatrice, enthousiaste et qui est bien la seule : « toute la journée ». » « Il n'est pas mauvais de connaître à fond (penitus) ce qu'elles font, ce qu'elles tracassent tout le long du jour. » L'enseignement du latin navigue entre écueil et tourbillon, de Charybde en Scylla : ou bien, comme ici, à l'ancienne, il se fonde sur l'analyse grammaticale rigoureuse, et ne permet l'accès à la traduction qu'après un long, laborieux et décourageant décorticage, ou bien, comme dans les nouvelles méthodes, ils proposent à l'étudiant de relever les subjonctifs imparfaits et les circonstancielles de conséquence elliptiques ; puis, comme le latiniste ne comprend rien au texte lui-même, il lui donne carrément toute la traduction.

    Aurillac sur la Cère.JPG

     

     

    Le lycéen se rengorge alors et se croit capable de lire le latin, de tout saisir du premier coup, mais en réalité, privé de la traduction en français juste en face, il n'y entrave que pouic, comprendit puicum. Ne jamais oublier que l'agrégé de latin actuel se trouve à peu près au même niveau qu'un élève de seconde au temps de Louis XVIII (1820...) Alors ma foi, mieux vaut radiodiffuser la traduction de la collection Budé : laquelle présente aussi des notes en bas de page. « Leur mari a-t-il tourné le dos, la nuit ? Malheur à l'intendante ! Tunique bas, les préposées à la garde robe ! » (note en bas de page : « à poil, pour la torture, entre femmes ») « Le Liburnien » (c'est un esclave Croate, merci Google) « est accusé de s'être fait attendre, et c'est lui qui paie pour le sommeil du maître. Sur le dos de l'un, les baguettes se brisent (hic frangit ferulas) ; celui-ci est rouge de coups de fouet ; celui-là de coups d'étrivières » (les cavaliers savent que c'est la lanière qui relie la selle à l'étrier). « Il y a des femmes qui ont des tortionnaires à l'année. On frappe : pendant ce temps elle se peint la figure, elle écoute ses amies, elle examine la large bordure d'or d'une robe brodée. On frappe encore : elle relit les lignes transversales d'un long compte journalier. On frappe toujours : la force manque enfin aux bourreaux. « Hors d'ici ! » hurle-t-elle d'une voix de tonnerre. Justice est faite. »

     

    Nous tombons des nues. Juvénal exagère. Ce ne sont pas des femmes mais des furies. Nous aurions préféré le passage où ces dames, complètement bourrées, rentrent du cabaret, soulèvent leurs robes et pissent en rotant sur les statues de la Pudeur. Mais le sadisme, pour nos élèves, est bien moins dégradant n'est-ce pas que l'obscénité. Juvénal, dont le rapport avec les Tusculanes de Cicéron semble bien ténu, à l'exception de la douleur, bifurque en vitesse du battu vers le rebattu : la coquetterie féminine. Ne l'accablez pas : vous aussi, vous riez comme des ânes aux sketches de Rire et chansons. « Administrer une telle maison, c'est aussi périlleux que la cour du tyran de Sicile » (le texte dit « ce n'est pas plus doux » : non mitior). « Elle a pris un rendez-vous. Elle veut être plus belle que d'ordinaire. Elle se dépêche, car déjà on l'attend aux jardins, ou plutôt au sanctuaire d'Isis, la déesse entremetteuse. La pauvre Psecas, cheveux arrachés, épaules nues, poitrine découverte, » pour mieux recevoir les coups, « est en train de la coiffer. «Cette boucle est trop haute. Pourquoi cela ? » Le nerf de bœuf punit sans délai ce crime, ce forfait d'un frison manqué. Qu'a donc fait Psecas ? Est-ce sa faute, à cette fille, si ton nez te déplaît ? Une autre, du côté gauche, brosse les cheveux, les peigne, les roule en anneaux. Assiste à la délibération une vieille esclave de famille qui, après de longs services, a psssé du peigne à la quenouille. C'est elle qui, la première, donne son avis. Les plus jeunes opineront ensuite, par rang d'âge ou de mérite. On dirait qu'il y va de l'honneur ou de la vie, tant elle a souci d'être belle. Que d'étages superposés, que d'architecture dans cet édifice dont elle charge et surélève sa tête ! » Ah çà, faut pas péter. « Vue de face, on la prendrait pour une Andromaque », 1m 85 au garrot. « Vue de dos, sa taille diminue, on dirait une autre femme. Que sera-ce si, n'ayant reçu en partage qu'une taille minuscule, elle ne paraît pas plus haute, sans ses cothurnes, qu'une vierge pygmée et doit se dresser agilement sur la pointe des pieds pour se faire embrasser ? De son mari, dans tout cela, elle ne se préoccupe aucunement, non plus que des dépenses qu'elle lui cause. Elle vie comme si elle n'était que sa voisine. La seule chose qui la rapproche de lui, c'est qu'elle déteste ses amis et ses esclaves à lui, et pèse lourdement sur son budget. » C'est Juvénal qui est lourd, et nos Tusculanes cicéroniennes se sont envolées bien loin.

