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der grüne Affe - Page 46

  • AUF REISE NACH BELGIEN

    C O L L I G N O N

     

    A U F R E I S E N A C H B E L G I E N

     

    LE V O Y A G E E N B E L G I Q U E

     

    Auteurs de Merde

     

     

    J’écris couché sur un chemin.

    Je suppose que c’est interdit

     

    BERGERAC – ARGENTON

    D’abord la voix du Père.

    Il est curieux de retrouver ainsi la voix de son père, dans cette allée de St-Florent-le-Jeune. Sa voix. Je ne la reconnais pas (sauf à certaines inflexions) (rauques).

    Je reconnais aussi ces scrupules d’instituteur, qui détache les syllabes, qui estime indispensable de lire à haute voix un « mode d’emploi » en tête de bande magnétique.

    Un enfant comprendrait cela en cinq minutes.

    La voix restitue toute une ambiance.

    Je par-le dis-tinc-te-ment devant le micro.

    Il s’est modelé sur la prononciation de « L’allemand sans peine ».

    Il refuse toute connaissance, même élémentaire, de la langue britannique.

    « Start » prononcé « star »

    « Rewind » prononcé « revinnd ».

     

    Je conserve ce document.

     

    Plus loin :

    Mon père a cru tout effacer mais l’on entend le bruit du moteur, et Sonia, à travers sa main à lui.

    Comme un cœur.

    Je n’entend ma petite Sonia qu’à travers ce moulinage forcené.

     

    Les premiers mots prononcés par ma voix, après celle de mon père :

    « Je n’ai rien à dire ».

    (sur la bande j’entends ma mère : ses savates qui traînent). La veille au soir j’ai vu ma vie : un volumineux album de bandes dessinées.

    Tout ce que j’ai pensé, tout ce que je dirai, dans des petites bulles, et que je peux lire.

    Les pages de l’avenir s’imprimeront au fur et à mesure.

    Que se passera-t-il si je consulte le volume à l’heure même où je suis ?

    Ou si reviens me lire juste après l’action, pour vérifier à chaud ce que j’ai pensé ?

     

    Je me souviens des choses effacées.

    Elles disent, à peu près – que je vais survivre.

     

    Je suis celui qui fait l’album.

    Les uns sont immortels, les autres non.

     

    *

     

    Pouvoir thérapeutique du voyage ? - plutôt ce profond malaise, ce broiement sourd

    du moteur en marche au sein duquel reposent les mots enregistrés.

    L’homme aux semelles de vent – modeste aux semelles de pneus -

    Grégarité : ceux qui s’installent dans le champ, juste et précisément dans mon allée Notre envoyé spécial au Tour de France – il n’y a plus de thérapie au numéro que vous avez demandé c’est toi-même que tu fuis etc.

     

    Un vagabond (à cheveux longs) viendrait chez nous, se prendrait pour nous d’une affection subite et débordante, puis ils s’installeront, demandent à garder l’enfant, à parler

    le-dia-logue ! Le-dia-logue !

    Plus avare de dialogue que de fric

    Je préfère le vrai voleur, le franc voleur qui ne parle pas.

    Lorsque je rends visite, je pars à l’heure prédite, à la minute près, quand je baise je garde ma montre.

    Le vagabond vient à dix heures, à 18h30 il est toujours là je vous éviterai toujours

    Pour l’amour venez dans mon antre de telle à telle heure aucune femme ne viendrait elle à qui quatre doigts suffisent Le vagabond dit sous son bec-de-lièvre

    « Si je dérange tu préviens

    - Tu es le cinquième de ce mois

    Mon épouse et moi sommes des bourgeois.

     

    "

    Dès que possible je m’arrête. Qu’il pleuve ou en rase campagne. Je travaillerai sans sortir. Le voyageur extrait ses documents, consulte son Emploi du Temps, il vit selon lui. Ses lectures le mènent chez Saint-John P.

    - Je maudis Saint-John Perse. « Parole de vivant ! » disait ce riche. « Balayez tous les livres ! » - auteur, auteur, le livre est plus sacré que le sang et la peau. Le Voyageur du Temps gifle à toute volée le primitif de l’an Dix Mille qui lui montre, sur une étagère, quatre livres en lambeaux.

    Il le gifle.

    Autre exemple :

    Soit un manœuvre. Il a roulé tout le matin des câbles sur un gros tambour. Il a en lui le vide des brutes.Il se plaint à midi du repas trop long, commente son dernier rouleau, évoque la manière dont il poussera le prochain : angle d’attaque,économie des forces…

    Il s’est fait expliquer Racine sur les marches du Muséum. Il éprouvait comme un reproche son absence de diplôme. J’aimais sa tête dure, sa façon de se mettre en boule, son aboiement perpétuel, sa corrosion, son rire.

