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  • Dostoïevski, Proust et moi

     

    16 – 10 – 2020

     

    J'aime surtout rêver. Une douce lumière d'après-midi joue sur mes pages. Douce également la musique. Eviter l'élégie.

     

    Personnages de Dostoïevski, se repaissant de pipes et de rêves, griffonnent ou bien rédigent posément quelques textes qu'ils font lire à leur femme, puis confient à la postérité dans de grands cartons verts (le vert sans espoir des administations). D'autres cependant volent dans les plumes de la littérature, tandis que ceux-là passent la vie à se créer des méthodes, à sélectionner leurs thèmes, un par page, comme on tire les grains d'un sachet, composent des fiches, s'enquièrent de tels ou tels points, lisent tel ou tel ouvrage primordial – lisent surtout, ce qui absout d'écrire. Poussent le scrupule jusqu'à indiquer la musique particulière, l'atmosphère qu'ils désirent et suscitent autour d'eux selon ce qu'ils écrivent.

     

    Tantôt d'une méthode, tantôt d'une autre. Ils s'obstinent longtemps, même et surtout si c'est inadapté, si c'est inefficace. La pipe s'ils en ont se fume, l'inspiration traîne, parfois jusqu'au talent. Et de reprendre sans cesse, de récrire en mieux. A d'autres qu'ils ignorent d'assiéger les maisons de passe à livres, de nouer maintes connaissances, avec soi, ce que les miens ne savent pas faire. De se faire publier, nouant d'appréciables connaissances. Mais ceux que j'aime ne sont pas de ceux-là. Ils n'osent habiter nulle capitale, ils n'oseraient paraître. Et c'est à longueur d'heures qu'ils écrivent, glanées parmi leurs emplois du temps besogneux, nourris d'écriture, de ce qu'ils veulent, de ce qu'ils ne peuvent écrire, ne savent écrire.

     

     

    Le râtelier.JPG

    Je songe à Marcel Proust qui raconte en trois tomes comment il s'est enfin décidé à composer ; à Joachim Du Bellay, qui explique tout au long sa manière d'être inspiré. Mais Du Bellay fut seigneur, et Marcel riche. Ceux dont je parle se consolent de leur extrême isolement par l'imagination, penchés sur eux, comme eux, sur leurs liasses provinciales, de légions d'impuissants sympathiques dont les rêveries alimenteront quelques jeunes gens d'eux-mêmes issus. Succède à la première d'autres pipes encore, la lumière s'intensifie, l'esprit demeure vide, l'auteur sent qu'il doit s'arrêter, retourner à ses briques ou à ses copies. Il touche ses limites. Il vit une époque aussi noire qu'une autre, chargée d'oubli à venir.

     

    Il sait qu'aux époques de décadence les auteurs perdent le souffle. Il admet difficilement qu'une seule page suffise. S'il savait qu'il la referait, il songerait à l'humanité. Voici pour finir le moment crucial. Fini de baguenauder de la quéquette. Il faut s'attaquer à un sujet, sortir de soi. C'est un courant d'air que je supporte mal.

     

     

     

    X

     

     

     

    Il était une fois un schizophrène. Il exerçait le doux métier de professeur et lassait chacun de ses nombrileries. Il voulait ne jamais quitter l'œuf. Ecrire sans effort, au fil de la plume. Et s'indignait qu'on vînt le lui reprocher. Comment écrire sans souffrir ? Comment oser dresser son flûtiau parmi les grands arrachés des puissants trombones ? Cependant ne va pas succomber au piège de la méthode. Noter successivement n'est pas l'unique salut. Libre à toi de penser qu'un peu de publicité, qu'un peu d'admiration habituelle, transformerait tes manuscrits en belles pages glacées dans quelque manuel de littérature : souviens-toi de la page sur Céline, parce qu'il faut bien décemment, parler de lui ; mais trois pages pour les « poèmes unanimistes » de Jules Romains, normalien, de l'Académie Française ; ainsi se retrouve-t-on étiqueté dans la vaste armoire à confitures de l'Histoire.

