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der grüne Affe - Page 52

  • ARKHANGELSK

    C O L L I G N O N

     

    Arkhangelsk

     

    POINTS DE REPÈRES

     

    Bergerac, 29 avril 2019

    Siège d'Arkhangelsk. Tout le Sud est contre nous, dans le jardin du fond, jadis, Condé-sur-Aisne. De même encore l'année suivante à Pasly, sur l'escabeau d'une salle de classe encore déserte. Je gagne mon galon de lieutenant grâce aux tirs de ma pulvériseuse. Un char d'assaut qui d'un coup de rayon laser réduit en poudre nos plus intrépides adversaires.

    Les cultures s'étendent en surface, sans obstacles. Parfois subsiste le paysage, comme autrefois : la route de Nouvion aux Étouvelles. Cependant lavie des humains se déroule sous terre. Tout s'achète et se vend par distributeurs, jusqu'aux salons complets, jusqu'aux automobiles. Nos entrepôts sont enterrés. Les seules toilettes sont dans la cour d'école. Notre logement n'en a pas. Je chie dans un seau. Je veux être confiseur. Quand je me suis lavé le cul je lance au mur une balle élastique et la rattrape au vol, je joue contre moi-même.

    À cette occasion, fasciné par un souvenir de stock-car macérien, nous imaginons une automobile-soucoupe voir Vinci, que nous baptisons ventoréacs. Dans les chiottes duThillot j'imagine un voyage en haute montagne : l'altitude augmente, la température baisse. Les chiottes toujours dans mes rêves. Le plus souvent très sales. Aucun psy ne m'en a délivré. Dans celles de Condé j'invente un personnage plus grand que mon père, 2,10 m. qu'il a coloriés sur une grande feuille. Il n'a pas su résoudre la perspective : les chaussures prolongent la jambe, si bien que Rolstrand est juché sur des cothurnes étroitement lacés. Il s'appelle Rolstrand.

    Roland, comme mon père, plus R, S, T, de façon à rester prononçables. La grande manie de Rolstrand, consiste à faire respecter une exactitude scrupuleuse. Quiconque se met en retard d'une minute se fait engueuler. Plus tard, je hurle de me faire torcher, le frère et la sœur Lanton écoutant, graves comme des papes, le viol qui se perpètre. Ma mère gueule comme une hystérique, son fils ne doit pas porter de slips sales. C'est une bonne ménagère. Tandis que l'enfant gît dans sa chambre (virage de cuti), il convoque en esprit ses parents, les convainc d'embarquer sur son vaisseau spatial : son pays s'appelle Charabie, où l'on parle charabia. Plus tard ce sera Vulcain. Plus sérieux. Dès qu'ils ont non sans mal accepté, la nourriture manque au rêve : plus rien à montrer, l'essentiel est de prouver que ma planète existe, qu'un Père Noël viendra me délivrer, sur une de ces hirondelles qui en ce temps-là pullulaient.

    Un jour le ciel contient un aqueduc orange de nuages ou de traces d'avion: il descend vers moi, ma délivrance est proche, je danse et ils seront punis. Puis je m'aperçois que j'imagine. Se procurer Amadou et Coconut globe-trotters. Le jour de la séparation papa chimpanzée tire stoïquement sur sa pipe, maman pleure dans un torchon bonne-femme (bona fama, bonne réputation). Un roman que j'ébauche est une fugue avec mon père : nous partons de Nice, où je n'ai jamais mis les pieds, et vivons de chasse dans l'arrière-pays, droit au nord.

    Je tire à l'arc sans grand succès. Cette fiction se heurte aux réalités - du réalisme. J'invente une ville Charleminvin. Son nom vient d'un roi qui se fait réveiller ; à telle heure moins vingt le serviteur crie dans l'escalier "Charles ! Moins Vingt !" - l'enfance est conne. Précisement des cartes. Bégaiement des noms : Bébébut, Zézébut, l'un remplacé par l'autre,et les vrais tas de sable au bord de la route se peuplent de lutins, connaissance avec Bibi-Fricotin.

     

    En colonie de vacances (les jolies...) sévit une vague de chaleur. Tous les deux jours pendant la sieste un colon raconte des histoires de cul. Les autres se branlent sous le drap je me fais virer dans un réduit tout blanc je parle tout seul le gros André me dit de la fermer j'peux pas dormir merde !

    Mohon Carlepont bataille de Sans-Franska-le-LacVictoire ! Victoire ! Le Sud reflue -

     

    Les années passent et dans mon impatience durent quinze jours : 4007 commence aux vacances de Pâques et s'achève à Quasimodo. Le réajustement du temps par piqûre dans le bulbe rachidien.

    Plus tard, les chiottes fraîches de l'école embaument le ciment frais. Je coïte et cohabite dans le sexe d'Uocquige : celui qui baise sa mère et qui reçoit les coups de queue dans sa poche utérine. Uocquige est un nom zinon : "uo", c'est un mot à l'envers, pour "ou". Le cou, "el uoc" ; le bijou, "el uojib". Jamais je n'ai pu redécouvrir, quelles que fussent les contorsions que j'infligeasse à ce nom, un étymon véritable. Ma mère s'appelait Simone. Il faut tout édulcorer : s donne z, m donne n. En Zinonie, passée une vaste étendue maritime, la langue maternelle se parle à l'envers. Le drapeau d'Arkhangelsk sera aussi édulcoré : bleu-blanc-rouge égale vert-jaune-mauve. Édulcoré mais cruel. Fier-Cloporte joue aux cartes en comptant sans cesse : As, deux, trois, jusqu'au roi. Chaque fois que la carte retournée coïncide avec la carte prononcée à haute voix, elle est éliminée. Chaque carte a fait l'objet d'une liste alphabétique, dans l'ordre hiérarchique descendant : cœur, carreau, trèfle, pique. Ensuite existe un système de grâces. L'une d'elle consiste en une nuit avec une femme.

     

     

    Plus tard plus tard à Nouvion la salle à manger j'invente les Escargots Volants qui tombent du ciel et vous aspirent à travers leur ventre fendu, j'imagine la Grande Débauche où les filles présentes à chaque mètre s'ouvrent le sexe et se cambrent pour être baisées. Satiété - dégoût : inenvisageables.

     

    Les Waseleï et les Grozyino

    enfance,déréliction,pulvériseuse

    La scène se passe chez les Doffémont. Les parents m'ont laissé là. Ou chez les Fourneau. Ça me reviendra. J'écoute tous les jeudis Les vacances du jeudi. Je vous parle d'un temps... De l'autre côté du verre dépoli...

    Vive les vacances, les vacances du jeudi

    En ce jour de chance

    Chantons chantons vive jeudi

    Nous aimons l'histoire, la géographie,

    Les mathématiques,

    Mais on chante aussi ...(CODA)

    Je ne comprends presque rien à l'émission, sauf les questions à Monsieur Champagne. "Quelle est la date de la mort de Louis XV ?" Le brave animateur fait semblant de bien réfléchir. Il donne la réponse : 1715 ! Oui, répond le petit être émerveillé.

    Bravo bravo, Monsieur Champagne,

    Vous êtes digne d'enseigner (bis) (ou, s'il n'a rien su répondre : "Allons allons... Vous êtes indigne...", etc.

    En plein milieu de cette émission intervient un feuilleton. Sous forme de western. On parle vite, on tire des coups de pistoler, les Indiens font wou wou wou, les femmes font "ah mon Dieu mon Dieu mon Dieu", et ça galope à tire larigo (deux moitiés de noix de coco vide frottées l'une contre l'autre" – mais je ne comprends rien. J'ai 8 ou 9 ans. Les histoires de covboi ou d'Indien ne m'intéressent pas encore, mais j'ai retenu l'indicatif en anglais -

    American ballad

     

    Il ni-aï no ouï shi waï

    Il ni-aï no ouï tchi-kim wè

    Il ni-aï no ouï ki waseleî – groïno

    Il ni-aï wade spring frominngo...

     

    Un jour, je retrouverai l'air, les paroles, grâce au moteur de recherche. Je me chantais ça. Ensuite, chaque groupe de syllabe a représenté une famille dominante : les Ilniaï, les Nohouï, lesShiwaï... Derniers en date : les Fapeuli et les Lèvepied. J'avais passé l'après-midi avec Jean Nohain, dans une salle des fêtes parisienne où tout le monde chantait, bien habillé.

    C'est ainsi que la civilisation s'accélérait, de 1450 à 1550, chez l'oncle Jean, à Mohon, qui fait à présent partie de Charleville-Mézières. Si j'avais poussé mille mètres de plus sous la pluie, sur mes pieds en compote, j'aurais pu revoir ce perron d'immeuble où je rejoignais Évelyne Ferry, 10 ans. Moi aussi j'avais 10 ans. Que vouliez-vous me dire ?

    Même les notes jetées çà et là ne me suffisent plus. Les jalons sont là, bien plantés, mais à quoi renvoient-ils ?

     

    "Land- l'Ami-du-Fou ": chambre de location, sous Bussang, au Thillot. Il pleut sans cesse. Impossible de mettre le nez dehors. Dans une cour s'amusent les enfants inconnus. L'un deux, gand bâtard famélique, désigne deux splendide Pékinois géants, ou biern Chow-Chow. Un grand débile répète "Pas chienchiens, ça pas chienchiens".Personne ne l'écoute. Qui écoute un fou. Moi je l'écoute, je ferais volontiers commerce avec lui. Mes parents me tirent en arrière : "Ne va pas avec lui...Ne parle pas avec lui... - Pourquoi ? - Parce que, c'est comme ça." Mes parents ont tout fait pour moi : "Ton steak tous les jours !" L'auberge du cheval blanc au Châtelet.

    Tout ce qu'il leur était possible de me donner, ile me l'ont donné.

    Il a cartographié tout son pays, sa planète entière. Il s'inspirait des cartes magiques, au temps où les livres d'histoire, de géographie, présentaient une science à l'ancienne, où rien ne venait pourrir le texte (plus tard, Fier-Cloporte lisait que les Américains brillaient par leur conformisme, alors que le beau pays de Staline permettait l 'épanouissement de toutes les personnalités. Nous fûmes aveugles jusqu'à vingt ans. Certains le restèrent. Où passe la frontière entre moi et l'autre ?

    Création d'Abaca, "pays juif" : mon Dieu, j'ignorais encore l'existence de l'État d'Israël. Elle ne vint à ma connaissance qu'en 2010 nouvelle ère, en examinant un petit fascicule illustré, retraçant l'histoire de ce territoire héroïque. Pourquoi rattacher cela aux salles de bain sans s, "pour le bain" et non "pour les bains", ô ignares ? Parce que le père de Fier-Cloporte avait menacé de lui "couper la bite" ? Parce que sa mère prenait la première eau du bain, lui-même la deuxième au milieu des parfums douteux qu'il identifia bien plus tard, et son père la troisième eau, la plus sombre et la plus sale ? Une salle de bain... C'était un luxe tout de même...

    Les avalanches d'Océ : comment pouvaient-elles se produire sur un sol absolument plat. Il était une fois ce pays, dont le nom m'échappe, semblable au Groënland : toutes les cartes ne sont que la réutilisation du même matériel géographique, la réinterprétation de pays existants, le calque d'un héros de roman sur le héros d'un autre roman... Il fallait donc imaginer une neige aussi friable qu'un trou sur la plage, recouvert aussitôt qu'un pan s'éboule : un mort par asphyxie, un. Ou bien, des secousses sismiques horizontales, bloquant dans leur neige ceux qui s'étaient dérangés, les sots ! pour déblayer devant leur porte. En ces temps d'écriture, Fier-Cloporte jouissait encore d'une merveilleuse mémoire.

    Il pouvait retrouver, entre deux recoins, tel endroit précis de la cour d'école, côté nord, où ce pays étrange et glacé avait surgi. Puis un autre, exactement semblable, même forme, même latitude, mais avec des montagnes : pour qu'il puisse y avoir des avalanches, pour que le réalisme fût respecté. Il n'y a plus de projets. Il n'y a que des surplombs du passé, qui s'effondrent sur nous par travail de sape. "N'entre pas dans notre ligne éditoriale". Plus tardif encore : la Crudélitastie, pays des Crudélitastes. On sent le latiniste. "Ces gens-là" se déplaçaient en motos, gueulant leur slogan "À feu et à sang ! À feu et à sang !" surl'air de taïaut taïaut taïaut ! et nul n'en réchappait, tant Fier-Cloporte avait accumulé de haine par purérilité.

    Ils crucifiaient. Ils faisaient bouffer leurs victimes toutes vives aux fourmis. Hans-Peter Vaïzeu m'écoutait, la bouche écarquillée, la tête ronde d'un Pierrot blond qui vient de se faire enculer. Il disait : "Quelle imagination ! Quelle imagination Fier-Cloporte !" La mort en eut pour lui : employé de chemin de fer, il périt dans le tunnel de Verzy en 2024 nouvelle ère : vous savez, cet endroit toujours en tunnel, à l'entrée duquel figure une plaque illisible et commémorative, juste au moment où le train se met à accélérer... Sa sœur s'en tira sur un fauteuil roulant, et ne put jamais se marier. En même compagnie que ce jeune homme futur mort, dont il tâtait les couilles à l'entrée du cimetière, Fier-Cloporte prolongeait sa guerre interminable, s'intitulant "Régent", pour un roi à venir qui ne viendrait jamais.

    Fier-Cloporte avait 14 ans. Il ne croyait plus à ce qu'il pensait. L'année suivante, "à l'ombre du Bou Kornine", il jouerait pour la dernière fois, en vrai, comme un enfant. Ce camarade-là, lui aussi, était mort, lentement, à l'asile des fous, Hautes-Alpes. Nos vies sont pleines de morts, mais tout le monde a déjà dit cela.

     

    X

     

    Le propre des légendes est de répéter les épisodes, de transformer les variantes en séquences temporelles ; tout se suit dans le temps, afin que toutes les variantes du récit aient leur droit de cité. Y compris dans le domaine géographique : "l'écriture de la terre", la cartographie. Car les vents et les mines ne sont pas de la géographie, mais de l'ennuyeuse physique, de l'ennuyeuse géologie. Donc, Océ/Kito. Arkhangelsk/ Arkingo. Grondard/Grondy. Trois villes qui s'appellent Lé : Lé-sur-Stif, Lé-les-Mines. Trois fleuves en Sibérie : l'Obi, l'Iénisseï, la Léna. Trois fleuves rectilignes sur ma carte, trois deltas. Le troisième "Lé" reviendra plus tard. Dieu, préserve-nous du carnage.