    Il écrivait mal. Il cessa. Sa femme lui disait C’est l’écriture ou moi !

    C’est la condition humaine que tu nies ô femme de B., manœuvre. Et je lui disais moi, au manœuvre :

    « Un jour nous manifesterons contre la mort A BAS LA MORT sur les banderoles » et l’ouvrier B. riait avec moi de ceux qui patiemment comme lui-même empilaient les mots et les virgules : « Du haut de ces littératures... »

    Ou bien :

    « Le vent jette à la mer les vains feuillets de l’homme » - non, Saint-John le Riche, car Pharaon revit sitôt que tu redis son nom. Bibliothèques niches en étagères vos hypogées exigent l’attentat supplient après le viol : "Versez, versez le sang aux ombres d'Odysseus. Dieu ne reviendra pas juger les vivants et les morts je suis fier de faire partie de ce canular.

    Je lance en plein jour des appels de phare - pas de flics - faire l'important "Une nuit me rejoignit la fille de l'hôtelier" - depuis combien de temps ? ...passé à "Charriéras" où nous lirions l'histoire d'un homme qui porterait ce nom...

     

    *

     

    Eviter de montrer de la reconnaissance. Les dons des autres ne sont qu'une contrepartie à l'emmerdement qu'ils dégagent. Variante au Contrat social : chacun voyant avec horreur l'existence d'autrui conçut par là celle qu'il inspirait lui-même, et voulut s'en racheter par des offrandes : du pain, du lait. En retour il obtint du beurre, des fruits, de la viande. Ou de l'affection. De la guerre. Ainsi, et non autrement, naquirent les rapports sociaux.

    ...La tête qu'ils feront, les Autres, un jour, en se découvrant !

    Un jour nous flemmarderons en attendant la mort.

    Déplaisante intuition en lisant Rousseau : sitôt que l'on a reconnu ses torts, quelle fête pour les autres de vous accabler !...

     

    *

     

    Un jour, le sexe gisant sous toute chose se fit débusquer, nu, sans démonerie, et le beau Verbe vagabond reparut comme le feu qui couve. L'homme dit : Je reproche à la femme (...) - ses onanismes, dont nous la sauverions avec condescendance, et npsu n'éprouverions aucun plaisir, et comme un homme me suivait de près, j'ai décroché de mon tableau de bord un micro, afin qu'il se laissât distancer. Le magnétophone enregistre tous nos écarts, nous lui décrivons, faute de les transmettre, les parfums que nous sentons, "et le cul de cerFF blanc d’un chien haut sur pattes au galop ».

    Beauté sauvage des jeunes hommes à cyclomoteur.

    De St-Jean à Thiviers par St-Jory. Swann et Guermantes. Ma voix déplorable : « dans quelle mesure une attitude consciente est-elle une attitude vraie ? » La réponse est : « une attitude ».

    Masturbation intellectuelle.

    « Il se masturbe au volant : un mort » - « il se branle au volant et meurt » - j’hésite. Sans repère ici. Personne. Pas d’auto-stoppeur. Auto-stoppeuse ? tout faussé ; exemple :

    « Je vous prends à bord. Sinon vous feriez de mauvaises rencontres » - elle, dubitative.

    Variante : « Je n’avais pas vu que vous étiez une femme - au revoir  - (un soir je descendais le cours de l’Intendance, suivant une silhouette à longs cheveux blonds – merde une femme – je l’ai sorti ainsi devant elle après l’avoir doublée – son rengorgement digne m’occupe encore. Je dis :

    « Les auto-stoppeuses méprisent ceux qui les acceptent, car elle sont bien décidées à ne rien accepter » - un médecin peu soigner un désargenté, mais à celle qui peut payer, qui ne veut rien donner, il doit refuser ». Le cul des femmes est leur monnaie. Délire. Évaluer les villes en fonction des capacités bordelières. Limoges. Ou la main seule, comme elles font toutes. Cosi fan tutte. « Hôtel du Commerce et des Voyageurs » à Thiviers, pas de putes, les cloches au matin, l’ « impasse de Tombouctou ».

     

    * * * * * * * *

     

    Plaisir simple glisser dans l’ombre à petite vitesse, sans autre pensée que roues et jeux de bielles. Trajet somnambule. Branches. Ne pas aimer. Rester naturel. Ce dix juillet 1976, joué de l’harmonium à Oradour-sur-Vayres. Transporté l’enregistrement ers le nord, aux environs de Béthune parmi les chaumes, sur fond d’autoroute au soleil couché ; entre les arbres au ras de l’horizon, ultime éclat du ciel formant soucoupe, très effilée.

