Proullaud296

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  • Prison d'en haut, prison d'en bas

     

    Séparation. Retrouvailles.

     

    Le lendemain transfert. Dorimon ne m'apportait plus. Ne m'enrichissait plus. Il me dit « Amen », comme « adieu ». Je ne l'ai plus revu jusqu'en 2039, date lointaine, mon passé en cendres. A Grönstadt-Universität, il souffre deux années pour perdre son Epouse tout ainsi que je l'ai prévu, cancer encore, cancer encéphalique, ce vieil homme ouvre sa porte, «...mais c'est moi ! ho ! Maerten ! c'est moi ! » - je ne le remets pas, voûté, crâne ras dans l'embrasure – « moi ! Dorimon ! » Dans ma tête Gavri-èl archange déploie tout le destin qui fut cet homme, sa descendance (Eva, Diana) et la condamnation du père par ses filles en jugement du tant de telle année. J'entre chez lui : trente années de plus, délaissé, avec sa mitraillette à crosse de buis, ses trois fusils couchés sur le râtelier en bois de cerfs, « qu'ils y viennent ! qu'ils y viennent !  - Qui donc ? je dis Qui donc ? Il répond par un vague murmure. Juste des mois et des années, sa voix écorchée la veille dans le répondeur : ...n'est pas là pour le moment – j'échappe à son histoire, à l'histoire.

     

     

     

    Analepse

    Les pins.JPG

     

     

    « Vous êtes arrivé ». La portière s'ouvre. Je descends seul. Dans mon dos les Drüften, 72, 73 ans, transférés eux aussi, le détenu et les deux gardes, qui ne crèvent jamais. Rue poussiéreuse à l'autre bout de T., trottoirs défoncés, ascenseur à trois collés à la verticale, je les sens je suspends mon souffle, à deux doigts sifflent les câbles tout pelés frôlant l'habitacle vitré. L'autre cellule est au sixième étage, les déménageurs éventrent une caisse d'où tombe la paille et la cafetière ébréchée, bleu vert, qui recueillait mon sperme par faveur spéciale.

     

    Frau Drüften s'en empare et la flaire.

     

     

     

    Lettre de Kragen

     

    « L'interminable agonie du cancéreux permet de parcourir toute l'échelle des vanités. » Sur l'échiquier qu'il me tend aujourd'hui à travers le passe-plat, Kragen pince du pouce un message ainsi rédigé : « Je ne souffre plus de devoir enfin mourir » - il raye le premier mot, je chiffonne tout. La partie se déroule avec faste, j'interviens pour qu'une meilleure lampe nous soit attribuée, tandis que là-haut Daniel Tag, informé, se lisse la mâchoire : « Ce petit progresse ».

     

     

     

    Analepse, suite

     

    Aux alentours de T., le vieux Drüften fut jadis ouvrier, très estimé. « A force de crédit et de compétence, il est parvenu à se faire confier la gérance [...] (...) tement, scrupuleusement - » tout est écrit petit ; plus gros, en bas de son contrat : Il traitera les détenus comme un père ». Tes doutes tu lui confieras.

     

    Les ouvriers charrient les meubles, la vieille garde crie, le Drüften mâle encule mon âme, plus tard il me promène au fond d'un vallon, sous un toit de tôle en ruines : « Mon ancien atelier », je ramasse au sol de vieilles revues humoristiques belges, soudées d'humidité, qui feront mes délices de prisonnier - aujourd'hui j'emménage : « Tu seras maté » me jette le vieux garde en se levant d'une caisse vide. Je demande : « Avez-vous des filles ? » Il s'éloigneet me laisse seul. Dans ma seconde geôle tout est clair, par une grande baie vitrée la seule mer en vue est celle des terrasses - Dorimon, qui te surveille ? et qui encombres-tu ? ...te raccompagnent-ils en Métropole, ta mère est-elle encore au monde, etc.) - dans ma cellule lumineuse un petit tas d'objets surexposés soit trois microsillons (Strauss, Messager, Wagner), plus une boîte étrange très compacte et capitonnée, contenant un accordéon d'Europe.

