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  • Karen Blixen

     

    Un seul mot : puant. Pas au début : l'on passe sur certains tics d'époque, de classe, "les nègres" et autres expressions traditionnelles. Style magnifique, du moins en traduction, puissance d'évocation excellente, aussi forte qu'un Loti. Puis insidieusement, cela se précise : les Noirs de son entourage pourvus de toutes sortes de qualités, mais bizarres, tout de même. Puis finalement pas si différents des bêtes qui entourent ou peuplent la ferme. Puis franchement un peu cons, naïfs ; "Quand tu tires à l'arc, es-tu encore chrétienne ?" Ou : "Je ne veux pas aller à la mission française, parce que les missionnaires écossais m'en ont dissuadé". Ça, c'est de l'importation Blanc pur jus, comme dans les Immémoriaux de Segalen.

     

    Sans oublier les mahométans (les musulmans, la traduction semble un peu éculée tout de même) qui se précipitent pour égorger le gibier afin de le manger, ou qui (paraît-il) ne doivent pas toucher les chiens, ce qui est assez fâcheux quand on est soi-même un chasseur. Européocentrisme sans recul, conviction d'apporter la civilisation, aucun recul sur les traits de comportements sociaux, tribaux, voire individuels. Madame la Marquise chez les Indigènes, n'est-ce pâs, menaçant ses gens de les renvoyer ("et ils me croient, les cons ! je pouffe...") s'ils ne lui ramènent pas sur-le-champ une petite antilope qu'elle n'a pas voulu acheter la veille au soir. Cette antilope ("Lullu", "la Perle" en "swahéli" [sic] ) se fait aimer par sa distinction, sa fierté, son aristocratie de bête infiniment racée, avec sa petite clochette qui permet de la repérer.

     

     

    Foutoir flou.JPG

    Tout l'idéal de la compagne de tea-party (je supposais qu'elle s'adressait à son personnel en anglais), car elle souffre parfois du mal du pays, à voir une cigogne, en parlant danois en compagnie du vieux Knudsen, vieux matelot aveugle qui croit toujours avoir tout vaincu, et que l'on retrouve mort dans un sentier par un beau matin. Depuis le début, nous avons eu droit aux descriptions à la fois empathiques et parfaitement extérieures de plusieurs personnes, de race noire, à des évocations de la forêt vierge, excellemment comparée à ces tapisseries hors d'âge qui laissent tomber leurs camaïeux devant les murs des musées. Tout cela transformerait un film en reportage de Nicolas Hulot, et le fameux Out of Africa n'exploite apparemment que les données tardives du volume, au nom du love interest hollywoodien, qui réduit tous les livres à des histoires disons d'amour dans ce cas-là, ou, bien souvent, de cul.

     

    Un film, c'est la loi du genre, ne contient plus qu'un dixième d'un livre (c'est particulièrement le cas dans Zorba le Grec) ; et ce livre-ci, quant à lui, réduit singulièrement sa focale : très décevant quand on a lu La pensée sauvage (bien postérieure), très éclairant si l'on veut conserver, voire exalter la dimension exotique, il ne pourra jamais observer le paysage et ses habitants que "de l'extérieur". Un Cambodgien de mes amis parlait avec sa fiancée de tel savant français, particulièrement versé dans la civilisation khmère, et remettait cet homme à sa place en déclarant à mi-voix : "...enfin, comme un Blanc..." - et comme je lui demandais de préciser, il me confirma que l'on peut s'imaginer tout savoir d'un peuple et d'une nation, mais qu'il manquera toujours, évidemment, ce trois fois rien qui est l'essentiel, et que seul un "né natif autochtone" connaîtra pratiquement, par atavisme ou instinct.

     

    Bref, Karen Blixen, hautainement incarnée par l'extraordinaire Meryl Streep, pleine de morgue et de fragilité, n'aura jamais dépassé son handicap de Blanche aristocratique. Après tout, nous ne sommes pas très loin, dans ce roman, de Farrère. Et puis, il y a là tant de bonne volonté ! Pourquoi lui refuser l'admiration pour sa jolie gazelle, devenue maman, si gracieuse au contact des Blancs ! ...une alliance librement consentie existait entre la race des antilopes et nous. Qui est le "nous" ? Les Blancs, et les Noirs qui les servent, sinon, elle eût employé le mot "eux". "Nous", ce sont les hommes, empreints ou tant soit peu frottés de civilisation. Plus haut, elle a utilisé mes gens. Elle parle, à l'horizon, de mes arbres. Les merles viennent s'ébattre dans mes châtaigniers. Elle condescend, et c'est très bien, à laisser libre l'animal quand ce dernier veut retrouver son milieu naturel.