    Notre-Dame de… :

    « Je vous demande de vivre en état de perpétuelle exaltation. D’aimer, de trouver toutes mes actions extraordinaires, sans prétention de contrepartie. Que ce vœu soit exaucé ».

    Notre-Dame de la Perpétuelle Exaltation…

    *

    Oradour-sur-Glane n’est signalé que 10km à l’avance.

    Le guide pleure dans sa casquette : « Dans toute l’histoire de l’humanité... » - cherche bien, guide : cathédrale d’Urfa, Noël 1895 : mille deux cents Kurdes…

    Inscription sur un volet (photographie d’époque) : Fünfzig Mann – invariable, pour « cinquante hommes de troupe » ; il est donc inexact d’écrire que les bourreaux, dans leur mauvaise conscience, ont oublié de former le pluriel Männer. Apprenez l’allemand. Je ne défends aucune barbarie, je dis : « apprenez l’allemand ».

    Je me sens mal à l’aise. Mon corps se voûte. Mes coins de bouche s’abaissent. J’entends : « C’en est un, regarde, c’est un Allemand. »

    Soleil trop lumineux, trop propre. C’est les vacances. Les ressuscités se promènent. « Recueillez-vous » - « Recueillez-vous ». Au cimetière, je fais les calculs : morts d’Avant, morts d’Après.

    Quatre-vingt dix ans après sa naissance :

    MANIERAS dit SIMON né à Oradour le 10-7-1877

    époux de Marie Gautier, Léonie Baudif

    Ancien conseiller municipal d’O./Glane

    Ancien garde-chasse et pêche, régisseur pendant vingt ans, assermenté

    A reçu trois actes de probité pour avoir trouvé de fortes sommes.

    À l’âge de 67 ans a pris un engagement dans la milice patriotique comme caporal.

    Il a été bon père et bon époux, a su garder l’estime de tous, passant priez pour nous,

    au revoir à tous et merci, c’est Maniéras dit Simon qui vous cause.

    « Milice » ?

    À part les enfants vivants, je vois parfois de belles têtes d’idiots. Les photos des morts rongées par le temps finissent par ressembler à des crânes.

    Au mémorial souterrain, je me laisse émouvoir par les encriers de l’école. Ici, une résonance particulière donne aux voix le ton d’une prière ou d’un gémissement. Je sens les pieds, la sueur (des autres…).

    Des Noirs pètent.

    *

    Bellac. Panneaux « Paris ». Pauvres cons. (Près de Créon (Gironde) cet autre panneau « Espagne ! Pyrénées ! »)

    Celui qui a institué les congés payés aurait dû les assortir d’une interdiction de partir en vacances.

    Je fais du tourisme.

    Je t’en foutrais du bonheur pour tous.

    Du tourisme…

    Non mais.

    *

    Visage crispé.

    Les gens se paient ma tête.

    Se foutent de ma gueule.

    C’est plus commode.

    J’ai cinquante ans d’âme.

    ...Arrivée à Bellac.

    Je ne prie pas à la Collégiale. Je ne veux prier que moi. Bellac ressemble à ses prospectus. Même la libraire se fout de ma gueule. Même quand je souris. Plus loin :

    « Mon Dieu, que fait votre main dans ma culotte ?

    - Ça te changera de la tienne.

    *

    Tous les petits chemins possèdent une personnalité, une Belle au Bois qui n’attendait que vos pieds – comme à Monmadalès – sentier détrempé.

    J’écrase un papillon.

    Occidental au torse halé que je croise, qui te pousse, qui te force ? ...des moules et pis des frites et du vin de Moselle… nous habitons plus haut, les Belges sont des ventres d’égotisme, grand-maman de mon père – du belge dans mon sang.

    *

    Sur bande magnétique, je prends des poses. J’imagine que je parle, qu’on m’interroge, avec mon accent belge, je me récoute encore, enfant je me croyais coupable outre mesure et demandais pardon le soir à mes parents à travers le mur, ils me l’accordaient, dans une gêne extrême.

    Bien fait.

    Mon père :

    « La paix ! Je veux la paix. »

    Le canal de l’Édipe est bordé de bouleaux bien droits. Recherche d’un hôtel. Mon physique se dégrade de kilomètre en kilomètre. Ils ne m’accepteront plus. Demain, à Milly, se recueillir sur la dalle de Jean Cocteau. Son âme jadis m’a parlé, par le pinceau du phare à Cap-Ferrat, voici dix ans.

