On va dire « encore lui », encore BHL, on va dire « il fait sa pub », « il a ses séides, même ici, à la Clef des Ondes » eh bien non, pas du tout, pas du tout, je n'ai nous n'avons pas touché un radis pas un shékel, et de plus, l'ouvrage dont nous parlons a paru en 1984, ce n'est pas uen nouveauté tant s'en faut, en ce temps-là il n'y avait pas la Bosnie, il n'y avait que l'Ethiopie, vous avez la mémoire courte bande de gangréneux, et le mur de Berlin semblait éternel. Ici pas de ce petit jeu littéraro-commercial « tu me vantes je te vends ». Si je vous parle d'un livre c'est parce qu'il m'a plu, ou débecqueté, ou indifféré, parce que je l'ai lu, simplement.
Et celui-là, Le Diable en tête, fini à Sore le 9 janvier 1995 à onze heures trente (j'ai le tic de noter tout cela en fin de chaque volume à moi qui me passe dans les pattes) – celui-là continue à me hanter. C'est l'histoire d'un mec. C'est la mienne à quelques détails près. D'abord, mon père n'a pas été un collabo bon teint comme celui du héros. Mais fouillez bien dans vos mémoires, frères quinquagénaires. Ensuite, il n'a pas été fusillé, mais seulement condamné à mort et gracié. Puis, je n'ai pas vécu dans le luxe avec ma maman, qui ne s'est pas remariée avec un Rrrésistant. Le luxe, je l'ai eu dans l'imagination.
Et puis encore, il lui arrive toutes sortes de choses, à ce garçon gâté, adulé par sa maman, exécré par son beau-père qui le traite de fils de Collabo – la gaffe – trop tard. Je sais qu'il est facile de fabriquer un personnage, dont j'ai oublié le nom, de lui faire endosser tout un poids de passé bien choisi mais pas si rare j'insiste, de lui donner du fric dans le roman et de lui faire faire toutes les conneries possibles et imaginables. C'est l'histoire d'un mec, d'un fils de facho qui devient gaucho, qui finit propalestinien, qui se mêle de terrorisme en Italie -mémoire courte, vous dis-je, mémoire courte ! - qui s'engage comme ouvrier chez Renault – ça, c'était peut-être avant, mais je ne suis pas chargé de vous raconter le livre dans l'ordre chronologique, et qui découvre, le pauvre, que le prolétariat n'est pas formé de saints austères attendant la Révolution en se prenant pour Robespierre mais se souciant fort de toucher sa paye et de regarder la télé.
BHL fait le portrait de tous les cocus de la politique de gauche, d'extrême gauche, de Mao à Staline à Trotsky à Che Guevara tout y passe et trépasse, et tout est traîné dans la boue par l'auteur, tout est échec. Si l'on prend un déchet de la bourgeoisie rupine et qu'on le trimballe dans toutes les situations oùles circonstances et les faiblesses humaines, que dis-je les névroses et le cabotinage le plus odieux, permettent de détruire tous les idéaux, c'est trop facile, et ce n'est pas une preuve. Un tel héros que ce X., éternellement jeune, éternellement dupe de toutes les théories et idéologies visant à régénérer enfin l'humain et à lepurifier de sa pourriture originelle, ne peut être utilisé comme démonstration. Cependant, tout invraisemblable et récapitulatif, exhaustif même, que soit cet itinéraire, il n'en révèle pas moins en un résumé- un peu long, toutefois, un peu long : trop souvent un paragraphe eût suffi où BHL nous assène deux pages – mais en un résumé dis-je très caractéristique la théorie de son auteur, ailleurs illustrée dans un film : Les Aventures de la liberté. C'est fou ce que l'on a voulu libérer l'homme depuis la Révolution Française, dont Dieu ou Y. me garde de vouloir remettre en cause etc. etc. Mais du fouriérisme au socialisme au communisme au maoïsme à la fraction Armée Rouge à l'Intifadda et j'en passe (oui, je sais, je me livre à des amalgames à la noix, mais le dénominateur commun profond de tout cela est tout de même bien si je ne me trompe la justice universelle et la salvation de l'humanité où nous serons tous frères sauf les morts) - nous avons tous cru, jeunes et vieux, à l'un ou l'autre de ces mouvements, àl'une ou l'autre de ces mouvances pour être moins précis, quand on n'y ajoutait pas en plus une bonne louchée de chistianisme ou de freudisme.
Or, l'humanité ne peut être sauvée. BHL, qu'on accuse sans cesse d'aveuglement et de girouettisme dès 1984, date de parution du Diable en tête, notait déjà cette faillite de l'homme devant ce qu'on pourrait appeler son péché originel qui est la dose indispensable de connerie avec laquelle nous avons été créés, dose irréductible et que j'illustre en ce moment même avec mes propos de vieux croûton soit. Et rien ne m'a fait plus de plaisir jubilatoire que ce jeu de massacre de toutes les idéologies quand elles débouchent, et j'insiste bien là-dessus, sur la violence, car il est bon d'avoir la foi, mais il est mieux d'avoir les foies quand les -ismes se transforment en manuels de poseurs de bombes ou de trafic de drogues.
Les idéalismes sont pourris, ont été pourris de tout temps par les petits malins qui ne songent qu'au pouvoir, et la lutte pour les libertés n'est en haut lieu qu'une lutte de paravents – à grands coups de paravents sur la gueule, bing, bang – pour plus d'argent et plus d'esclavage. Alors que aire, docteur Lévy ? "Il ne nous reste plus que le courage d'être lâche", disait Philippe Noiret, perspective peu exaltante certes, mais pas plus que celle qui consiste à fomenter des attentats. Et puis si, perspective exaltante quand même, puisqu'elle nous laisse le vaste champ à des actions ponctuelles de grande envergure qui permet de se dévouer à toutes les causes nobles et ponctuelles qu'on voudra pour restaurer la dignité humaine, à condition de ne jamais généraliser.
Apporter la télé dans les foyers de vieux, mais pas en Amazonie, par exemple, et l'exemple se discute ô combien ! Mais ces leçons de morale nous font chier, ô commentateur usurpateur.