Proullaud296

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  • Paranoïa d'Espagne

     

    ZAMAN 5 été 2050

     

    Je hurlerais, sur tous les tons : ASSASSINS ! ASSASSINS ! ASSASSINS ! contre tous ceux (contre tous) qui m'auraient fait obstacle même imaginaire, accumulé à longueur du temps dont le tort unique est je passe, retour du Moi d'Avant, du Moi Faux-Juif assimilé ? banalisé, fondu, ou mis-à-part, tous funambules conformistes ou fous, philosophe ou révolte – contre le temps le temps surtout déterminant de l'homme. Les animaux n'ont pas la notion du temps. Mais ils se souviennent des mauvais tourments (ma vie d'avant vécue par d'autres solution de continuité d'où dis continuité – qui peut savoir ce qui passe dans le crâne du chat, de l'hippocampe – la puce ?) - nous, c'est le temps, l'espace.

     

    L'animal a conscience de l'espace. Pourtant la tortue, l'insecte, confient au sol leurs petits ; je reçois à mon bureau, petit et sombre au fond d'une salle basse, des paquets de romans par dix.

     

     

     

    CABAÑAS DE VIRTUS / LEÓN Y CASTILLA 09 04 2050

    La vieille caserne oubliée.JPG

     

     

     

     

    J'ai oublié chez moi les précieux plans d'écriture.

     

    Me voici bloqué dans le vent et le brouillard à 900 mètres d'altitude, près des "Cabanes de Vertu", à l'autre bout du plan d'au de Reinosa. Comble d'aventure pour un bourgeois ! L'air glacé circule autour d ema voiture-charançon, le froid aux genoux se supporte encore, dans mon pantalon d'été. Ce qu ej'ai vu jusqu'ici : Pampelune et ses vierges, Bilbao et son Musée Guggy, Santander et ses trois rues à putes, en pente. Les pensées vont et viennent. Première série : 1963, voyage à Reinosa, ramené par la Guardia Civil à minuit. C'était la première fois qu'ils me voyaient, les Martinez: un demi-fou, tête baissée, hagard.

     

    Ils ne m'ont pas fait de réflexions, ils m'ont conduit à ma chambre, qui tétait celle des deux frères. Je pissais dans un vase de nuit, que la mère, énorme, vidait le lendemain matin. Quand elle disparaissait dans les cabinets, derrière la vitre cathédrale, on devinait qu'elle se retournait, puis s'asseyait dans un gros retroussis de jupes. Elle devait toucher les quatre parois à la fois. Je n'allais jamais là de nuit : j'aurais dû réveiller tout le monde, nous étions sept dans un minuscule appartement. Ma correspondante, Teresa, était blanche et molle. Sa petite sœur, semée de taches de rousseur, ne connaissait rien à l'amour, et je touchais sa cuisse tout au long de la mienne autour de la table.

     

    Je n'ai risqué la main sous la nappe qu'une fois, crainte que la petite sœur n'éclatât tout à coup d'un de ces terribles mots d'enfants – pourquoi il me touche comme ça le Monsieur ? A quatorze ans, elle restait d'une naïveté incroyable. Elle apprenait, paraît-il, le français. J'ai suivi ligne à ligne le livre scolaire qu'elle épelait. Si je n'avais pas suivi sa lecture mot à mot, il m'eût été impossible de reconnaître ma propre langue. Je l'ai dit à tous, personne ne m'a cru. "J'exagérais". D'ailleurs je me retirais souvent dans un petit renfoncement formant saillie sur la rue, un de ces oriels sur plusieurs étages dont il y avait tant à Reinosa. Coincé entre deux plantes vertes, et croyant faire coup double, j'apprenais le portugais...

     