    Nom de Dieu dix ans.

    Nom de Dieu vingt ans.

    Il se prend des poses. Il demande ses routes. Les vieux croient qu’on se moque d’eux. Bien maîtriser ses expressions. Ses sourires sont mielleux car il se met à la portée des incultes. Cependant ne pas effrayer les gens simples.

    .La conscience de sa culture est la pire des incultures.

    Croisant un automobiliste, il fait blublublubb en tournant ses deux pouces sur les tempes.

    Conne de pucelle qui se branle sur sa selle à vélo.

    Les vieux entre deux cuites, les filles entre deux branles et un clocher casqué comme un archer godon, deux meurtrières aux yeux très rapprochés à la racine : St-Georges-des-Landes.

    Au bal d’Argenton-sur-Creuse

    J’ai rencontré un’ femme soûle

    Je l’ai fort bien consoûlée

    Lui ai fait la charité

    J’approche des frontières du Berry : je retiens mon souffle.

    Myope au point de klaxonner au milieu de la route une merde,pour la faire envoler.

    Voici la frontière entre 87 et Indre. Mon cœur bat. Instant dédié à tous ceux qui passent la frontière grecque en disant passe-moi le saucisson. Et cette haine passionnée des jeunes filles. Elle le font toutes. Au moins quatre fois par semaine,

    « Douze » rectifie-t-elle.

     

    Onze juillet 2023 Nouveau Style – ARGENTON-SUR-CREUSE / PRÈS PUISEAUX

     

    L’ennui sédimenté. Même en voyage. L’imprévu catalogué. Dès le matin. Parfois l’hôtel parfois la belle étoile : quelle aventure ! à l’hôtel on peut lire le soir.

    La route est républicaine.

    La route est égalitaire.

    Le cloporte aussi a le droit de voyager.

    Sur sa route il rencontre son infinité d’humains.

    Il jalouse les femmes qui ne baisent guère ou pas. Il engueule les hommes si ternes, stupides et sans espoir – vitres remontées.

    La route est un long ruban

    Qui défile qui défile

    Et se perd à l’infini

    Loin des villes loin des villes francis lemarque

    Et en forêt de Châteauroux PROPRIÉTÉ PRIVÉE de dessert vengeance vengeance

    une route où rien ne passe où rien ne se passe entre les haies, marcher marchons sans nous mouvoir sur le tapis roulant station Les Halles Plaine de Krasnodarsk puis une ferme au bout d’un champ d’éteules terre d’une pièce comme au Nord, qui monte, monte

    Demi-tour ALLÉE PRIVÉE

    Un papillon se bourre aux senteurs de foin

    Des prunelles me sèchent la bouche siccativo-buccales

    Je n’irai pas dans ton allée

    Qui mieux que moi respecte la loi

    Au moindre aboi de chien tu trembles

    Si un jour fusil au poing un assassines

    L’HUMILIATION SURTOUT L’HUMILIATION

    Fait-divers j’épargne sous mon pied le scarabée je fais parler le Châtelain

    Mon ami je vous ai engagé garde-chasse

    Gardez que nul ne pénètre céans

    Nous nous verrons pour instructions à prime sonnée

    Que ce soit tout

    Nous prendrons les distances ne pas oublier:Toute pensée qui vagabonde est un instant de travaillais

    La route rebondit sur ce toit barrant l’horizonjeune homme doré court en short, il est souple je double une foison de Mobylettes et si c’était mon frère nous transpirerions ensemble, comment, Monsieur de Montherlant était-on jeune en VINGT-QUATRE en TRENTE soyons sérieux cela ne se peut pas vous êtes tous devenus vieux je resterai jeune je n’ai jamais été jeunesse Voici des ombres Voici des oiseaux Tout paysage en état d’imminence (une route, une tête, toujours il doit s’y passer quelque chose – il ne s’y passe jamais rien – les souvenirs un jour monteront à l’assaut avec leur densité de choses je crée dans mon futur passé je croise un hobereau à tête noire rasée.

    Parfois seulement la rambarde s’incurve, départ de sentier, Propriété Privée plus on en tue plus il en pousse Que de promiscuité Châteauroux Arrivée Ville Fleurie

     

    X

     

    Bientôt le voyage n’agira plus. Terrible maladie de tête vide quand on ne lit plus, la faim, les fourmis.

    « Privé » - « Privé » - « Chasse » - « Chiens » - « Gibier »

    Je lis sur le dos le ciel entre les branches. Ikor est un auteur naïf. Le petit bois miteux. Les orties brûlées de sécheresse.