     

    Son personnel peut, assurément, la quitter quand elle veut. Une anecdote (c'est le mot juste ; le dépassera-t-elle ?) montre au lecteur ce serviteur qui tient à servir, après une chrétienne, un musulman, afin de savoir, d'après la conduite de l'une et de l'autre, à laquelle des deux religions il voudra se convertir. Elle regrette cet homme qui s'en va, mais trouvera d'autres personnes pour la servir, à son domicile ou sur ses terres. Il est assuré qu'elle ne comprendrait pas qu'une insurrection vienne la dépouiller de toutes ses possessions : Nous les avons toujours bien traités, et voyez comme à présent ils nous remercient ! Telle pourrait être sa réaction. En étalant ainsi mes réserves, il me semble d'ailleurs à mon tour que je pourrais, congédiant ma flemme, étudier justement ce syndrome de l'Européen qui plus est nordique vis-à-vis de sa relation à l'étranger, sans réduire ce dernier à l'étrange.

     

  • Des corps, et de leur décor

     

    Dialogue entre les deux femmes, au petit-déjeuner :

     

    - Qu'est-ce qu'il m'a mis hier soir !" (très bas, à quart-de-voix) -
     et toi ?

    Didier Maillau, compositeur.JPG

     - Il n'a pas pu, il était trop soûl ! Hélène la pâtissière 
    confesse l'échec du docteur. Si petite, si moche

     et si terne que c'est elle qui doit baiser le mieux
     couronne bouclée grisonnante.

    Fêtard de première : jamais la moindre crainte
    d'impuissance ; il eut un (…)

     L'ouïe exaspérée du curé-client .parvient à capter
     les semi-paroles échangées

     alors au-dessus des petits-déjeuners :

    " Le type, là, à côté ? - C'est un client, tu verras,
     il partira aussitôt après le petit-déjeuner !