    Je fus bizarre, désagréable. La tolérance de ces gens fut proprement incroyable. Aucun ne manifesta à mon égard la moindre restriction. Teresa me fit simplement observer une fois que je disais toujours des profundidades. Même en France en effet je prenais souvent des mines pédantes, afin de bien exhiber la différence qu'il y avait entre ces jeunes gens si ordinaires et moi-même. Je ne m'en rendais pas compte ; cela vient après coup. La honte en est irréparable. L'un des articles de mon Credo était quetout enfant de dix-neuf ans (n'oubliez pas qu'en ce temps-là, le français n'était majeur qu'à 21 ans ; en Espagne, sous Franco, à 23 ans pour les garçons, 25 pour les filles) normalement constitué, semblable donc à moi, devait infiniment souffrir de vivre chez ses parents, qui ne savaient que le brimer. Aussi je m'efforçais par tous les moyens, par toutes les llusions, d'éveiller la haine ou du moins la méfiance des deux filles envers leurs père et mère, auprès de qui les deux sœurs se sentaient le mieux du monde. Les grands frères, âgés de 23 et 25 ans, ce qui pour moi était immense, n'éveillaient en moi aucune curiosité ; il en fut de même pour eux : ils rentraient tard le soir, après une tournée de cinéma ou de bistrots (quoique je n'aie jamais senti sur eux les moindres odeur d'alcool ou titubation suspectes), pour occuper les deux autres lits, superposés, de la pièce, depuis leur enfance assurément.

     

  • Textes libres à sa mémère

     

    Sûr que ça va se terminer par une grosse envie de dormir. Preuve par neuf que l'écriture ne serait pas essentielle pour moi. Ordinateur hors d'usage. David veut absolument que j'en achète un autre – or il nous reste, tous prélèvements prélevés, 300 euros à deux pour le mois : au-dessous du seuil de pauvreté. Je me plains, parfaitement : d'autres sont plus pauvres, certes, mais ils ne sont pas morts, que je sache : mes plaintes cesseront quand on aura cessé de les plaindre, eux. J'écris cela dans les marges d'un énième cahier consacré à des tenures de budget, réduire sur ceci, réduire sur cela. Et de la Volonté ! Non. Duperie. Quand nous gagnions deux fois plus en Autriche, toujours notre budget boitait.

     

    Nous n'allons pas réduire sur notre nourriture, tout de même...

     

    X

     

    Lointain.JPG

    J'en ai toujours tenu pour les plus faibles, ceux qu'il faut aider à surmonter la vie – à condition toutefois que ce ne soient ni des milliers ni des millions : les masses miséreuses, besogneuses, m'ont toujours inspiré la plus vive répulsion. Mais dormir sous un porche qui vous pompe toute votre énergie, ça, oui. Je suis désolé, Domi, mais le fait (j'ai bien dit le fait, et non l'imagination) que ma femme n'ait jamais réussi à vouloir exercer le moindre métier parce que c'était « ennuyeux » m'a effectivement privé de tous moyens financiers. Le fait, et non l'imagination, qu'elle me réclamait sans cesse du temps libre m'a lessivé, réellement, empêché, matériellement, de réviser mes programmes d'agrégation – admissible, donc, en 77, 79, 83, 95...

    1. Et je fus jugé « ridicule » dans le compte rendu de la dernière fois. « Ridicule »... Bande de cons coincés. « D'accord... » me répétait inlassablement l'examinateur d'ancien français, « d'accord... » C'était ironique je suppose ; je n'aurais jamais osé lui poser la question. Moi je transpirais sous la verrière en pleine vague de chaleur avec un costume de demi-saison, pas d'argent pour s'acheter une tenue d'été. Ce sont là des faits objectifs, Monsieur Lazare, en dépit de votre  éternel costume beige.

  • Isocrate, etc.

     

    Il « obtint ce prix quand il était jeune, et accomplit le reste quand il fut plus âgé. » Les verbes grecs impliquent une chance dans le premier cas, puisque d'autres auraient aussi bien pu obtenir ce prix de bravoure, mais une acton personnelle dans le second cas : cet homme a donc su cultiver ses talents : que de couronnes ! Puis il épousa « ma mère », qui fut également une récompense, un « prix de la valeur ». Elle épousait un héros de guerre. Tout sourit au jeune couple. Le beau-père s'appelle Hipponikos, ce qui sonne plus grec que nature : « par sa richesse, ploutô mèn, le plus grand des Grecs, prôtos ôn tôn hellènôn. La richesse indique la faveur des dieux, qui cette fois ne se sont pas trompés. Hpponikos était passé en proverbe. Seulement, le mèn, « d'une part », appelle un « dé », d'autre part : vantons nos père et beau-père, cela fait belle impression devant le tribunal : des honneurs publics sont contestés devant le plaideur, ce dernier doit montrer que ses parents et beaux-parents appartiennent aux meilleurs familles de la cité. Rien ne doit fissurer le mur de la famille, il est impossible, impie même, d'y supposer le moindre comportement suspect, la moindre brebis galeuse : ici, le « d'autre part », un simple delta appostrophe, rappelle qu'à la richesse honnêtement gagnée s'attelle l'honneur d'une admirable ascendance : les Athéniens honoraient et admiraient ce beau-père « plus qu'aucun de ses contemporains ».