     

    L'instrument trop petit, deux octaves d'étendue sur clavier droit, bretelles rouges à se meurtrir les côtes et ventre rebiglant sous le soufflet : «...à chaque prisonnier sera gracieusement remis le Chtoudennt Fir afin d'améliorer leur sort en nos établissements » - nos établissements ! C'est dans la cour pour peu qu'ils jouent à deux ou trois une cacophonie à hurler, de ces plats arpèges aigrelets juste bons pour les hameaux – je cours donc au garde-fou du balcon, ne trouvant au sixième ni cour ni vis-à-vis, et je joue pour le ciel et la lune : 1m 20 de haut sur un demi de large parapet compris.Mes progrès sont rapides ; et par l'ascenseur ô prodige ! il me sera possible de rejoindre la prison d'en bas.

     

  • Un chef-d'oeuvre méconnu : Gaston-Dragon

     

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    L'ENFANT, LE TEMPS (116)

     

    Au loin, les balançoires.JPG

    J'ignorais qu'il fût si proche encore (117), qu'il m'eût tenu lui-même dans ses bras : le temps commence pour l'enfant à sa venue au monde ; son atelier restait maniaquement rangé : gouges, poinçons, chignoles par rang de tailles sur le mur. Je sentais le parfum des copeaux (estompé au cours des années), je touchais l'établi couvert de cicatrices. Couturé. Gaston-Dragon irréparable avait tourné de sa main mutilée (scie circulaire) cette petite meule verticale et roussâtre que je lançais : accélération, extinction progressive, dans un mugissement de rame de métro – ces voies souterraines récemment découvertes (un voyage à Paris pour L'auberge du cheval blanc) me pénétrèrent de ravissement - je pouvais donc m'échapper ; les souterrains devant la meule s'étendent à l'infini, perdus à l'extrémité clignotante de longues lignes perdues - j'annonce à haute voix toutes sortes de noms.

     

    Avant de m'endormir je me chuchote une infinité de toponymes villageois, par ordre alphabétique. Je me souviens d'être allé jusqu'à « V ».

     

    Notes

    (116) Encore un paragraphe victimaire.

    (117) Gaston-Dragon, bien sûr.

     

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    L'ENFANT, LE PÉCHÉ(118)

     

    Le temps de la Question Ordinaire sous les yeux cerclés d'or du Masey-Ferguson survient deux ans plus tard – au sein d'un temps immobile - quand je m'avise d'avouer à ma mère - n'est-ce pas dans ce gros volume d'Histoire Sainte – lis donc,tu nous foutras la paix - que je découvre entre deux gravures - Massacre des Macchabées / Daniel dans la fosse aux lions - l'assertion sans réplique suivante : les bons enfants n'ont aucun secret pour leurs parents. Je confie donc à ma mère l'étrange chose que nous commettions cousine Berthe et moi dans cet autre village - ah ! ce sont là de bien étranges époques pour vous autres - comment Valery Larbaud a-t-il bien pu parler sans frémir du "vert paradis des amours enfantines" ...?

     

    Cousine Berthe - qu'elle soit bénie, et à jamais - se branle au-dessus de moi, très loin, très longuement et trèsvigoureusement, comme font les filles, sans révéler jamais, sans m'expliquer ce qu'elle fait, tandis qu'à l'intérieur d'elle j'attends qu'elle s'achève, sans jamais révéler à l'enfant le plaisir qu'elle se donne. On me cachait des choses. Forcément, à un gosse. Juste avant je fais mes prières - on les recommencera les cochonneries d'hier soir ? - Tais-toi, tais-toi si tu veux qu'on puissecontinuer – tout mon répertoire de prières m'affluait aux lèvres, Confiteor compris, je me vidais ensuite, tout l'esprit, pour m'étanchéifier ; pour me dédoubler ; me dédouaner, m'insensibiliser.