    Guignicourt. Le plus petit des trois. Le "sur-Aisne". Celui de la chambre et de la salle à manger. Celui où nous aurons l'honneur de revenir. Ne correspond pas à notre ligne éditoriale. Un carnage. C'était au bled de Slip. En bordure d'Isserwiller, qui l'a bouffé depuis. Au sommet des prairies trônaient de petites falaises trapues, les creuttes, où César avait combattu. Et d'enbas, de tout en bas, du haut de son mètre 58, Fier-Cloporte manœuvrait sa petite pulvériseuse, qui réduisait le monde entier, la chair humaine entière, en poudre – en épargnant les matériaux : tout l'humain, rien que l'humain. Cette tactique pressentie fut réalisée, plus tard.

    Puis les humanistes s'en mêlèrent, et l'invention fut suspendue. Heureusement qu'on les a, les humanistes.

     

     

     

     

  • L'ANTI-CASANOVA

    C O L L I G N O N (FIER-CLOPORTE)

     

    L'ANTICASANOVA

    Longtemps j'ai détesté les femmes. Je ne me couchais pas de bonne heure, et je lançais de longs jets de sperme entre les draps en maudissant père et mère. Les femmes fuyaient toutes à mon approche. Tout le contraire des plats froids de Philippe S., qui les tombe toutes, et sarcastise sur leur « chiennerie » et leurs « collages » ; pas question pour moi de cracher dans la soupe, vu que j'en ai eu si peu. Je traiterai donc de ce que je ne connais pas, ou si peu.

    Quant aux rabâchages sur l'infériorité, la supériorité ou non de la couille sur l'ovaire ou vice versa, de leur égalité, complémentarité ou autres ; sur la question de savoir si la femme occupe bien dans la vie sociale ou professionnelle la place qu'elle mérite ; sur l'emploi, les salaires, les responsabilités administratives, directoriales ou politiques, je m'en contrefous : y aurait-il 52 % de femmes aux postes-clés, les choses n'en iraient probablement ni mieux ni pis - ni plus mâle.

    Rien de tout cela.

    Mon propos, c’est le comportement amoureux, ET sexuel. Pas très nouveau tout ça. Bien sûr que les femmes m’ont déçu. À la niche, le psy ! couché… « Ouais, euh, t’es pas le seul... » - ta gueule. Par les hommes aussi. Vous ne vous imaginez tout de même pas que je vais vous pondre du neuf et de l’objectif – et quoi encore… éviter le sexisme tant qu’on y est, le vulgaire, l’odieux… oui que j’oserais ! évidemment ! Ce n’est pas aujourd’hui que les gens vont me croire ! De toute façon plus moyen d’être fanatique maintenant. Plus moyen de dire quoi que ce soit sans se faire traiter de con (pourquoi pas de bites ?) Les fana font pitié aujourd’hui. Ridicules.

    Mais avec la vérité, on ne va jamais bien loin. Bien sûr que si je baisais j’aimerais mieux les femmes. Seulement, je vais vous dire un grand secret : si j’aimais mieux les femmes, je les baiserais. Il est évident, il est lapalissique, il est tautologique, que je deviendrais amoureux, féminise même, des queues j’aurais conquis un nombre de femmes assez con scie des râbles pour me sentir sûr de moi en tant que porte-couilles – mais àpartir de quel nombre de femmes ou de couilles peut-on se sentir sûr de soi comme un sanglier des Ardennes ? Je vois d’ici moutonner à l’infini (tu me chatouilles) le troupeau de culs-terreux bardés jusque dans le cul de « parallèles qualité/quantité », « hêtre ou pas hêtre » (Gotlib) – mais je me les suis déjà faits tout seul, ces trucs-là ! J’ai lu l’Abreuvoir (la Beauvoir, Boris Vian) et son Deuxième Sexe (sous l’homo plate). Adoncques les psy débarquent avec leurs pincettes et leurs grosses pelleteuses : en avant pour la mère castratrice et phallique (au moins), une homosexualité la tante, et tout un arsenal à faire spermer papa Siegmund dans sa barbe. Et voilà pourquoi vote fille est muette. Par ma barbe, nous avons d’habiles gens, et qui se paient le luxe d’avoir raison.

    Mais ça ne m’arrange pas. Pas du tout. Ça ne m’explique pas pourquoi les femmes me font chier (stade anal!), pourquoi je les fais chier (tant qu’à être dans la merde…). Ce qui veut dire qu’il me faudra me coltiner mon livre tout seul, dans l’indifférence générale. En route pour le calvaire : prêcher le vrai, en sachant que c’est faux. Plusieurs émollients s’offrent-t-à moi :

    1. a) la synthèse dite « à l’eau tiède » : les deux sexes dos à dos ou « l’infranchissable différence si enrichissante » (cf. « Les garçons et les filles » dans le Journal de Mickey »)
    2. b) « Le mieux » (dira quelque sage cervelle – j’adore cette incise de La Fontaine) « serait que des femmes intervinssent, et pourquoi pas la vôtre » (car je suis marié ne vous en déplaise) « qui vous donnerai(en)t la réplique » (sauce Platon ? non merci), « en dramatisant le discours, mais sans dramatiser n’est-ce pas » - pourquoi ne pas écrire l’histoire d’un couple tant que vous y êtes, le mien par hasard – pour des champions de l’originalité, vous vous posez là…

    c), le plus énorme : « J’ai découvert un manuscrit... » - jouer sur le velours de la 3e personne, avec la mauvaise foi du narrateur – bof…

    Non. Je parle en mon nom.

    Sans croire un mot de ce que je dis

    Devant l’autel des lettres - La main sur la braguette - je déclare ici ma sincérité « des larmes coulent ».

    ...En garde , je baisse la visière... X

     

    Ce n’est pas une visière, c’est toute une armure. Surtout qu’on ne me reconnaisse pas – l’Anticasanova, ça se cache. Irrésistible.

    ...Alors comme ça, les femmes me détestent. Ou l’inverse. Les deux mon adjudant. Des preuves !

    femmes,détraqué,parano

     

    D’abord, de simples constatations : ma vie passée vaudra attestation et justification. Vous voilà fixés : qui n’est pas pour moi, est contre moi. Ma rancœur, ou rien. Il aura bien fallu vingt ans pour me permettre de reconstituer l’objectivité des comportements et préparer le terrain du deuil psychanalytique : sous la pellicule, la lave à 400°.

    Trois périodes sont à distinguer dans le processus moil’nœud d’éducation pardon de démolition sentimentale. Sans remonter au-delà des pubertés (où les enfants, tant garçons que filles, m’auront rejeté, nous auront rejetés, vous auront rejetés, une belle, une magnifique inadaptation sociale originelle, dont la misogynie ultérieure ne sera qu’un montage en épingle, nous distinguerons la période tangéroise, à dispositif contraignant (1958-1962, soit de 14 à 18 ans) – dite aussi Quatorze-Dix-Huit, la période mussidanaise à dispositif libéral (1962-1966 jusqu’aux noces), et la période bordelaise, à dispositif carcéral, qui nous mène, en première rédaction, début 87. Toujours est-il que peu après mes 14 ans, je débarque à Tanger dans les bagages de mes parents. Lycée mixte, donc décontracté, filles libres à gogo, moi bloqué comme un moine. Mais sans le savoir.

    Tout de même, j’ai bien envie d’y goûter, aux filles. Bien mal m’en prend, ou je m’y prends bien mal.

    ...Lecteurs, et trices (pour les filles, le cas est tout à fait différent ; rien ne ressemble moins à une adolescence de fille qu’une adolescence de garçon) – vous avez tous, ou la plupart, tenu votre journal intime. Il ne vous serait jamais venu à l’idée, par exemple, de le laisser traîner. Moi, si. Avec la mention DÉFENSE D’OUVRIR, autrement dit « prière d’ouvrir ». Ma mère a répondu à mes attentes au-delà de toute espérance. Lisant que j’avais touché le genou de la voisine d’en face, âgée de 13ans, avec l’intention bien arrêtée de ne pas m’arrêter là, ma mère exprima bruyamment le désir de montrer ces insanités au médecin de famille « pour [m]e faire soigner ».

    Lorsque ladite voisine est revenue me visiter, elle s’est fait jeter dehors par un père déchaîné. Je me suis rabattu sur une gosse de trois ans. La fille des voisins de palier. Ni exhibition, ni pénétration. Mais quand même. Lorsqu'ils étaient absents, je consultais leur dictionnaire médical, en me branlant sur les croquis médicaux. Rien ne vaut le vif. Merci chers parents. Pour elle et pour moi. Vous aussi, vous avez cru en papa-maman ? "A ton âge, on n'est pas amoureux ! on travaille !" et aussi : "...ça rend fou !" ...ou folle...

    ...Les filles aussi... dit la rumeur... surtout les filles... Alors je m'accoudais au balcon, Anne-Betty s'accoudait au balcon, je lui voyais le cordon du slip sous la jupe vichy, et je tournais ma langue dans la bouche, "tu sais que tu ne devrais pas te... te... on ne pourrait pas le faire ensemble ? " Cela devait m'ouvrir son coeur et sa culotte. Je ne l'ai jamais dit. Sûr que j'ai raté quelque chose. "Et que ferez-vous, le jour où une jeune fille... vous serez impuissant, mon garçon, impuissant !" Merci, Docteur.

    Ce qu'on a besoin d'amour, à 15 ans, ce n'est pas croyable. On idéalise, on diabolise. Celia, Celia shits - la plus belle fille du monde va aux chiottes.

    Choeur des cons disciples :

    "Fringue-toi mieux !

    "Pas d'histoires drôles !

    "Pour draguer, y a qu'à... y a qu'à...

    "...et envoie chier tes vieux !...

    ...Il fallait vraiment que je sois con comme un tonneau pour ne pas avoir baisé comme un chef avec tous ces super-conseils ! seulement, mes rires de malade, mes clavicules au niveau des oreilles et ma gueule de catastrophe naturelle, qui est-ce qui allait me les réparer ?

    Écoutez celle-là (c'est pas vous qui trinquez, vous pouvez rigoler) : un pote sapé aux cheveux plaqués me glisse dans la poche un petit mot d'amour pas mal ficelé, pour une fille que je dois rencontrer. Moi je me pavane chez les Yappi (ce nom-là ou un autre), avec ma lettre en poche. Tous les autres sont au courant et se regardent avec apitoiement. Moi je paradais au baby-foot avant le rendez-vous. Et vous me disiez tous N’y va pas j’y suis allé. Ma môme était là, splendide, mûre, blonde, au courant de tout, « dans le jeu ». Avec bonté, avec sincérité, fallait le dépuceler ce grand niais, tu vas rire, elle m’a baratiné sur le trottoir, moi je courais à toute vitesse, de plus en plus vite !

    J’avais peur. Vous ne pouvez pas comprendre.

    Je haletais Est-ce que tu es une bonne élève bonne élève bonne élève

    sinon mon père voudra jamais je galopais les couilles en dedans elle a lâché prise on a son honneur vous ne trouvez pas ça drôle Au suivant Au suivant :

    J’entre chez ma copine Sarah parfaitement j’avais une copine mais on se touchait pas faut pas déconner On devait réviser le bac. Je trouve Sarah au lit habillée affalée bras ballants cheveux ballants qu’est-ce que tu aurais fait ?

    « Facile mon con je l’aurais redressée – nos deux bouches » e tutti quanti – Non. Non.

    Écoute Écoute – j’ai pensé ELLE EST ENDORMIE curieux non comme position ? -...elle est évanouie elle est morte je vais appeler quelqu’un alors elle s’est redressée

    Tu dormais ?

    - Non.

    - Pourquoi cette position ?

    Pas de réponse les mecs t’es con aussi c’était évident évident quoi tas de cons ça veut dire quoi « évident » ?

    Moi je m’étais forgé une théorie tout seul pour expliquer que les femmes n’avaient pas de désir, ne sentaient rien ne pensaient pas à ces choses-là.Vingt ans vingt ans durant je suis passé à côté des signaux sans les voir, énormes les signaux il paraît, la faute aux femmes la faute aux Autres mais oui j’étais pédé mais oui c’était ça l’évidence tu as gagné une boîte de jeux et ce jour-là, Sarah et moi, nous nous sommes assis côte à côte, j’ai voulu effleurer le petit doigt elle l’a retiré vite vite ha très très vite offusquée QU’EST-CE QUE JE DISAIS qu’est-ce que je disais les hommes tous des cochons JE VEUX REVIVRE JE VEUX REVIVRE Chapitre Relief de l’Asie Centrale Everest 8847m ma pine 0,5cm bon Dieu si t’as pas rigolé c’est que tu es coincé branleur de mes deux.

    De toute façon avec ces Juives Hispano-Marocaines il faut faire attention disait ma mère on ne se méfie jamais assez ils sont capables de te la faire épouser sous le revolver.

    T’as raison la vieille je vais avoir l’œil.

    * * * * * * * * *

     

    Retour en France Périgord exactement 1962, fin d’un monde. Des filles des flirts partout au bord de l’Isle sous les buissons alors moi voyant ça jedizamamaman devant la mère Gauty qui l’a redit partout ça va être facile ici elles sont pas surveillées comme là-bas t’as vu ta gueule non mais t’avais vu ta gueule d’enfariné d’enflé de client de putes ? …Quand tu t’es présenté dans le Groupe « ber-nard » avec le n entre les dents le sourire con et les « r » dans la gorge tu les as repérés les autres qui pouffaient tandis que celle qui semblait être le chef les calmait de la main, tout le monde s’est mêlé sauf un. Au jeu de la vérité, avec qui aimerais-tu sortir ? - Avec Eustache !

    J’étais abasourdi. Une fille voulait de moi ! Je me suis éloigné, j’ai demandé à trois ou quatre « garçons » que je connaissais à peine « ...comment on fait ? » - Débrouille-toi ! » - au fait, croyez-vous que la fille en question se soit hasardée à faire un GESTE envers moi je dis bien UN geste ? - Ah mais non mon pote, elle en a déjà fait beaucoup, c’est à ton tour, t’as rien compris, tu parles d’un con…

    ...Pourquoi m’avez-vous renfoncé dans mon ridicule ? autre sujet - pourquoi vous êtes-vous foutus de moi parce que j’avais un biclou trop petit sans me dire simplement « tu as un biclou trop petit » ? pourquoi vous êtes-vous payé ma gueule parce que je levais les pieds en rentrant la tête sans me dire « tu lèves les pieds et tu rentres la tête » ? Il a fallu que je me surprenne dans une vitrine pour m’en rende compte. Pourquoi en surboum – un Teppaz et deux planches dans un garage - toutes les filles ont-elles trouvé des genoux pour s’assoir sauf les miens ? Oui, c’est rigolo, oui c’est ridicule. Mais pourquoi toutes ces humiliations, ah que je souffre, ah qué yé souis malhéré mon Dié mon Dié !