     C'est ainsi que cela se passe entre femmes :
    à tout échec sexuel entre homme et femme
     correspond une compensation entre elles.
    Le témoin paye ostensiblement sa note.
    La Mertzmüller confirme à l'oreille
    de sa complice : "Tu vois bien!" - où se déroulera
     cette consolation ? Le curé-témoin parcourt
    finement les moquettes rouge-gynéco
    des couloirs (la disposition d'un hôtel,
    aux chambres ouvrant sur les lourdeurs épaisses
     des intimités souillées, les silhouettes lointaines
     et souriantes, faussement incitatrices, des
    femmes de ménage - font de ces dédales de véritables
     intérieurs génitaux féminins, et du touriste-curé
     indûment égaré un gynécologue) et ne découvre rien
     - de ce lieu où devait se réparer cette nuit doublement gâtée,
     trop de vigueur à l'une, et mollesse pour l'autre.
    Sans doute alertées par la présence de cet homme
    au petit-déjeuner s'efforçant un peu trop de n'émettre
     aucun frottis de pain ou de cuillère,
     se sont-elles entendues pour un endroit
     plus secret afin de se faire jouir avec ces
    attouchements dont nous avons perdu
     à tout jamais le secret nous autres hommes,
    prisonniers de notre bidasserie - dieux,
    pourquoi nous est-il à tout jamais interdit de jouir
    comme des femmes ? Mertzmüller, strip-teaseuse
    , offre son corps dans la dévotion la plus totale,
     fait l'amour avec les moindre pores de son corps,
    sans la moindre mouillure révélatrice ; les hommes
     congestionnés la croyant dans la froideur,
    excités même par cette froideur, Annemarie
     offre son corps avec la même ferveur que
     la désarticulée Pietragalla, peut-être un jour
     ce nom sera-t-il devenu inconnu,
    même aux ballettomanes (y aura-t-il encore
     des ballettomanes ?) Telles sont les conceptions
     des deux amies, partageant les deux demi-frères.
    L'Allemande est Gretchen longue et fine, blonde,
     ou très noire, sans cesse esquintant ses cheveux.
    L'autre, Hélène, bigote, pute, est simplement
     moche. Mertzmüller baise la croix qu'elle
    porte au cou, la conserve imperceptible,
    presque indiscernable sur sa peau pendant
    son numéro ; ainsi le clerc Théophile
     offrait-il ses gambades à la Vierge
    devant Notre-Dame. Baisée, mais chaste
     comme seule peut rester pure une danseuse
     classique, fût-ce sous les assauts répétés d'un ivrogne
    . Elle suit également des exercices de macération,
     mortifiant son corps de l'intérieur par des jeûnes,
    car les flagellations laissent des traces
    sur sa chair exhibée. Il n'est pas exclus
     cependant qu'elle se fasse un jour fouetter,
     avec des chaînes, contre un pilier.
    Ce sera la veille de sa démission.
     Revenons sur cette précision que
    l'acolyte malsain du frère François,
    l'observateur de l'hôtel de Châteauneuf, est
     le propre curé de cette paroisse ; il a même
     une bonne, à l'ancienne, qui sonne la bonne
     soixantaine, mélange improbable,
    chers Connivents, d'une certaine
    Mme Noir de Pasly, d'une mère Beuxe
    du à Piney, d'une certaine Cécile
     impliquée dans les mouvances
    "charismatique" à Vienne. L'abbé Duguay ne sera
     ni petit, ni chafouin - ni énorme à la tourangelle,
    mais parfaitement banal, si ce n'était jadis
    une propension à faire l'original dans les
    fonds de bistrot pour attirer l'attention
    à l'heure de la fermeture. Quant aux femmes
     à la Dubost, l' "habitude de la rue Huguerie",
    elles n'ont pas du tout le sexe fripé,
    comme les mécréants aiment à se l'imaginer,
    mais une toute petite vulve de petite fille
     ("peu servi"), par analogie avec le minuscule
     zizi qu'il nous fut donné d'apercevoir sous
     les draps d'hôpital vivement soulevés où
    gisait le curé de P., un peu agité ce jour-là
    - moi qui vous parle, j'ai entrevu un zizi
    de curé, et il n'était pas pédophile, je le jure.
    CHAPITRE TROIS
     Le but du jeu est d'établir
    un savant basculement, entre la Vie et la Mort
     (la mort plutôt du côté des hommes
    comme il se doit), Joie et Tristesse,
     Ascétisme et Sensualité. Or passant
    quelque jour par un grand cimetière,
     j'y fus frappé par une épitaphe poignante :
     "A mon mari - A son oeuvre" accompagné
    d'un autoportrait du défunt, pas mal, sans plus.
    D'autres portraits du même ornaient trois
    tombes voisines, comme si les amis du
    défunt avaient poussé l'obligeance à
    se faire inhumer dans la même section ;
    mon dos fut alors parcouru par un très vif
     frisson. Frappé deuxièmement mais plus
    subsidiairement par la carte postale
     représentant "l'Hôtel de Ville",
    "construit à l'imitation de celui de Paris",
    ce qui serait risible si je n'avais pas assisté
    à un spectacle extraordinaire du côté
     de la gare, où toute la troupe avait
    reconstitué quelque sombre cabaret
     typiquement parisien des années 25,
    avec une nostalgie, une bonne volonté
    véritablement pathétiques : venu à Limoges
     pour me dépayser, je retrouvais
     le dépaysement au sein du dépaysement.
     Me revenait dans la figure ce goût de
    frelaté qui consiste à passer pour ce que
     je ne suis pas ailleurs que là où je suis :
    pour un Polonais à Buda-Pest, pour un
    Israélien à Carthagène (Espagne). J'avais là
     des Limousins et Geauds exprimant leur nostalgie
     intacte pour un Paris qui n'existait déjà plus,
    qui n'existerait jamais plus, celui des années 25,
    celui-là qui avait aspiré à lui tous les pères
    et grands-mères de leurs désormais si vides
     et vertes campagnes limousines...
    C'était d'un poignant indicible, d'une justesse,
     d'une sincérité à tordre les entrailles, et d'une
     ringardise à tout jamais irrécupérable, par
     tout ce que cela révélait en le voulant ou sans le vouloir
     - c'étaient de tels spectacles avant-garde
    de Limoges (faites votre procès) que
     se nourrissaient les personnages.
    Nous n'avons pas encore décidé si
    Hélène Dubost doit s'enfuir en compagnie
     de l'essuyeuse de verres du fond du café
    à La Teste, formant un de ces si nombreux
     couples féminins en cavale désormais ;
    quant au docteur Matz, il deviendra si drôle,
     si insouciant et débarrassé de ses tics
     d'oraisons, là-haut sous les combles,
    qu'il s'en suicidera. Je calomnie mes personnages,
    n'est-il pas vrai...

