- Turista !
Je lis Concerto Baroque (Alejo Carpentier) jubilation médiocre hélas combien forcée d'un texte sans émoi, qui cliquète et tintinnabule, tandis qu'un jeune couple anglais frêle et fébrile s'engueule à l'ombre en s'accusant de torts imaginaires, elle sanglote et dit Just comfort me console-moi, la Cour des Lions est trop petite et grise et non pas large et plaquée d'or comme la montrent les photographies, 13h 25 ; l'éclat solaire aplatit les tons fauves et les alvéoles si bleus de la voûte elle-même multipliée parfait objet fractal – et je me suis perdu sur l'autre côte de Grenade en redescendant mal du plateau sommital par tout un lacis de mauvaises ruelles qui m'égaraient sans cesse entre les queues dressées de tous les chats fuyants : c'est une Anglaise brune qui les traque au Nikon 520, d'autres encore à l'angle d'une impasse et d'une autre et d'une autre, et qui me tend elle aussi perdue son plan de ville.
Epaule contre épaule nous consultons à l'ombre d'un bar les plis froissés del mapa-guía de Granada sans même avoir consommé, nous ressortons et je l'attire à moi mais elle se dérobe allons je suis bien moi j'aurai du moins retrouvé ma 4L bien coincée 40 au dehors 55 dedans l'eau chaude à recracher je bois je bois du Coca-Cola de distributeur en distributeur bloquant la circulation pas un coup de klaxon. Isábel la Muy Católica y su sepulcro son tombeau dans mon autre vie tant pis pas le temps pas le temps rouler vite avant de crever en enfer en infierno sur cette Terre je monte à Jaén à 35 km au nord et ça cogne toujours (adieu Cordoue adieu Séville, une autre fois) le vent du Nord ou de Castille pulse sur ma peau de véritables flammes au point que je monte mes vitres.
Un hurlement me saisit cette fois, suraigu, incontrôlé, qui je le sais n'est plus de joie. L'intensité peut-être. J'arrive à Jaén écrasée dit le guide par la colline qui la domine et tôt ou tard s'effondrera 20 000 morts comme au Pérou j'ai d'abord lu à l'extérieur Chateaubriand ou mieux encore les fraîcheurs normandes de Flaubert Par les prés et par les grèves, la façade cathédrale aussi longue qu'un chat présenté de profil et qui réverbère le soleil. Ou bien c'était Murcie. Trop de feu, trop de mort. On me croise en rotant je pète. A l'intérieur du bar (¿ Murcía ?) les Andalous se vautrent sur les ronds des guéridons de marbre noir dans un bar sombre et frais sans consommer jambes lâchées sous la table, chez eux, tandis que je commande en hâte et tout debout mon Coca tiède REFRESCA MEJOR juste le temps de l'avaler puis c'est la pépie qui revient, plus forte que jamais. Bailén juillet 1808 Napoléon battu Joseph quitte Madrid, bourg bouffé de soleil, coiffeur et magasin de jouets, viejecitos descendant mains dans le dos la seule rue à peu près abritée, j'avise et je descends un immense escalier d'enfer frais débouchant sur un bar cave - alcools frais, musique en boîte et belles femmes. Tapas y cerveza. Plutôt boire et crever.
Je reste sous la voûte plus d'une heure otra cerveza por favor alternant otra más des textes d'océan, Normandie, Saint-Malo, Guérande de Balzac, seuls repères dans un temps défunt. L'alcool évaporé j'aborde Almuradiel, "Histórico", Viso del Marquès, admirant scellés tout debout contre un mur tout un pan de fûts de canons briqués depuis le XVIIe siècle, et je ne sus jamais ce qui s'était passé là. Quant au château de Mudela ce n'est comme il advient souvent qu'une rouge maison de maître, à peine digne d'avoir abrité quelque famille enrichie de négociants ou tisserands. J'ai suivi sur le sol extérieur – ACCES INTERDIT – un sentier défoncé d'ornières, bourbier pour l'instant desséché, d'où l'on peut voir à la rigueur, demi-masquées par les camions et moissonneuses à l'arrêt, quelques vues de pierres nobles.
Quand en pleine campagne plus loin je dépasse à pied ce petit vieux voûté flanqué de son petit-fils, le vent plus tard me porte sa voix grêle et je me suis tourné sans hâte, évitant de crier dans mon accent Français, traçant du bras autour de moi le cercle qui partout signifie promenade, mais le vieux sous le regard du drôle s'époumone et m'enjoint de déguerpir, je salue de la main sur la tempe et je retourne lentement, pour ne pas briser l'admiration d'un enfant. J'ai remâché plus loin la scène, l'ai modifiée à mon avantage, mais ne me suis pas senti mortifié. Sur la route de Valdepeñas je passe entre deux obélisques blancs, perdus de part et d'autre en rase campagne, limites ancestrales du latifundio. Et la nuit se met à tomber.
À 21h il fait encore 38°, et j'erre encore à 25 à l'heure à travers la bourgade trop vaste pour sa nullité, demandant aux grands-mères assises sur leurs chaises au seuil de leurs demeures basses l'hôtel ou le camping. "Passez" me disent-elles "sous le tunnel de l'autoroute" – il n'y a là, en effet, qu'un hôtel,, dans un paysage de désolation. Je n'ose pas demander à la réception où se trouve le terrain de camping... cette satanée agglomération n'en finit donc pas... Surgie d'entre les maisons basses une moto sans lumière se jette sur moi, les vieilles jettent leurs malédictions, et je ne saurai jamais à quoi peut corresponde ce Monumento a la Victoria signalé sur la carte. Victoire sur nous les Français.
Commentaires
Les voûtes, ça m'envoûte...