    C’est alors que j’ai commencé à hhhaïr – tremblez… Quand on m’a traité de prétentieux, d’intel-lectuel (réflexion faite, je l’étais) - de pédé, d’impuissant… la Haine ! la Haine !... tu ne peux pas juger, c’est trop dur pour toi… la haine du pas-comme-tout-le-monde contre les comme-tout-le-monde – Baisers volés j’ai connu ça. Mis à part que chez Truffaut le couillon trouve quelqu’un pour le tirer de là, moi aussi, mais j’aime râler.

    Vi-queue-time desfemems, de la paralysie des femmes sans voir la mienne – quand les bras sont tout raides et le reste tout mou – toi en face, l’autre, tu es un baiseur un vrai, tu fais partie des 2 % que les femmes se repassent entre elles au nom de la liberté sexuelle – non pas toi t’as vu ta gueule ? (rires) ...dégage, baiseur… ici c’est un taré qui te parle, un Rescapé du Périgord. Et j’ai fini par la trouver, l’âme sœur : une fille de flic, avec plein de boutons sur la gueule. Et ces mêmes fleurtouillards qui me chambraient à cause de ma solitude se sont empressés de se payer ma gueule parce qu’on me voyait, cette fois, avec une fille oui mais la plus moche. On touche le fond. Pas le con.

    Mais je me foutais bien d’eux à présent. J’étais accepté. Nous passions à trois des après-midi chez sa mère, au grand dam de mes parents : une Fille de Flic ! Et si je lui racontais que mon père n’avait pas été résistant pendant la guerre, plutôt de l’autre côté ? Et si je faisais un enfant ? Eh bien non : je suis resté très exactement 32 jours, je dis bien trente-deux, sans branlette ! (rires) mon record absolu. Pour la fille, je ne garantis rien. Puis, hélas ! elle a cru que je me moquais d’elle, que je prenais « de [m]es grands airs » (j’en prenais), que j’ «étalais mon instruction » (j’étalais). « À la rentrée tu connaîtras une étudiante et tu m’oublieras » - exactement Maggie : en octobre 10, j’ai rencontré ma femme…

    *

    Mes vieux étaient loin. J’habitais Cité Universitaire, je me payais le bordel tous les 11 jours (on tient ses comptes), je tournais autour d’une étudiante ravagée de branlette comme moi, détraquée jusqu’au trognon comme moi, que je ne devais baiser que le 15 février 02, sans compter six mois de liaison homo (rien ne vous sera épargné) (rires). Un jour j‘ai bu un cognac cul-sec pour oser embrasser ma Future – sur la joue.

    Et à présent Mesdames et Messieurs, Meine Samen und Spermien (lacht) place au délire. Car, « les paranoïaques ont toujours raison » (Anne-Marie M.)

    Chapitre Un : Pourquoi les femmes ne veulent-elles pas coucher avec moi ? (mouchoirs!)

     

    X

     

    Argument n° 1 : Je ne t’aime pas

     

    Parenthèse (cet ouvrage manque de plan) : je dois définir ce ridicule dont je me pare.

    La notion de ridicule participe du passionnel.

    Tout individu traitant de sa passion devient par là même ridicule.

    Et c’est pourquoi (deuxième parenthèse) toute femme qui crie en jouissant excite le mâle par le ridicule qu’elle déploie.

    Il faut châtrer les mâles, afin de les préserver du ridicule de l’excitation.

    ...La femme prétend donc ne pas désirer l’homme si l’amour est absent. Mais elle crie pour jouir (par feinte ? par ordre?) et se ridiculise, disent les connards.

    Seul l’amour lui ouvre les portes du ridicule, alors ressenti comme un don.

    Suivez-moi bien, c’est de plus en plus con.

    Nous en revenons donc à l‘éternel rabâchage : les femmes croient encore dur comme pine (hi ! hi!) que seul l’amour peut déculpabiliser l’acte. Si elles ne devaient baiser qu’amoureuses, la chose ne se produirait pas souvent !

     

    Deuxième hypocrisie

    Lorsqu’elles se branlent, de qui sont-elles amoureuses ? (chœur des vierges indignées : « Ah! mais ce n’est pas du tout la même chose!) - ben si, quoi d’autre ?

     

    Troisième attaque

    « Si je couche avec toi sans t’aimer, tu en souffriras » - variante : « je transpose chez les hommes mes subtilités névrotiques ». Le mâle, sexe dominateur (re-hi ! re-hi!) ne nous sentons pas coupables de faire l’amour. Nous n’avons pas besoin d’un voile. Nous avons séparé depuis longtemps l’Église et l’État, l’Amour et le Zob.

    En revanche, contrairement aux femmes, nous souffrons de l’obligation de nous masturber. Par famine. Car la honte se répartit différemment selon les sexes. Merci de tout cœur, ô Femmes, pour mes branlettes. Pour vous, c’est du sublime, c’est de l’éthéré, chaque tour de doigt vous fait pousser des ailes. Pour nous, c’est sale. Vous m’avez en effet dispensé d’une grande souffrance en vous refusant comme vous l’avez fait. BOUOUOUOUH !!!

    Merci aussi, de tout cœur, pour ma souillure homosexuelle. Une femme est gouine sans même y penser, « On se rend des services entre filles. Qu’est-ce que vous allez penser ? ah ces hommes : ils voient le vice partout ».

    Merci de m’avoir éviter une grande souffrance. Amen.

    Merci enfin pour ma fréquentation des putes. Je n’avais qu’à me branler, voir plus haut.

    Onanisme, pédérastie, putasserie : ça fait tout de même un sacré tiercé d’échecs et de souffrances – croyez-vous donc, ô Modèles de Modestie, qu’il m’importât à ce point d’être aimé de Vous ?

     

    X

     

    Argument n°2 : J’en aime un autre.

    ...Rien ne le prouve. Si d’autre part cet homme profite autant que moi de vos faveurs, car l’amour ne suffit pas pour accéder à Votre Cul, Huitième Merveille du Monde. EN EFFET :

    ...il paraît hautement invraisemblable que le femme, s’estimant si haut, et si comblée par son auto-érotisme, puisse éprouver le besoin d’un amour quelconque ENFERMEZ-LE CE MEC C’EST INTOLÉRABLE (blagadeuballes : « Dieu et mon droit », devise de l’Angleterre. Devise de la Femme : « Moi et mon doigt ».

    Une femme qui dit « J’en aime un autre » veut signifier par-là qu’elle se soumet à une habitude sexuelle. Jamais, ou si peu, elle n’aura franchi le cap du premier homme. Un peu comme si l’on devait s’arrêter au premier livre, au premier film, au premier slip – achevez-le, voyez comme il souffre). Vient-il seulement à l’esprit de ces créatures qu’on puisse aimer deux êtres à la fois, ou une multitude d’êtres ? mais nous traiterons de cela plus tard.

    Voici le moment venu en effet d’aborder le Troisième, dernier et capital Argument de ces pimprenelles (c’est l’un des charmes de l’écriture, ô lectrices, que ce mélange suave des raisonnements les plus subtils et des insultes les plus offensantes ) (ou l’inverse ?) - une seule formule, si délicatement féminine, à prononcer de préférence avec l’accent d’Agen ou de Carcassonne :

    OUAH PUTAING CE QU’IL EST CONG ÇUI-LÀ.

    Sans réplique. Ça vous en bouche un coing. Cette acuité du jugement. Voilà qui est chiadé. Nous tombons en effet droit sur le seul argument : JE SUIS con. Il n’y a plus d’hommes ni de femmes. Il n’y a plus que le Hideux, le Répugnant Rracisme à l’adresse, tenez-vous bien, d’une seule personne : Moa. L’Auteur – on donne à Cet Autre, pas un autre, celui-à, çui-là, l’air con, puis on se moque de son air con. Exactement le coup du Noir qui cire les godasses.

    Pas de pitié pour l’Air Con. Ça te tombe dessus, c’est écrit : l’Air Con. À la trappe. L’air con, ça au moins, c’est un critère. Quel jugement les femmes ! Putain l’intuition je te dis pas ! Juif, arabe, tombé dedans quand t’étais petit. Les femmes (pardon : DES femmes, il paraît qu’il faut dire DES FEMMES) ont raison de se foutre de toi, mais toi, tu as raison – de tirer ta Kalach et de tirer ? non… - mais de gueuler.

     

    X

    X X

     

    ...À présent, l’auteur – est prié d’être objectif, de présenter son mea culpa – j’ai déconné, j’ai agressé, j’ai larmoyé : excusez-moi d’exister.

    Petit a, de fumier :

    Je suis grossier.

     

     

  • 24 DISSERTATIONS SUR L'ECOLE

    C O L L I G N ON

     

    VINGT-QUATRE DISSERTATIONS

    plus une

     

    I BRANLOMANIE

    Dans les années 2030, en retard déjà sur le bouleversement des mentalités, nous écrivions ce qui suit :

    « Toute vocation pédagogique es d’ordre sexuel. Mais si vous éprouvez la moindre velléité de tentation de passage à l’acte, vous n’êtes pas faits pour ce métier, vous y êtes même diamétralement opposés. Fuyez vite, loin, à tout jamais. Nous ne parlons pas des femmes, dont le contact physique, n’en déplaise aux effarouchés ridicules, n’a jamais fait grand mal ni aux garçons, ni encore moins aux filles. C’est aux hommes que nous nous adressons, qui forment la quasi-totalité de ce genre de malades : messieurs, s’il vous est arrivé de glisser dans cette fosse à merde, sachez que vous n’êtes plus, que non seulement ne compterez jamais plus au nombre des hommes au sens plein et viril de ce terme – mais que vous serez tombés au-dessous même de ce qu’il est convenu d’appeler « l’espèce humaine ».

    Or, l’éducation sexuelle, obligatoire et jamais assumée (chacun se repassant la patate chaude) est un des seuls moyens légaux et propres dont nous disposons pour cimenter les relations humaines dans le cadre pédagogique. Putain c’est bien dit. Mais con ne vienne pas nous parler d’Autorisation Préalable du Principal ou d’Accord des Parent, car à supposer que nous les obtinssions, ces autorisations, elles seraient assorties de clauses tellement restrictives et tellement comminatoires que pratiquement rien ne serait possible. Terreur latente et l’arme de poing dans la poche. Sans gueulbe. Comme me disait Jeune Sépluqui, « quand je fais l’amour avec mes élèves, je ne tiens pas à ce que n’importe qui puisse venir me prendre par derrière » - eh, c’est de l’humour tas de Cosaques.

    Le jour de la Déclaration, il convient d’être au top de son honnêteté, en indiquant ses propres blocages, limites et tout ce qui s’ensuit : les vôtres, et pas celles d’une organisation chapeautante quelconque : « Vous me verrez hésiter, balbutier, rougisser. À chacun les séquelles de sa propre éducation. Mais je dirai toujours ce que je pense personnellement. Vous allez donc tous me rédiger vos questions sur un bout de papier anonyme » - si j’ai fait du bien, du mal ? les deux, sans doute. J’ai fortement soulagé le garçon C. en lui révélant que non, les règles ne coulaient pas « à gros bouillons » ; j’ai révélé au garçon O., très étonné, que oui, les femmes aussi éprouvaient du plaisir. Mais le garçon R. se montra profondément écœuré d’apprendre, à quatorze ans, les gestes exacts de ce fameux « acte sexuel » dont on parlait tant. Et toujours, point capital selon moi, je proclamais à la face du monde que les filles, elles aussi, parfaitement, se masturbaient, et comment. Les jeunes garçons ayant bien trop tendance à « idéaliser » leurs « petites amoureuses » - à les désincarner.

    Or, ne trouvant pas dans l’éducation sexuelle proprement dite un exutoire suffisant à ma perversité mentale, je ne le répéterai jamais assez aux punaises de sectes, j’ai exploité le filon du rire. Non pas en me bornant aux histoires de dessous de ceinture dites « drôles », hélas réclamées par les élèves (et accordées par moi) aux dernières heures de l’année scolaire, je me suis saisi de toute occasion dans mes cours, dans mon langage, de sexualiser, ouvertement, la relation professeur-élèves : la langue française, comme toutes les autres je suppose, est ainsi faite, que le moindre déplacement de syllabe ou d’intonation déclenchent aussitôt, dans l’esprit de mes branleurs et surtout leuses, toute une série de connotations marquées au coin (cuneus) de la sexualité.

    Pensez seulement aux incongruités qui peuvent résulter de l’intonation d’un groupe de mots comme « l’habitat urbain » ou « le taureau est entré dans l’arène ». Une fois l’attention aspirée par ce terrain, il est impossible de l’en dégager. Au détour d’une phrase sévère de Pascal ou d’un cours sur les participes, le sexe peut même survenir par simple suppression de syllabes : « Il en a pris l’habitude » devient « il en a pris l’ha - üde », suivi ou non d’un fin silence. Se garder, surtout, de prononcer le moindre terme grossier : le sexuel doit venir en quelque sorte s’imprimer en creux dans le discours, au prix d’une certaine attention, d’où une atmosphère constante de complicité dégoûtante.

    Bien entendu, ces plaisanteries sont on ne peut plus stupides et dégradantes, ne me faites pas l’injure de me croire inconscient. S’il existe un Dieu, je me présenterai devant lui : « J’ai fait rire mes élèves », et il me sera beaucoup pardonné, car le temps passé à rire n’est jamais perdu. Ils rient, ils se débloquent (en marge, au crayon : moi non ; qui a écrit cela?). Ils écoutent chaque phrase, où peut se glisser à tout instant un sexe baladeur, et retiennent, prétend-il, le sérieux en compagnie du plaisant. Tout rire est sexuel. Toute subversion du langage abat un interdit, tout calembour abat une chaîne de calendos. S’il est vrai d’après Freud que la délivrance n’est que pour l’auditeur, tandis que le locuteur renforce son blocage (il rit peut, mais voit rire) (voyeur, non actif), nous serions volontiers tenté par ce paradoxe de poser au martyr, sacrifiant son épanouissement personnel sur l’autel de l’abnégation libératrice, comble de la mauvaise foi.

