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Annette et les Tusculanes

 Annette, qui présente ce choix de textes annexes que l'on n'a jamais le temps d'aborder dans le cours de l'année scolaire, avant-propose son texte de la façon suivante :

 

« La société que dépeint Juvénal dans les Satires est contemporaine de celle que font revivre les Lettres de Pline » (le Jeune) « (on peut fixer la date de leur publication en 100 ap. J.C.), mais quelle différence de ton ! » (nous allions tous le dire) « Il arrive à Pline d'exprimer son mépris ou son indignation, mais dans l'ensemble il aime admirer et aussi se faire admirer pour sa générosité et ne demande qu'à oublier, en famille, parmi ses amis, dans l'entourage du prince, » (id est de l'Empereur), « les désordres qui ont marqué la fin du règne de Domitien », autre grand modeste. « Au contraire Juvénal, par goût sans doute, et aussi pour s'inscrire dans la lignée des satiriques dont il se réclame (Lucilius, né vers -180, ou Horace), critique les mœurs de son temps : » - bémol, please ; Juvénal, courageux mais pas téméraire, n'appelle par leur nom que les personnages morts depuis belle lurette - « personne ne trouve grâce à ses yeux. Dans la sixième Satire, il s'adresse à son ami Postumus qui lui annonce son intention de se marier : pour le dissuader d'un projet aussi insensé, il se lance dans une attaque en règle des matrones », c'est-à-dire des Romaines mariées, qui ne sont pas nécessairement ventrues ni mamelues. « Qu'il suffise de préciser que cette satire est la plus longue de toutes celles qu'écrivit Juvénal, et sans doute la plus célèbre ! » A présent, chères petites latinistes, plus le pédé au fond de la salle, aiguisez vos petites dents traductrices : Est pretium curae, « il vaut la peine ».

 

Jamais nous ne supporterons tout un texte en latin. Des notes, encadrées sur deux colonnes, vont nous abreuver de traductions et de commentaires verbeux, complets et filandreux ; c'est véritablement le cauchemar des éditions scolaires : note 1, répétition de l'expression, traduction accompagnée d'observations grammaticales, renseignements oiseux, 26 en tout pour 38 vers : intenable. « Cognoscere est sujet de est, pretium attribut ; quid agitent, à quoi elles s'occupent », le fréquentatif suggèrent qu'elles déploient une grande activité », et que c'est là qu'il faut rire ; toto...die (notez le contre-rejet et la disjonction!) » s'exclame la présentatrice, enthousiaste et qui est bien la seule : « toute la journée ». » « Il n'est pas mauvais de connaître à fond (penitus) ce qu'elles font, ce qu'elles tracassent tout le long du jour. » L'enseignement du latin navigue entre écueil et tourbillon, de Charybde en Scylla : ou bien, comme ici, à l'ancienne, il se fonde sur l'analyse grammaticale rigoureuse, et ne permet l'accès à la traduction qu'après un long, laborieux et décourageant décorticage, ou bien, comme dans les nouvelles méthodes, ils proposent à l'étudiant de relever les subjonctifs imparfaits et les circonstancielles de conséquence elliptiques ; puis, comme le latiniste ne comprend rien au texte lui-même, il lui donne carrément toute la traduction.

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Le lycéen se rengorge alors et se croit capable de lire le latin, de tout saisir du premier coup, mais en réalité, privé de la traduction en français juste en face, il n'y entrave que pouic, comprendit puicum. Ne jamais oublier que l'agrégé de latin actuel se trouve à peu près au même niveau qu'un élève de seconde au temps de Louis XVIII (1820...) Alors ma foi, mieux vaut radiodiffuser la traduction de la collection Budé : laquelle présente aussi des notes en bas de page. « Leur mari a-t-il tourné le dos, la nuit ? Malheur à l'intendante ! Tunique bas, les préposées à la garde robe ! » (note en bas de page : « à poil, pour la torture, entre femmes ») « Le Liburnien » (c'est un esclave Croate, merci Google) « est accusé de s'être fait attendre, et c'est lui qui paie pour le sommeil du maître. Sur le dos de l'un, les baguettes se brisent (hic frangit ferulas) ; celui-ci est rouge de coups de fouet ; celui-là de coups d'étrivières » (les cavaliers savent que c'est la lanière qui relie la selle à l'étrier). « Il y a des femmes qui ont des tortionnaires à l'année. On frappe : pendant ce temps elle se peint la figure, elle écoute ses amies, elle examine la large bordure d'or d'une robe brodée. On frappe encore : elle relit les lignes transversales d'un long compte journalier. On frappe toujours : la force manque enfin aux bourreaux. « Hors d'ici ! » hurle-t-elle d'une voix de tonnerre. Justice est faite. »

 

Nous tombons des nues. Juvénal exagère. Ce ne sont pas des femmes mais des furies. Nous aurions préféré le passage où ces dames, complètement bourrées, rentrent du cabaret, soulèvent leurs robes et pissent en rotant sur les statues de la Pudeur. Mais le sadisme, pour nos élèves, est bien moins dégradant n'est-ce pas que l'obscénité. Juvénal, dont le rapport avec les Tusculanes de Cicéron semble bien ténu, à l'exception de la douleur, bifurque en vitesse du battu vers le rebattu : la coquetterie féminine. Ne l'accablez pas : vous aussi, vous riez comme des ânes aux sketches de Rire et chansons. « Administrer une telle maison, c'est aussi périlleux que la cour du tyran de Sicile » (le texte dit « ce n'est pas plus doux » : non mitior). « Elle a pris un rendez-vous. Elle veut être plus belle que d'ordinaire. Elle se dépêche, car déjà on l'attend aux jardins, ou plutôt au sanctuaire d'Isis, la déesse entremetteuse. La pauvre Psecas, cheveux arrachés, épaules nues, poitrine découverte, » pour mieux recevoir les coups, « est en train de la coiffer. «Cette boucle est trop haute. Pourquoi cela ? » Le nerf de bœuf punit sans délai ce crime, ce forfait d'un frison manqué. Qu'a donc fait Psecas ? Est-ce sa faute, à cette fille, si ton nez te déplaît ? Une autre, du côté gauche, brosse les cheveux, les peigne, les roule en anneaux. Assiste à la délibération une vieille esclave de famille qui, après de longs services, a psssé du peigne à la quenouille. C'est elle qui, la première, donne son avis. Les plus jeunes opineront ensuite, par rang d'âge ou de mérite. On dirait qu'il y va de l'honneur ou de la vie, tant elle a souci d'être belle. Que d'étages superposés, que d'architecture dans cet édifice dont elle charge et surélève sa tête ! » Ah çà, faut pas péter. « Vue de face, on la prendrait pour une Andromaque », 1m 85 au garrot. « Vue de dos, sa taille diminue, on dirait une autre femme. Que sera-ce si, n'ayant reçu en partage qu'une taille minuscule, elle ne paraît pas plus haute, sans ses cothurnes, qu'une vierge pygmée et doit se dresser agilement sur la pointe des pieds pour se faire embrasser ? De son mari, dans tout cela, elle ne se préoccupe aucunement, non plus que des dépenses qu'elle lui cause. Elle vie comme si elle n'était que sa voisine. La seule chose qui la rapproche de lui, c'est qu'elle déteste ses amis et ses esclaves à lui, et pèse lourdement sur son budget. » C'est Juvénal qui est lourd, et nos Tusculanes cicéroniennes se sont envolées bien loin.

 

Ma foi tant pis. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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