     

    Ma foi tant pis. 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Les Tusculanes, de Cicéron

     

    Il sera très peu question ici des Tusculanes de Cicéron, d'une part en raison de l'éloignement de cette lecture, qui remonte aux années 99 à 2003. Pourquoi les évoquer seulement aujourd'hui ? parce qu'il ne s'agit que du Livre III, et que nous n'avions trouvé bon de parler que d'œuvres complètes ; or nous avons changé d'avis, et il n'y a que les imbéciles qui ne changent jamais d'avis : c'est mon avis depuis toujours. D'autre part, en raison de l'insipidité habituelle des propos de Cicéron, du moins pour ceux qui ne l'aiment pas, ce qui détruit nos accusations d'insipidité : « qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ». D'autre part encore, en raison du tirage au sort des pages à relire, afin de « remettre dans le bain » le chroniqueur qui vous parle ; or ce tirage au sort nous a mené à la fin du fascicule, chez « Hatier – Les belles lettres », à l'usage des candidats du bac : il n'y est question que d'autres auteurs, Tertullien, Sénèque, Juvénal, traitant de thèmes analogues à ceux de Cicéron.

     

    Pourquoi les Tusculanes ? Google, excellent moteur de recherche, nous rafraîchit la mémoire : Cicéron s'est imaginé tenir un dialogue philosophique avec plusieurs de ses amis, dans sa villa de Tusculum, à 25 km au sud-ouest de Rome. Les thèmes qu'il a traités sont, entre autres : la douleur est-elle un mal ? Non, car il n'est pas question d'imiter ce sage grec. « Tu as beau me tourmenter », disait-il à sa douleur (médicale), « je n'avouerai jamais que tu es un mal ». Car s'il s'interrompt pour s'adresser à sa douleur, c'est qu'elle le dérange, le fait souffrir, donc, c'est un mal. Ce sage-là, il ne faut pas l'imiter. Mais nous devons serrer les dents, nous taire et supporter. Voilà qui est stoïcien.

     

    Autre thème : la mort est-elle un mal ? Non plus : en effet, cette fois c'est Epicure qui nous parle, ou bien la mort n'est pas arrivée, donc nous sommes vivants, ou bien elle ne dure qu'un instant, après lequel nous ne sentons plus rien, donc, elle n'existe pas. Admirez le tour de passe-passe, et le soulagement qu'une telle réflexion doit apporter : zéro. Cependant, Cicéron diffère d'Epicure : l'âme en effet, dit-il, est immortelle. Ou bien nous persistons en tant qu'individus, et nous continuons à penser. Ou bien nous nous fondons avec l'intelligence suprême de l'univers, et nous sommes divins. Nous voici donc tout consolés, tout guillerets. De même, le sage doit-il avoir du chagrin ?

    La bénédiction.JPGLA BENEDICTION, SCULPTURE D'ANNE JALEVSKI

     

     

    L'un de ces philosophes, en promenade, apprit que sa maison avait brûlé ; « cela pourrait être pire », dit-il, « personne n'en est mort. - Si, justement, ta femme et ta fille ont péri. - Cela pourrait être pire », répond-il. - Comment ? s'écrie son interlocuteur indigné. - Eh oui, j'aurais pu y être. » Colossal humour ! Et d'ajouter : Omnia mecum habeo, « J'ai toujours tous mes biens avec moi ». Le philosophe est donc prêt à toutes les catastrophes et conserve avec soi tous ses biens, sauf son humanité. Est-ce le but de la philosophie de perdre toute sensibilité ? Cicéron ne va pas jusque là. Il disserte, fait échanger des propos avec ses hôtes, mais ne parle pas en tant que Cicéron : un jeune homme est là, imaginaire, pâle et falot, qui permet au dialogue de se poursuivre. Cicéron est un vulgarisateur de la philosophie grecque, il n'a rien inventé de bien original, moi non plus.

