Proullaud296

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  • S'insérer à Saint-Céré

     

    Flou sensuel.JPG

    St-Céré. Je marche dans les rues « crinière au vent », passé de « jeune écervelé soucieux de son effet » à « vieux peintre pathétique ». Nous partons dans le frais, vers Collonges-la-Rouge (« plus rien ne bouge ») - deux heures de bonheur, à se demander si l'on est heureux, à conclure que « oui », photos numériques à la pelle à la pluie. Ce que l'on serait si l'on était un autre, « Mystère du monde, accorde l'Harmonie ». Brugnon articulait « Villa Harmonie » comme on déguste un fruit, baissant la voix, il l'aurait dit de façon enfantine. Aucune réponse de ses veuves. Derrière moi ça dort. Après Coullonges (acquisition d'un lézard rembourré), nous gagnons Cameyrac, où Fénelon (de Ste-Mondane) posséda aussi un bâtiment-presbytère.

     

    Crêperie, des Espagnols non castillans malaisés à comprendre, avec deux petites sœurs à se damner déjà, l'une belle comme une femme elles se rendent pas compte car il ne s'agit pas de possession sexuelle mais d'envoûtement – le corps n'est plus ce que l'on prétend, présomptueux, posséder ; c'est une atroce impuissance imposibilité d'un autre règne, d'un autre ordre au point de vouloir frapper transpercer transgresser la Frontière Señor tién piedad de nosotros et le sous-chef crépier de ronchonner Des Espagnols on en a eu toute l'année y en a jusque là ta gueule charron ouvre un steak-frites.

     

    Juste à côté « Menu Espagnol » boutique vide, sans Espagnols ni pitié saloperie de commerce - nous rejoignons la bagnole à l'ombre. A St-Céré donc le troisième hôtel est le bon, car devant le second, fermé , démarrait une noce à char-à-bancs 1880, coiffes et hauts-de-forme. Dames blanc crème. Je monte à l'hôtel Touring. Charmant réceptionniste, pédé si j'avais le temps, et que les odeurs de glandes à cul n'écœurent pas. Mon patronyme lui évoque celui de son maire près Limoges. Des bras je lui prends les oreillers que ma femme réclame, je peux les insaller mieux qu'un larbin. Et puis je suis revenu ici, dans ma chambre, après avoir dégoté un cybercafé juste à côté d'un cybermagasin qui n'envoyait vers d'autres, « au-dessus de l'office de tourisme » -  « mais je ne sais pas si c'est ouvert le samedi. - Ben j'm'en fous tant pis. » Et je suis revenu.

     

    Je me sens tellement plus chez moi à l'hôtel. Anne dort. Sans elle pourtant je sais quelle pente j'aurais dévalée. Quant à l'endormissement, j'en eus l'explication de la bouche d'un éphémère collègue : c'est que je ne provoque ni tension ni attention, sans peur, et que la sensation s'invite et ne lâche plus, vous menant inexorablement vers « la vie ressentie, à la source même de l'être », Bergson dixerat. Situation, le lendemain, très particulière : dans un fauteuil de hall médiocrement éclairé, attendant le lever d'une encore ensuquée dans le sommeil. Nous avons présumé de ses forces. Elle se trouve plus affaiblie que je n'aurai cru, devant éprouver de grandes difficultés à dépasser désormais les frontières de l'Aquitaine. De plus, mes lectures de cuvette à chiottes m'ont semé one more time le doute quant au bien-fondé de ma conduite de vie : l'étude du Talmud en effet se fonde sur l'effort, l'engagement affectif. Or je n'étudie, quoi que ce soit, que pour avoir empilé, entassé, derrière moi, tels ou tels livres, en les oubliant. Comme on accumule des nombres en comptant. J'ai sursauté en lisant le passage où l'on reprochait à certains sages de ne pas mettre en pratique, matérielle, leurs connaissances : c'est tout à fait moi.

     

    C'est très simple, je refuse. J'ai peur. Incroyable le nombre de ceux qui veulent absolument que l'on s'engage, du Talmud à Sartre.

     

  • Xénophobie ? Racisme ? Puritanisme ?

     

    Mais pour en revenir aux Porthos, celui que je n'ai pas apprécié, pas du tout du tout, c'est celui à qui j'avais collé un zéro de première, pour être passé d'un seul coup de six de moyenne à 16 (devoir fait à la maison) avec une telle proportion d'aide extérieure que je n'ai pu m'empêcher de le saquer comme un malade.