    « L’herbe dans le sous-bois ressemble à du fumier »

    (Hugo)

    (« ...mais où le promeneur cherche en vain le purin »

    Jour après jour je m’allonge, et c’est un baume, un chaos gris, des chips, le champ de maïs. Ne croyez pas les physiciens nous employons le tout de nos cerveaux pourquoi sinon tant de crétins pour un génie ? n’est-on que ce que l’on vous dit de faire merde les vaches ont trouvé le chocolat mais j’ai toujours de quoi lire ! écrire mais rien ne vaut le petit bureau La Mort du Loup Maine-Girault

  • ARTICLES

     

    C O L L I G N O N

    A R T I C L E S

    É D I T I O N S D U T I R O I R

    Semper clausus

     

    ÉCRIRE ET ÉDITER Février-Mars 2049 LE SINGE VERT , BRÛLE LES PLANCHES

     

    Monsieur Grybouxe,

    Vous me demandez à quel titre vous recevez le Singe vert. Air connu. Je pourrais vous répondre que c'est comme ça, publicitaire. Mais ici vous êtes personnellement visé, mon cher. Vous êtes en effet auteur dramatique. Et franchement, regardez-moi bien dans les yeux, sans rougir : vous ne vous sentez pas un peu, un tantinet gêné, juste un peu à peine, de lire parmi la foule en délire la belle banderole du Théâtre Bordel, l'affiche de la saison de l'année ?

     

    * * *

     

    "Euripide, Claudel, Grybouxe- Corneille et Beckett" ? Ça ne vous choque pas quelque part ? Vous pouvez toujours mettre un pied devant l'autre, avec vos chevilles enflées jusqu'aux couilles ? "M.Grybouxe, hauteur dramatique". Moi non plus, certes ! , je ne me prends pas pour de la Scheiße, mais franchement, là j'aurais ressenti comme une insulte. Qui pourrait penser que je m'estimasse suffisamment niais, sufisamment retors, suffisamment pucelle, pour tolérer que mon nom figurât LÀ, en si prestigieuse compagnie ? Ou alors (car j'ai ma bonne dose d'hypocrisie moi aussi) en petits caractères en bas à droite, pour que ça se détache mieux, que ça fasse bien ressortir mon ignominie minuscule ?

    Et que ça se permet en plus de faire une petite conférence modestissime sur "Grybouxe réunira ses amis et ceux qui l'apprécient sans le connaître, son œuvre et son – attention ne pétez pas s'il vous plaît – son UNIVERS ? Et moi alors, je n'en ai pas un non plus peut-être d'Univers avec mes 30 volumes dans le placard ? Et ça laisse répandre sur son nom qu'"il est la modestie et la gentillesse incarnées " ? Et cet autre qui écrire,héâtre,colèrelaisse imprimer dans sa préface qu'il est modeste ? Mais j'ai

    le sens du ridicule Môssieu, j'ai la dignité de mon ridicule, moi, et si quelque thuriféraire poisseux venait à préfacer Mon Œuvre en faisant allusion à ma modestie, je l'attaquerais en diffamation (si j'avais le pognon) mais je ne tolérerais pas qu'un ami me foute le pavé de l'ours à la gueule ( - C'est quoi, le pavé de l'ours ? - Ta gueule, va faire du rap).

    Et que je t'intrigue dans le torchon local, et que je te dégomme une interview dans Bordel-Chieronde, et que cet autre encore fasse sa conférence (encore) sur le thème de l'exclusion et de l'exil, parce que le mot exclusion figure à la page 44 et que tout écrivain vit métaphoriquement en exil... Je vous le répète, il n'y a que les intrigants, que dis-je, les adaptés en société, les gens

    normaux, les gens comme tout le monde qui se font éditer et connaître. Il vendraient des frites ou des capotes en argile (en glaise, waf waf !) que ce serait idem.

     

    * * *

     

    Mort aux faibles, on vous dit. Bien sûr que j'aimerais aussi faire des ronds de jambe sans me casser la gueule, ou bien simplement civilisé en Société, le beurre et l'argent du beurre, mais la logique je l'emmerde, dès que je l'ouvre c'est pour dire une connerie, on me l'dit depuis tout petit ! (remarquez, certains ont l'air con sans même ouvrir la bouche...).

    Marius, le grand général romain ( - C'est qui, ce con ? - Ta gueule, va faire du reggae) n'ayant pu se faire accepter par la noblesse se tourna vers le côté populaire. Le Singe Vert pareil. Putain tu viens encore de fausser la glace...