     

    Ajoutons que les passions doivent être éliminées, parce qu'elles proviennent de jugements hâtifs donc erronés. Enfin, la vertu donne le bonheur, l'argent, non. L'alcool, non, l'eau ferrugineuse, oui. Pas la moindre once d'originalité, ni pour nous qui retrouvons ici la morale de papa et d'arrière-grand-papa, ni pour les Anciens qui lisaient cette bouillie éloquente avec le même recueillement qu'aujourd'hui les lecteurs d'éditoriaux de Sud Ouest Dimanche ou de l'Express et toc. C'est en effet (je parle de notre auteur) le genre de textes à recommander pour des jeunes gens (surtout des filles, car le latin ne sert à rien, les garçons l'ont découvert, ils sont bien plus intelligents), adolescents turbulents et passionnés qui doivent se faire doucher à l'eau froide des préceptes moralisateurs.

     

    Les textes annexes, que les auteurs du fascicule s'imaginent sans doute étudiés en classe, les petits naïfs, reculent de Tertullien, actif vers l'an 200, à Salluste, puis à Sénèque, puis à Tacite. Tertullien était un taliban : les premiers chrétiens, détenteurs de la vérité absolue, se glorifiaient de leurs martyrs, et n'ont cessé de se massacrer que tout récemment, et de façon provisoire, en Irlande : comment, quoi ! beugle le texte : de grands hommes ont bénéficié de statues après leur mort, alors qu'ils n'avaient servi que les lois et leur patrie, et ceux qui sont morts pour le seul vrai Dieu n'auraient droit à rien ? C'est pas beau, la jalousie, mon Tertullianou. Depuis, les statues de saints ont fleuri partout.

     

    Salluste nous présente le portrait de Marius, grand général, qui n'a pas été instruit, mais exhibe ses décorations militaires, et se vante d'être un « homme nouveau », qui ne doit son élévation sociale qu'à ses mérites et à ses cicatrices, et non pas aux exploits de ses ancêtres ; l'ancêtre, c'est lui. De Sénèque nous ne dirons rien, car le texte latin seul n'a pas été compris par le professeur de latin que je fus. Je crève de honte, mais plus tard. Il m'a semblé cependant que selon lui, il y aura toujours des gens méchants et des gens bons : voilà bien de l'originalité. Tacite est un peu plus rigolo, car il nous montre la cruauté de Néron, qui fut loin de s'exercer uniquement contre les chrétiens : il condamnait à mort tous ceux dont la tête ne lui revenait pas, même si la fille de l'accusé venait le supplier. Alors le sage Thraséa Paetus se trancha les veines, comme avant lui Sénèque dans son bain, de sang. Tout cela pour montrer la constance dans la douleur, la dignité dans la mort et dans la vertu. Juvénal, dans sa sixième Satire, vers 474 à 511 (ouvrez votre livre, bande de puceaux et celles), s'attaque aux femmes (cible ô combien originale), pour déprécier le mariage : comme disait plaisamment Onfray, la vie ne peut pas être bonne avec bobonne, et public, féminin, de copieusement huer.

     

