La maman de Freud
Nous allons vous parler de la femme de Freud, puisque la mère est aussi l'amorce de l'épouse, choisie à sa ressemblance, ou par opposition : « La mère dans l'épouse » (et non pas «la merde en l'épouse »)(« Lacan et la scatologie », thèse en chantier), « pour Freud, ce fut Martha, et ce durant plus d'un demi-siècle. Née dans une famille juive orthodoxe de Hambourg, Martha Bernays est une amie des sœurs de Freud. Quand il la voit pour la première fois, c'est le coup de foutre. Elle lui résistera quatre années de branlette, au cours desquelles ils échangeront des centaines de lettres, avant d'accepter, se dressant contre ses parents peu motivés par la perspective d'un mariage avec un jeune médecin pauvre et athée, grâce à Dieu comme dit l'autre. De leur union naissent six enfants, trois garçons et trois filles. On dit que Madame Freud était une épouse exemplaire, fermant sa gueule et ouvrant les cuisses, discrète et soutenante. Elle a délesté son psychanalyste de mari de toute charge domestique et familiale. Freud n'est pas toujours tendre ni clair à son égard. Dans un mélange de deuxième degré et de machisme primaire – c'est le troisième degré - il lui écrit : « Je sais bien que tu n 'es pas belle dans le sens où l'entendent peintres et sculpteurs, si tu tiens à ce que je donne aux mots leur sens strict, je me vois obligé de confesser que tu n'es pas une beauté. Je ne flatte pas en disant cela, mais je ne sais pas flatter. » Ce n'est plus du machisme, monsieur Freud, c'est de la muflerie.
Voir aussi le mari qui lit son journal, et à qui son épouse demande : « Chéri, est-ce que je suis toujours aussi belle que le jour de notre mariage il y a 25 ans ? », et qui répond excédé : « Tu veux que je sois sincère, ou que je te fasse de la peine ? » Voir enfin l'oraison funèbre de ma mère par mon père : « Elle n'avait que son certificat d'études, mais c'était une bonne ménagère ». Authentique, hmmm, Danone. Aujourd'hui, je vous apporte mes bouffonneries, que voulez-vous, je fais ce que je peux. Mais reprenons le texte de Jean-Louis Cianni dans La mère et le philosophe » :
« En réalité, Freud est très jaloux. Il ajoute dans le même courrier : « Toutefois, si ta petite tête recèle encore une trace de vanité, je ne te cacherai pas que certaines gens te trouvent belles et d'une beauté frappante. » De la mère, l'ambivalence des sentiments se répercute sur l'épouse. Il l'aime, il en a besoin, il ne l'abandonnera jamais. Mais il a des griefs : il confie qu'elle l'a retardé dans sa carrière. Quand leur dernier enfant naît, il se détourne d'elle. C'est vrai, quoi, elle lui faisait des enfants, cette enfoirée. A la fin de sa vie, c'est à sa fille Anna qu'il réserve l'exclusivité. Dans son cabinet de consultation comme dans sa famille, Freud cherche toujours à occuper une position de maître » - on ne va pas encore nous resservir ce vieux cheval de bataille, j'espère, du grand homme qui ne met pas en conformité sa vie privée avec ses principes ? laissons cela au clown Onfray, qui tombe dans le travers qu'il dénonce, comme moi d'ailleurs. « Il avertit ainsi l'une de ses patientes : « Je n'aime pas être la mère dans un transfert ». Il préfère endosser le rôle du père qui écoute le désir des filles et interdit celui des fils. Dans son foyer et dans son couple aussi, conformément d'ailleurs aux normes de l'époque, » (pourquoi dans ce cas en faire mention dans un cadre démonstratif) « Freud a dû rester le maître. Martha avoue toutefois qu'elle n'a pas désiré la naissance d'Anna, la dernière des enfants. À l'opposé, Freud a fait de cette fille une héritière spirituelle et une patiente qu'il analyse à deux reprises. Des secousses souterraines devaient bien ébranler l'édifice conjugal en apparence si paisible et si maîtrisé.