     

    Il tenta de venir s'expliquer à la fin du cours, mais je l'ai repoussé indignement. Mon appréciation portait la phrase suivante : “Votre niveau de culture ne vous permet pas d'atteindre à tant d'excellence” ou quelque chose de ce genre. Mal m'en a pris. Le devoir avait été composé, d'un bout à l'autre et à la virgule près, par un de mes collègues de leçon particulière. Sans avoir une seule fois l'idée de venir me rencontrer, il poste illico une lettre de dénonciation au Rectorat (les gens qui font cela, par-derrière, la « dénonciation au Chef) » ont toujours suscité en moi un dégoût profondément vomitif), m'en faisant remettre photocopie par l'élève en question. Il y était question de xénophobie, de négation de la culture portugaise (absurde ; il y a certainement plus de Portugais fins lettrés des deux littératures que de Français connaisseurs en littérature portugaise... encore et toujours, dans cette ignoble dénonciation, cette confusion crétine entre “culture” et “coutumes” : quand j'achète une baguette en effet, je me conforme aux coutumes françaises ; mais en aucun cas, au grand jamais, je n'incarne ma “culture”...). Il dit aussi, ce faux-frère, cet enculé du cul, qu'on aurait dû sans délai me radier des cadres de l'Education nationale, que je “ne laissais aucun choix à cet élève autre que la médiocrité ou la fraude” : pauvre con ! Est-ce que je saurais passer la moindre épreuve du bac en langue portugaise ? est-ce que je ne suis pas le roi des ignorants, le champion des bonnets d'âne toutes catégories confondues, en culture lusitanienne ?

     

    En quoi cela pourrait-il me vexer qu'on m'en fasse la remarque ? Le fond du drame, c'est qu'un élève ait pu se retrouver en classe de première avec un tel niveau, pas si différent d'ailleurs de celui d'un élève français dit « de souche ».

     

    Racisme ?

     

    Pour des raisons évidentes, celui que l'on repère toujours en premier dans une classe, c'est le Noir. La « minorité visible » comme on dit (je serais noir, je préfèrerais « nègre », carrément) - il en est de même, symétriquement, pour le béké aux Antilles. Mon Africain s'appelle Mombo. Médiocre, effacé. Je n'ai pas pu résister : peu avant Noël, je chante avec l' « accent noir » : “Mombo sapin, roi des forêts, que j'aime ta – verrrdûûreuh...". C'est parfaitement crétin. Voire impardonnable. D'accord. Il me dit “Vous êtes rrraciste. Si si Monsieur, vous êtes rrraciste.” Verjus, le prof d'allemand, a trouvé ça « excellent ». Evidemment... Sous la rocade.JPG

     

    Un Tahitien d'Arveyres (« M'Bélélé») était venu me demander si je l'étais, raciste : les autres, pour se payer sa tête, le lui avaient fait croire. Je l'ai formellement détrompé ; il est reparti tout triomphant. C'est naïf, les enfants, vous savez... On ne joue pas, avec ça. Un autre collègue, Vosgien, prof de musique traitant Satie d'imposteur indigent... - ne pouvait jamais s'empêcher d'éprouver les pires difficultés avec tout ce qui était noir ou tant soit peu bronzé. « Simple question de discipline ! » protestait-il invariablement. Voire... Ce collègue était un personnage. Toutes les collègues ont passé sur sa queue. Il trompait ouvertement M. U., capitaine au long cours, et se laissait surprendre avec sa femme au petit-déjeuner, dans le même lit. Lorsque Mme U. mit au monde une fille, chacun rechercha sur le visage du bébé la ressemblance avec Vosgien : en vain ; le couple ne copulait pas. Mais tout ce qui pouvait se faire, il le faisait.

     

  • - Turista !

     

    Je lis Concerto Baroque (Alejo Carpentier) jubilation médiocre hélas combien forcée d'un texte sans émoi, qui cliquète et tintinnabule, tandis qu'un jeune couple anglais frêle et fébrile s'engueule à l'ombre en s'accusant de torts imaginaires, elle sanglote et dit Just comfort me console-moi, la Cour des Lions est trop petite et grise et non pas large et plaquée d'or comme la montrent les photographies, 13h 25 ; l'éclat solaire aplatit les tons fauves et les alvéoles si bleus de la voûte elle-même multipliée parfait objet fractal – et je me suis perdu sur l'autre côte de Grenade en redescendant mal du plateau sommital par tout un lacis de mauvaises ruelles qui m'égaraient sans cesse entre les queues dressées de tous les chats fuyants : c'est une Anglaise brune qui les traque au Nikon 520, d'autres encore à l'angle d'une impasse et d'une autre et d'une autre, et qui me tend elle aussi perdue son plan de ville.