     

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Août – Septembre 2049 LE SINGE VERT ET LE BON DIEU PASSE 4

     

     

     

    Pour faire une bonne dame patronesse... chantait Jacques Brel. Et pour faire un bon écrivain à succès, que faut-il ? Caleçon les bons ingrédients ? Je vais vous le dire : il faut être Dieu. Carrément, c'est-à-dire comme chacun sait (il me le disait encore l'autre jour) le point d'intersection où les contraires se résolvent, s'annulent.

    Tout à la fois être superbon et superdégueulasse. Non pas travailler avec acharnement dans son coin, comme essayent de nous le faire croire tous ceux qui veulent engluer les éternels puceaux que nous sommes – "Dix conseils pour éditer", c'est de qui cette rubrique à la con ? Ni "avoir de la chance", ce qui est une explication de mes couilles (le Singe Vert, c'est comme Bigard : c'est pas drôle mais le seul procédé comique consiste à se demander quand est-ce qu'il va enfin lâcher ses couilles ; à ce moment-là toutes les mémés rigolent et c'est parti) du style pourquoi le pavot fait-il dormir – parce qu'il a une vertu dormitive... voilà ce qu'on enseignait en faculté au Moyen Âge, lecteur : la vertu dormitive du pavot – beau titre, d'ailleurs...

     

    X

     

    Non. Il faut pour réussir aimer les gens, passionnément, se fendre en épanchements (ça c'est du Joseph Prudhomme), larmoyer sur l'extraordinaire nature humaine, aimer la vie, les femmes, les cacahuètes et remercier Dieu tous les jours d'exister, le cœur sur la main et la main dans le portefeuille. Et puis constituer autour de soi une petite camarilla. Dire toujours du bien de soi, comme le conseillait Marcel Achard, parce qu'après ça vous revient et qu'on ne sait plus de qui c'est parti.

    Et un petit peu de La Bruyère tant qu'on y est : "Le talent, la vertu, le mérite ? Bah ! soyez d'une coterie." On peut la fabriquer soi-même avec plusieurs spécialistes d'ascenseur. Signature à Paris (le pied-à-terre à Paris est ri-gou-reu-se-ment indispensable) : Oh bonjour Michtroume, comment ça boume ? J'ai lu ta fable, c'est formidable ! Salut Dubreuil, j'ai lu ton recueil, c'est formideuil ! Ave Troudük, j'au lu ton truc, c'est majuscule ! - à grand renfort de moulinets de bras.

    Et par derrière, mon vieux, il faut coucher utile, politiquer utile, se faire des relations utiles ET sincères, perversion suprême exactement semblable à celle des putes qui se mélangent tellement les pinceaux, les pauvres, qu'elles s'imaginent être aimées à proportion de l'argent qu'elles reçoivent...

    Et balancer impitoyablement les gêneurs, les anciennes connaissances, bien leur faire

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Août – Septembre 2049 LE SINGE VERT ET LE BON DIEU PASSE 5

     

     

     

    comprendre qu'un tel "ne correspond plus à l'esprit de la boîte", mais sans lui duire pourquoi surtout, de sorte qu'il se ronge bien jusqu'à l'os d'autocritique, façon Inquisition, façon Staline : mais qu'est-ce que j'ai bien pu foutre ? Bref, tu dois être un parfait ami de l'homme, à t'embuer lesyeux devant la moindre salade de fruits jolie-jolie-jolie, "une si merveilleuse sensibilité humaine !" et, EN MÊME TEMPS, le plus sincèrement, le plus innocemment, le plus inconsciemment du monde, être le plus parfait des salauds froids.

    C'est pourquoi, en vérité, je vous le dis, pour devenir écrivain (peintre, musicien) à succès, il faut retenir et résoudre à la fois en soi tous les contradictoires, c'est-à-dire être marqué du Signe de Dieu, du Signe Prédestiné de la Gloire de Dieu, ÊTRE Dieu. Sous ce signe tu vaincras. Amen.

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Décembre-Janvier 2051 PRÉFÈRE LE SPLEEN À L'IDÉAL

     

     

     

    Il n'y a pas (y a-t-il ?) de sottes lectures ? Le cadre professionnel d'une constante remise à jour – la lecture perpétuelle étant à l 'enseignement (mon métier defainéant) ce que la barre est à la danse – m'amène à découvrir un texte de Sartre sur Baudelaire. Un peu tard "dira quelque sage cervelle" (La Fontaine) mais "la chair est triste, hélas ! Et j[e n]'ai [pas] lu tous les livres".

    J'en profite, tirant tous azimuts, pour clore la gueule à ce ponte qui me prédisait les pires remords sur mon lit d'agonie pour ne m'être occupé, ma vie dupont, que du passé, alors que SKISFÈMAINTENANT a tellement plus d'importance...