     

    Juste après l' « acte de contrition ». L'acte bien. Merveilleux. Extraordinaire. Bien que je ne connusse pas l'éjaculation. Ou puisque.Sous le calendrier « Masey-Ferguson » aux phares cerclés d'or ma mère feignait d'étouffer devant la Veuve Gaston en se couvrant les yeux de son mouchoir : "Mon Dieu !" - quel Dieu ? - mon père, écœuré, m'évita. Toute information, tout choc, me furent épargnés. Lorsque j'apprends un jour qu'ainsi se font les enfants je ne peux imaginer que je sois né au prix de cette ignominie ; je suis assurément le seul de toute la terre suffisamment dépravé pour imaginer semblable saleté, d'introduire son sexe dans le sexe d'une fille, fille du frère de son père – la chose est en vérité si lointaine que j'ai grand tort, promis à de si hautes destinées, de m'y attarder aussi sottement.

    Notes

    (118) Il me faut donc absolument y revenir...

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • De Brioude à La Chaise Dieu

     

    A Brioude, chargé de mes deux lourds bagages, je m'aperçois qu'il y a un hôtel parfaitement miteux juste en face de la gare. Les renseignements ont été très difficiles à obtenir.

     

    Aurore.JPGJe ne saurais me souvenir de tout. Ma chambre est au deuxième étage, il faut tourner la clef deux fois, à l'envers, pour ouvrir et fermer. Je suppose que je me suis reposé, puis qu ej'ai mangé. Il y a une salle à manger au premier, raide, le couvert mis depuis des semaines pour un repas fantôme. Voulant faire peuple, je demande au bar si le repas a lieu "là-haut" ou "ici". "Ici". Malgré l'étonnement léger du garçon (38 ans, petit brun), je demande à être servi à l'intérieur. Vue sur un flanc de voiture. Repas honnête, je n'ai même pas demandé "ce qu'il y avait". Derrière moi des routiers tout simples parlent métier avec des intonations d'enfants ou de braves gens.

     

    Ils discutent de conditions de travail et de revenus, sans aigreur. Je suis allé me promener après le repas, d'abord sous la pluie. Voilà ce que j'ai remarqué : Brioude est une ville mal

     

    foutue, où l'on sent encore l'absence de plan d'urbanisation, ce qui prévalait encore bien sûr aux siècles dernier. Un gros bourg mal grossi. Rien de pittoresque, une basilique Saint-Julien fermée, et mon bourdonnement intérieur : "Je vais réussir à me perdre à Brioude, et il faut le faire". Une espèce de demi-fou m'entend, croit que je lui adresse la parole, je le détrompe avec des mines effrayées. Mes airs naïfs, pour ne pas dire couillon, m'attirent toujours des abordements pique-assiette ou pédés. Je ne veux pas avoir affaire aux pédés, aux drogués, aux originaux. Cela devient tout de suite revendicatif ou agressif. J'aperçois encore une silhouette de ce type. Les faux soixante-dizards et faux clodos doivent pulluler ici, l'été. Rester chez soi en juillet-août. Comme il n'y a pas de télévision en chambre et que je dois me lever aux aurores, je me suis contenté de radio. Je savais que la patronne serait debout dès cinq heures et demie. Les clients m'avaient bientôt expliqué tous les horaires de car, avec leurs arrêts, "là derrière, pas loin".

     

    Je ne suis pas d'ici. Sottement, je me fixe un petit 6 h à la gare. Donc à 5 h ½, j'aide moi-même la patronne à descendre les chaises des tables ("Vous permettez ?"- ça fait peuple, et serviable.) Et je me mets en route à travers la petite ville aux premiers passants parmi les poubelles. Je demande au boulanger s'il faut prendre à gauche ou à droite d'un chantier, avec ses échafaudages. Il faut passer devant lui, en short, progresser sous son regard en gardant l'air naturel, lui dire par exemple alors qu'il ne m'a rien demandé, que je prends le car vers Le Puy. A l'horaire qu'il m'indique, le car est déjà parti.