  • Petit délire


    20 juin 2045
        Annie vient de partir pour la banque. Les jérémiades pourraient aller leur train. Nous n'avons pas d'argent, "petites misères touchantes de l'adulte".
        - M'sieu, qu'est-ce que c'est, une "dulte" ?
        Tel quel. Par l'élève Bensalem. Un de ceux qui m'auront marqué. Deux ou trois ans avec lui, avec sa soeur. Il me disait de ne pas marcher lentement, comme ça, avec la bouche ouverte, que ça me donnait l'air con. Merci pour la franchise. J'ai toujours eu besoin de conseils comme cela. Je n'arrive plus à m'intéresser à la régularisation de mon passé. La destinée, c'est comme ça.
        Françoise m'écrit sous le pseudonyme de "la Lectrice". C'est malheureux, mais je suis obligé de déchirer toutes ses lettres peu de temps après leur lecture. Il ne faut plus qu'on puisse en trouver, alors qu'elle conserve toujours toutes les miennes, même quand elles sont dictées au moins apparemment par le devoir. Or il se trouve que les dernières, justement, j'ai envie d'y répondre en détail.
        Forcément, elles parlent de moi et d'Anne, ma moitié et mon double (par le volume). Qu'est-ce que ça peut faire qu'on retrouve tout cela, je ne suis pas responsable, il n'y a rien après la mort et après moi le déluge.Qui saura lire, vraiment lire dans cette génération qui vient ?
        Toujours est-il que je ferais bien un brouillon de réponse à Françoise, je ne sais d'ailleurs pas quand je pourrai lui écrire, il faudra choisr un moment où je serai seul dans la maison, ce qui n'est pas si difficile. Je repense à des tas de choses, en particulier à cette remise si particulière de la photo des collègues dans une pièce quasiment obscure par Marie-Hélène Sanchez, à qui j'avais offert une boîte de chocolats, et qui en avait été bouleversée, qui était venue plusieurs fois dans ma classe sans réelle nécessité, qui me regardait toujours de si près avec comme on dit "ses yeux de myope".
        Montaigne aussi procède par sautes de sujets - ah, ah, ah, ah !
        Moi et Montaigne... Moi et Max Gallo, qui passe pour un bourreau de travail, qu'est-ce qui me prouve qu'il travaille dix heures tout seul. Ca c'est de la mesquinerie, coco. Moi, au bout d'une heure vingt, je suis comme un dingo, il faut que je sorte m'aérer. Il se lève à trois heures et demie du matin. On voit sa fenêtre qui s'allume dans un bel immeuble de la place du Panthéon. Il est fils d'immigrés italiens. Il vit de sa plume. Il écrit des biographies de de Gaulle, Napoléon - belle prise de risques...
        Et quand un ouvrage est terminé, il se sent le pauvre dépossédé, la vie matérielle lui retombe dessus, la douche ne marche pas et il faut changer les pneus de la bagnole... Eh, pauvre con, qui est-ce qui se charge de toutes ces corvées pendant que tu écris comme une bête dix heures par jour ? Combien as-tu de bonniches, de femmes complaisantes pour te décharger des emmerdements ?
        Moi aussi je suis écrivain, moi aussi j'ai des douches qui fuient, seulement je dois m'en occuper moi-même, ou pousser ma femme à le faire car autrement elle ne le fera pas, ce qui revient à passer beaucoup de temps, je fais la lessive et j'étends le linge pendant que ma femme se goberge dans les ateliers de sculpture avec la belle vie. Et elle aussi aurait bien voulu réussir.
        Mais nous, en fait de rencontres, on ne connaît que des tapeurs comme Ortega ou des collègues j'allais dire qui ne débouchent sur rien, ce qui est faux, mais Pilpa aurait voulu sans doute que je jouasse le rôle de "paillasson admiratif", qui est selon Céline - le brave homme ! - le seul rôle dans lequel les hommes se tolèrent mutuellement... Pilpa a d'ailleurs voulu nous présenter à son grand ami et pédé Hugo Victor au CAPC, mais celui-ci est passé auprès de nous avec un tel air de dédain parisien que nul n'a insisté...
        De toute façon il faut tellement se démener pour réussir que j'y renonce en quelque sorte, je me suis déjà démené, contre les élèves, leurs parents, ma femme, ma fille - se battre, se battre, se battre... pouah ! comme je l'écrivais à ma correspondante de La Fouillouse (Loire)... Toujours se fatiguer, je suis usé, à présent. Jérémiades ? Certes. Mais alors, faisons cela en grand.