    Le passé n'est pas mort... Et j'en apprends bien plus sur le monde actuel en relisant mes vieilles bibles sur la Chute du Monde Romain qu'en oyant les dépêches de FoxTV.

    Bref : Sartre sur Baudelaire, ça te concerne encore, et pour toujours, si tu n'es pas dans le casting de Nice People. Sartre, comme d'hab, se gargarise de sa petite philosophie pour classes de terminales selon laquelle chacun de nous est exactement libre et responsable de son destin : "Nous chercherions en vain une circonstance dont [Baudelaire] ne soit pleinement et lucidement responsable."

    Sur l'excellence poétique, pas un mot. D'ailleurs Flaubert lui aussi n'était qu'un sale bourgeois profiteur qui n'a pu écrire ses petites merdes démodées qu'en se faisant entretenir par sa nièce. Ho Mais ! C'est futé, Jean-Paul, c'est de goche, et sans accent circonflexe. C'est toujours le vieil air ranci, des gauchistes les plus besancenotto-puceautiers aux vieux droitiers les plus goitreux : c'est la faute à çui qui se plaint, c'est la faute à la victime. C'est la faute à Bauelaire si sa mère s'est remariée illico, syphilitique, opiomane (pas tant que ça) ; tourmenté, torturé, bafoué par les bourgeois, spleenétique, et traîné dans la boue pour immoralité (la même année que Flaubert, pour sa Bovary ; encore un qui l'avait fait exprès, pour se faire plaindre). Tout fait pour.

    Sa faute onvous dit, entièremetn sa faute ! Si les juifs etc., ils l'ont bien cherché ! Et allez donc ! "Il a (Baudelaire) refusé l'expérience, rien n'est venu du dehors le changer et il n'a rien appris" – vas-y mon pote !

     

    Parce que d'après Sartre et les sartrillons, votre expérience vous forme, tas de cons ! Vous recevez un choc C, vous devez avoir une réaction R, et plus vite que ça ! Ta femme te trompe, donc tu ne l'aimes plus ! Tu te goures, donc tu laisses tomber ! Évident !

    Enfin ! C'est quand même pas sorcier d'être libre ! Gros malin : "[l]a vérité [que] le choix libre de l’homme fait de soi-même s’identifie absolument avec ce qu’on appelle sa destinée” ! Par-dessus bord Œdipe, par-dessus bord, l’ambiguïté, par-dessus bord, l’impuissance, par-dessus bord, la différence des tempéraments ! Il faut réagir, c’est jeune, c’est obligatoire, c’est moderne, c’est tendance.

    Ça ne t’est jamais arrivé d’être paralysé, pauvre péteux, de savoir très exactement ce que tu aurais dû faire. “Je vois où est le bien, et je ne peux pas m’empêcher de faire le mal”, je ne me souviens plus si c’est Diderot qui l’aurait piqué à saint Augustin, le fils de sainte Monique, trois qui la tiennent, pour devenir un homme libre. Devenir Jean-Paul Sartre par exemple, et tout à fait par hasard ! Sartre a donc démasqué ce planqué de Baudelaire ! Alleluiah ! Il a piétiné son cadavre pour le faire entrer dans son petit cercueil à ses petites mesures philosophiques du Havre à lui, dans son lit de Procuste ! - t’occupe, va faire du rap…

    Baudelaire n’a pas su évoluer, ah le con ! Ben, si vous enconnaissez beaucoup, des cons comme Baudelaire, vous m’en remettrez une tonne, je suis preneur.

     

     

    COLLIGNON ARTICLES

    ÉCRIRE ET ÉDITER Février-Mars-Avril 2052 JUSTICE PARTOUT, JUSTICE NULLE PART 6

     

     

     

    C'est facile je vous jure de couler n'importe qui sous n'importe quel prétexte : un prof, un sauvageon, une petite entreprise fraîche et joyeuse. Vous faites valoir que les réunions se font par téléphone, vous montez en épingle les rapports tronqués avec bénéfices quasi nuls, alors que vous savez pertinemment (c'est l'éditeur lui-même qui vous le jubile) que la boîboite sort trois books par mois ; et que vous avez placé une brique dans le capital pouor que ça vous rapporte paraît-il au prorata des bénefs, pour vous ça fera zéro zloty zéro groszy fautilovski vous l'envelopper ?