     

    Epaule contre épaule nous consultons à l'ombre d'un bar les plis froissés del mapa-guía de Granada sans même avoir consommé, nous ressortons et je l'attire à moi mais elle se dérobe allons je suis bien moi j'aurai du moins retrouvé ma 4L bien coincée 40 au dehors 55 dedans l'eau chaude à recracher je bois je bois du Coca-Cola de distributeur en distributeur bloquant la circulation pas un coup de klaxon. Isábel la Muy Católica y su sepulcro son tombeau dans mon autre vie tant pis pas le temps pas le temps rouler vite avant de crever en enfer en infierno sur cette Terre je monte à Jaén à 35 km au nord et ça cogne toujours (adieu Cordoue adieu Séville, une autre fois) le vent du Nord ou de Castille pulse sur ma peau de véritables flammes au point que je monte mes vitres.

     

    Un hurlement me saisit cette fois, suraigu, incontrôlé, qui je le sais n'est plus de joie. L'intensité peut-être. J'arrive à Jaén écrasée dit le guide par la colline qui la domine et tôt ou tard s'effondrera 20 000 morts comme au Pérou j'ai d'abord lu à l'extérieur Chateaubriand ou mieux encore les fraîcheurs normandes de Flaubert Par les prés et par les grèves, la façade cathédrale aussi longue qu'un chat présenté de profil et qui réverbère le soleil. Ou bien c'était Murcie. Trop de feu, trop de mort. On me croise en rotant je pète. A l'intérieur du bar (¿ Murcía ?) les Andalous se vautrent sur les ronds des guéridons de marbre noir dans un bar sombre et frais sans consommer jambes lâchées sous la table, chez eux, tandis que je commande en hâte et tout debout mon Coca tiède REFRESCA MEJOR juste le temps de l'avaler puis c'est la pépie qui revient, plus forte que jamais. Bailén juillet 1808 Napoléon battu Joseph quitte Madrid, bourg bouffé de soleil, coiffeur et magasin de jouets, viejecitos descendant mains dans le dos la seule rue à peu près abritée, j'avise et je descends un immense escalier d'enfer frais débouchant sur un bar cave - alcools frais, musique en boîte et belles femmes. Tapas y cerveza. Plutôt boire et crever.

     

    Je reste sous la voûte plus d'une heure otra cerveza por favor alternant otra más des textes d'océan, Normandie, Saint-Malo, Guérande de Balzac, seuls repères dans un temps défunt. L'alcool évaporé j'aborde Almuradiel, "Histórico", Viso del Marquès, admirant scellés tout debout contre un mur tout un pan de fûts de canons briqués depuis le XVIIe siècle, et je ne sus jamais ce qui s'était passé là. Quant au château de Mudela ce n'est comme il advient souvent qu'une rouge maison de maître, à peine digne d'avoir abrité quelque famille enrichie de négociants ou tisserands. J'ai suivi sur le sol extérieur – ACCES INTERDIT – un sentier défoncé d'ornières, bourbier pour l'instant desséché, d'où l'on peut voir à la rigueur, demi-masquées par les camions et moissonneuses à l'arrêt, quelques vues de pierres nobles. Le chemin.JPG

     

    Quand en pleine campagne plus loin je dépasse à pied ce petit vieux voûté flanqué de son petit-fils, le vent plus tard me porte sa voix grêle et je me suis tourné sans hâte, évitant de crier dans mon accent Français, traçant du bras autour de moi le cercle qui partout signifie promenade, mais le vieux sous le regard du drôle s'époumone et m'enjoint de déguerpir, je salue de la main sur la tempe et je retourne lentement, pour ne pas briser l'admiration d'un enfant. J'ai remâché plus loin la scène, l'ai modifiée à mon avantage, mais ne me suis pas senti mortifié. Sur la route de Valdepeñas je passe entre deux obélisques blancs, perdus de part et d'autre en rase campagne, limites ancestrales du latifundio. Et la nuit se met à tomber.