     

  • J'aime surtout rêver

     

    J'aime surtout rêver. Une douce lumière d'après-midi joue sur mes pages. Douce également la musique. Eviter l'élégie.

     

    Personnages de Dostoïevski, se repaissant de pipes et de rêves, griffonnent ou bien rédigent posément quelques textes qu'ils font lire à leur femme, puis confient à la postérité dans de grands cartons verts (le vert sans espoir des administrations). D'autres cependant volent dans les plumes de la littérature, tandis que ceux-là passent la vie à se créer des méthodes, à sélectionner leurs thèmes, un par page, comme on tire les grains d'un sachet, composent des fiches, s'enquièrent de tels ou tels points, lisent tel ou tel ouvrage primordial – lisent surtout, ce qui absout d'écrire. Poussent le scrupule jusqu'à indiquer la musique particulière, l'atmosphère qu'ils désirent et suscitent autour d'eux selon ce qu'ils écrivent. L'antre d'un ours.JPG

     

    Tantôt d'une méthode, tantôt d'une autre. Ils s'obstinent longtemps, même et surtout si c'est inadapté, si c'est inefficace. La pipe s'ils en ont se fume, l'inspiration traîne, parfois jusqu'au talent. Et de reprendre sans cesse, de récrire en mieux. A d'autres qu'ils ignorent d'assiéger les maisons de passe à livres, de nouer maintes connaissances, avec soi, ce que les miens ne savent pas faire. De se faire publier, nouant d'appréciables connaissances. Mais ceux que j'aime ne sont pas de ceux-là. Ils n'osent habiter nulle capitale, ils n'oseraient paraître. Et c'est à longueur d'heures qu'ils écrivent, glanées parmi leurs emplois du temps besogneux, nourris d'écriture, de ce qu'ils veulent, de ce qu'ils ne peuvent écrire, ne savent écrire.

     

    Je songe à Marcel Proust qui raconte en trois tomes comment il s'est enfin décidé à composer ; à Joachim Du Bellay, qui explique tout au long sa manière d'être inspiré. Mais Joachim fut seigneur, et Marcel riche. Ceux dont je parle se consolent de leur extrême isolement par l'imagination, penchés sur eux, comme eux, sur leurs liasses provinciales, de légions d'impuissants sympathiques dont les rêveries alimenteront quelques jeunes gens d'eux-mêmes issus. Succède à la première d'autres pipes encore, la lumière s'intensifie, l'esprit demeure vide, l'auteur sent qu'il doit s'arrêter, retourner à ses briques ou à ses copies. Il touche ses limites. Il vit une époque aussi noire qu'une autre, chargée d'oubli à venir.

     

    Il sait qu'aux époques de décadence les auteurs perdent le souffle. Il admet difficilement qu'une seule page suffise. S'il savait qu'il la referait, il songerait à l'humanité. Voici pour finir le moment crucial. Fini de baguenauder de la quéquette. Il faut s'attaquer à un sujet, sortir de soi. Un courant d'air que je supporte mal.

     

  • Mes rêves en pâture

     

     

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    Nombreux rêves. Tout à la fin : suite à une très bonne émission, où j'imagine qu'on me félicite, une grande jeune femme rougeaude et enveloppée mais appétissante se laisse entraîner sans trop de résistance dans une remise du studio, et embrasser sur la bouche. Je lui fais passer les mains par ma chemise pou rqu'elle puisse se réchauffer les doigts sur mes côtes, nous nous embrassons à nouveau sur la bouche, elle trouve cela exaltant, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas touché un homme. Deux copines nous surprennent d'un air de blâme, elle les suit pour nous justifier avec enthousiasme, et moi je dirais qu'elle s'exalte bien pour une simple pelle.

     

    Il faut transformer tous ces rêves en mythe... Recherche de la femme ?

     

     

     

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    Chez Muriel, et aussi un peu à Buzancy (Aisne). Devant moi un tapis de souris humide où figurent des curseurs de table de mixage. Je les déplace avec les doigts et cela donne une harmonie très prenante aux ondes Martenot, une mélopée répétitive, évoquant une grande villa très claire, sur les syllabes prolongées “Al-GE-RIE”. Tout le monde m'écoute avec respect, puis le tapis s'assèche, les représentations graphiques de curseurs ne peuvent plus s'animer, la symphonie s'éteint.

