Vingt-quatre heures de la vie d'une femme
Débarrassons-nous des indications graphiques : Vingt-quatre heures / de la vie / d'une femme, en rose tendre, Stefan Zweig, le nom de famille en rose soutenu ; en bas à gauche, en noir sévère, "Edition enrichie / Traduction / d'Alzir Hella", "faisant référence" car expressément choisie par l'auteur parfait francophone ; en bas à droite, le dispensable écusson ovale du Livre de Poche en belles polices blanches sur fond de gueules. Le tout sur fond gris de photo noir et blanc, et trois étages ou terrasses de murailles à 40% de la hauteur à gauche, butant sur une longue robe au premier plan. C'est une robe blanche antique en effet, aux longs drapés pendants recouvrant tout à fait la jambe éloignée, mais renforçant la saillie d'un genou immaculé.
Comme il est peu vraisemblable que la jambe éloignée se présente avec une telle longueur sur une telle raideur, à moins de soupçonneur un écartement sensuel déplacé autant que déformé, il nous faut mieux observer, pour nous apercevoir que le pan de cette robe antique épouse l'arête supérieure d'un mur de pierre méditerranéenne, tandis que les deux jambes, en effet, sont croisées l'une sur l'autre. L'arête verticale, perpendiculaire et creusée à la gouge en partie supérieure de l'angle, parvient au milieu de la cuisse porteuse, dont la partie tournée vers nous dessine un triangle arrondi dans l'ombre. La photo semble soigneusement posée, comme on aimait à les faire à l'époque de la nouvelle qu'elle illustre : grande oblique à 45° par le mur couvert d'étoffe, les saillies alignées de la hanche, de l'épaule, du front ; fluidité féminine et ferme du profil harmonieusement déhanché, marquage de la taille soulignée par un ceinturage en bande, seins de face en légère oblique, bras gauche présentant la pointe du coude et rajustant la chevelure à notre droite en mouvement croisé.
Toute une géométrie où nous pourrions relever l'harmonie des lignes, des creux et des saillies, ainsi de cet autre triangle arrondi formé par le bras d'appui sur le mur, le mur lui-même et la hanche effacée. Les doigts fermement crochés sur la pierre soutiennent le poids souple du corps, l'autre main rajustant les cheveux détache un petit doigt, le bijou d'un majeur, au-dessus d'unu bracelet cannelé. C'est un geste très noble, très soucieux d'harmonie, un visage lisse en contre-plongée aux yeux étirés dans l'ombre, nez, bouche et menton exactement dessinés, féminins et sans mièvrerie ; une jeune femme rêveuse et soucieuse en longue tunique blanche, exactement statue grecque n'était ce toupet de brushing trahissant les années 30.
Ce geste représente ce que l'on se figurait à juste titre de la féminité aux temps où l'on pouvait encore se sentir séduisante dans la dignité, dans la majesté naturelle, dans l'abandon aristocratique. Il nous étonnerait beaucoup que l'artiste ait surpris ce geste au milieu d'une impitoyable mitraillade de clichés parmi lesquels on choisit le plus impressionnant. Mais une telle attitude peut se retrouver dans le naturel de ces femmes riches et jeunes. La conscience de son propre charme s'efface dans une rêverie voluptueuse adressée aux rayons d'un soleil à peu près zénithal. C'est très savant, très chaste, très pur, très romantique, très féminin, très tendre sans mollesse, énergique par les doigts qui crochètent la pierre ; très exactement le modèle de femme que l'on pouvait proposer aux hommes qui rêvent d'un amour respectueux. Elle descendra de son faux piédestal, vous sourira, vous ouvrira les bras si vous avez suscité sa confiance, elle aimera sincèrement, vulnérable, éphémère, cliché vivant sur un cliché.
C'est agaçant, irréaliste, idéalisé, ça change des mannequins de magazine, cela n'inspire dans un premier temps que la pureté, l'émotion, des choses que l'on n'éprouve plus – Où sont les femmes - dont le pouvoir illusoire s'est écroulé sous les avalanches de démonstrations lucides, car il ne faut plus que les femmes soient dupes, il ne faut plus que les hommes soient dupes, il faut se regarder durement, peser le pour et le contre, non plus adorateurs, mais partenaires. Nulle nostalgie d'ailleurs. Voyez cependant ce qu'était une femme, photogénique et palpitante, témoignage de sensualités à jamais révolues.