     

    Le plaideur, fils de héros, descend lui aussi des illustres familless, ainsi que ses beaux-parents. Rien de plus communs entre les Eupatrides, liés entre eux depuis des générations, sans oublier « une dot très grande », proïkos dé pleïstès, et bien sûr « une réputation très belle » accompagnant cette jeune épousée. De nos jours nous feignons de ne plus tenir compte, dans notre justice, uguale per tutti, de ces circonstances sociales extérieures ; mais pourquoi les grands ne sont-ils jamais en prison ferme ? Pourquoi les fils de hauts gradés échappent-ils aux barreaux du barreau, même après un viol odieux ? L'Antiquité est plus franche : elle en tire argument, notre XIXe siècle en fit de même : « tous souhaitaient cette union, les plus grands s'en jugeaient dignes ; c'est mon père qu'il choisit paarmi tus et désira unir à sa famille. » C'était le temps où « les grands » accordaient leur conduite à leur condition.

     

    Le père du plaideur, en outre (en peau de chèvre), possédait une valeur militaire. Aujourd'hui, tous les riches sont des voleurs, et les militaires des brutes sanguinaires : cela peut se démontrer. Nous sommes une époque petite et morale. Tout aussi pleine de rites et de superstittions que la leur. Nos éditions ne sont plus imprimées à la six-quatre-deux, mais s'accompagnent, en bas de page, de notes érudites que seules consultent les philologues ; on appelle ces notes « l'apparat critique », le harnachement, l'outil indispensable aux chercheurs, à ceux qui établissent le texte. Les variantes sont classées par chapitres : ici, le 28, que nous avions lu précédemment. Ce serait plutôt un paragraphe.

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    Il a commencé à la page précédente de cette édition. Mais pour se repérer d'une édition à l'autre, l'on convient de conserver toujours les mêmes nombres aux mêmes emplacements, ce qui facilite grandement la recherche. De même, la ligne sera toujours la ligne , quel que soit l'éditeur. Ici, les variantes concernent le nom grec de « Coronée » : les Athéniens y furent vaincus par les Béotiens (les vrais, pas les imbéciles) en – 447. Un certain professeur Auger a rétabli la véritable orthographe : « Koroneïa » ; aucun manuscrit ne l'avait retranscrit correctement : « Khéroneïa », dit le manuscrit Gamma ; « Khéronia », prétend le Lambda 1 ; « Chaïroneïa », répètent les autres manuscrits, cett. codd., « ceteri codices ». L'abréviation, « cet. cod. » au singulier, redouble sa dernière consonne au pluriel.

     

    C'est ainsi qu'en français, vous aurez peut-être lu des « pp. » devant des numéros de pages : p. 58, mais « pp. 58-59 ». Cela fait érudit, snob et chic. Les éditions ordinaires n'utilisent pas ces artifices... d'apparat. Avant de passer à la ligne 6 de notre texte grec, il est de coutume d'employer une séparation, une sorte de signe « égale » vertical : la forme adoptée par l'éditeur figure en tête ; homologhèséïan, « ils le reconnaîtraient », « ils l'avoueraient » (que Périklès fut « le plus modéré, le plus juste et le plus habile des citoyens »)... Nous n'en disconviendrons donc pas...

     

  • Sous le ciel je me débats

     

    Comme ça, ce sont les dieux qui ont vaincu ? Grâce à toi céda cette machine de guerre, machina, c'est Loyen qui rajoute "de guerre", pour que nous autres crétins comprenions. Je suis pétri d'impuissance – construite par des mains redoutables, presque dressée déjà jusqu'à la voûte étincelante du ciel. Voici de quoi je suis bourré jusqu'à la gueule : sky et skull sont de même famille, et le skull se décline en skeleton. Les Anciens vécurent avec le sentiment qu'il y avait là-haut une voûte, l'intérieur d'un crâne, dont nous étions les songes, une voûte fixe et ferme, un firmament, ce n'était pas si absurde.