     

     

     

    06 12

     

    Après un cours donné à quatre ou cinq élèves assez insolents dont la fille Bartherotte, mais à qui je manifestais une indulgence amusée, je suis jeté en costume du XVIe siècle dans les douves asséchées et boueuses d'un château d'où mes appels au secours ont uen grande difficulté à me faire extraire par mes élèves eux-mêmes.

     

     

     

    07 12

     

    Je fais cours à uen classe passablement agitée, cours réussi mais fatigant. Mon père est à côté de moi, jeune, dynamique, c'est lui l'inspecteur. Je lui dis dans le couloir que c'est bien ; pour une fois, cela suffit. Mais je serais épuisé de continuer : je suis en retraite, tout de même ! Au réfectoire, les serveuses sont peu aimables, je dois prendre des assiettes en plastique. Mauvaise cuisine. Chez moi, c'est haut de plafond, très clair, bruyant (sur la rue), pas encore de meubles, ville inconnue. Annie et Sonia sont en courses, je regarde des photos sur un appareil numérique, apparaît Dumasson, joyeuse et sympa, sur l'écran ; comment dissimuler cela si l'on revient ? Il faudrait jeter la cassette entière...

     

    13 12 04

     

    Au sommet d'une pente rocheuse, une fenêtre incrustée dans une ruine est ouverte devant moi, elle donne sur une immense déclivité en forme de ravin, paresmée de rochers et de prairie, dans la brume. On essaye de me persuader que je pourrai planer sans danger au-dessus de ce paysage, en vertu de pouvoirs exceptionnels. La pente commence presque immédiament. Je me recule, je refuse.

     

    18 12 04

     

    Avec Leonardo di Caprio, accroupis de nuit devant deux tuyaux sur le sol ; il faut toucher le bon. Sinon c'est l'explosion. Il se décide enfin, rien ne se passe. Il se redresse en me disant d'un air suffisant qu'il faut savoir se montrer viril.

     

  • Fumaroli n'est qu'un prétexte

     

     

     

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    C'est avec plaisir que j'ai renoué avec Marc Fumaroli, dans sa "brève péroraison". Qui est malgré tout un message d'espoir – quoique la France n'en soit pas porteuse. Les élites prétentieuses et égarées de notre nation nous entraînent vers un désert humaniste. La Chine elle-même renoue avec l'espoir, après "la lobotomisation de sa révolution culturelle" (bien vu), avec "les fils de sa très longue mémoire". Et nous serions les seuls à nous détourner de nous-mêmes, avec les conneries (j'ai entendu le mot) de la dette coloniale à payer. Les opinions vont se briser les unes sur les autres, et je ne m'affligerais pas trop de certaines victoires. Je crains hélas que ne n'opposent une "France" à une autre, comme les deux "ivoirités".

     

    Je crains non pas tant des morts que des vulgarités sans nom. Ferry ouvrait le bal avec des accusations de pédophilie qu'il est interdit de relayer. Ça va frapper très bas. Au-dessous, largement, de la ceinture. "...tout en gardant intacte sa carapace communiste" et ses haut-parleurs qui déversent leur propagande aigrelette. Ce ne sera qu'une hypocrisie de plus, obscurcissant le ciel de ses foisonnements désuets de fils électriques. Cela m'apaise comme la potence au milieu de la pièce : grâce à ce gibet, j'ai sous les yeux la solution finale appliquée à moi-même, la porte de sortie au col de chanvre qui met fin à tous les maux. "...et en jouant avec virtuosité le jeu de l'économie dite libérale" (...la Chine). Sacrés humains. Telle la Chine, pourquoi pas, jouant sur les deux tableaux. Aussi, pour ne pas dormir en consultant sa montre, raisonnons : Fumaroli (muraille lointaine où revient s'appuyer mon lierre) expose ici l'espoir des nations, celui que toute décadence et toute errance implique ressaisissement, quelle que soit la nation, sans qu'il soit nécessaire d'en passer par une guerre. "Pour la plupart des grandes nations du monde, l'Inde n'étant pas la dernière, le rapport à leur long passé, le rejet de l'idée de passé-poids dont il faut se délester en bloc, et le recours à un passé-phare, qui donne du champ, oriente et balise la route dans le voyage historique, sont appelés désormais à redevenir des ressorts moraux et politiques majeurs." Fumaroli pense à tout, nous livre sa pensée solution en main ; ce recours au passé me plaît bien. Le renier forcenément mène à cécité, haine et précipitation. Si, tenez compte de vous-même, cultivez votre ego, demandez-vous toujours l'effet que vous allez produire, puis retournez-vous pour l'oublier.