     

    DU VÉRITABLE OBJET DE MON ENSEIGNEMENT

     

    Nous voudrions établir une ligne de démarcation très nette. Creuser avec véhémence un abîme sans fond : il n’est pas question pour moi du sexe masculin. Rien ne nous est plus étranger que les extases sulfureuses d’un Michel Tournier sur les genoux écorchés des garçons, ou le fumet des pissotières d’école, « autel(s) fumant(s) de la garçonnie ». Rien ne me répugne autant qu'un adolescent furonculeux qui se tripote la quéquette derrière la porte entrebâillée des chiottes. Jamais je ne me suis reconnu dans ces individus grossiers, prétentieux, pétant de vulgarité, toujours prêts pour le poing sur la gueule à 5 contre 1 de préférence. Je n'ai jamais voulu, un seul instant, leur ressembler.

    Ce sexe malotru qui fut le mien par les hasards de la génétique, entre le dérisoire et le pathétique, ne me semble tout juste supportable que sur mon propre corps, à force d'à bite hude. Et s'il existe paraît-il un "masochisme féminin", j'en verrais volontiers l'illustration la plus consternante dans son attirance pour cette espèce de cornemuse flasque et baveuse qui sert d'organe érotique à mes cons génères. Ce cou de vautour pelé, maladif et malodorant, cet incongru et vaniteux sac à pus. Dispenser cours à une classe de garçons équivaut à faire un plongeon nauséabond de 45 en en arrière dans une espèce de fosse-cloaque où fermentent en cloques de longs tourbillons d'étrons et de résidus de branlette.

    La lectrice (les hommes ne lisent pas) comprendra sans difficulté notre particulière attirance pour l'onanisme féminin, si dissemblable, dans son élégance, dans son innocence (car la fille et plus tard la femme se branlent dans la plus parfaite bonne conscience voire inconscience), du trayage cradingue et laborieux qu'effectuent les garçons disgraciés. La masturbation, chez la débutante, n'a pas encore acquis ce stade de fixation qu'il atteint irrémédiablement plus tard, quand la femme décide de "choisir" et ne choisit personne.

    élèves,éducation,branlette

    Donc, tandis que les hommes seraient prêts à se contenter de n'importe quel croûton, les femmes exigent de la brioche. Pour le faire court : le garçon se "tripote" dans la honte la plus totale ; la jeune fille se caresse dans l'incertitude parfois, ce qui est tout de même moins grave, et reste en tout cas entre soi et soi (le garçon fait des taches ; il ne peut rien cacher ; les filles aussi, mais pour d'autres raisons qui n'ont rien à voir). Pour s'absoudre à ses propres yeux, l'homme se trouve ainsi condamné à l'enfournage répétitif et mécanique ; l'adorateur se mue alors s'il le peut en punisseur déespéré, pilant sous ses coups de boutoir ce foutu sexe capable de jouir à lui seul... le plus souvent à lui seul.

    L'objectif serait donc, plus modestement, de transformer ces jeunes oies butées, résolues à se faire hacher menu plutôt que d'avouer leurs pratiques (telles ces connes d'avant-guerre qui répétaient en boucle "je ne comprends pas ce que vous dites", ayant le putain de culot d'aller jusqu'à nier la question posée) en femmes révélées, reconnaissant leur plaisir sans réticence, et le pratiquant le plus possible sous nos yeux. Nous n'avons rien trouvé de plus complet, de plus ingénieux, de plus irrévocable, que le vénérable Manuel du Confesseur : pour amener n'importe quelle femme à reconnaître ses masturbations, il faut lui parler en confesseur d'expérience, à qui "on ne la fait pas".

    Le questionnaire doit donc porter non pas sur l'existence ou non de l'acte, posé comme indubitable, mais sur sa fréquence. Le qualitatif se trouvant éludé au profit du quantitatif, la femme se débat ainsi non plus sur le oui ou le non, mais sur le combien : "Trois fois par semaine ?... vous ne répondez pas ? serait-ce sept fois ? dix fois ? vous gardez le silence ? mon Dieu ! iriez-vous jusqu'à vingt fois ?" "Ne craignez pas, dit le Manuel, "de pousser le nombre aussi loin que possible dans l'absurde.Tôt ou tard il vous sera donné un démenti à partir duquel il sera aisé d'établir la vérité : car si vous ne le faites pas un nombre incalculable de fois, - c'est que vous le faites. C.Q.F.D.

    Dans le cas qui nous préoccucupe, il s’agit avant tout de parvenir à l ‘identité mathématique jeune fille ≡ masturbation. La Masturbation est l’essence même de la Jeune Fille. Au premier regard entendu, elle comprend sur-le-champ de quoi il est question. « Se masturber » se dit, entre elles, « le faire ». « Faire » par excellence, c’est « se masturber ». Au premier regard entendu, elle comprend que c’est de sa masturbation, à elle toute seule, que l’on parle. Elle ne nie jamais. Plus jamais. Le contact ainsi établi au plus intime, la confiance est totale, absolue. Les allusions peuvent alors se multiplier, de part et d’autre, et c’est alors que l’Interlocuteur apprend avec délices toute sorte de précisions voilées parfaitement claires, sur la fréquence, la qualité de plaisir ou de frustration.

    Autre conséquence extraordinaire : la composante masculine du groupe, jusque là sur la réserve indienne, sur la « touche », acquiert une tendresse inconnue. Eux qui se croyaient sales et méprisés découvrent, ô merveille, ô soleil levant, que ces monstres, ces invraisemblances angéliques, les jeunes filles ! se masturbent tout autant qu’eux, voire plus, en haletant tout aussi fort. Il en résulte une saine complicité – et surtout, surtout : une impossibilité radicale de concevoir une de ces atroces passions sado-maso, ver de terre amoureux d’une étoile. Car, Dieu merci, on ne peut plus envisager de se rouler en suppliant aux pieds d’une jeune fille hautaine et glacée, qui, tout bonnement, se branle comme vous et moi.

    Ceux – et surtout celles – qui auront lu jusqu’ici n’auront pas manqué de se répandre en sarcasmes, invectives et menaces. Nous allons leur river leur clou en trois rounds :

    1. a) Les tartufes

    On pourrait croire qu’en ce siècle où la sexologie… où Sigmund Freud… où les sex-shops etc. - eh bien non. Pas du tout. La dose d’insecticide n’a pas été assez massive. « Freud, connais pas. Veux pas le savoir » - argument adventice : « on ne plaisante pas de ces choses-là avec des enfants ». Je refuse cette sacralisation aliénatrice. « L’enfant a besoin d’être sécurisé ». Non. Secouez les enfants. Montrez-lui la vanité des choses. Scandalisez-le. C’est à ce prix que s’accroît la Conscience Humaine. Tout est permis à qui ne fait que parler. « Mais alors, vous avouez que votre système a-pédagogique est essentiellement destiné à assouvir vos propres fantasmes ».

    Écoutez-moi bien : je n’ai pas envie de débrouiller mon écheveau psychanalytique. Je me comporte exactement comme ceux que je viens de blâmer. Les gens de l’art pataugeront avec des lis dans mes refoulements, transferts et autres. Ils concluront que je suis psychopathe comme tout le monde, attardé comme tout le monde, bref, un pauvre type à remettre dans le droit chemin à grands coups de « projecteurs impitoyables ». Ils me trouveront un Ééédipe gros comme une patate et la bite à papa dans le cul. Tant pis. Ce n’est pas mon boulot. « Qu’est-ce que le moi ? » Je n’en sais rien. Je me suis réveillé (nous nous sommes réveillés) un jour sur cette terre, prisonnier d’un corps, d’un caractère, d’une destinée.

    Irais-je (Irions-nous) m’amuser à vouloir les changer, et, en faisant cela, m’abstenir (nous abstenir) de vivre ? Duperie ; je me soumets à leurs défauts » - massacre de Stendhal. Que si d’ailleurs le centième de mes délires se réalisait, je ne bougerais pas d’un cil. Une jeune fille réellement amoureuse me paniquerait, me pétrifierait de respect. Je ne sauterais pas sur l’occasion. Nous parlerions ensemble, nous essaierions l’un et l’autre d’y voir clair. Peut-être que je l’aimerais. Mais ceci est une autre histoire.

     

    * * * * * * * * *

     

    Un jour, à propos de la surpopulation carcérale, nous avions conclu quel ‘on pouvait bien « s’amuser » dans une cellule, à partir de deux... » - « ...et même tout seul », avais-je renchéri. Une petite fille « chaste et pure » fut la seule à s’étonner en toute bonne fois au milieu des rires gras. « Demandez à votre voisine », lui ai-je dit. « Elle a l’air particulièrement au courant » - de fait, ladite voisine, déjà formée, pulpeuse, portait sur son visage, plein et velouté, voluptueusement sournois, les stigmates mêmes et le masque de la masturbation fréquente et accomplie. Elle s’empressa de renseigner sa camarade à l’oreille tandis que l’Interlocuteur poursuivait son discours. Alors ce dernier fut interrompu par une exclamation dont l’indignation révélait le plus ingénu et le plus intense des émerveillements : « Oh ! Monsieur ! Si je disais ça à maman, je ne sais pas ce qu’elle me ferait ! » (braves parents…) - l’Interlocuteur passa outre, les autres pensant déjà à autre chose.

    Je rencontrai ensuite plusieurs fois la même petite jeune fille dans les couloirs. Elle riait, métamorphosée en jeune fille, ouverte, gourmande, heureuse. Tel est le plus grand péché, la plus belle réussite dont l’Intervenant puisse jamais s’accuser...

    Si notre vision est fragmentaire, c’est par déformation professionnelle. Mais l’étroitesse du machisme permet, elle aussi, d’approfondir. Pour la connaissance de la véritén reportez-vous à votre hebdomadaire habituel.

     

    II

    DES AMBIGUÏTÉS DE L’ AMOUR

     

     

     

    Les enfants ne se livrent jamais. Leurs chairs y font encore obstacle : opaques, hors-jeu. Nous parlerons donc de la chair des jeunes filles, origine du monde.

    Certaines, sur lesquelles je ne m’étendrai pas, possèdent des yeux de vaches, où se lit la vaisselle, l’enfant. Le stade ruminant. Vie faite et cercueil vissé.

    D’autres sont des jeunes filles qui s’ignorent. Ont-elles un sexe, rien n’en transpire. « Les jeunes filles bien » travaillent, rient, jouent, mangent. On les rencontre jusqu’à l’âge avancé, sur les bancs de la fac : les « copines », les « chic filles ». Pas un poil d’ambiguïté. Le sexe ? « On n’y pense jamais » disent-elles. Nous éprouvons devant ces absences le même malaise que devant l’abeille, la fourmi, le termite, dépourvus de cerveau sexué. Nos regards se traversent. Castré, je passe outre. En peau de chèvre.

    Devient fille d’Onan toutes celles aux yeux faufilés : paupières en biseaux, cils battants, lèvres mordues. Plus flagrant : la chair grasse et luisante comme d’une constante exsudation de cyprine, les yeux frottés et charbonnés. La bouche et le rire lourds – l’onanisme Dieu merci n’est plus chlorotique, mais insolent. Le point crucial n’est plus focalisé, mais diffusé. Nous pensons aux lourdes femmes de notre enfance, lourdes choses blanches et chaudes, couvertes de bas, de culottes, d’arrière-mondes vaguement grouillants de dentelles et d’étoffes imprécises aux finalités floues.

    Quant aux adolescentes en fin de course, que dire ? ce sont déjà des femmes, avec leur chevelure, leurs seins, leur pubis, leurs flirts. Elles n’appartiennent plus àl ‘univers fantasmiques – et parfois même, elles baisent.

    Ailleurs.

    ...Nous avons connu des élèves attirantes et tourmentées, supérieures, bourrées de recherches. Nous discutions. Leurs yeux fiévreux traquaient ma vérité, sans y trouver vraiment de quoi m’admirer. Un jour d’exposé où je m’étais assis près d’une fille, nos hanches se sont touchées. Elle s’est vivement décalée, le temps d’un regard de flic fou. L’érotisme des filles est intellectuel. Nous en sommes lassés, à tout âge.

    Quelques-unes ont envoyé des lettres, sur leurs élans, leurs vagues confusions… Naïf

    est celui qui verrait dans leurs demi-aveux le signe ineffable d’une aspiration au harem, au vivier de nos vieux jours éventuels - spirituel, spirituel… Mieux vaut alors nager dans le bonheur parfait : l’éréthisme pédagogique, expérimentée le temps d’un trimestre en 2021, dans une classe de filles presque exclusivement. Tout mon répertoire y fut épuisé. Je me fis passer pour homo : elles m’adorèrent. Je fis l’amour avec la classe entière, métaphoriquement parlant – lorsque G. ouvrait la bouche, je pensais voir un fruit fondant, et toutes ces sortes de choses…

    À la rentrée de janvier, tout soudain, je leur dis : « Aujourd’hui, je ne vous « sens » pas. Nous allons faire une dictée ». Je ne les ai jamais plus « senties ». Lorsqu’elles sont revenues me voir l’année suivante, j’ai balbutié. Je me suis très vite enfui aux toilettes, providentiellement proches. Mes troisièmes étaient devenues des jeunes filles, baisables, sans plus.

     

     

     

     

     

     

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  • Le terrible secret de Dominique Paziols

    À Saint-Rupt vit un fou. Il surgit carabine en main. Il s’appelle Dominique PAZIOLS, tue sa mère, son frère et ses sœurs. Emprisonné à vie, il étudie Kant et Marivaux. Évadé, il gagne une ville comme B*** , port de mer où chacun combat pour sa vie, où les maisons tombent sous les tirs d’obus, où l’on se tue de rue à rue. Dans cette ville de MOTCHÉ (Moyen Orient) – Georges ou Sayidi Jourji, fils de prince-président, cherche tout seul dans son palais six ou sept hommes chargés de négocier la paix. À ce moment des coups retentissent contre sa porte, une voix crie Ne laisse plus tuer ton peuple, celui qui frappait détale au coin d’une rue, le coin de rue s’écroule.

    Ainsi commence l’histoire, Jourji heurte à son tour chez son père (porte en face) Kréüz ! Kréüz ! ouvre-moi ! et le vieux père claque son vole sur le mur en criant « Je descends ! prends garde à toi ! » Les obus tombent « Où veux-tu donc aller mon fils ? - Droit devant – Il est interdit de vourir en ligne droite ! » Ils courent. Lorsque Troie fut incendiée, le Prince Énée chargea sur son épaule non sa femme mais son père, Anchise ; son épouse Créuse périt dans les flammes – erepta Creusa /Substitit. Georges saisit son père sur son dos ; bravant la peur il le transporta d’entre les murs flambants de sa maison.