     

    Et les Géants prirent d'assaut la muraille incurvée : Le Pinde, l'Othrys, le Pholoé (Pholoe, où est-ce ?) échappèrent aux bras des Géants – te souviens-tu de ta danse folle dans un cimetière au crépuscule ? Tu tenais contre ton oreille le transistor qui chantait en grec la Chanson tôn yiganndônn, et si la moindre personne t'avait vu ainsi danser comme un ours en plein cimetière, tu n'y coupais pas de l'asile, vision de Bergman ; on t'aurait enfermé. Pas d'autres spectateurs que le soleil couchant. Je lègue, je lègue. Je me bats avec Dieu, avec la voûte, ma hanche à jamais boitera – et l'Ossa, brusquement alourdi, tomba des mains de Rhoetus. "Entasser le Pélion sur l'Ossa", montagnes au-dessus de Volos, que jamais je ne verrai.

     

    Colonne grecque en plâtre.JPGLocutions connues de mes proches ancêtres, à présent s'estompant dans la langue enfuie. Les conversations d'aujourd'hui ne parlent que d'aujourd'hui, rarement plus haut qu'avant-hier. Nul ne demande le moindre renseignement au Spezialist. Egéon, Briarée, Ephialta et Mimas, Mimasque, qui s'étaient accoutumés à lécher du talon le char de l'Ourse, sont abattus. Voilà bien l'agaçant : "fiers de", "étonnés de", "accoutumés à" : de simples dispositions dans le ciel, dans le paysage, assimilées à des dispisitions de l'esprit, comme si un toit, par exemple, avait pu se "sentir fier" de couronner tel édifice, telle roche "éprouver de la honte" à se sentir foulée aux pieds, tel fleuve "se réjouir" de couler dans la plaine ou "s'irriter" d'être franchi.

     

    C'st l'histoire de la finesse qu'on entend pour la trentième fois. Ces vers furent-ils proclamés ou juste écrits, après coup, à l'occasion de leur insertion dans ce fascicule ? J'apprends que "les Géants ont essayé de rattraper à la course le char de l'Ourse, qui s'enfuyait, pour se servir de ses étoiles comme de projectiles", ô stupidité ! Le char de l'Ourse étant lui-même formé d'étoiles ! Poésie d'un autre goût, permanence de la métaphore, dédain de la cohérence ! A l'origine tout est lien : l'homme – relie. La nature de l'homme est d'ex-pliquer, de déplier le pli, d'agrafer les objets, d'appliquer l'âme à tous les corps, de là naît la science et le poème, de là naissent de proche en proche les échelons de l'escalade ou de l'échelle – si tu penses tu t'appropries. Les Géants sont les hommes. Et les monstres, ensevelis. Nous métaphorisons et nous approprions. Mais nec plus ultra. Sur le point d'être percée voire atteinte, la voûte s'effondre pour notre plus grand bien, afin que nos limites nous définissent. Encélade est terrassé par ton père – Enceladus patri jacuit - et Typhée par ton frère : celui-ci supporte aujourd'hui le poids de falaises eubéennes, l'autre de la montagne sicilienne. D'où sont venus ces noms ? Est-ce uniquement géographique, territorial ? Avaietn-ils des caractères distinctifs ? Claudien composa une Gigantomachie : je me l'épargne, sachant d'avance ses outrances, où pour cette fois la littérature s'efface devant la philosophie – cette dernière au moins nous renseignerait. "Encélade gît sous l'Etna" : mais encore ? Jamais les Nambikwaras hellènes n'ont reçu la visite et l'analyse de Lévi-Strauss. Puis Orphée, changeant d'inspiration, consacra tous ses chants à sa mère, enseignant à sa lyre à célébrer Calliope. VI, 30, 60 01 02. Les Muses se levèrent à l'éloge de leur sœur et la Déesse goûta plus encore que son poème cette marque d'affection. Scène divine et familiale bien froide.

     

    Plus d'impression a fait sur moi telle lettre que je viens de lire, à l'évêque Loup de Troyes, véritable abjection en prose, amoncellement de flagorneries dégoulinantes à se faire souffleter. Sidoine, malgré toute mon obstination, reste infrangible, infracassable, inaccessible en français, Robert de Montesquiou, pédérastie mise à part, m'eût été tout autant insupportable. Et réciproquement. Voir ainsi notre futur évêque tortiller du cul devant ses bricolages vaseux m'ôte tout plaisir. S'il faut, pour gagner la faveur, chanter une mère, je ne suis pas en état de rivaliser avec la lyre antique. Tu l'as dit, bouffi. Nos commentaires ne parviennent pas à s'élever au-dessus du sarcasme.

