Proullaud296

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Des corps, et de leur décor

 

Dialogue entre les deux femmes, au petit-déjeuner :

 

- Qu'est-ce qu'il m'a mis hier soir !" (très bas, à quart-de-voix) -
 et toi ?

Didier Maillau, compositeur.JPG

 - Il n'a pas pu, il était trop soûl ! Hélène la pâtissière 
confesse l'échec du docteur. Si petite, si moche

 et si terne que c'est elle qui doit baiser le mieux
 couronne bouclée grisonnante.

Fêtard de première : jamais la moindre crainte
d'impuissance ; il eut un (…)

 L'ouïe exaspérée du curé-client .parvient à capter
 les semi-paroles échangées

 alors au-dessus des petits-déjeuners :

" Le type, là, à côté ? - C'est un client, tu verras,
 il partira aussitôt après le petit-déjeuner !

 C'est ainsi que cela se passe entre femmes :
à tout échec sexuel entre homme et femme
 correspond une compensation entre elles.
Le témoin paye ostensiblement sa note.
La Mertzmüller confirme à l'oreille
de sa complice : "Tu vois bien!" - où se déroulera
 cette consolation ? Le curé-témoin parcourt
finement les moquettes rouge-gynéco
des couloirs (la disposition d'un hôtel,
aux chambres ouvrant sur les lourdeurs épaisses
 des intimités souillées, les silhouettes lointaines
 et souriantes, faussement incitatrices, des
femmes de ménage - font de ces dédales de véritables
 intérieurs génitaux féminins, et du touriste-curé
 indûment égaré un gynécologue) et ne découvre rien
 - de ce lieu où devait se réparer cette nuit doublement gâtée,
 trop de vigueur à l'une, et mollesse pour l'autre.
Sans doute alertées par la présence de cet homme
au petit-déjeuner s'efforçant un peu trop de n'émettre
 aucun frottis de pain ou de cuillère,
 se sont-elles entendues pour un endroit
 plus secret afin de se faire jouir avec ces
attouchements dont nous avons perdu
 à tout jamais le secret nous autres hommes,
prisonniers de notre bidasserie - dieux,
pourquoi nous est-il à tout jamais interdit de jouir
comme des femmes ? Mertzmüller, strip-teaseuse
, offre son corps dans la dévotion la plus totale,
 fait l'amour avec les moindre pores de son corps,
sans la moindre mouillure révélatrice ; les hommes
 congestionnés la croyant dans la froideur,
excités même par cette froideur, Annemarie
 offre son corps avec la même ferveur que
 la désarticulée Pietragalla, peut-être un jour
 ce nom sera-t-il devenu inconnu,
même aux ballettomanes (y aura-t-il encore
 des ballettomanes ?) Telles sont les conceptions
 des deux amies, partageant les deux demi-frères.
L'Allemande est Gretchen longue et fine, blonde,
 ou très noire, sans cesse esquintant ses cheveux.
L'autre, Hélène, bigote, pute, est simplement
 moche. Mertzmüller baise la croix qu'elle
porte au cou, la conserve imperceptible,
presque indiscernable sur sa peau pendant
son numéro ; ainsi le clerc Théophile
 offrait-il ses gambades à la Vierge
devant Notre-Dame. Baisée, mais chaste
 comme seule peut rester pure une danseuse
 classique, fût-ce sous les assauts répétés d'un ivrogne
. Elle suit également des exercices de macération,
 mortifiant son corps de l'intérieur par des jeûnes,
car les flagellations laissent des traces
sur sa chair exhibée. Il n'est pas exclus
 cependant qu'elle se fasse un jour fouetter,
 avec des chaînes, contre un pilier.
Ce sera la veille de sa démission.
 Revenons sur cette précision que
l'acolyte malsain du frère François,
l'observateur de l'hôtel de Châteauneuf, est
 le propre curé de cette paroisse ; il a même
 une bonne, à l'ancienne, qui sonne la bonne
 soixantaine, mélange improbable,
chers Connivents, d'une certaine
Mme Noir de Pasly, d'une mère Beuxe
du à Piney, d'une certaine Cécile
 impliquée dans les mouvances
"charismatique" à Vienne. L'abbé Duguay ne sera
 ni petit, ni chafouin - ni énorme à la tourangelle,
mais parfaitement banal, si ce n'était jadis
une propension à faire l'original dans les
fonds de bistrot pour attirer l'attention
à l'heure de la fermeture. Quant aux femmes
 à la Dubost, l' "habitude de la rue Huguerie",
elles n'ont pas du tout le sexe fripé,
comme les mécréants aiment à se l'imaginer,
mais une toute petite vulve de petite fille
 ("peu servi"), par analogie avec le minuscule
 zizi qu'il nous fut donné d'apercevoir sous
 les draps d'hôpital vivement soulevés où
gisait le curé de P., un peu agité ce jour-là
- moi qui vous parle, j'ai entrevu un zizi
de curé, et il n'était pas pédophile, je le jure.
CHAPITRE TROIS
 Le but du jeu est d'établir
un savant basculement, entre la Vie et la Mort
 (la mort plutôt du côté des hommes
comme il se doit), Joie et Tristesse,
 Ascétisme et Sensualité. Or passant
quelque jour par un grand cimetière,
 j'y fus frappé par une épitaphe poignante :
 "A mon mari - A son oeuvre" accompagné
d'un autoportrait du défunt, pas mal, sans plus.
D'autres portraits du même ornaient trois
tombes voisines, comme si les amis du
défunt avaient poussé l'obligeance à
se faire inhumer dans la même section ;
mon dos fut alors parcouru par un très vif
 frisson. Frappé deuxièmement mais plus
subsidiairement par la carte postale
 représentant "l'Hôtel de Ville",
"construit à l'imitation de celui de Paris",
ce qui serait risible si je n'avais pas assisté
à un spectacle extraordinaire du côté
 de la gare, où toute la troupe avait
reconstitué quelque sombre cabaret
 typiquement parisien des années 25,
avec une nostalgie, une bonne volonté
véritablement pathétiques : venu à Limoges
 pour me dépayser, je retrouvais
 le dépaysement au sein du dépaysement.
 Me revenait dans la figure ce goût de
frelaté qui consiste à passer pour ce que
 je ne suis pas ailleurs que là où je suis :
pour un Polonais à Buda-Pest, pour un
Israélien à Carthagène (Espagne). J'avais là
 des Limousins et Geauds exprimant leur nostalgie
 intacte pour un Paris qui n'existait déjà plus,
qui n'existerait jamais plus, celui des années 25,
celui-là qui avait aspiré à lui tous les pères
et grands-mères de leurs désormais si vides
 et vertes campagnes limousines...
C'était d'un poignant indicible, d'une justesse,
 d'une sincérité à tordre les entrailles, et d'une
 ringardise à tout jamais irrécupérable, par
 tout ce que cela révélait en le voulant ou sans le vouloir
 - c'étaient de tels spectacles avant-garde
de Limoges (faites votre procès) que
 se nourrissaient les personnages.
Nous n'avons pas encore décidé si
Hélène Dubost doit s'enfuir en compagnie
 de l'essuyeuse de verres du fond du café
à La Teste, formant un de ces si nombreux
 couples féminins en cavale désormais ;
quant au docteur Matz, il deviendra si drôle,
 si insouciant et débarrassé de ses tics
 d'oraisons, là-haut sous les combles,
qu'il s'en suicidera. Je calomnie mes personnages,
n'est-il pas vrai...

 

Commentaires

  • L'homme sur la photo, c'est Didier Maillau, compositeur, pianiste et claveciniste.

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