    Ce fut ainsi l’un portant l’autre qu’ils entrèrent à l’Hôpital. « Mon père » dit le fils « reprenons le combat politique. Sous le napalm, ressuscitons les gens de bien. Il est temps qu’à la fin tu voies de quoi je suis capable ». Hélas pensait-il voici que j‘abandonne mon Palais, ses lambris, ses plafonds antisismiques, l’impluvium antique avec ses poissons. Plus mes trois cousines que je doigtais à l’improviste. Les soldats de l’An Mil se sont emparés du palais ou ne tarderont plus à le faire et ceux du Feu nous ont encerclés même les dépendances ne sont pas à l’abri puis il se dit si mon père est sous ma dépendance IL montrera sa naïveté de vieillard -

     

    X

     

    Georges avait aussi son propre fils.Coincé entre deux générations.

    Le fils de Georges sème le trouble au quartier de la Jabékaa. Il s’obstine à manier le bazooka. « Va retrouver ton fils ! - Mon père, je ne l’ai jamais vu ! ...J’ai abandonné sa mère, une ouvrière, indigne du Palais – cueilleuse d’olives – Père, est-ce toi qui a déclenché cette guerre ?… s’il est vrai que mon propre fils massacre les civils, je le tuerai de mes mains. À l’arme blanche. »

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    Les bombes ne tombent pas à toute heure. Certains quartiers demeurent tranquilles pendant des mois. Leurs habitants peuvent s’enfuir ; la frontière nord, en particulier, reste miraculeusement calme. Gagner le pays de Bastir ! ...Le port de Tâf, cerné de roses ! ...pas plus de trente kilomètres… Georges quitte son vieux père. Voici ce qu’il pense :  « Au pays de Motché, je ne peux plus haranguer la foule : tous ne pensent qu’à se battre. En temps voulu, je dirai au peuple : voici mon fils unique, je l’ai désarmé ; je vous le livre. » Il pense que son père, Kréüz, sur son lit, présente une tête de dogue : avec de gros yeux larmoyants. Puis, à mi-voix : « Si mon père était valide, je glisserais comme une anguille entre les chefs de factions; je déjouerais tous les pièges. « Avant même de sortir du Palais, Kréüz s’essuyait les pieds, pour ne rien emporter au dehors ». Le Palais s’étend tout en longueur. Des pièces en enfilade, chacune possédant trois portes : deux pour les chambres contiguës, la troisième sur le long couloir qui les dessert toutes. Chacune a deux fenêtres, deux yeus étroits juste sous le plafond. Georges évite les femmes : il prend le corridor, coupé lui aussi de portes à intervalles réguliers, afin de rompre la perspective. Au bout de cette galerie s’ouvre une salle d’accueil, très claire, puis tout reprend vers le nord-ouest, à angle droit : le Palais affecte la forme d’un grand L. Le saillant ainsi formé défend la construction contre les fantassins – grâce à Dieu, nulle faction n’est assez riche pour se procurer des avions ; cependant chaque terrasse comporte une coupole pivotante. « Dans les tribus sableuses d’alentour, nous sommes considérés avec méfiance : attaquer le Palais, s’y réfugier ? ...nous n’avons rien à piller - personne ne découvrira les cryptes – et mon père, Kréüz, a fait évacuer presque toutes les femmes…

    3Je reviendrai, ajoute Georges, quand l’eau courante sera purgée de tout son sable... » - ou bien : « ...quand les brèches seront colmatées. »

     

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    À Motché, attaques et contre-attaques se succèdent sans répit. Il faudrait réimprimer un plan de ville par jour. Georges peine à retrouver son propre fils : « Ma mission prend une tournure confuse ; Kréüz m’a dit tu n’as rien à perdre – je ne suis pas de cet avis. » Georges consulte les Tables de Symboles : cheval, chien, croix ; la Baleine, le quatre, le cinq ; le Chandelier, le cercle et le serpent. Il me faut un cheval, pense Georges, pour porter les nouvelles et proclamer les victoires. Pour fuir. Pour libérer. Fuir et libérer". Georges lance les dés : "Voici les parties de mon corps qu'il me faut sacrifier : la Tête, Moulay Slimane, Gouverneur du pays, assiégé dans son palais ("Ksar es Soukh" dont le nôtre est la fidèle réplique ; pourtant cet homme ne règne que sur quatre (4) rues) ; le Bras : Kaleb Yahcine, qui tient l'Est (le désarmer, ou l'utiliser à son insu) ; la Main, qui désigne ou donne : El Ahrid.

    "Le Sexe ou Jeanne la Chrétienne, enclavée de Baroud à Julieh ; elle ne rendra pas les armes si je ne la séduis. Le Coeur battra pour Hécirah, forte de son peuple opprimé : chacun de ses héros se coud un coeur sur ses guenilles. Tous portent le treillis, et souffrent de la faim (position : le Sud) ; l'Oeil est celui d'Ishmoun, c'est à lui qu'il en faut référer ; quand à ma Langue enfin, puisse-t-elle peler de tant d'éloquence".

     

    ***

     

    Je suis ressorti du Palais déserté.J'ai rencontré une femme qui montait de la ville, trois hommes dans son dos lui coupant la retraite. Elle s'appelle Abinaya, belle et rebelle, sous son voile rouge. "Quelles sont tes intentions ?" me dit-elle. "Ne libère pas ces chiens". Je garde le silence. Croit-elle que j'agisse de mon propre chef ? "Pour descendre en ville sans risquer ta vie - fais le détour par Achrati, au large du Moullin d'Haut - ettu parviendras au dos du cimetière ; là est le centre, Allah te garde". Je n'ai rien à foutre d'Allah, je ne reverrai plus cette femme, Abinaya est la clef ; quand je l'aurai rournée, je ne m'en souviendrai plus.

    Elle examine mon plan de ville : "Trop vieux. Ce sentier a été goudronné. Ce bâtiment : démoli, telle avenue percée. Ce sens unique inversé, ce nom de rue modifié. Les Intègres occupent le Centre, en étoile. Ici le dépôt de munition ; contre le fleuve une base Chirès et trois sous-marins. Prends garde couvre-feu des Anglais. Sous les arcades ici chaque jour distribution de vivres et de cartouches. Evite les ponts. Repère les points tant et tant - depuis combien de temps n'es-tu plus sorti du Palais ?" J'ai mis mon père en sûreté. Je ne sais plus par où commencer.

    bombardements,Beyrouth,factionsDESSIN D'ANNE JALEVSKI

    Elle effleure ma joue de ses lèvres - je sais ce qu'il en est des femmes - je ne bouge pas - l'un de ses hommes (de ses gardiens ?) n'a rien perdu de nos paroles - de son treillis il tire un jeu de trots. Il me propose une partie - "je n'accorde pas de revanche" dit-il. La partie s'engage en plein air, sur une pierre. Abinaya fait trois plis. Les autres gardes s'amusent, sans lâcher leurs armes. Fou, Papesse et Mort. "La papesse" dit l'homme "détient tous les secrets ; ton père renaîtra. Qui peut entrer vivant dans la ville, ajoute-t-il, et en ressortir inchangé ?" La partie est terminée. Nous nous levons, descendant ou redescendant le sentier rocailleux vers Motché.

    Mon partenaire au jeu déroule son voile de tête : il semble détraqué, agite sa Kalachnikov et rejette les pans de son hadouk. Je le reconnais : nous étions ensemble à Damas, à la section psychiatrique de Sri Hamri, "le Rouge" ; ce dernier avait emprunté aux Occidentaux (qui le tenaient d'Égypte) le concept de "soignés-soignants". Qui était fou ? qui ne l’était pas ? c’était indiscernable.

    Moi, je l’étais. Qui peut dire au jour de sa mort « Mes mains sont pures » ? « Dans les Trois Pavillons de Damas » me dit-il « on mélange tous les hommes, fous et sains d’esprit, comme autrefois. » Il rit en agitant son arme : les fous entendaient des voix, chantaient des litanies, expulsaient le Chéïtann (SATAN !) qui rejaillissait, inoffensif, sur toute l’assistance. J’ai dit : « Zoubeïd, je n’étais pas un infirmier sérieux. La famille de mon père m’avait placé d’office, parce que je tirais sur les chèvres. Et jamais je n’ai cru au Chéïtan, même quand je bêlais comme les bêtes. Chacun de nous est fou, et n’est pas fou. Sage... » - Abinaya, qui descend le sentier devant nous, se retourne. La voie devient une ravine aux cailloux instables. Les premières maisons nous dominent comme une muraille, dont les fenêtres sont autant de meurtrières. L’odeur des égouts sort du sol. Un garde voilé, plus bas que nous sur la pente, porte à son oreille un récepteur noir dont il déploie l’antenne :

    « À Vauxrupt dans les Vosges, sans motif politique, un Français, Dominique Paziols, a tué au fusil de chasse quatorze personnes du même village. Il a commencé par son père, le blessant deux fois au cou, sans pouvoir l’abattre... » - Le salaud ! » Je crie le salaud par réflexe. Le garde voilé se retourne en riant, d’abord, parce que sans y prendre garde il a branché le haut-parleur, ce qui aurait pu provoquer une catastrophe, ensuite parce qu’il ne comprend pas comment une telle information a pu s’égarer sur son canal. « Les Vosges », « Vauxrupt », ces noms ne représentent rien « ...puis il a descendu sa sœur, des vieux, des femmes et des enfants. Cet homme est un chien ».

    Message privé. Jamais un présentateur ne s’exprime ainsi.

    Un homme d’ici a reçu d’autre part un message, capté par radio,  et nous l’aura retransmis, à sa sauce. Pour montrer qu’ailleurs aussi, très loin, on tue, « sans motif politique ». Pour justifier tous les assassinats d’ici, au nom de sa propre milice. Le haut-parleur grésille et s’éteint, nous descendons vers la ville entre deux rangées continues de bâtisses bistres, de plus en plus hautes sur les berges. Ceux qui m’escortent n’ont plus de réaction ; pour moi, fils de Kréüz, ce fait-divers d’au-delà des mers est un signe.

     

    MOTCHÉ

    Passé le ravin nous sommes entrés dans MOTCHÉ, hérissée de chevaux de frise, barrée de dérisoires chicanes en tôle ondulée. Mais pour celui qui traverse la rue, les balles sont de vraies balles. Notre file reste sur le côté droit, puis le radio soulève d’une main dans un recoin de mur le rideau de perles d’un vieux café à pavements bleus. La radio diffuse ici une interminable complainte de Fawz-al-Mourâqi. Nous nous asseyons autour d’un cube de pierre blanche. Des tasses en forme de dés à jouer sont posées devant nous. Le café brûle. Zoubeïd, le fou de Damas, mâchent une chique d’aram avec des bruits de bouche qui claquent. D’autres clients sont dissimulés dans des renfoncements, derrière des rideaux d’alcôves.

    Le Fou s’affirme pleinement satisfait de mes révélations. Ils sont montés à ma rencontre, dit-il, le jour où ils savaient me trouver. Je réponds que j’ai découvert les micros planqués dans le Palais. Il fait un geste « sans grand intérêt », avale son café. Depuis que nous sommes à l’abri, son agitation a cessé. Abinaya soudain s’adresse à moi : Ton fils te cherche, pour te tuer. Je lui réponds qu’il ne me connaît pas. « Ni toi non plus » dit-elle. « Tu es enjeu del utte, malgré toi. Et lui, ton fils, trouvera fatalement des indices ; il sait déjà que tu as quitté le Palais – à sa recherche. Aussi prends garde ». Des têtes passent par les rideaux, se renfoncent. Zoubeïd m’affirme qu’il m’aurait tué lui-même, lui le Fou, si je n’étais pas descendu en ville : « Les balles dans les rues ne te cherchent pas. La rue est plus sûre que moi ». ...Qu’il m’atteigne donc, ce fils… Zoubeïd raconte qu’après mon départ, ils ont tué un infirmier, à Damas : « On a serré la cordelette - sarir ! » - couic - « ...les Yahoud ont bombardé l’hôpitazl de Sri Hamri – piqué ! largué ! - où seras-tu en sûreté ? » Je connais mon fou. Il tourne autour d’une mauvaise nouvelle. Ce café maure baigne dans le calme. Les rideaux des alcôves se balancent. « Ton fils te cherche, Ben Jourji. Il sait que tu es descendu. Il te descendra pour se faire un prénom. Il ne se cache jamais deux fois au même endroit. Moi Zoubeï je connais ses cachettes, l’une après l’autre. Une bête laisse toujours sa trace. Il n’est pas véritablement de ton sang : tu ne l’as ni reconnu, ni élevé ».

    Abinaya manifeste son impatience. Elle demande à ses gardes de se revoiler, de ressortir, de laisser seul « Sidi Georges, Neveu du Président ». Je renouvelle ma consommation. Zoubeïd me quitte à son tour. Il laisse sur la table le Pape, Quatrième Arcane : Allez, et enseignez toutes les nations. Toutes les nations se battent dans ma ville – pourquoi cet imbécile de Paziols s’est-il borné à ceux de sa nation ? La sœur et le beau-frère, le jour de leurs noces, assassinés à St-Rupt en France. Il a raté le père. C’était un petit village, au pied des Vosges.

    Pourquoi ce fait divers a-t-il marqué notre correspondant en France au point de lui consacrer, ici à l’autre bout de la Méditerranée, toute la deuxième page ? ...un triangle d’herbe formait la place, ornée d’un petit cèdre… qui n’a pas son fusil en Xaintrailles ? Le père passait, il l’a visé au cou, l’homme blessé a couru chez les Geoffroy, et Dominque le Chrétien riait en rechargeant son arme. Tout le village l’a vu. Je lis l’article in extenso. Évasion, filière moyen-orientale, chiqueur de libanais ? Le voici revenu parmi nous. Quelque part. Bonne planque. Je passe la nuit au-dessus du café, dans une chambre blanche. La guerre frappe à l’autre extrémité de la ville.

    Je m’endors bercé par les fusillades lointaines. Le lendemain, je fais sortir mon père de son refuge, Hôpital Rafik. Devant nous, vers l’ouest et vers la mer, descend la ville en cercles concentriques. Nous suivons la pente, degré par degré. À notre passage les portes se ferment, à même les murs. Des femmes voilées rappellent leur enfant. Des pierres bondissent entre nos pieds. « Ils m’ont reconnu » dit Kréüz. Nous parvenons sur une place triangulaire, formant palier, dominant la ville où fument au loin les détonations ; plutôt un terrain vague, où grouille une foule en haillons ; c’est un rassemblement du peuple, harangué par quelque agitateur perché sur une pierre.