     

    Mais refaites souvent ce va-et-vient, nourricier, au lieu d'aller prétendre que jamais "tel artiste" ne s'est soucié de son ego : ma foi si ; comment aurait-il fait ? Ces formules ont le don de m'exaspérer : "s'en donner les moyens", etc. Donc, espérons que la France, comme les autres, encensera son passé, son ego, non pour sombrer dans le passéisme paralysant, ou hautain, mais pour avancer sur deux jambes, d'arrière en avant, d'arrière en avant. Marine ? mais les requins du magouillage financier rôdent dans son sillage. Que le patriotisme, le respect des humanités, ne soit pas prétexte au repli. "Le seul recours en profondeur contre les fondamentalismes incultes, à commencer par le nôtre, c'est le rejet résolu, et d'abord par nous Européens, du fondamentalisme et de l'inculture "hypermodernes".

  • La morale et le style

     

    Ne serait-il pas extraordinairement intéressant de recueillir les réactions d'un Siamois, d'une Siamoise encore plus, surtout de quatorze à seize ans ? Les objets ne pourraient-ils pas à leur tour nous dire ce qu'ils pensent et renverser cet obsédant sens unique ? Manset est-il masculin au mauvais sens du terme ? Où le machisme tendre et protecteur et sournois ne va-t-il pas se nicher ? Le style même n'est pas à la hauteur, il lui manque toutes sortes de vigueurs, la couleur locale se fait vivement présente en particulier grâce aux nombreuses expressions de langue thaï, mais les évocations molles de couchers de soleil ou d'atmosphères d'attente ne comblent pas la nôtre, surtout que dans un souci de ne pas se justifier, Gérard Manset nous promène au ras des faits et de la suggestion.

     

    Mais il suggère trop peu. Il ne s'analyse pas, et même s'il le fait exprès par objectivité, cela ressemble trop à quelque voile trop pudique. Il est vrai que toute autojustification à la Matzneff provoquerait le doute et l'agacement du lecteur. Ce serait un air trop connu. Mieux vaut l'esthétisme que le raisonnement. Ne serait-ce pas justement que tout appel à la raison demeurerait désespérement incomplet et frustrant ? Qu'est-ce qui peut justifier la prostitution des fillettes ? Nos valeurs occidentales ne seraient-elles pas justement, et pourquoi pas, universelles ? Nous sommes, nous lecteurs, déçus de l'ouvrage de Manset, parce que nosu le comparons inévitablement avec ses chansons.

     

    Sinon, il eût été aisé d'employer un pseudonyme. La chanson permet des contraintes, partant des trouvailles de style. Otez la mélodie, la mélopée plutôt, que reste-t-il du texte ? Argument irrecevable bien sûr. Mais on entrevoit un soupçon de facilité dans ces enveloppements musicaux. Et dans le livre “Royaume de Siam”, la musique n'est pas. La phrase se balance, sans heurts, avec un sens tout racinien (quel compliment !) de l'harmonie, rien n'est plus haut ni plus bas, la science des liquides, des nasales, des longues et des brèves révèle l'art extrême du parolier, mais il ne suffit plus dorénavant d'écrire et de mouler ses phrases comme Fénelon ou Chateaubriand, et quelques aspérités, quelques tourments ne dépareraient pas ce grand touriste anesthésié comme une endive, qui traîne sa mélancolique guimauve à travers les corps lisses de jeunes filles à peine coléreuses de loin en loin ou capricieuses et si aisées à apaiser. Ne serait-ce pas l'éther mental dont il convient de s'insensibiliser pour ne pas succomber aux remords ou du moins à la réflexion ? Ce livre est qu'on le veuille ou non aux frontières de la littérature et de l'éthique. L'esthétisme a trop souvent véhiculé de moins avouables choses, et l'on ne peut impunément séparer ce qui se dit de la manière dont c'est dit.

