Refusé pour manque de talent
Le pirate alors mène sa famille à dos de chat du haut en bas du grand escalier à vis de la tour nord, cornaquant sa monture féline : il s'est mis en tête, pour acquérir un peu de plomb, de reprendre son jeu de fantôme. C'est donc lui, à minuit, tandis que frémit l'horloge du rez-de-chaussée, qui conduit le chat docile, et retrouve d'ataviques itinéraires. Sa femme le lui fait orgueilleusement remarquer : « Dieu t'a mis sur cet animal pour exercer tes droits de père et transmettre nos gènes en péril ; ainsi, conduis ta monture, imprime-lui tes volontés. Ne considère ni finalité, ni utilité, mais le mouvement même. C'est ainsi que les géants de ce château vivent dans le respect du surnaturel. Tu en imposes jusqu'à ce petit vicomte de François-René, qui t'as traité, m'as-tu dit, bien légèrement. - Comment cela ? il m'a fourni d'encre et de papier. Les trois jours où je fus loin de toi, je vivais, j'étais moi." Vicki ne releva pas cette extravagance ; le chat quant à lui ce soir-là effectua trois rondes, à minuit, trois heures, six heures. Le vent hulula. Le vagabond des mers en éprouva de la nostalgie. "Je partirai", déclara-t-il. "Tu ne verras plus la mer, lui répliqua-t-elle ; jamais nos courtes jambes ne nous porteront plus loin que ces prairies qui cernent Combourg. Nous n'avons plus nos dimensions d'antan." Le pirate hésita : fidélité sans aventure, ou aventure ?
La question se pose depuis qu'il existe des femmes qui viennent d'accoucher, et qui pensent ; et des homme soucieux de se conduire en cerfs, c'est-à-dire non pas portant bois, mais abandonnant toute conduite des affaires familiales, jugées efféminantes. La femme prit ici l'initiative, comme il est de règle. Produisant non des lamentations, mais la réfutation des arguments fondés sur la condition animale, où le mâle dans bien des espèces se défilait selon les lois dites naturelles : « Je le lui concède, dit-elle, comme à bête brute et puérile. Je pousserai cependant la conscience bien plus loin que baleines ou oiseaux, car je prendrai soin du fruit de nos entrailles au-delà du terme nécessaire à l'espèce. » (ma fille sera toujours ma fille).
La femelle du gnome est petite, vive, le nez retroussé, la voix fraîche sans fond de vinaigre. Qui relève de couches se sent plus forte - certaines au contraire se sentant dépossédées, rongées de tristesse. Le pirate alors se mit à hurler : ces vociférations de l'homme, quand elles ne s'accompagnent pas de coups, sont ridicules au lieu d'être odieuses. Ces ondes de choc n'ébranlèrent pas le Félin outre mesure, car les voix des deux gnomes avaient suivi le même chemin que leurs jambes : minuscules. Cependant l'Hextrine finit par hocher les oreilles, les deux infra-humains (je parle des adultes) se raccrochèrent au pelage, et celui qui criait le plus fort fut vaincu - les cris, aveux de défaite, produisent des effets contraires à ceux escomptés : imaginons en effet la déconfiture du vociférateur qui se verrait obéi - quelle confusion ! les hurlements de l'homme n'auraient alors qu'une fonction purement esthétique.
Brian n'avait pas toujours connu de chat ; celui-ci fonctionnait aux dimensions réelles, in situ. La femme allaita sa petite Malvina, songeant avec bonheur que Don Juan était mort. Casanova aussi. M. de Chateaubriand n'avait pas encore pris son envol. L'enfant tétait. Mais la mère sentit croître en elle une aversion incoercible de celui qui remplissait l'air, entre les poils du chat, de temps en temps, de tels tonitruements. L'homme reprit ses méditations échiquières. La femme demeurait pensive. Du moins le semblait-elle. Ce fut un silence apaisant. Passons à la séparation. Désespérée de son abandon, la femme se dit : "J'ai parlé par bravade. Nulle femme ne saurait résister aux outrages verbaux de son mari. C'est l'enfant qui est cause de tout. L'homme en effet, contraint à procréer par ruse, voit plus haut, sombre plus que nous. Il ne considère que le sein de Dieu, à rejoindre au plus vite, quand nous ne songeons qu'au nôtre - Notre Dieu, c'est-à-dire notre ventre. Tuons l'enfant." Elle considéra le nourrisson dans son sommeil : "Hélas ! comment ne pas être attendrie ?" Elle se raidit alors, et passa en revue les différents endroits de la bête, d'où l'on pourrait précipiter ce petit être.
Les flancs offraient une pente,un arrondi sous-ventral bien décisif. Le voisinage du museau permettrait aussi de forts chatouillis, qu'écraserait définitivement une griffe agacée. L'on pouvait faire enfin que le chat bondît, en projetant quelque amusant rongeur à l'agonie au-devant de sa tête. Mais on risquait d'être à son tour entraîné par ces cabrages : à quoi bon tuer son enfant si c'était pour ne pas lui survivre. Effrayant en vérité. Elle pouvait aussi étrangler sa progéniture avec un lacet en poil de chat. Ou ne pas la nourrir. Ou l'attacher soi-même au niveau des mamelles, puisque ce chat, tout compte fait, était femelle. Mais serait-elle en lactation ? Ne faudrait-il pas qu'elle fût couverte, autre source de tracas ?
Comment se faisait-il que cette bête n'eût jamais ressenti de chaleurs ? Vicki se prenait la tête à deux mains. Le pirate en son for se livrait à de semblables réflexions. Tuer l'enfant lui paraissait, à lui aussi, le moyen le plus assuré de retrouver toutes ces interrogations fécondes d'un jeune couple, avant qu'il ne sombrât dans les soins d'une éducation. Il fallait transpercer ce petit être malfaisant. Se sentant assoiffé, Brian prit une descente connue de lui seul, et s'accrochant aux poils très emmêlés dans ces régions-là, se faufila jusqu'à la mamelle la plus proche pour tirer quelques gorgées de lait. Il était seul à connaître ce recours .