    Les guenilleux l’écoutent avec passion, les têtes approuvent, les bras se raidissent. Des vociférations, des discours annexes et forcenés parvenus des angles de la place, approuvent et renforcentl’orateur qui poursuit, poings serrés, en langue achrafieh. La foule gronde avec volupté. Cinquante mètres nous séparent de cet infernal attroupement. Près de nous, vêtu de bleu, Zoubeïd est venu s’accroupir : « Je savais où te trouver ». La foule s’agite et se tourne vers nous : « Ils ont reconnu ton père en toi. Je ne donne pas cher de ta peau ». Tous ramassent des pierres. « Fuyez ». Il nous pousse vers des rues à couvert, où les haillonneux, versatiles, renoncent à nous poursuivre. « Qui était-ce ? » Zoubeïd nous donne un nom. « Que veut-il ? - Soulever le peuple.N’importe quel peuple.N’oublie pas la couleur de ta peau, ton éducation d’Occident. La coupe de ta veste ». Il nous demande de ralentir près du marchand de dattes. « Achetez-en quelques brins. Restez calmes ». Je demande à Zoubeïd , qui revêt soudain une grande importance, d’où viendra l’attaque de mon fils.

    A-t-il des armes ? Des partisans ? « N’en doute pas » répond-il. J’ignore qui me concilier, les rivalités, les alliances et leurs renversemernts. « Marchez à présent. Descendez toujours. Tu apprendras seul. Frappez ici ». La porte indique le n° 80. Une main brune et sèche nous tire dans une cour. Nous rinçons à la fontaine nos doigts poisseux de dattes. « C’est le début des Temps » dit Zoubeïd. « Je te donnerai ce qui convient;et à ton père, Kréüz, aussi ». À mi-voix : « Pourquoi traînes-tu ce vieux sac du passé ? » Plus haut : « Dans quinze ans si tu survis inch’Allah – tu seras le premier d’une longue descendance, qui cueillera les dattes fraîches. Tu apprendras à ton peuple ses trois langues maternelles. De toi naîtront des livres et des chansons ».

     

    X

     

    ...J’ai engendré un fanatique. J’ai observé de mon abri par la fenêtre (une meurtrière matelassée de sacs de sable) ces jeunes gens, de son âge, dont les opinions simples se défendent à coups de fusils. Se résumant souvent à leur utilisation. La Caserne Jaune leur sert de cible. Le second jour encore, ils se battent (je les observe) et incendient la Bibliothèque Aleth ben Adli. Les livres ont brûlé trois jours mais j’ignorais encore que mon fils en fût l’instigateur. Dans la cour qui m’abrite, logé, nourri, j’ai tout le temps de lire. Un magazine périmé relate sous mes yeux ce fait divers de St-Rupt dans les Vosges, si loin d’ici : Dominique Paziols dans sa folie disent-ils a massacré quinze personnes : sa mère et sa sœur, son beau-frère le jour de leurs noces – plus – inexorable rumination – douze personnes – une goutte de sang – comparé à ce qui se tue ici chaque jour.

    Je me demande combien de meurtres civils bénéficient du statut militaire. Paziols a 31 ans, et cet homme, cet évadé, je l’ai recruté pour mon compte. Je dois à mon père, tout impotent, d’avoir lancé les coups de téléphone décisifs. Il sait ce qui s’est passé, là-bas, en France. Mon père est toujours quelqu’un. Ses services fonctionnent encore admirablement. Je lui baise la main sosu sa perfusion. Il me dit : « Tu devras te méfierr de cet homme. De tous ceux de son âge et en deçà. Ton fils lui-même, Mechdi Abdesselam, pose des bombes et te recherche personnellement ». Mon père s’assoupit. L’infirmière engagée pour lui seul, dans un domicile que je tiens secret – remonte dans son dos les oreillers, me fait signe de partir : « Il dort». Mon abri n’est plus sûr. On m’aura suivi, à l’aller comme au retour. Zoubeïd a transporté séparément mon sac de voyage à l’Hôtel de Touled : un quartier calme, un portail à deux battants fermés par trois rangs de chaînes, un pa-ti-o garni de plantes vertes, un balcon intérieur en véranca – une vasque s’écoule derrière les fauteuils en rotin, quelques tirs murmurent vers le nord-ouest. À ce que dit l’hôtelier, Mechdi Abdesselem (ben Jourji ben Kréüz) prend pour cibles tous les signes de Culture et d’Autorité. Mon fils est devenu fou. Je ne m’en sens pas amoindri. La roquette heurte la vasque et pète.

    Un certain Halis, client de l’hôtel, dit «L’Espagnol »,retient soudain à la main sa mâchoire, et partout comme de juste retentissent les cris, s’épaissit la poussière, Zoubeïd est indemne, le standardiste a éclaté, les poutres de la véranda se sont tordues.

  • Route de Banne

    C o l l i g n o n

     

    R O U T E  D E  B R A N N E

     

     

    Qui veut voyager loin prend la route de Branne. Inutile de pousser jusqu'à Bergerac où l'on se rend de deux façons : soit par le Pont de Pierre estampillé "N", les Quatre-Pavillons et la route de Libourne, soit par le Pont St-Jean, inauguré le quinze sept soixante-neuf par le bal sur tablier – puis Fargues-St-Hilaire – et Branne. À St-Pey d'Armens les deux routes se rejoignent (Castillon, Ste-Foy...) - mais il suffit d'aller à Branne : "le lieu des terres brûlées" – ou "le marécage" – bourg disgracieux au premier abord mais beaux rivages, agrafés par un pont de fer, tronçon tombé là comme un morceau de Tour, Eiffel, signe particulier : brouillait la radio.

    La route de Libourne est pour les pressés, qui font Paris-Sète par Bordeaux, pour la vitesse – en ce temps-là le Massif Central n'était pas encore "désenclavé", et s'il l'était resté on y retrouverait moins de cons – "à main gauche St-Émilion et son église monolithique" troglodyte, en fait.

    La seconde façon d'aller, par Branne, est celle des flâneurs, des intelligents flâneurs. Une route engorgée de villages, laissant de côté les centres-bourg – Tresses, Baron, Vieux-Procédé – pas une demi-lieue qui ne soit jalonnée de souvenirs. Et s'il est vrai que toute route soit la Route, la mort au bout,ou bien le beau retour aux sources, alors qu'importe en vérité, qu'on s'accomplisse ou meure...

    Nous verrons bien ce qu'il advient de cette sérénité.

    Ma ville, c'est Bordeaux. La route de Branne est le cordon ombilical, effilé, insectionnable - partons du début, non pas des enfances enfouies désormais dans leur préhistoire, mais de cette interminable, fascinante et immobile adolescence, où l'avenir avait le goût doré de ces orages mort-nés.

    Cela me vint d'abord sous forme de comptine :

    Une chambre sur un mur

    Qui donne sur l'arrière-cour

    Avec des murs de vert cru

    Où pousse le lichen bien dru.

     

     

    C'est de moi. En baissant les yeux par la fenêtre je voyais aussi une terrasse aux rebords d'alu bitumé. Tout est parti de là. Ou resté. La consigne est de décrire cette chambre comme une cellule, un boyau où vécurent sous la poussière, classés à plat dans les placards, tous les dossiers, tous les projets empilés bien étiquetés sur tranche : ROMANS, ESSAIS, POÈMES, lève-toi et marche. Dans ce décor un homme, prénommé B., dont la femme lui gâte la vie sans qu'il se soit jamais demandé pourquoi, et qu'il fuit jusqu'au bout de sa laisse aux confins des campagnes départementales, mettons Créon, Sauveterre - et Branne, en lisière.

    L'homme fait signe du pouce, la vie passe sans s'arrêter, "Vignonet", ces temps remontent fort loin, j'étais bien vivant. L'air portait en ces temps-là une texture, un parfum de frais, de feuilles vivantes et mortes, qui s'en souvient ? - d'espoir peut-être. L'air d'aujourd'hui est mou ("beau temps" sur la moitié sud) - un homme basané s'arrête dans la nuit - d'Antananarivo ? Mananjary ? L'auto-stoppeur évadé ne dit rien.Ne drague pas. Les Indiens noirs ou Dravidiens n'ont rien de négroïde : traits fins, lèvres bien ourlées, nez droit, faciès européen. Soit 70kilos de tendresse noire sur le dos dont seize centimètres dans le ventre - où est le risque?

    marché,errance,souvenirsL'auto-stoppeur B. comme Blanc connaît cet homme,

    Ils bossent tous les deux dans la même prison

    exposés tous les deux aux mêmes affleurements et contacts de jeunes filles et B. le Blanc se remémore l'Indien Noir le Dravidien aux prises avec les mêmes circonstances ridicules : en ce temps-là, quelques diplômes et 5 années de plus constituaient une frontière infranchissable : deux jeunes prisonnières au parloir ("ambiente carcerario femminile") insistent auprès du Dravidien, très beau, très grand, sur un point de détail de grammaire anglaise. Il répond doucement, battant des cils sur ses longs yeux - hélas en ce temps-là, l'opinion commune était que les objets de désir des jeunes filles ne pouvaient être que d'autres jeunes filles.

    Tous les hommes se travestissaient, d'expression, de comportement, de ports de tête - hélas encore, elles aimaient aussi, certaines, parfois, de vrais hommes à peau

    dure avec de gros rires. Les prisonnières en centre éducatif ont tourné les talons, singeant avec mépris le battement de cil de l'Indien. La jeunesse du monde grinçait. Et l'autostoppeur B., témoin dans l'ombre du siège passager, repassait dans sa tête la scène infame du mépris des filles, sans pouvoir confier au chauffeur foncé que lui aussi battait des cils en langoureux, sans avoir pris conscience de son dérisoire.

    Il se jura ce soir au fond de son fauteuil que jamais plus, lui, Bertrand le Blanc, il ne prêterait le flanc à l'interprétation des jeunes filles. Cinq ans plus âgé qu'elles. B. vivait chez père et mère, plus loin, où ils sont morts depuis, la maison familiale au hasard des rachats devant abriter pour finir une famille de rouquins très antipathiques, la tombe des parents portant le n°113 au cimetière de Belle-Yves - au-delà de Branne, en Périgord pourpre. Route des tombes et des sources

    S'accomplir est mourir

    Ne pas le faire est mourir

    Tel est le choix - alors mourir.

    Parcourir une route où rien ne passe. Où rien ne se passe. Ce n’est plus le cas. Où les rencontres, les hommes et les femmes, s’engluent comme les mouches sur le papier brun au-dessous du plafond de l’enfance voyons dit le roi Arthur si la rivière aujourd’hui nous apporte quelque aventure – l’aventure est ce qui advient, ce que nul n’est jamais venu rechercher, car la vie n’est qu’un cours terrible et tranquille – « or voici : descendant la rivière à leur rencontre, le Roi et la Cour découvrirent la barque merveilleuse, où gisait une jeune fille, la plus belle, la mieux parée qui se vit oncques ; et cette belle était morte ».

     

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    L’homme errait toujours, flairant les bas-côté de son passé – ou peut-être un chien. En ces temps de route clairsemée, il se trouvait au pied du ressaut de Tizac. Deux jeunes femmes le prièrent courtoisement de prendre place à bord de leur automobile ; plus un jeune enfant, plus un petit oiseau dans une cage, tous trois sur le siège arrière. L’homme errant ce soir-là se sentant atteint de malaises (d’un gros rhume contagieux) évita l’enfant pour ne pas le contaminer, contraignant la passagère à descendre, qui s’installa mortifiée près de l’enfant fragile et de l’oiseau en cage, leur parlant à l’un puis à l’autre en alternance. Il n’y a rien de plus dangereux pour un tout petit enfant que le rhume. Il en souffre beaucoup. Ses voies respiratoires, nez, gorge, s’irritent et s’obstruent, sa mère ne dort pas. Je ne les revis plus, ni les femmes ni l’enfant, ni l’Indien de Tamatave aux longs cils. Les ombres ne signifient rien. Ou alors, le rien – éloignez-les de moi, aucune voix ne monte vers l’homme ou ne descend des cieux Seigneur écarte de moi ce Graal que je ne saurais voir.

     

    * * * * * * * * *

    De son vivant le même homme connut monsieur C. La scène se passe au bord de la route, et je lui dis ma femme (savez-vous) est très compréhensive. Le Sieur C., vendeur de chemises, donna son adresse à Pau mais sans suite – était-il vraiment opportun de prendre pour la circonstance mes airs les plus chafouins

     

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    Quatrième insecte englué sur la torsade : repartant d’Agen (tout petit périmètre) j’ai dragué sans intention de résultat j’ai allumé l’homme qui m’avait pris à bord. Le restaurant m’avait gavé de pilaf au safran. Une grosse pyramide bien pointue, un petit serveur typé tout rougissant, soudain pardon - s’éclipsant - je vous empêche de manger – j’ai tout englouti à éclater pour justifier sa honte et confusion – et nous voici le fondé de pouvoir gros et gras et moi tassés comme deux sacs de grains le tutoyant parlant de sa femme et de ses enfants, car les pédés s’enquièrent à fond des vieilles épouses et quand il m’a largué sur le bas-côté du crépuscule je l’ai entendu péter sur fond de claquage de porte.

    J’étais planté sur la route noire en plein cœur du Lot-et-Garonne partout le désert je hais les départementales et du milieu de la chaussée je m’étais guidé sur le ciel moins foncé entre les cimes des peupliers. À minuit d’un coup pile toutes les lumières de St-Maurice s’éteignent et tous les chiens me sautent dessus contre les grilles en gueulant, bout de conduite et frisson sur facture. Quand je suis arrivé à Monsègue les croix du cimetière sur la butte se détachaient comme des dents creuses sur l’aube à l’horizon : pendant dix ans j’ai mis bas là-dessus tout un livre Enfants de Montserrat vendu dans toutes les librairies de ma rue.

    *

     

    La cruauté des rapports humains m’a toujours épouvanté.

    Indice n° 1 le titre Mouvement Perpétuel ou Sur Place écrit par saint Cloporte qui se mord la queue – tu es le plus fort mais sitôt franchie la barrière fin du message et c’est Moi qui gravis la pente noire en me crottant jusqu’aux genoux sous la bruine du monde, je monte vers mes morts dans la tombe et la pluie sur eux, agrippé tout en noir les deux mains dans la terre, en direction de mon destin de fou trempé, trompé. J’ai raconté ma vie à la table de bois du bistrotier tombé du lit route de Branne à l’heure où les soiffards se parlent de femmes entre invertis de la cloche, marins de terre ferme et fiancés de la bouteille – je te connais mieux que toi-même puisque tu me manques.