    L'ombre entre les pierres.JPG

     

    Voilà qui est dit, je me gratte la tête et n'ai pas voulu manier l'assommoir, malgré de vives démangeaisons dues à mon respect immodéré pour l'immense chanteur. Il n'y a pas que cela sous le mystère du chanteur. Il a raison de vouloir se cacher, non par honte qui ne l'effleure pas ou plutôt qui l'effleure esthétiquement, délicieusement, mais parce qu'il ne dévoile qu'une parte infime et trop personnelle de ce qui nous envahit, nous autres auditeurs, à écouter l'auteur des chants de Manset. Refermons le couvercle où les odeurs de rose cachent mal les relents de bouges, et humons de toutes nos oreilles (ici l'audition d'un disque de Manset s'impose)... (Rick Wakeman !)

     

    (Rick Wakeman)

     

    Lecture des pp. 47 (“Mais la route n'était plus la même à 20 km au nord de Nhac-Luà et elle rejoignait celle de Barng-Seng. Je n'avais pas revu le bungalow. Une fois à Bangkok, à peine avais-je eu ma chambre que je sortais de l'hôtel et parcourais à pied le peu de distance qui me séparait du coffee-shop. Il faisait nuit. Je n'avais pas rendez-vous. Normalement Rêo aurait dû être repartie à Kalasin, dans son pays. Je ne pensais pas la trouver, j'espérais même ne pas la voir. Mille filles me croisaient, me bousculaient, toutes avaient le visage luisant, les prunelles noires. La lumière tamisée les faisait ressembler à des vipères : pommettes hautes, triangulaires, la tête droite et le regard dur. J'étais resté longtemps à écouter la musique, seul, les regardant une par une, les trouvant trop vulgaires. Au 555, j'avais pris Nhoc, quatorze ans, pour deux cents bhats, et j'étais rentré me coucher. Demain à six heures du matin je retournais voir la maï.”), 94 (“En fin d'après midi ou bien en pleine nuit je descendais chercher du riz, un ou deux sachets de plastique bouillants fermés d'un élastique. Elle étalait les portions fumantes de l'assiette, et commençait à manger lentement, suçant presque un à un les grains de riz après en avoir écarté délicatement les concombres et les ciboules. Elle avait parlé d'un collier. Nous en étions déjà au point où il fallait non pas des preuves mais quelque chose de concret, un souvenir. Puisque je devais la quitter demain, peut-être après-demain, elle le garderait avec elle et penserait à moi. Qu'avais-je répondu ? Je ne sais plus. De toutes manières j'avais bien senti que sur ce collier se briseraient les premières larmes arrachées une à une à cette enfant. Je ne pouvais porter sur elle un regard plus puant. Pourtant malgré moi j'avais cette vision du piquet, et de l'animal piégé. J'étais peut-être le chasseur ou le cadavre, cela dépendait des renversements et des données. Pour l'instant j'avais cette sensation de tenir le bout du fouet.

     

    Elle ne disait rien. Elle avait cette attitude d'avant le combat. A quoi pensait-elle ? Que cherchait-elle à trouver ? Y avait-il pour elle le moyen de ne pas se perdre, de rassembler ses idées calmement ? Elle prit ce visage d'un triste soir, d'une des nuits de Bang-Sen avant que je ne la quitte pour Calcutta. La nuit était tombée et nous n'avions pas allumé. Juste la braise d'une cigarette éclairait ses pommettes pâles et ses joues d'enfant. Cette nuit de Bang-Sen elle avait évoqué paisiblement, comme si cela présageait toutes sortes de menaces ou de catastrophes, les “songs” (bordels) de Piksanulok, ceux qu'elle connaissait mais où elle m'avait affirmé n'avoir jamais travaillé. Pour elle, c'était le snack du sous-sol et les huit étages de la “marin”, dans l'hôtel. Derrière la réception, un escalier sordide à droite descendait vers une boîte ouverte toute la nuit. Naliat y dormait et y suivait le cas échéant pour 100 bhats le premier Thaï qui se présentait.”), 141 (“Kengga avait quinze ans et depuis une dizaine de jours. Elle avait un corps menu et une ligne tendre et mou (???). Elle m'avait bien sûr laissé au bas de la page son adresse complète et le merveilleux nom de princesse de sa famille. Je n'étais pas reparti. Je n'avais pas été à Ouissou d'où j'imaginais Salika à une table du Maatch-Kwa et demain très tôt après deux heures de route le long de la côte le car me déposerait à Don-Wang pour le vol de Manille.”

     

    Gérard Manset, “Royaume de Siam”, éditions Aubier.