     

    À 21h il fait encore 38°, et j'erre encore à 25 à l'heure à travers la bourgade trop vaste pour sa nullité, demandant aux grands-mères assises sur leurs chaises au seuil de leurs demeures basses l'hôtel ou le camping. "Passez" me disent-elles "sous le tunnel de l'autoroute" – il n'y a là, en effet, qu'un hôtel,, dans un paysage de désolation. Je n'ose pas demander à la réception où se trouve le terrain de camping... cette satanée agglomération n'en finit donc pas... Surgie d'entre les maisons basses une moto sans lumière se jette sur moi, les vieilles jettent leurs malédictions, et je ne saurai jamais à quoi peut corresponde ce Monumento a la Victoria signalé sur la carte. Victoire sur nous les Français.

     

  • Monségur 47 - Excellent roman

     

      • "Je partirai quand je voudrai" – c'est dans le texte. "La terre est lourde sous mes bottes.

     

    "Je me brosse, m'ébroue, renifle et mène grand tapage ; à son réveil ainsi Gargantua "rotait, pétait, fientait"-

    Sur le lit avec le chat.JPG


     

      • Poursuivez ?

     

    "...ainsi faisaient à Léningrad en 42 les Commissaires du peuple, quand les troupes hitlériennes, afin de les fusiller, les firent avancer de trois pas dans la neige : Sur toute la ligne se déclencha une série de raclements de gorge et de reniflements. Par un absurde respect de ces ultimes manifestations humblement humaines, les exécuteurs attendirent leur totale extinction avant de tirer leurs rafales – c'est horrible !

     

     

     

    X

     

    AVANT-PROPOS

     

    Les biographies littéraires présentent toutes sans exception un point désespérant : celui où lHomme, promis jusqu'alors à une destinée obscure et à la mort, bascule d'un coup là-haut vers la lumière, les projecteurs, la Vie. La phrase fatidique immanquablement commence par "Il rencontre..." - et c'est précisément là, et non ailleurs, qu'intervient l'injustice de la Prédestination. Et comme le lecteur admiratif ne peut se satisfaire de cet impitoyable couperet, il va fouillant, désespérement, tous les interstices de la biographie (mais il n'y en a pas), susceptible de justifier rationnellement, tant soit peu, cette dure injustice, cette iniquité du sort.

     

     

     

    X

     

     

     

    Description du mur extérieur

     

    Meulières effritées, délitescentes. Trous plâtreux et fourmis. "Que feriez-vous devant un mur infranchissable ?" (test de l'armée). Il y en a qui pissent.

     

    Moi j'examine les lichens, les insectes.

     

    "Salut !"

     

    C'est un petit homme jaune essoufflé, déjà si tôt ce matin, qui pousse un vélo; avec des pinces à vélo, un col de sacristain ; les sourcils en aigrettes et des yeux de clebs. Il pue l'anis.

     

    "Vous n'êtes pas d'ici ?

     

      • Du nord.

     

    En ce temps-là je racontais vraiment ma vie à n'importe qui.

     

    "Je suis Breton" me dit-il.

     

    Rien à foutre.

     

    Des touffes de poils sur la pomme d'Adam et dans les oreilles ; dans le silence, le pédalier croque un grain d'acier. Le curé déglutit (la pomme d'Adam qui monte et qui descend) :

     

    "Vous avez de la famille là-dedans ? vous êtes le fils Ménestrel ?" - démarche, cou tendu, les yeux dans le vague – je suis tout mon père – et cet homme me dit :

     

    "Je suis le curé Meneau ! C'est moi qui fais le catéchisme aux enfants !" Comme si c'était la nouvelle du siècle. "C'est bouillant à cet âge-là ! Ça répond sans réfléchir !

     

        • Oui.

        • Ce n'est pas un endroit ici pour passer les vacances."

    Sa voix gazouille. Sa voix glousse. Grince.

    "Au revoir Monsieur Ménestrel. A bientôt !"

     

    Qu'est-ce qu'il pue. Le Ricard. Il s'enfonça du côté de l'aurore, et, autour de ses chevilles, le falzar drapeautait.

     

     

     

    Sept heures cinq. Les coqs braillent, les chiens gueulent en contrebas.

     

    Je reconnais un rocher. Je monte dessus. Roc immédiat, hanté de possibles chèvres. C'est une plate-forme de 4m² à pic sur trois côtés, la cime des arbres à mes pieds. Le vent dans mes cheveux, le chemin jaune en bas, le tracteur qui déjà pétarade, la vallée du Lot. Ses villas.Blanches.Des œufs de fourmis – La terre infestée d'hommes, de Robert Merle. Je suis blasonné de soleil, écartelé de vent. L'auteur dit j'écarte les bras et danse au-dessus de l'abîme bientôt tu ne danseras plus (...) mes lourdes bottes (...) indépendantes (...) ainsi dansaient les fils d'Erin les bras au corps.

