Dedieu sur MOntesquieu
Montesquieu se serait hasardé à nommer les principes fondateurs et moteurs des trois ou quatre régimes politiques essentiels : monarchie, despotisme, république, oligarchie.
Mais il échoue, de son propre aveu, à définir exactement ces principes, à les analyser à leur tour en principes de principes. Il ne parvient pas davantage à préciser la notion de « climat », qui empêche la constitution anglaise, par exemple, de s'implanter en France, ou les usages papous à franchir la frontière norvégienne : l'accusation de racisme, toujours prompte à se déchaîner en nos temps obscurantistes, ne saurait suffire à le condamner. Ses observations, corrigées comme il se devraient, restent cependant bien plus saines que les bêlements de nos journalistes, qui dégainent et bégaient à qui mieux mieux Voyons ce qu'on fait chez nos voisins. Et c'est toujours mieux ailleurs, n'est-ce pas, comme l'école en Finlande, 8 morts et douze blessés en novembre 2007 au centre scolaire de Jokela...
Voltaire, jaloux de toute gloire qui ne retombait pas sur sa propre personne, entreprit de refaire, en mieux, L'esprit des lois, comme il s'était attaqué aux Pensées de Pascal. Il eût volontiers procédé comme ces empereurs de Chine qui s'empressaient de massacrer tous les intellectuels du règne précédent, afin que les lettres et les arts prissent naissance plutôt sous leur propre règne... Mais Voltaire échoua chez Blaise comme ches Montesquieu. Et le prince héritier de Sardaigne apprit dans L'esprit des lois l'art de régner. Son auteur voyait dans l'enchevêtrement des lois séculaires féodales un idéal de gouvernement : tout le monde peut se tromper ; d'autres commettent bien l'erreur inverse de voir en Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu, le précurseur de la Révolution française – assurément non ! juste un réformateur de la monarchie française, à laquelle, une fois restaurée, rien ne lui eût semblé supérieur.
Seule, la république de Gênes se déclara froissée de ce que Montesquieu avait dit de la banque de cet Etat – ils étaient en effet fort radins – et, par l'intermédiaire de Mme Geoffrin, fit tenir un Mémoire rectificatif à l'auteur, qui, cherchant confirmation de sa remarque, la découvrit dans le « Voyage d'Italie » d'Addison, ce qu'il s'empressa de faire connaître à la république susceptible. Heureuse époque, où l'on pouvait espérer apporter des preuves qui claquent la gueule aux critiques ; de nos jours, c'et à celui qui brouille le plus les cartes et gueule le plus fort : c'est à babord... Cependant les éditions se multipliaient. Dès janvier 1749, Barrillot lance deux éditions (1 vol. in-4° et 3 vol. in-8°), avec les corrections de l'auteur. L'ouvrage de Joseph Dedieu s'étend en effet jusqu'aux observations philologiques.
Il consacre également un chapitre à l'art d'écrire de Montesquieu, que nos pédagogues mêlent plutôt à tous leurs chapitres, comme en passant. Ignorons prudemment qui a raison. En mars 1749, Mme de Tencin, décidément infatigable, se charge elle-même de dresser la liste des errata, en vue d'une réédition, qui se fera à Paris, et dont elle surveillera l'impression. En effet l'ouvrage, quoique lu partout, s'était vu interdire et mettre à l'index dès 1751 (dès que paraît un ouvrage intelligent, l'Eglise s'empresse de le mettre à l'index). Elle écrit (Mme de Tencin, fidèle supportrice) à Montesquieu : « Vous devez juger, par la promptitude avec laquelle la première édition a été enlevée, du succès de l'ouvrage ; il est au-dessus de ce que vous en pouvez penser. »
Qui écrit un chef-d'œuvre ne peut avoir la paix. Quiconque y renâcle finira face au mur à bouffer son foin. Et dans le même temps, ses amis anglais se chargeaient de traduire l'ouvrage, avec les corrections qu'il leur avait envoyées, afin de mettre à la portée des bourses moyennes l'édition de Genève, sans nom d'auteur, qui se vendait à « un prix exorbitant ». Qu'il nous soit permis de donner encore dans le radotage : il ne se lit pas plus de livres, il ne s'éclaire pas plus d'opinion, de nos jours qu'en ces temps-là. Tout pour l'élite. Cette traduction anglaise parut pendant l'hiver de 1749, précédée d'une lettre élogieuse de milord Bath, qui approuvait sans réserve tout ce que Montesquieu avait dit de la constitution de l'Angleterre. Où les droits des sujets étaient reconnus.
Où le retour au passé raisonnablement conçu pouvait ramener les heureux temps : car les révolutionnaires se réclament plus volontiers qu'on le pense d'une nostalgie de pureté primitive. Ceux en revanche qui prétendent amener à marches forcées les mœurs au monosexualisme, à l'abolition des Etats et de toutes frontières, font tomber l'Etat dans la plus grande confusion. Une édition française en 2 vol. in-4° parut aussi en mai 1749 à Londres. Et c'est l'affaire qui roule. Nous avions lu ce livre vers nos vingt ans, avec une règle pour souligner, en annotant les marges. Tout en fut oublié. Mais quelle passion de savoir, quel plaisir d'apprendre sur nos premiers auteurs, aussi bien Montesquieu que Rimbaud.
C'était encore le temps où nous descendions la rue Paul-Louis Lande pour déboucher sur la faculté des Lettres, qui fut transférée trois ans plus tard, progressivement, au centre des terrains vagues talençais. Les bus en direction du campus grouillèrent. Puis nos étudiants se motorisèrent : tâchez-voir de trouver une place libre dans les parkings, à l'Universite Michel-Montaigne : les roues trébuchent sur les racines au pied des grands arbres plantés là pour faire joli, et qui ne tarderont pas à encombrer, pour peu que les édiles s'en mêlent, ou s'emmerdent. Ajoutons, ajoute l'infatigable Joseph Dedieu, de feue la Faculté libre des Lettres de Paris, l'édition de Leyde, parue en avril 1749, et l'édition de Paris, parue en mai 1749 (1 vol. in-4° et 2 vol. in-12)...