    Alcool perdant.

    La route se perd après les croix du cimetierre.

    Prénom de femme.

    Quel est le chant, le livre, l’oraison… qui n’amplifie pas le prénom d’une femme.

    Voilà bien de l’histoire. Voilà bien de l’aventure. Non pas une forteresse, mais un véhicule qui m’appartiendrait, pourvu de tout ce que l’insertion comporte d’accessoire : lavabo, raccords électriques, couchette – finis, les hommes nocturnes, désormais les nuques rases, l’abandon des tournures d’Église, mais de larges rideaux tirés, des baises à petits coups précis pour éviter le plafonnier, de bons ressorts fidèles, rien qui se voie sous la tôle jaune griffée d’éraflures. En vérité le bouclier d’Achille représente le monde entier roulez bolides.

    Changement de ton

    C’est un camion. Une estafette. Sous le plancher une invraisemblable foule de connections électriques. Le garagiste lève les bras au ciel quel est le couillon qui vous a bidouillé ce bordel l’ami bricoleur a tronché ma môme derrière le tas de chiffons bourré de cambouis et puis je l’ai récupérée, camion en sale état fille à peu près retapée je n’ai rien dit sur le moment ça recuit des années avant que ça vous repète à la gueule

    Le lyrisme revient de suite

    ...tous les boutons pour que ça remarche, l’allume-gaz à pression, la bouteille plate sous le frigo, le petit lavabo où tu pisses à l’arrêt tout tordu fais gaffe que ta pisse aboutit dans les eaux usées que tu te trimballes au flanc comme une sonde vidange interdite si tu pollues tu payes. Se mettre sous la guinde donner un quart de tour, avec du pot tu évites ta merde sur la gueule juste à côté des vidanges d’huile ne quittez pas vidages réguliers j’ai revendu tel quel pour trois fois rien j’espère que le suivant s’est pris toutes mes vieilles pisses sur la gueule.

    Moi, l’homme, hésitant, étourdi, évadé, à présent, bien présent, muni du CAP « tournage bagues et bracelet », tour mécanique pour le cuivre, fin burinage, croix celtique, basque, etc. - je ne veux pas passer pour nazi je ne me fâche avec personne - mon ex était basque. Nous avons roulé neuf mois. Les marchés, les robinets de cimetières – l’eau des morts est bonne à boire, derrière le mur nul ne te soupçonne de remplir ta tonne de 40 litres à l’œil. Un soir, errant parmi les tombes à la tombée de la nuit je cherchais la prise d’eau lisant les plaques. Mais il est rare de péleriner sur le tombeau d’un grand-oncle avec un bidon à la main merveilleusement luminescent dans le crépuscule.

    Quand je suis ressorti du cimetière cinq hommes se promenaient dans ma direction, un peu vite pourtant, le maire et ses ânes-joints qui vérifiaient mine de rien ce que c’était que ce zombie qui scrutait les dalles avec un jerrycane. Nous nous sommes dit gentiment bonsoir sans plus. Les bouseux sont sympa. Mon ex s’appelle Monique. Nous faisons les marchés, ça me revient. On se lève à l’aurore, bourgeois. En pleine nuit lyrique les oreilles qui piquent, même l’été, le plein de sommeil n’est pas fait, le paysage s’il y en a un vous rentre par dans les yeux, l’estomac tire. Arrivée parmi de parfaits inconnus ou qui font semblant, un apprenti équilibriste tâche de tenir sur un fil entre deux chaises, très mauvais, les gosses admirent.

    Les Arabes et les Manouches passent très tôt en costards fripés, blasés, les mains aux poches et hurlant dans leur langue pour bien faire voir que le monde leur appartient, ce qui se pourrait bien. Ils supputent les bonnes arnaques. À neuf heures les bons coups sont partis – l’air dédaigneux, trop bons de te liquider tes rogatonspuis la place qui s’anime, la matinée qui se met en place, tu restes là dans la brume humaine qui s’accroche et qui meuble à ras de pavé, la place prend son relief normal, des Cajuns font du raffut sous chapiteau ça va dix minutes après tu en as marre, tu reviens à ton stand où rien n’est vendu, rien ne sera jamais vendu parce que personne n’en a strictement rien à foutre de tes merdes parce que tu ne t’intéresses pas à leurs merdes à eux.

     

     

  • Roswitha

     

     

    C O L L I G N O N

     

    R O S W I T H A

     

     

    Moi.

    Roswitha.

    Murée dans mon passé. 68 ans.

    Condamnée.

     

    Certains de mes papiers portent mon nom : Stiers.

    Il n’est pas trop tard pour régler mes comptes. Je ne me suis fixé aucun but.

    Toute ma vie derrière moi. J’ai agi aussi absurdement dans mon ménage qu’Alexandre sur ses champs de bataille.

    (Ce débat ne m’intéresse plus).

    Veuve.

    Domicile Blumgasse 40, WIEN, 1er étage. La fenêtre de la cuisine donne droit sur la Brigitenauer qui mène au Pont du Nord, qui mène à Prague. La pièce éblouissante tremble au niveau des quatre voies de circulation surélevées. J’aime ce grondement continu. Ma circulation est parfaite.

    Je ne peux me défaire d’aucun souvenir. Leur valeur marchande est nulle. Au mur, une carte des capitales européennes où se fixent les reproductions en plastique des divers monument : j’ai conservé St-Paul de Londres, l’Escorial et le Hradschin. Mon lit a des colonnes torses.

    Je me n’ennuie jamais. autriche,néonazis,atentats

    Je possède des étagères et des Figürchenmöbel (meubles à bibelots) surchargés de poussière. J’essuie deux statuettes nues, l’une en position fœtale, l’autre sur le flanc, « offerte », comme ils disent : de mon doigt recouvert de tissu, je suis les plis des figurines, aines, seins, nombril.

    À 68 ans tout continue : j’évolue et me questionne ; ce n’est pas du tout ce repos, cette résignation que j’avais imaginée. On m’a menti : les humains ne sont pas tous semblables.

    II

     

    Je n’ai commencé à vivre que fort tard, après le mort de mon mari, c’est-à-dire après son départ avec Annette, qui l’a nettoyé en dix-huit mois.

    À son retour, je l’ai vu dormir, dormir, dormir : devant la télévision, au lit, le matin jusqu’à dix heures, l’après-midi de deux à quatre, jusqu’à cinq en été.

    ...Lorsque mon père se penchait sur moi pour m’embrasser dans mon lit, sans qu’il y prît garde ma vue plongeait par le décolleté de sa chemise de nuit.

    À dix-huit ans, je suivais mon père.

    Diplomate, désœuvré, il m’emmenait partout. Nous sommes arrivés à Puigcerda par la route de Ripoll. En 1933, l’Espagne était encore calme, et mon père passait toutes mes fantaisies. Nous sommes descendus de nos mulets, le dos scié du cul aux omoplates. L’alcade en personne m’a soulevée de la bête pour me déposer, jambes raides, face au panorama.

    Après le dîner de fonction, j’ai entraîné mon père par le bras et nous avons tourné par les rues de Puigcerda, enroulées sur leur butte comme autour d’un sombrero.

    Le lendemain matin, je suis sortie sur la terrasse, il était déjà neuf heures, et les chasseurs tiraient dans la vallée.

     

    III

     

    Arrigo

    Je mens. Je m’appelle Arrigo Sartini et je mens. Mon âge est de 35 ans, j’étouffe, je veux me venger de tout et ma dignité est grande. Je vis avec Nastassia, depuis 60 mois que j‘ai comptés . Nastassia est la petite-fille de Roswitha.

     

    L’humanité : la tenir en réserve, comme du fumier pour les fraises, sans l’admettre à sa table – et qu’ils n’aillent pas faire, les hommes, d’une solitude, que j’ai choisie, une solitude imposée.

     

    IV

     

    Nastassia

    C’est la petite-fille de Roswitha. C’est le troisième personnage de l’histoire. Elle vit à Bordeaux, elle est folle, elle peint. Son langage est très littéraire, très fleuri, très ridicule. Non, je ne laisserai pas le lecteur se rendre compte par lui-même. Oui, je prends le lecteur pour un imbécile. Elle s’adresse aux personnages qu’elle a représentés sur ses toiles. Elle dit :

    « Accourez, fantômes bien-aimés. Fantômes éclatés, pulvérisés sur ces murs. Sur mes murs il y a des tentures. Des éclats de ma tête sur les tentures. Vous êtes dans la poussière que je respire.

    « En 1823, un homme, ici, s’est suicidé. Il s’est tiré dans la bouche. Son crâne s’est ouvert. Le revolver est tombé en tournant, sur ce guéridon nacré, au milieu des boucles et du sang.

    «  C’était mon ancêtre.

    «  J’aurai aussi des descendants. Des successeurs. Je profère à voix basse vos noms sacrés.

    «  Il y a celui qui me pousse, physiquement, aux épaules, et me force à sortir.

    «  Celui qui dérive, évanoui, nu, renversé, sur sa barque.

    «  À présent je suis toute à vous. Je vous ai constitués. Vous m’avez façonnée jusqu’à l’intérieur de mes paupières.

    «  Tenez-vous prêts. Nous ne sommes plus seuls. Plus jamais seuls. Je suis l’épouse d’ARRIGO.

    « Je resterai toujours avec vous. »

    Ici, Nastassia ajoute une phrase apprise :

    «  Je m’agripperai au cou de la dernière Girafe en peluche que mon père, le Para, veut m’arracher. »

    Puis :

     

    « Fantômes, voici : très loin, à l’est des Alpes, à Vienne, ROSWITHA nous appelle, ROSWITHA nous convoque. J’arrive. Nous arrivons, chargés de bombes. Pas un de nous ne manque à l’appel.

     

    V

     

    Retour à Roswitha (Vienne).

    Lettre à Nastassia, en allemand, anglais, et français :

    «  Liebe Nastassia !

    «  Komm Dū mein liebes Kind, komm !

    (« J’ai besoin de tes lèvres fraîches » : cette phrase a été raturée. )

    «  Here comes the plane

    « The hand that takes

    (« Voici l’avion / La main qui prend » - L. Anderson)

    « Nastassia, c’est moi qui t’ai élevée, moi ta grand-mère - deine Großmutter, et ta mère, Deine Mutter, traînait d’asile en asile.

    « Les souvenirs me font mal, c’est pourquoi, itaque, je ne veux plus que tu m’abandonnes.

    " Arrigo, Nastassia, ne m'abandonnez pas.

    " Songe à ma vengeance, qui est la tienne, souviens-toi de tes jeux sur la plage du lac, à Neusiedl.

    " Souviens-toi de tes dessins d'enfant, et du crayon toujours à retailler.

    " Le complot portera mon nom : R.O.S.W.I.T.H.A. Signé Roswitha"

     

    La vieille dame pense qu'ils règneraient tous les trois, NASTASSIA, ARRIGO, "et moi, tous trois indécelables et frappant partout, sur les despotes mous.

    " Post-scriptum : Emportez tout avec vous. Tout ce qui vous retient, afin de l'avoir à vos côtés, toujours présent, pour le combattre de toutes vos forces.

    "Nastassia, tu es partie à l'autre bout de l'Europe, au sud-ouest de la France, chez les Welsches. Tu t'es calfeutrée dans les tentures, tu t'es barricadée dans les toiles que tu as peintes : il ne faudra rien oublier. Je ne sais rien de cet Arrigo.

    Ta Grand-mère qui t'aime,

    Roswiha

     

    VI

     

    Nous revenons à Nastassia (Bordeaux). Elle peint, elle est folle, elle dit :

    "Fantômes - "

    ...encore !...

    "...dans la discipline, regagnez le bois lisse de vos cadres ; revenez dans vos propres portraits. Nous partons.

    "Derrière les tableaux que je décroche court une araignée. Arrigo, mon époux, court la ville afin de rassembler une montagne de papiers, documents, passeports.

    " Prenez place sur les toiles, dans les toiles, faceà face, ou dos àdos, car je ne verrai plus vos traits - et vous roulerez dans mon dos dans vos cercueils plats, cercueils vitaux, mon ventre, en épaisseur, à plat."

    Fin de citation.

    " J'en ferai d'autres ! j'en ferai d'autres ! Faro gli altri !" criait Francesca da Rimini en tapant sur son ventre, à la mort de ses fils.

    Arrigo répliqua :

    " Nastassia n'est pas seule à trancher des racines. A mon père mourant, je réserve au milieu de mon coeur une place de choix".

    Ils partirent.

     

    VII

     

    Roswitha (Vienne) pense :

    ...Ils sont en route.

    Chaque semaine, ma petite-fille, Nastassia la folle, me rendra visite. Elle feuillettera les journaux sur la table de nuit, il y aura "Hör Zu" ("Ecoute"), "Kurier", "die Krone".

    Elle s'assoira au bord du lit, étalera la revue sur la courtepointe. Arrigo, son époux, restera debout, il fera quelques pas dans la pièce. Il regardera pour la centième fois la carte au mur des capitales d'Europe. Il touchera un objet, s'informera de sa provenance, le soulèvera. Le replacera sur sa place de poussière.

    Je lui répondrai, il m'ennuiera, il sera correct.

    ...............................................................................................................................................

    " J'aurai appris du moins à ne plus geindre. il y a dix ans que je ne geins plus. C'est fort peu. Depuis la mort de mon mari très exactement, nettoyé en dix-huit mois par sa grue (von seiner Gimpelhure) ; vers la fin je l'ai vu dormir :le matin jusqu'à dix heures, l'après-midi de deux à quatre.

    " Cinq heures en été.

    " J'ai brûlé des kilos de jérémiades.

    " J'écris à Nastassia.

    Wien den 26. Juni 198*

    "Liebe Nastassia,

    " Heute bist Du 22 - vingt-deux ans - tu liras très agacée mais je revois cette petite fille de huit ans que j'avais emmenée sur le Neusiedlersee en 1962 - godu tu me parlais sans cesse tu réclamais à boire à manger, une balle, un crayon. J'acordais tout, j'étais ravie.

    " (...) et puis viens. KOMM.

     

    VIII

     

    ...et retorne l'estoire a reconter de Nastassia et de sa folle compaignie...