     

    Il faudra me résoudre à n'avoir pu écrire que cela, ce que j'ai fait. De même que certains n'auront peint que de certains tableaux, sans avoir pu franchir leurs limites. Alors, bien sûr, "daigne te souvenir de nous, seigneur", Domine papa. "Moi, c'est au père de ce peuple, Avitus, que j'ai dédié ce poème : le sujet est plus grand si ma muse est plus faible, materia est maior, si mihi Musa minor. Ultime rétablissement de justesse. Il me vient Dieu merci d'autres connaissances : Avitus n'était qu'une créature de Théodoric le Wisigoth ; ces derniers allaient et venaient depuis bien longtemps dans le tissu géographique et social de l'Empire. Les fils de Théodoric étendront la domination gothique de façon extrême : Euric n'était pas qu'un tyranneau, mais le père d'Alaric II, et tous deux furent de grands rois.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Franzero, zéro franc

     

    L'auteur italien s'exprime en anglais. Rien que de très connu das cette biographie : le meurtre d'Agrippine abrégé (car la première fois, c'était raté), mais aussi un peu reluisant portrait de Sénèque qui laisse tout faire, trop heureux de consommer la bonen manne impériale : vastes atriums et collection de tables de marbre. « La paix, pouvait dire Néron, régnait partout. » Aux débuts du règne, assurément. Boudicca s'était suicidée en Grande Bretagne, et le souverain se plaisait à chanter, bas et faux, assassin de sa mère dont il n'était dit l'auteur pas du tout menacé. « Pourtant, tout paraissait se teinter de ridicule » - un homme sans ridicule, c'est un homme qu'on n'a pas suffisamment observé. » Il est vrai que, pour Néron, éprouver les plus vives jouissances à se faire applaudir par une claque, nous pouvons parler de forte immaturité.  « Quelque temps après, les ambassadeurs d'une tribu germaine se présentèrent à Rome pour obtenir de l'Empereur la libération de leur territoire » : c'est très vivant.

     

    Deux coupoles de la Garde.JPGLes Romains, comme les Américains de nos jours, étaient appelés par des peuples situés hors de leur orbe protectrice. Car les Germains, comme jadis les Noirs, ne cessaient de s'attaquer, de se soumettre, de se massacrer mutuellement et alternativement. D'où les, parfaitement, bienfaits de la colonisation. Le communisme, le christianisme, le féminisme, ont tous connu et connaissent encore leurs excès. « Durant leur séjour on les conduisit au théâtre de Pompée ». Cela ma foi se fait encore, et tous les chefs d'Etat se sont consciencieusement enfilés le plat de soupe rouge à la gloire du Président Mao ou de ses successeurs. Bien entendu, « ils ne comprirent rien à la pièce, mais s'intéressèrent vivement aux réactions du public, et plus encore à la structure de l'auditorium, qui délimitait nettement les classes, ou castes... »

     

  • Excréments oniriques

     

    C'était pour moi le temps de partir en voyage : une dent me tourmentait, et je ne connaissais qu'un seul homme capable de mettre fin à cette torture ; il habitait au cœur du Périgord, et me voilà parti.Ma fille et le Mormon me firent leurs adieux : nous nous reverrions peut-être, en ce monde ou dans l'autre. Le soir même j'arrivai dans ce petit village où m'accueillaient mes parents. A la poste (en ce temps-là, elle s'occupait aussi des téléphones), la queue est considérable. Puis je me suis avisé qu'il y avait des cabines en plein air. Toutes sont occupées. Juste à ce moment, venue d'un guichet, une grosse voix d'employé m'apostrophe : “Vire-moi la grosse là à gauche et prends le combiné”. La grosse en question est magnifique, grande, blonde, walkyrienne. Elle est en larmes : « Allô . Allô ? » On pouvait, on peut toujours se faire appeler dans une cabine. «Je peux rester avec vous , j'attends un appel. » Je téléphone devant elle au 8 503 : ce numéro correspond-il à quelque chose, aux Etts-Unis ?