        "Le meunier, son fils et l'âne". Nous allons voir, Messieurs les Censeurs. Mme G., conseilleuse en chef. Elle prend les rappeurs pour des revendicateurs de liberté. Les rappeurs eux-mêmes, peut-être. Mais les petits casseurs, à part du fric à ne rien foutre, qu'est-ce qu'ils veulent?
        Comme Rosto, le droit de mener une petite vie pépère en ne foutant pas grand-chose ? Prenant le vent pour profiter de Pierre, Paul ou Jacques, Lautil éventuellement, il voulait bien aller chez lui "par curiosité" ? Pour le taper ? Il aura du mal, Lautil ne parvient pas à payer le violon de Violaine en entier, il faudra dépenser de grosses sommes en téléphone pour lui soutirer ce qu'il a promis qu'il devait.
        Annie est partie à la banque, j'appelle ça de la composition en cercle. Et voilà, le manque d'inspiration. Ah, c'est ce qu'il ne faut pas dire ? Eh bien moi je le dis. Je n'ai pas d'inspiration, et toc, je le dis. Allons jusqu'au bout du ridicule, si ridicule il y a. Que je puisse tout de même appliquer ce précepte de Napoléon : "Quand on s'est trompé, il faut insister ; cela donne raison." Ou à peu près.
        Napoléon repose dans son tombeau, exposé à tous dans une vasque aux Invalides. Il y a sa tête et ses pieds. Que reste-t-il de lui ? Je suis toujours dans le sujet, bande de cons. Je parle de la survie. Je me collète avec le seul sujet de l'écrivain, la survie. Le temps. E tutti quanti. Je recompose tout. Je t'en foutrais de la sincérité. C'est inéditable. Allez tous vous faire enculer à sec.
        Annie est partie à la banque, leitmotiv. Elle a mis un temps très grand à se préparer. Moins toutefois que pour courir à Angoulême, où elle s'était levée avant sept heures pour partir à onze heures et demie. Elle va essayer de gérer les pauvres restes de son héritage. Encore faudrait-il que nous ne mangions pas pour cent trente francs de nourriture quelconque au petit bar près de chez Nadia.
        Celle-là est venue nous voir pendant que nous mangions, peu avant deux heures, heure d'ouverture de son atelier. Tout cela sera mort un jour, je vis parfois comme si j'étais survivant au milieu déjà des traces que j'aurais laissées, vulnérables, à la merci d'héritiers peu scrupuleux. Je me fous des règles de composition, de ce u'il faut ou ne faut pas dire au public, je m'adresse à un type qui me ressemble exactement.
        Salut, clone. Je suis pour le clonage. Cela supprimera les p... et m... (mots sacrés de la langue, transformés en obscénités dans "le Meilleur des mondes" de Huxley. Vous connaissez ? Ca a survécu à la Catastrophe ? Pardonnez-moi, je prends les autres pour des ignares, c'est un tic professoral, bien en accord avec ma précieuse personnalité, c'est mon é- diteur qui me le disait, je vais vous confier un grand secret, il n'a jamais eu son bac et ne lit jamais les livres au-delà de la page 70.
     L'arme du crime.JPG   Ce qui ne l'empêche pas de pouvoir en parler car il assimile très vite. Par sa mère il a été amené à un moment donné à fréquenter la bourgeoisie déchue de la Martinique, il faudra que j'interroge Françoise par écrit, pour savoir quel membre de sa famille était noir, puisque "Déjeuners de soleil" est largement autobiographique. Il ressemble de plus en plus à Laurent Voulzy (chanteur de ce temps-là, pédé avec Souchon, puis ils ont eu deux fils avec une femme différente, deux fils amis comme leurs pères ; je vous explique tout, bande de nazes, car vous vivez dans une époque tellement lointaine, avec une autre langue).
        Tout mon côté insupportable passera par l'écrit. Ma devise sera : "Ah, c'est comme ça ?" - je continue : "On s'est foutu de ma gueule ? Ceux qui me disaient de faire ceci et pas cela s'empressaient de le faire pour leur propre compte, en me disant que pour eux, n'est-ce pas, "ce n' [était] pas la même chose" ?
        Mais c'est qu'on m'a déjà fait le coup, mes cocos, une vie entière, et maintenant je vous ai tous laissés passer devant et me voici inconnu dans une cabane en bois en train de taper pour la postérité qui s'en fout...