    Nastassia dit que des lambeaux de rêves resteront ici à tout jamais, qu'ils ont dit (les déménageurs) "N'en prenez que 40 !" - et que dos à dos, ventre à ventre, une fois de plus, en voyage, le Nu, la Bombe, la Fille au Couteau, l'Egorgé Nocturne et l'Homme de Théâtre, tous tableaux NOCTURNES sauf

    les Fils de l'Aube et

    le Trépané

    Le camion roule, roule, tous les cadres s'entrechoquent.

     

    Roswitha, femme deVieille, attendant sa petite-fille

     

    Sie sagt:

    "Dieu merci, je suis parvenue à soixante-huit ans sans devoir porter de lunettes. Je mis sans fatigue. J'ai connu les exécutions, les pogroms. Je n'éprouve plus de plaisir, les mots croisés m'engourdissent sur le fauteuil, parmi le bienfaisant vacarme des automobiles.

    " Nous autres, les Habsbourg, nous n'avons pas cédé aux vertiges de l'épuration. Je peux recevoir sans encombre tel ex-secrétaire de Seyss-Inquart.

    « Le sang a séché – taches de vieillesse sur mes mains, nécrose des tissus.

    «  Il m’apporte, cet ex-secrétaire, de bien belles grilles à compléter.

    «  Il me laisse des exemplaires du Völkisches Blatt. Chacun peut le lire à la demande chez tous les restaurants du XIIIe arrondissement.  

    «  Cet homme s’appelle Martino.

    «  Martino voudrait que je distribue des tracts : « Toi qui connais bien Vienne... »

    «  J’en ai une pile sur la table. Mais, par ordre alphabétique, ça fait 11 900 rues.

    Au téléphone :

    « Non, Lieber Martino ; ce n’est pas parce que je suis « aryenne », comme vous dites… Passez me voir quand vous voudrez. »

    * * *

    Nastassia, petite-fille de Roswitha, peintre, folle, raconte

    C’est le trajet vers Vienne. Nastassia dit :

    « Depuis Genève, j’éprouve une peur sourde. Arrigo se tient près de moi, silencieux, les mains serrées sur le volant. Ses mains ressemblent à des serres. Il me dit : « Je pense à mon père, qui est en train de mourir ». Nous roulons vite. La voiture, surchargée, prend les virages trop larges, le ciel baisse, la nuit tombe. Rapidement c’est une muraille, grise, devant nous. Arrigo accélère :

    «  - C’est la neige. » Ses mains tremblent. Les flocons se jettent à l’horizontale. À droite, un talus qui s’abaisse, se relève, et se rabaisse, comme une ouate qu’on déchire. Je vois aussi du néon, nous avons quitté l’autoroute, je vois encore, des feux de position, qui s’enfoncent, qui se perdent – Arrigo se guide sur les ornières et se met à rire.

    «  Il s’arrête.

    «  Il descend courir tête basse vers les néons.

    « Sur le pare-brise la neige monte, grain à grain, s’édifie. Nuit noire, dix-sept heures Il reste une chambre !

    «  Au restaurant, sous le toit surchargé de neige, Arrigo s’épanouit, commande un menu d’une voix forte et décharnée, je ne l’ai jamais entendu mastiquer l’allemand de la sorte – avec des contractions de doigts, des trismes mandibulaires…

    «  Je devrai vivre dans cet hiver des mots. »

    «  Dehors, lever de tempête – ici les menus cartonnés, rouges, savonneux, les Mädchen couleur ketchup et bas blanc ». Le lendemain après l’amour ils ont tous les deux affronté la plaine blanche et crue, le ciel et le sol deux plaques d’amiante. La route a disparu, on roule au jugé sur la neige rase.

    «  Le terrain monte. Devant eux un camion-remorque contre-braque et zigzague à reculons.La remorque part en travers.

    « Zusmarshausen. Je ne sais pas prononcer ce nom. Arrigo se paie ma tête. Sapins. Moins seize. Ça dérape. Sur le plateau j’aperçois les premiers chasse-neige. Le premier gros sel gris.

    Nastassia appelle :

    « Arrigo ! Arrigo ! »

    Arrigo ne répond pas. Il pense en allemand.

    Le froid descend malgré le jour. Il ne neige plus. Nastassia se souvient confusément du chuintement du radiateur, sous les tentures du motel. Nastassia serre ses deux poings dans ses deux gants. À mesure que ses bronches se bloquent, elle entend près d’elle Arrigo respirer plus profondément, enfoui dans sa Germanie.

    Nastassia ferme les yeux.

    Ses cils brûlent. Elle tremble.

    - Kannitzferstehn – tu peux pas comprendre – une langue dure comme une lame, les joues d’Arrigo dures comme un rasoir.

    Le ciel gris.

    Le peu de jour qui est passé.

    À Salzbourg il est quinze heures. La lumière baisse. À l’abri, sous les portiques, un thermomètre indique – 18. Les douaniers se penchent :

    - Rien à déclarer ?

    Un officier ricane :

    « Französisch Bazaar ».

    Les deux doigts à la visière.

    Salzbourg se rapproche. Arrigo ne manifeste aucun étonnement . Un petit homme ouvre la portière. Il ressemble à Charlot, trait pour trait. Il baragouine avec conviction. Arrigo veut l’aider à porter les valises. Charlot refuse.

    « Nous sommes dans un palace.

    Le petit sexagénaire chaplinien gravit l’escalier en heurtant les valises qu’il dépose au seuil de la chambre en plein monologue.

    « Je vois des dorures, des plafonds immenses. Arrigo veut refermer la porte – le petit homme est toujours là.

    - Vielleicht sol ich Ihnen etwas geben ? Peut-être dois-je vous donner quelque chose ?

    - Jawohl ! répond le petit homme avec solennité.

    ...Arrigo se jette sur le lit tout habillé :

    « Lis-moi du Claudel.

    - En allemand ?

    - En français.

    Le froid glisse sous les doubles-fenêtres. La neige s’est remise à tomber, et, dans la nuit, il tonne, des éclairs bavent entre les flocons.

    Nastassia, épouse d’ARRIGO, note ses impressions :

    « Nous sommes sortis dans les rues. Il fait si froid que nous devons alternativement

    «  fourrer une main dans une poche, frotter notre nez ; main droite, main gauche.

    « Nous contournons la cathédrale par le nord à travers une place glacée, l’orage vire « lentement, nous suivons une pente raide tout au long de la falaise.

    «  À même le roc de la Citadelle un panneau métallique aveuglé de néon :

    « E R O S C E N T E R »

    - C’est ça que tu veux visiter à Salzbourg ?

    «  Je sais qu’il va répondre : « Oui, les putes ».

    « Il répond : « Oui, les putes ».

    « Deux maisons à angle droit s’engagent sous les rocs. De grandes femmes tristes font des signes. « La plus âgée parle français. Arrigo disparaît au premier. On m’apporte des triangles de fromage

    « cuit, de marque « Edelweiss ». J’ai bien changé, oui, bien changé.

    « J’obtiens de l’eau. Je grimpe l’escalier sous les cris allemands – je suis poursuivie. Je «  pousse une porte, Arrigo est de dos, tout habillé. Je vois qu’il fume. Trois prostituées nues

    «prennent des poses qu’il leur indique en tudesque. La taulière est montée derrière moi. Arrigo se « retourne d’une pièce :

    - Je ne les touche pas.

    - Je ne t’ai rien demandé.

    « Il leur dit de s’embrasser. Elles s’embrassent/ D’écarter les jambes. Etc. La taulière dit : «Il a payé ». Je réponds : « Ça suffit ».

    Retour à l’hôtel. Le petit Charlot nous refuse l’entrée : « Il est déjà dix heures ». Nous lui donnons 25 öS.

    « Lis-moi du Claudel.

    « Dans le réfrigérateur nous trouvons du Sekt, des triangles « Edelweiss », du bourbon. « Du tokay. Arrigo me parle en dialecte, je fais observer qu’en Autriche on ne parle pas si raide. « Dans la salle d’eau la baignoire est verte et les parois vert et or. L’étroitesse de la « pièce donne au plafond une hauteur obsédante.

    « Nous prenons le dîner au rez-de-chaussée. Personne ne s’aperçoit que nous sommes « ivres.  

    « Clientèle polyglotte.

    « Un télégramme sur un plateau d’argent :

    « PÈRE DÉCÉDÉ »

    Nous remontons immédiatement dans notre chambre. Arrigo se montre fébrile :

    - Pas question de rebrousser chemin.

    « Il ajoute :

    - C’est un piège.

     

    « Sur-le-champ je dois improviser une oraison funèbre. Elle n’est jamais assez « élogieuse, jamais assez sobre…

    « J’ai connu le père d’Arrigo : un homme grand, ridé, qui parlait du nez. C’était un ostréiculteur. Ses seuls voyages : Marennes, Arcachon. Il entretint toute sa vie des polémiques avec « les savants ses confrères : allemands, hollandais, anglais. Des lettres d’insultes en toutes les « langues.

    - Retravaille la péroraison, dit Arrigo. Et puis, apprends l’allemand.

    - Hai dimenticato l’italiano ?

    - Je ne veux plus entendre cette langue de portefaix.

    - Je te traite de con, en français. »

    « Le discours est achevé/ Il reste du gin. Arrigo vomit dans la baignoire :

    - Pour ce prix-là on peut tout saloper.

    - Je ne suis pas d’accord.

    Le lendemain la note s’élève à öS 1200. Arrigo comprend 120. Grimace du caissier. Grimace « d’Arrigo en flagrant délit d’oubli de langue. Le caissier nous toise mit Arroganz.

    « Vienne est encore loin. Le ciel s’est dégagé. Moins treize à quatorze heures quinze. « Nos haltes se multiplient. La radio de bord hurle, sirupeuse.Nous écumons toutes les stations-service. Café, café. Les clients s’expriment avec mesure : ils sont ivres.

    « À seize heures, la forêt, la pente, la neige au sol ; les coups de vent sur les viaducs, la sensation de rouler au sommet d’un ballon qui se dérobe.

    « La taïga.

    « Puis la route qui se creuse, les talus dénudés, frangés de toupets de sapins, la route qui redescend, les remblais qui s’espacent – soudain, une meule lumineuse de fils tissés, entrecroisés, saupoudrés d’un fouillis d’éclats, comme un ciel reversé en contrebas : Vienne, illuminée, dédalique, arachnéenne et déliée – svastika déglinguée - Rosenhügel dit Arrigo.

     

    XI

     

    À présent Roswitha, 68 ans, reprend la parole

     

    ...H’ai appris sur Arrigo de certaines précisions.

    Il tiendrait un « Emploi du temps ».

    Nastassia m’écrit :

    « Je t’en apporte un exemplaire ».

    Il en change à peu près chaque mois :

    « Mercredi 18h : Lecture. 18h.26 : Correspondance. 18H 53 : W.C. »

    - Fait-il l’amour à heures fixes ?

    Nastassia l’en soupçonne.

    J’ai l’idée de fabriquer à mon tour, moi, Roswitha, un « Emploi du temps ».

     

     

     

    XII

     

    Arrigo, terroriste au service du R.O.S.W.I.T.H.A

     

    Il dit :

    « Je suis convoqué au 26e étage de la Tour de Verre Circulaire.

    « Il y a des barrages aux 10e et 20e étages.

    - Même les chefs d’État se font contrôler, M. Sartini.

    « Le Bureau, pour me recevoir, adopte la position de « tir groupé ».

    «  Il y a :

    El-Hawk, Seisset, Laloc, Roïski.

    « El-Hawk » (« le Faucon ») me fixe par dessous ses lunettes. Ses phalanges craquent.

    « Seisset le Français porte une monture en or et la moustache en brosse oxygénée.

    « Les mots sortent tout ronds de sa bouche étroite et rose.

    « Laloc est basané, Roïski myope.

    « Ils devront tous disparaître.

    «Il faut toujours éliminer le plus de personnes possibles avant de vivre.

    « P.S. : J’espère tout de même vivre quelque chose de bien plus exaltant qu’une stupide histoire d’ « espionnage »!Hi hi !

    - Vos responsabilités (disent-ils) sont écrasantes. Nous vous fourniront la Liste, l’Arme et l’Alibi ».

    « On me fournit aussi une villa badigeonnée de jaune au fond d’une cour d’auberge.

    « Au premier », dit mon guide, « un nid conjugal : immense cuisine, mansardée chambre, une quantitude de recoins et le palier interne sur mezzanine. Téléphone, balustrade en bois clair ».

    Nastassia, brune, compagne d’ARRIGO, parle de « chrysalide qui s’enterre », en effet :

    - les murs sont profonds

    - les fenêtres creuses

    - au milieu du jour, il faut l’électricité

    - les clématites obscurcissent les vitres

    - etc.

    ...  « Suprême raffinement » (dit le guide) : « une grille différente ferme chaque fenêtre, avec une serrure différente, prête à bondir d’un angle à l’autre sur ses losanges de ferraille coulissante.

     

     

     

    Arrigo,

     

     

    Arrigo, époux de Nastassia, continue d’écrire :

     

    « Su nous

     

    « Si nous étions frère et sœur, nous ôterions nos organes génitaux pour la nuit. Nous les enfermerions sous plastique dans un tiroir de table de chevet.

     

     

    « La moquette du premier étage répand, sur toute sa surface, une moiteur magnétique.

    « Les motifs du papier peint sont d’horribles gros yeux empilés.

     

    Nastassia, brune, épouse d’Arrigo, prend la parole

     

    « Le premier soir « de la villa », une puanteur précise nous guide vers le four, où pourrissait dans un pot jaune – un ragoût de vieux bœuf.

    « J’ai descendu l’escalier de bois en tenant les deux anses à bout de bras, l’estomac chaviré. Tout a disparu corps et biens dans la poubelle de l’auberge. J’ai respiré sous le ciel noir, observé le bâtiment du Heuriger, c’est ainsi qu’on nomme les auberges de ce pays.

     

    « Le hangar de bois faisant suite à l’auberge, vers nous, vers notre « villa », ; bruissait de lumières comme un Boeing aptère où flageolaient des ombres d’incendie. J’écoutais le violon, le hautbois, la caisse claire. J’écoutais cogner les poings et les culs de chopes, et le micro gras où les lettres « p » tapaient comme des pouf de tambours.

    « Quand la baie s’est ouverte entre les planches, j’ai vu l’orchestre courbé, tordu sur ses instruments.

    HOY ! HOY !

     

     

    - hurlait la noce - ma parole ! Moi même, Nastassia, je criais avec eux comme des chiens ».

    Nastassia – dit le narrateur – a remonté le perron vers chez elle, perron couvert de feuilles recroquevillées, frisées, par le gel.