     

    Ou bien, j'appuie sur le code « ECOUTEZ » ? L'équivalent de « décrochage » ? Le 8 503 me restitue une bande-son. Deux hommes discutent, là dans le tuyau, sur le statut du journalisme. Je ne vois pas en quoi cela peut me concerner, quoi que j'aie moi aussi, bien entendu, mon opinion sur la question. Qu'est-ce que cela signifie ? L'appareil m'envoie une bonne décharge d'au moins 140V dans les doigts, au moment où j'appuie sur la touche « ECOUTEZ » - « prenez la communication » ! J'abandonne. La mécanique de mon automobile, au moins, ne me trahira pas. Le soir tombe. La lumière du paysage devient magnifique, cela ressemble aux brillances des photos électroniques.

     

     

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    Mes douleurs se sont apaisées, par l'effet du crépuscule. Donc, au lieu de consulter d'urgence (il faudrait faire un crochet jusqu'au Lot-et-Garonne), je poursuis mon voyage. Mes explorations restent micoscopiques. Mes dents attendront, jene serai pas esclave de mon corps (pauvre bête, un jour tu n'auras plus que lui, dans ton lit, la mort au-dessus). Mon proviseur attendra lui aussi : je suis resté absent deux jours ! Disons : juste la dernière heure des deux jours précédent. Les enseignants sont fatigués en fin de journée. Tous les métiers sont fatigants. Les syndicats se sont tus sur le sujet . Au retour, je devrai me faire excuser par le proviseur. Est-ce bien nécessaire. Une autre fois je m'étais excusé, pour une journée entière : personne ne s'en était aperçu...

     

    Lelendemain, après une excellente nuit dans un de ces petits hôtels que j'affectionne, l'obsession du téléphone me poursuit. La disparition programmée des cabines publiques m'obsède : après tout, qui peut prouver que chacun désormais possède son téléphone cellulaire ? La cellule existe encore, concrètement, dans une cour d'école : l'école est mon métier. Cette cabine transparente fut installée là, mieux vaudrait dire bricolée, par de grands élèves particulièrement doués, ainsi que motivés. Sont-ils là, dissimulés dans la cour ou le paysage environnant, malgré les congés ? Veulent-ils vérifier si l'on utilise leur invention ? L'identité des utilisateurs ? La chose n'est pas impossible.

     

    Mais ils sont très doués, ces petits ingénieurs de dix-sept ans ! La partie supérieure du combiné présente un infernal écran électronique ! Un homme, avant moi, composa un texte indéchiffrable, grâce au « Traitement de textes » ! Cet homme, c'est moi. Je suis déjà venu ici, j'ai utilisé cet appareil, peut-être au hasard, sans doute même, et me révèle incapable d'en retrouver le fonctionnement. Et les élèves, les grands élèves sont là : ils me regardent avec bonhommie, un peu narquois, mais bienveillants. Pour le piano, c'est pareil : j'improvise, mais qu'on ne me demande pas de restituer ce que j'ai trouvé seul. A l'aide des touches latérales, présélectionner un numéro : voilà qui est fait, mais comment l'activer ? Avec un sourire narquois et sympathique, un lycéen me tend un bon vieil appareil gris à cercle pivotant : le plus ancien modèle qu'ils aient pu trouver – comme il n'est pas branché, renoncer. Il faut renoncer à communiquer. La communication passera par ces toilettes que j'aperçois au fond de la cour.

     

    Après tout, elles sont constituées, elles aussi, de cabines : une seule, ouverte, déserte, pourvue d'un lavabo blanc. De derrière me répond la voix d'un employé municipal, sortant je suppose du combiné que je n'ai pas tout à fait raccroché : « Que voulez-vous ? » Et à ses vibrations, au velouté voilé de ses paroles, ce ne peut être qu'une voix de moustachu. Le lycéen me tend le combiné : « Estc-e que vous pensez que je dois... » - ma phrase s'arrête. Trop de témoins vraiment. « …et puis non, c'est trop personnel. » La question s'évanouit. Perd de sa pertinence. Peut-être voudrais-je entraîner un de ces jeunes gens là-bas, près des faïences immaculées – il m'a enculé ? Alors retentit, dans un fracas de Jugement dernier, l'éternuement gigantesque et salvateur d'une femme, la mienne : la seule avec laquelle, et par l'intermédiaire de laquelle, je me suis autorisé à communiquer.