« La mère fournit à la théorie freudienne un thème majeur susceptible de nombreuses variations et qui se donne sous de multiples manifestations psychiques (rêves, souvenirs-écrans, etc.) ; elle donne également à la pensée elle-même une tournure et des enjeux inédits. La pensée de Freud est une pensée investigatrice, qui se prend d'abord elle-même comme objet de recherche. L'auto-analyse nomme ce mouvement de retour à soi, de reprise de soi. Freud renoue ici avec la tradition philosophique antique d'une méditation qui se veut à la fois soin porté à soi-même et connaissance de soi. » Nous sommes loin des philosophaillons à la petite semaine qui ne veulent plus jurer que par les aûûûtres. Parce que si tu ne t'occupes pas bien de toi, espèce de blaireau, tu ne pourra pas t'occuper comme il faut des autres. « ,...pratique curative et procès de vérité. Quand Freud commence son auto-analyse, il est au plus mal. Il a le sentiment que ses travaux n'avancent pas, que sa carrière s'enlise. » (Tu veux la mienne, Siegmund ? ...parce que selon les susdits philosophaillons, c'est vilain de faire carrière, c'est pas beau, ça empêche de penser aux aûûûûtres). « Son sixième enfant vient de naître et il se détache de son épouse. Le décès du père réactive des affects douloureux. À la différence de Schopenhauer qui s'en défend ou de Nietzsche qui s'y abîme, Freud affronte ses affects. Il retrouve la fonction cathartique du rapport à soi mais en y ajoutant la nouvelle dimension de l'inconscient. Il ne s'agit plus d'opposer raison et passions, connaissance vraie et illusions mais de réduire l'écart entre conscience et inconscient, de faire venir dans la lumière de la représentation un champ de signification situé hors d'elle. La pensée consciente a un envers : le contenu refoulé. La vérité freudienne est une vérité dynamique, conquise au sein de soi-même. » Il me semble tout de même que cet exposé quitte le domaine proprement maternel ; mais ça va revenir, comme un cordon ombilical élastique. « Elle cherche à lever le trouble initial. Dans le cas de l'auto-analyse, le désarroi après la mort du père joue le rôle de facteur déclenchant, mais le point d'aboutissement c'est l'amour sexuel infantile pour la mère. Le « père » est bien le principe générateur de l'investigation, mais son terme est la « mère » et sans doute vaut-il mieux parler d'horizon puisque l'objet retrouvé est en même temps un objet perdu.
« La conception freudienne de la pensée prolonge et amplifie les intuitions de Schopenhauer et de Nietzsche. La conscience est débordée par l'inconscient, le sujet perd le contrôle de la pensée, il s'objective en psychisme ou appareil psychique. Un autre champ de vérité commence au-delà des limites de la conscience raisonnante », n'en déplaise au sous-sartriens qui voudraient nous rendre responsables de tout, bien la peine d'écrire Les mouches. « Rupture avec la philosophie. Mais continuité avec son approche de la représentation : « Il n'est pas besoin d'expliquer ici ce que nous appelons le conscient qui est le conscient même des philosophes et du grand public ». Tiens donc. « Être conscient signifie pour lui être conscient d'une représentation. C'est là une conception en parfait accord avec la psychologie de son époque. » Avec sa sociologie, également ; domaine mal exploré. « Et si Freud oriente bien le regard vers une sorte de hors champ, une réalité refoulée qui demeure en dehors de la conscience, cette réalité reste dans son essence représentation puisque le travail analytique peut la récupérer et la réinscrire dans le conscient. » Donc une image de l'inconscient, ce dernier par définition irrécupérable. « Mais Freud repère, sans l'exprimer en des termes philosophiques, l'affect originaire qui en lui-même n'est pas inconscient et n'a pas disparu dans le refoulement. » Donc, attention à l'inconscient lorsqu'on veut en parler : il ne s'agit pas d'une machine à exonérer de toute responsabilité, au temps pour moi.
Et pour ceux que cela intéresse, j'indique un ouvrage à paraître de Haber, guettez-le aux éditions du Bord de l'Eau, sur les rapports étroits entre psychologie et sociologie dans la pensée de Freud. Pour l'instant, nous en étions à l'ouvrage de Cianni, chez le même éditeur, La mère et le philosophe, excellente stimulation de la matière grise.
Commentaires
Un très bon article merci du partage! :)
Marie.
Bizarre, Monsieur Pôle Emploi. Que voulez-vous dire ?