     

    Frappant les cuisses. Les Garibaldiens de Sicile (Allonsenfants) – j'ai faim.

     

    Je redescends les cuisses raides, un volet poussé bâille, trogne somnolente, un cul levé tape un tapis sur le seuil Je peux déjeuner ? La tapeuse se redresse et me prend pour un fou. Je demande si la mansarde du premier est toujours libre – "Vous ne reprenez pas votre ancien logement? - Pas question." Brune boulotte de 54 ans, hagarde. "Me ferez des œufs ? - Monsieur Ménestrel ?

     

      • Oui ?

      • Faudra vous raser.

     

  • La maman de Freud

     

     

    Reprises.JPG

    Nous allons vous parler de la femme de Freud, puisque la mère est aussi l'amorce de l'épouse, choisie à sa ressemblance, ou par opposition : « La mère dans l'épouse » (et non pas «la merde en l'épouse »)(« Lacan et la scatologie », thèse en chantier), « pour Freud, ce fut Martha, et ce durant plus d'un demi-siècle. Née dans une famille juive orthodoxe de Hambourg, Martha Bernays est une amie des sœurs de Freud. Quand il la voit pour la première fois, c'est le coup de foutre. Elle lui résistera quatre années de branlette, au cours desquelles ils échangeront des centaines de lettres, avant d'accepter, se dressant contre ses parents peu motivés par la perspective d'un mariage avec un jeune médecin pauvre et athée, grâce à Dieu comme dit l'autre. De leur union naissent six enfants, trois garçons et trois filles. On dit que Madame Freud était une épouse exemplaire, fermant sa gueule et ouvrant les cuisses, discrète et soutenante. Elle a délesté son psychanalyste de mari de toute charge domestique et familiale. Freud n'est pas toujours tendre ni clair à son égard. Dans un mélange de deuxième degré et de machisme primaire – c'est le troisième degré - il lui écrit : « Je sais bien que tu n 'es pas belle dans le sens où l'entendent peintres et sculpteurs, si tu tiens à ce que je donne aux mots leur sens strict, je me vois obligé de confesser que tu n'es pas une beauté. Je ne flatte pas en disant cela, mais je ne sais pas flatter. » Ce n'est plus du machisme, monsieur Freud, c'est de la muflerie.

     

    Voir aussi le mari qui lit son journal, et à qui son épouse demande : « Chéri, est-ce que je suis toujours aussi belle que le jour de notre mariage il y a 25 ans ? », et qui répond excédé : « Tu veux que je sois sincère, ou que je te fasse de la peine ? » Voir enfin l'oraison funèbre de ma mère par mon père : « Elle n'avait que son certificat d'études, mais c'était une bonne ménagère ». Authentique, hmmm, Danone. Aujourd'hui, je vous apporte mes bouffonneries, que voulez-vous, je fais ce que je peux. Mais reprenons le texte de Jean-Louis Cianni dans La mère et le philosophe » :

     

    « En réalité, Freud est très jaloux. Il ajoute dans le même courrier : « Toutefois, si ta petite tête recèle encore une trace de vanité, je ne te cacherai pas que certaines gens te trouvent belles et d'une beauté frappante. » De la mère, l'ambivalence des sentiments se répercute sur l'épouse. Il l'aime, il en a besoin, il ne l'abandonnera jamais. Mais il a des griefs : il confie qu'elle l'a retardé dans sa carrière. Quand leur dernier enfant naît, il se détourne d'elle. C'est vrai, quoi, elle lui faisait des enfants, cette enfoirée. A la fin de sa vie, c'est à sa fille Anna qu'il réserve l'exclusivité. Dans son cabinet de consultation comme dans sa famille, Freud cherche toujours à occuper une position de maître » - on ne va pas encore nous resservir ce vieux cheval de bataille, j'espère, du grand homme qui ne met pas en conformité sa vie privée avec ses principes ? laissons cela au clown Onfray, qui tombe dans le travers qu'il dénonce, comme moi d'ailleurs. « Il avertit ainsi l'une de ses patientes : « Je n'aime pas être la mère dans un transfert ». Il préfère endosser le rôle du père qui écoute le désir des filles et interdit celui des fils. Dans son foyer et dans son couple aussi, conformément d'ailleurs aux normes de l'époque, » (pourquoi dans ce cas en faire mention dans un cadre démonstratif) « Freud a dû rester le maître. Martha avoue toutefois qu'elle n'a pas désiré la naissance d'Anna, la dernière des enfants. À l'opposé, Freud a fait de cette fille une héritière spirituelle et une patiente qu'il analyse à deux reprises. Des secousses souterraines devaient bien ébranler l'édifice conjugal en apparence si paisible et si maîtrisé.