     

    Survient soudain - 

     

  • L'esprit des formes

     

    Elie Faure encore ce soir, mais différent. Non plus une histoire de l'art, mais – ce qui occupe la fin du 2è tome de mon édition - “L'esprit des Formes”. Il ne va plus poursuivre un projet chronologique, mais rassembler par pans les théories éparses dans sa première œuvre. Ce sera une vision diachronique, à travers le temps. Tout ce que nous pressentions, disséminé d'une œuvre sur l'autre, se voit rassemblé, compressé, théorisé. Des reproductions d'époques très différentes, de pays fort éloignés, sont rapprochées par ses soins ; il ne nous dit pas ce qu'elles sont de flanelle, mais nous incite vivement, par leurs sous-titres, à admirer la similitude des formes, ou du projet ; la scupture volontairement rigide du Xie siècle est ainsi rapprochée des premières manifestations de la statuaire grecque dite primitive ; les contorsions baroques voisinent avec le célèbre Laocoon ; les pyramides auraient pu, s'il l'avait jugé bon, figurer en regard de la Tour Eiffel ; c'est caricatural, mais pas tant que cela, puisqu'Elie Faure puise vaillamment dans les représentations modernes, qu'il n'apprécie pas nécessairement, pour les rapprocher de ce qu'on peut précisément trouver de plus primitif, puisqu'il est ordinaire de voir le squelette primal sous les retours aus os/eaux des contemporains, je parle des années 1930.

     

    Jean Bedouret.JPGVous direz que l'on peut ainsi apparenter le Nouveau et l'Ancien Testament, moyennant quelques traficotages ; ou mettre en parallèle n'importe quoi et n'importe quoi d'autre ; mais tel n'est pas le cas, et c'est ainsi qu'ingénieusement, avec ses gros sabots subtils, Elie Faure parvient à matérialiser par ses illustrations la permanence des procédés de l'art, et même la permanence du projet de l'artiste, voire une définition de l'art universelle. Si le premier projet tombe sous le sens, Elie Faure est le premier à ma connaissance à avoir exprimé avec tant d'à propos l'universalité de la main humaine ; nous utilisons les mêmes mains, les mêmes gestes et les mêmes modèles ; la cathédrale rappelle le temple, la peinture peut être sculpturale, et de deux contemporains, l'un, Ghirlandajo, conserve le passé, l'autre, Botticelli, voit déjà sur ses faces la lumière des temps nouveaux.

     

    Encore faut-il croire au sens de l'Histoire. Elie Faure y croit. A noter qu'il ne parle pas de progrès. Tout de même, on le sent pétri de la conviction d'une élévation de l'homme vers les lumières. Et c'est cet obscurcissement de la lumière qui le gêne chez les modernes ; ce goût du paradoxe, de l'absurde et du destructeur. Encore aujourd'hui, soixante ans plus tard, nous avons bien des difficultés à concevoir vers quelle lumière se dirige ou se dirigerait notre art si éclaté. La permanence du projet de l'artiste est une vérité depuis les Pyramides jusqu'à Cézanne. Mais ensuite? Picasso rompt avec 5000 ans. Courage ou vandalisme ? Génie ou suicide ? Le suicide est-il une lâcheté ? Et maintenant qu'est-ce qu'on fait ? Sommes-nous sur des débris, ou sur des fondations ? Six mille ans, otut de même, quelle rupture, excusez du peu ! L'homme qui tout ce temps exprimait Dieu, les dieux, son âme, lui-même, l'humanité, voilà qu'il n'exprime plus ? Tout en technique, ou en négation de technique ? Autrefois, aux montagnes qui geignaient bien fort pour accoucher d'une sourie, l'on pouvait dire :”Kehoua ? C'est tout ?” - à présent, ce sont les hurlements de la montagne qui font l'œuvre, et l'on juge d'un trait sur la toile, d'un simple trait, par la démarche – sic ! - du philosophe artiste.