     

    Mais je ne me presse pas. Le départ est devant la gare, et nul détour dans l'agglomération, que je sache, n'est prévu. Ou j'ai mal compris. Le chauffeur, 40 ans, brun, mince, portant beau. Les passagères sont des dix-sept ou dix-huitenaires qui le tutoient avec une familiarité titillante. Il m'est demandé si j'ai une réduction, je dis que je ne sais pas, le chauffeur me répond que ce n'est pas lui qui va me le dire. Elles sont si jeunes que je n'ose exciper de mon âge pour demander une réduction-de-vieux. Tout le long du trajet, les conversations vont se succéder, où l'on ne parle que de cul sans jamais y faire allusion.

     

    Le chauffeur s'appelle Tonio. Les filles le houspillent, lui parlent de ses nuits blanches, de sa petite amie, de leurs petits amis, de la pluie et du beau temps, sottises d'adultes aussi bien, échanges d'insipidités acidulées. Telles qu'elles en diront plus tard, devenues dures et âpres au gain, comme le laisse deviner un profil de mâchoire près de moi. Mais je sais de quoi l'on parle avec des jeunes filles : "Ce ne sont que des copineries", mais je sais bien, moi, pour l'avoir pratiqué des années durant pendant ma carrière de prof, que l'on parle de cul, de cul, et exclusivement de cul. De vitesse de doigt le long de la hampe, de précision dans les effleurements. Mais uniquement par la pluie, le beau temps. C'est la voix, c'est le charme qui font tout. J'ai aimé un nombre incalculable de jeunes filles. Je leur ai imaginé à toutes le sexe et la technique. Celles-ci se rendent aux oraux du bac, section vente, peur-être, un bac de filles, un bac de montagne.

     

    Je repense à ces filles agglutinées sous les porches d'Oloron-Sainte-Marie, le dimanche soir avant le retour au pensionnat. Que d'innombrables branlettes se préparaient là... Entre filles, chacune sa chacune... Que c'est beau, que c'est avantageux d'être une fille... L'une d'elles, montée en cours de route, toute petite, avec du rouge dans les habits, m'a souri. Il y a des vieux que l'on trouve sympathiques, même si l'on ne couche pas avec. Je n'ai jamais eu que cela comme succès féminin. N'empêche que j'étais bien satisfait en arrivant à la gare du Puy. Les bavardages devenaient un peu passe-partout.

     

    Des garçons étaient bien montés, puis redescendus, ce qui fait une phrase plus cocasse que je n'eusse cru ; mais plus jeunes, plus neutres, plus balourds. Engoncés. Considérant leur sexualité comme sale. Et j'ai dit au revoir au chauffeur, arrivé là trois bons quarts d'heure trop tôt, consigne inefficace (les fentes à pièces encore en francs, et inutilisables). Xxx 59 02 16 xxx Puis vers huit heures est venu vers moi un employé, jeune et nettement maghrébin, qui m'a emmené non loin de là pour signer le contrat. Ce fut un spectacle étrange. Le petit Marocain remplissait des papiers, me réclamait des documents et des garanties, d'un air empressé, fébrile, tandis que son petit patron de petite entreprise paradait au téléphone, le ventre avantageux, le verbe haut : il n'avait plus de véhicule disponible, même jusqu'à Brive, et pérorait sans fin.

     

    Je sentais qu'il exerçait une autorité outrancière, y compris auprès de sa secrétaire, toute grise et victime de ses frustrations (à elle ou à lui ? “le français, langue de la précision” : pas ici). Je me souviens cependant que le petit employé m'avait dit que de "La Chaise-Dieu", j'aurais vite fait le tour", parce qu'il n'y avait "pas grand-chose à voir". Et la prière, connard ?