     

    « La mère fournit à la théorie freudienne un thème majeur susceptible de nombreuses variations et qui se donne sous de multiples manifestations psychiques (rêves, souvenirs-écrans, etc.) ; elle donne également à la pensée elle-même une tournure et des enjeux inédits. La pensée de Freud est une pensée investigatrice, qui se prend d'abord elle-même comme objet de recherche. L'auto-analyse nomme ce mouvement de retour à soi, de reprise de soi. Freud renoue ici avec la tradition philosophique antique d'une méditation qui se veut à la fois soin porté à soi-même et connaissance de soi. » Nous sommes loin des philosophaillons à la petite semaine qui ne veulent plus jurer que par les aûûûtres. Parce que si tu ne t'occupes pas bien de toi, espèce de blaireau, tu ne pourra pas t'occuper comme il faut des autres. « ,...pratique curative et procès de vérité. Quand Freud commence son auto-analyse, il est au plus mal. Il a le sentiment que ses travaux n'avancent pas, que sa carrière s'enlise. » (Tu veux la mienne, Siegmund ? ...parce que selon les susdits philosophaillons, c'est vilain de faire carrière, c'est pas beau, ça empêche de penser aux aûûûûtres). « Son sixième enfant vient de naître et il se détache de son épouse. Le décès du père réactive des affects douloureux. À la différence de Schopenhauer qui s'en défend ou de Nietzsche qui s'y abîme, Freud affronte ses affects. Il retrouve la fonction cathartique du rapport à soi mais en y ajoutant la nouvelle dimension de l'inconscient. Il ne s'agit plus d'opposer raison et passions, connaissance vraie et illusions mais de réduire l'écart entre conscience et inconscient, de faire venir dans la lumière de la représentation un champ de signification situé hors d'elle. La pensée consciente a un envers : le contenu refoulé. La vérité freudienne est une vérité dynamique, conquise au sein de soi-même. » Il me semble tout de même que cet exposé quitte le domaine proprement maternel ; mais ça va revenir, comme un cordon ombilical élastique. « Elle cherche à lever le trouble initial. Dans le cas de l'auto-analyse, le désarroi après la mort du père joue le rôle de facteur déclenchant, mais le point d'aboutissement c'est l'amour sexuel infantile pour la mère. Le « père » est bien le principe générateur de l'investigation, mais son terme est la « mère » et sans doute vaut-il mieux parler d'horizon puisque l'objet retrouvé est en même temps un objet perdu.

     

    « La conception freudienne de la pensée prolonge et amplifie les intuitions de Schopenhauer et de Nietzsche. La conscience est débordée par l'inconscient, le sujet perd le contrôle de la pensée, il s'objective en psychisme ou appareil psychique. Un autre champ de vérité commence au-delà des limites de la conscience raisonnante », n'en déplaise au sous-sartriens qui voudraient nous rendre responsables de tout, bien la peine d'écrire Les mouches. « Rupture avec la philosophie. Mais continuité avec son approche de la représentation : « Il n'est pas besoin d'expliquer ici ce que nous appelons le conscient qui est le conscient même des philosophes et du grand public ». Tiens donc. « Être conscient signifie pour lui être conscient d'une représentation. C'est là une conception en parfait accord avec la psychologie de son époque. » Avec sa sociologie, également ; domaine mal exploré. « Et si Freud oriente bien le regard vers une sorte de hors champ, une réalité refoulée qui demeure en dehors de la conscience, cette réalité reste dans son essence représentation puisque le travail analytique peut la récupérer et la réinscrire dans le conscient. » Donc une image de l'inconscient, ce dernier par définition irrécupérable. « Mais Freud repère, sans l'exprimer en des termes philosophiques, l'affect originaire qui en lui-même n'est pas inconscient et n'a pas disparu dans le refoulement. » Donc, attention à l'inconscient lorsqu'on veut en parler : il ne s'agit pas d'une machine à exonérer de toute responsabilité, au temps pour moi.