     

    Avec ma fille, et son fils, nous dérivons sur une planche de surf. Le naufrage est grave : aucune mémoire de l'accident qui nous a menés là tous les trois. Certaisn débris flottent encore sur les vagues, une tempête s'est calmée, nous évitons ces planches plus étroites, incapables de soutenir nos poids, pas assez dangereuses cependant pour nous déstabilliser si par hasard nous les heurtons. D'après mon estimation, nous devrions nous rapprocher d'Alborán, l'île de Calypso. Si nous ne parvenons pas à l'apercevoir, nous sommes bons pour le détroit de Gibraltar – alors... Heureusement, nous abordons sur une plage de cette île. Des vacanciers, des résidents, nous réservent le meilleur accueil, nous sèchent, nous réchauffent. Notre installation se confirme : Sonia pourrait se faire inscrire à une école très aérée, très propre. Pour ma part, avec une rapidité notariale étonnante, j'achète une résidence sur cette île, de 500m sur 200 : cet homme possède une bonne corpulence. Il me regarde avec une sévérité qui donne confiance. 292 900 francs, dans les 44 00 euros, ce n'est pas excessif. Mais les vacanciers repartis, ne resteront ici que 21 soldats. Pourtant cet homme inspire ma confiance. Et comme il arrive souvent, la surestimation de moi où m'entraînent les bons traitements m'amène à la plaisanterie : je parle de mon étourderie, ou du destin ; ce brave notaire ne m'apporte-t-il pas son aide à récupérer certains objets personnels, échoués sur l'île après moi ?

     

    Le naufrage en effet rejette des vieilleries, laides et encombrantes, comme une vieille paire de baskets détrempées. Il me trouve amusant sans doute, et c'est avec un bon sourire de condescendance qu'il m'amène au rez-de-chaussée, au salon de réception de l'hôtel. Ma fille et mon petit-fils demeurent dans la chambre à l'étage, se reposant de leurs émotions. Savent-ils nos dispositions mobilières, et scolaires ? S'agit-il vraiment d'Alboran ?

     

    De nuit je me suis éloigné sour les cyprès ; c'étaient des arbres impérieux, mais troués, comme celui du trop peu connu Moonlight d'Edvard Munch (1892). Et moi, je pisssais au pied de cet arbre. Il n'y a rien de plus voluptueux que de pisser, la nuit, au pied d'un grand arbre protecteur. Il y en avait d'autres, de la même espèce, formant une allée. Comme je ne pouvais pas me soulager au pied de chcaun d'eux, mes pas m'ont mené progressivement dans une espèce de parc naturel, occupant une terrasse au-dessus de la mer. Un mur de pierre la soutenait, au pied duquel, sur la plage nocturne, mon épouse m'attendait en compagnie de ses amies : notre naufrage, à présent lointain, et plus encore sans doute la propriété que nous avions acquise, nous avaient attiré des sympathies !

     

    Je me suis mis à imiter les cris des nocturnes ; c'était très réussi, d'autres hiboux ou chouettes se sont mis à me répondre, de plus en plus rapprochés. D'autres vies animales rampaient et grattaient dans l'ombre. Et non pas menaçantes, mais participatives de mon propre destin. Je décidait d'invoques les morts, car il est invraisemblable, impensable, de la plus haute désobligeance, d'imaginer que nous devrions un jour les rejoindre, sans avoir accompli les rites d'approche et de simple politesse à leur égard. Car la matière et l'esprit se confondent, et d'interpénètrent selon des lois qu'il reste à découvrir. «L'occultisme est la science de l'avenir ». Sans que je leur aie donc offert le moindre argent, les morts et leurs esprits sont sortis en troupe compacte d'un cimetière, lointain et invisible, au bout de l'allée.

     

    La déformation de leurs traits, conforme en tous points aux films d'épouvante, ne m'épouvantaient pas, car une certaine beauté en émanait, et l'intention rituelle et parodique en était évidente. Il me sembla opportun et solennel de rassembler tout ce que je savais de langue latine pour m'adresser à eux dans la langue des dieux, langue de l'au-delà. Or, ils m'écoutaient attentivement, mais se rapprochaient, et malgré mon respect je n'en menais pas large, la frontière étant ténue entre les conjurer ou les amadouer. Ils se familiarisaient, et je dus m'efforcer des les congédier. Dieu merci les morts prirent conscience de mon impréparation. ETREIGNEZ-VOUS, LAISSEZ COULER DES LARMES DE DESIR. Ils s'éloignèrent, et de quelle terreur n'eussé-je pas été atteint, pour peu qu'ils se fussent à peine encore approchés ?? NOUS SOMMES DES MILLIONS DE FLAMMES