  • La Dama azul, en espagnol dans le texte

     

    El Señor Javier Sierra écrivit dans sa langue natale un gros ouvrage intitulé La Dama azul, La Dame bleue, ce qui sonne moins bien, et le sort a voulu que je le lusse en espagnol. Ce livre fait partie des volumes en langue castillane figurant sur les étagères de la Médiathèque de Mérignac. Il présente les mêmes particularités que les autres esspagnols de cet établissement, et nous serions malvenus d'extrapoler nos impressions à l'ensemble de la littérature espagnole contemporaine, dont nous n'avons que de très modestes lueurs : thème populaire et mystérieux à la Da Vinci Code, naïveté adolescente et grandiloquente, avec beaucoup de longueurs et de boursouflitude : pourquoi dire en une seule phrase ce qui peut s'étirer sur une page et demie ?

     

     

    Plante latérale.JPG

    Le petit venin est jeté : voyons l'intrigue, ou plutôt la thèse. Un brave ecclésiastique espagnol apprend le décès suspect d'un autre ecclésiastique opportunément tombé du quatrième étage, sur la tête, d'un bâtiment du Vatican. Il travaillait sur des spécialités scientifiques mystérieuses, car qui dit Vatican dit mystère : donc, notre prêtre qui est aux cieux trouve dans un vaste bureau-laboratoire digne de Frankenstein, truffé d'ordinateurs et autres engins électroniques valant bien les cornues médiévales, un successeur américain hispanophone qui lui montre avec orgueil le matériel de ses expériences. Chacun sait que le Vatican, dans les romans, collabore activement avec la CIA, voire la NASA, mais sans le Ku-Klux-Klan, quoique.

     

    Les éléments d'une théorie du complot sont en place : par des sons, nous pourrions transporter nos ondes corporelles, peut-être nos corps eux-mêmes, à des milliers de kilomètres dans l'espace et dans le temps, pourquoi pas les deux. Il suffit pour cela de sujets prédéterminés, qui servent de cobayes à grand renfort d'électrodes judicieusement disposés sur le crâne, dans les oreilles ou sur le muscle cardiaque. Cela fait souffrir mais c'est pour la science et le surnaturel, aux limites du spiritisme. Et puis, si cela peut servir à la religion, apporter des preuves du surnaturel, tant mieux ! La science au secours de la religion de paix et d'amour comme elles le sont toutes ne peut qu'agrandir l'espace des spéculations humaines.

     

    Pour corser le tout, mais dans la droite ligne de la logique illogicienne, des documents prouveraient qu'au XVIIe siècle, aux confins du Nouveau-Mexique et du Texas, alors possessions espagnoles, une troupe de franciscains, dans le noble dessein de convertir les Apaches et de les sauver pour l'éternité, virent venir à leur rencontre des Indiens Jumanos, avec una jota, qui portaient une grande croix, faisaient des signes de croix, et affirmaient par la bouche autorisée de leurs anciens qu'une Dame bleue à la peau blanche comme le jus de cactus était venue les convertir au « Dieu des dieux », non sans accomplir des miracles, et cela, dans le lieu consacré aux esprits indiens, lesquels se trouvaient ainsi détrônés. Nos frères pensèrent qu'une intervention divine les avait fait annoncer aux braves Jumanos, bien que l'on pût soupçonner un groupe de religieuses, cette fois, qui leur aurait coupé l'herbe sous le pied. Là encore, utilisation d'un cobaye indien, fils de chef, amoureux, sujet aux visions et s'en tirant avec de forts maux de tête. Le Vatican, la science occulte c'est-à-dire cachée, les services secrets américains contemporains : les ingrédients de la mayonnaise sont en place.

     

    Or, cette apparition de la Vierge ou d'une religieuse habillée comme ellerappelle fort opportunément à l'auteur ou à ses enquêteurs porte-parole que jamais la Vierge (et c'est vérifiable) n'a jugé bon de se montrer au cours des âges, à des époques pourtant bien plus troublées que les nôtres eh oui ça existe, et bien plus sujettes aux superstitions et hallucinations dues à la foi intense. En revanche, de Lourdes à Lisieux en passant par Fatima et plus récemment Medjugordje (sans oublier La Salette en Isère), c'est une floraison d'apparitions fort lucratives, cierges, flacons d'eau bénite et hôtellerie de tous niveaux. Après bien des détours, l'auteur nous amène à la conclusion d'un complot soigneusement ourdi par les catholiques : la foi se trouvant en constante diminution depuis l'ère industrielle, pourquoi ne pas la soumettre aux viviviants électrochocs des apparitions, à des bergers, à des religieuses, et non plus en rêve, mais (on n'arrête pas le progrès) en personne ?

     

    ...Avec les exceptions notables de l'Indien pauvre de la Guadalupe, en 1531, et de Benoîte Rencurel au Laus (actuelles Hautes-Alpes) entre 1664 et 1718 – mais enfin, pendant tout le Moyen Âge, en dépit du renouveau de la foi mariale, rien. Rappelons que pour l'Eglise, aucune apparition, même reconnue, ne constitue un article de foi. Toujours est-il que l'un des innombrables secrets du Vatican serait que nos Vierges Maries ne seraient (ce qui n'est déjà pas si mal) que la projection dans l'espace-temps d'une ou plusieurs bonnes sœurs soigneusement sélectionnées, au prix de maintes migraines évidemment. Le merveilleux religieux se voyant supplanté par le merveilleux prétendument scientifique.