     

    Et pour ceux que cela intéresse, j'indique un ouvrage à paraître de Haber, guettez-le aux éditions du Bord de l'Eau, sur les rapports étroits entre psychologie et sociologie dans la pensée de Freud. Pour l'instant, nous en étions à l'ouvrage de Cianni, chez le même éditeur, La mère et le philosophe, excellente stimulation de la matière grise.

     

  • Je n'ai rien compris au "Troisième homme" de Graham Greene

     

     

    Combien j'ai été déçu, disons-le d'emblée, à la lecture du Troisième homme, est quelque chose de pinçant. Il vient pourtant après Rocher de Brighton, ce dernier de 1938, et Le troisième homme datant de 1949, mais on serait tenté d'intervertir les titres au regard de la maturité. Graham a écrit ce dernier ouvrage afin qu'il fût transformé en scénario – par lui-même et Carol Reed. Je n'ai pas vu le film, j'en ai retenu la mélodie, qui fut d'ailleurs imitée au moins deux fois : Dans la rue / Sur les pavés mouillés et Un rat est entré dans ma chambre / Il m'a prise entre ses bras blancs – j'étais très intrigué, enfant, par ces bras blancs du rat qui s'est révélé me dit ma mère un « rat d'hôtel ».

     

    Dans Le troisième homme je n'ai pas retrouvé cette richesse, ce foisonnement de personnages ambigus et cradingues, de situations sordides, dans un décor si typiquement « misère britannique », mais une succession d'habiles complaisances, de recettes bien exploitées. Je ne doute pas que le décor de Vienne en ruines n'ait possédé sa grandeur expressive dans le film, mais il est ici trop sommairement évoqué. La tête des héros, on ne la voit pas suffisamment. Que chacun s'efforce de retrouver un ami récemment enterré, se prétendant son ancien meilleur camarade ; que ce ne soit pas le bon cadavre qu'on ait enseveli ; que le mort reparaisse soudain à la lueur crasseuse d'un réverbère dans un coupe-gorge, qu'il ait trafiqué de Dieu sait quoi avec les autorités d'occupation (Vienne était divisée en quatre secteurs, russe, américain, anglais, français), voilà qui est fort bien fait, très astucieux, mais reste fort en deçà de l'émotion littéraire.

     

    Reprenant en l'inversant la détestable habitude du critique de comparer le film à un livre, j'imagine un bien meilleur film que ce scénario développé. Il manque l'image à ce film relié. Sinon quoi ? Des éléments habilement recousus, le revolver, le langage poissard avec l'accent chewing-gum, la désinvolture bien noire, le désabusement, la mort, le gros flingue, les mines entendues sous les chapeaux de faux flics et de gangsters visqueux, nous avons vu cela tant de fois nous autres, déclinés sous toutes ses variantes à travers les Colombo et toutes les séries anglo-saxonnes pullulantes. Pour compléter, je suis un très mauvais lecteur de polars. J'aime bien, moi, qu'il débouche, à l'aide d'un style brillant et non pas gros public, sur des atmosphères métaphysiques comme Rocher de Brighton, mais je n'aime pas qu'il débouche sur la phrase de concierge Pauvre nous tous, si l'on y réfléchit bien, qui conclut le roman sur un sommet de platitude.

     

    Ajoutez à cela qu'avec ma sottise habituelle je n'ai rien compris à l'intrigue, embrouillée volontairement soit mais embrouillée quand même, ce qui en fait l'ambiguïté, ce qui en fait le charme, je le concède. Qui est qui, le détective n'est-il pas aussi coupable que le pourchassé, que reproche-t-on au juste à tel ou tel, qui tire sur qui, pourquoi Untel se sent-il traqué, pourquoi celui-ci tire-t-il et non pas celui-là, pourquoi ces deux autres ont-ils rendez-vous et que peuvent-ils bien avoir à se dire, que signifie ce sous-entendu, ce regard lourd, cette bouche angoissée, pourquoi y a-t-il une femme, pourquoi cet imbécile en est-il tombé amoureux... Bref, quand on veut faire refuser un roman policier dans une grande maison d'édition, facile, on le donne à lire à un lecteur réfractaire, et je suis très difficile en la matière, certains « San Antonio » m'étant même demeurés obscurs, c'est vous dire...

     

    Pour ne pas démentir les tics du critique, je vais me rabattre sur une nouvelle, Première désillusion (titre anglais: L'idole déchue) – la traductrice, comme pour Le troisième homme, est Marcelle Sibon – afin d'encenser cette dite nouvelle méconnue. Il s'agit on le comprend vite d'un petit garçon de bonne famille laissé seul avec un couple de domestiques, dont il admire beaucoup le mari. Ce mari l'emmène voir sa maîtresse qu'il fait passer pour sa nièce. Mais il est découvert par sa femme : affolement, poursuite, chute de la femme légitime dans l'escalier, elle meurt, le petit garçon s'enfuit, erre dans les quartiers pouilleux, se fait recueillir par les flics auxquels il balance sa vérité incomplète de petit garçon.

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    Et l'on comprend avec horreur que le témoignage partiel de ce gosse va préciîter le mari, l'idole déchue, dans un imbroglio sansfin, car chacun va le croire irrémédiablement coupable. Voilà, je vous ai tout dit, mais c'est diablement bien amené, la vision du monde d'un mioche de riche se trouve très plausiblement restituée, avec un humour et une cruauté inconsciente à faire frémir. Or personnellement j'ai bien plus apprécié cette nouvelle inconnu que la grosse mécanique archiconnue du Troisième homme. D'ailleurs je n'ai jamais compris qui il était, ce troisième homme, ni s'il a réellement existé. Ce qui est bien la preuve, ricaneront les experts en polars plus intelligents que moi j'en conviens volontiers, que je ne suis vraiment pas fait pour comprendre des intrigues de flingues.

     

    Dès que le film ressortira dans un ciné-club sur grand ou petit écran, je consens à m'y ruer, afin de profiter enfin du grand frisson que ne manquera pas de me procurer le grand Graham Greene avec l'aide des caméras et des acteurs. La nouvelle The fallen idol a aussi fait l'objet d'un film. Nous le verrions aussi avec intérêt. Quelques extraits ne feront pas de mal dans le tableau. Voici (p. 47) : “J'ai eu une journée très dure pour toutes sortes de raisons.

     

    “ - Harry m'a chargé de veiller à ce que vous ne manquiez de rien. J'étais auprès de lui quand il est mort.” Il s'agit de la fausse victime. P. 94 : “ - Maintenant, je suis contente qu'il soit mort, dit-elle, je n'aurais pas voulu le voir pourrir dans une prison pendant des années.

     

    “ - Mais, pouvez-vous comprendre comment Harry, votre Harry, mon Harry, a pu se trouver mêlé... Il continua avec désespoir : “Il me semble qu'il n'a jamais existé, que nous l'avons rêvé.” C'est l'habileté, c'est le talent suprême que cette quête d'identité d'un mort... qui ne l'est pas. Très efficace. Repris par Modiano, et maints et maints polars. Le thème de la quête. P. 188 : “Et comme autrefois il rata son coup. Un cri de douleur semblable à une étoffe qu'on déchire fendit la voûte : cri de reproche et de supplication. “Très bien”, lançai-je et je m'arrêtai près du corps de Bates. Il était mort.” Vous rappelez-vous ? La scène se passe dans les égouts de Vienne. On se tire dessus dans l'obscurité fétide. Et Bates, on le connaît à peine. Juste le temps d'avoir été rendu sympathique par l'écrivain par quelques confidences sur une vie paisible de père de famille.

     

    Et alors, il meurt. Dans des égouts. Très, très romantique décidément, very sordide, palpitant. Et pour finir, Mesdames et Messieurs, les angoisses d'un petit garçon qui voit se fixer pour lui sa destinée : après un tel choc d'enfance, il demeurera pour toujours replié en dehors de la vie, jusqu'à sa mort beaucoup, beaucoup plus tard. Ecoutez - listen (p. 235) : “La vie fondait sur lui sauvagement ; s'il refusa de la regarder face à face dans les soixante années qui suivirent, comment pourrait-on l'en blâmer ? Il sortit de son lit ; par habitude, il eut soin de mettre ses pantoufles, et sur la pointe des pieds alla jusqu'à la porte ; il ne faisait pas tout à fait noir sur le palier de l'étage en dessous parce que les doubles rideaux étaient partis chez le teinturier et que la lumière de la rue entrait par les grandes fenêtres. Mrs Baines avait posé la main sur le bouton de porte en cristal et le faisait tourner avec précaution.” ...Je vous laisse frémir, lecteurs-spectateurs, et vous invite à plonger un regard anxieux et jouisseur dans les deux œuvres de Graham Greene réunis sous la même couverture du Livre de poche n° 46 intitulé Le troisième homme, de Graham Greene, du vieux, mais, n'en déplaise aux obtusités du critique, du bon, de l'excellent. Ciao.