    ...Sans oublier que le pauvre éditeur vachement à plaindre vous a soigneusement niqué la diffusion sans oublier de promouvoir celle des autres sans un centime de droits d'auteurs (les sept cents premiers exemplaires pour que dalle vous connaissez la chanson) TOUT EN s'offrant des voyages professionnels à Paris ou Verdun "payés par la maison" – je ne suis jamais arrivé à piger comment on peut être à la fois personnellement fauché avec une société prospère yop'là boum – faut croire qu'il y a d'étranges phénomènes de porosité tout de même, malgré les HURLEMENTS vertueux des gestionnaires – tiens t'en v'là du pognon miraculeusement surgi pour les stands au Salon du livre, pour loger les écrivains à l'hôtel – les droits d'auteur que dalle et peau de balle on t'a dit t'es sourdingue ? C'est tout de même un peu fort et si je peu me permettre – un brin mystérieux.

    Je vais t'en couler des boîtes moi, par paquets de dix. Là-dessus interviendra un baveux (avocat...) qui vous démontrera que non seulement vous n'y connaissez rien, mais que vous avez eu tort de poser la question,

     

     

  • L'Anti-Casanova

    C O L L I G N O N (FIER-CLOPORTE)

     

    L'ANTICASANOVA

    Longtemps j'ai détesté les femmes. Je ne me couchais pas de bonne heure, et je lançais de longs jets de sperme entre les draps en maudissant père et mère. Les femmes fuyaient toutes à mon approche. Tout le contraire des plats froids de Philippe S., qui les tombe toutes, et sarcastise sur leur « chiennerie » et leurs « collages » ; pas question pour moi de cracher dans la soupe, vu que j'en ai eu si peu. Je traiterai donc de ce que je ne connais pas, ou si peu.

    Quant aux rabâchages sur l'infériorité, la supériorité ou non de la couille sur l'ovaire ou vice versa, de leur égalité, complémentarité ou autres ; sur la question de savoir si la femme occupe bien dans la vie sociale ou professionnelle la place qu'elle mérite ; sur l'emploi, les salaires, les responsabilités administratives, directoriales ou politiques, je m'en contrefous : y aurait-il 52 % de femmes aux postes-clés, les choses n'en iraient probablement ni mieux ni pis - ni plus mâle.

    Rien de tout cela.

    Mon propos, c’est le comportement amoureux, ET sexuel. Pas très nouveau tout ça. Bien sûr que les femmes m’ont déçu. À la niche, le psy ! couché… « Ouais, euh, t’es pas le seul... » - ta gueule. Par les hommes aussi. Vous ne vous imaginez tout de même pas que je vais vous pondre du neuf et de l’objectif – et quoi encore… éviter le sexisme tant qu’on y est, le vulgaire, l’odieux… oui que j’oserais ! évidemment ! Ce n’est pas aujourd’hui que les gens vont me croire ! De toute façon plus moyen d’être fanatique maintenant. Plus moyen de dire quoi que ce soit sans se faire traiter de con (pourquoi pas de bites ?) Les fana font pitié aujourd’hui. Ridicules.

    Mais avec la vérité, on ne va jamais bien loin. Bien sûr que si je baisais j’aimerais mieux les femmes. Seulement, je vais vous dire un grand secret : si j’aimais mieux les femmes, je les baiserais. Il est évident, il est lapalissique, il est tautologique, que je deviendrais amoureux, féminise même, des queues j’aurais conquis un nombre de femmes assez con scie des râbles pour me sentir sûr de moi en tant que porte-couilles – mais àpartir de quel nombre de femmes ou de couilles peut-on se sentir sûr de soi comme un sanglier des Ardennes ? Je vois d’ici moutonner à l’infini (tu me chatouilles) le troupeau de culs-terreux bardés jusque dans le cul de « parallèles qualité/quantité », « hêtre ou pas hêtre » (Gotlib) – mais je me les suis déjà faits tout seul, ces trucs-là ! J’ai lu l’Abreuvoir (la Beauvoir, Boris Vian) et son Deuxième Sexe (sous l’homo plate). Adoncques les psy débarquent avec leurs pincettes et leurs grosses pelleteuses : en avant pour la mère castratrice et phallique (au moins), une homosexualité la tante, et tout un arsenal à faire spermer papa Siegmund dans sa barbe. Et voilà pourquoi vote fille est muette. Par ma barbe, nous avons d’habiles gens, et qui se paient le luxe d’avoir raison.

    Mais ça ne m’arrange pas. Pas du tout. Ça ne m’explique pas pourquoi les femmes me font chier (stade anal!), pourquoi je les fais chier (tant qu’à être dans la merde…). Ce qui veut dire qu’il me faudra me coltiner mon livre tout seul, dans l’indifférence générale. En route pour le calvaire : prêcher le vrai, en sachant que c’est faux. Plusieurs émollients s’offrent-t-à moi :

    1. a) la synthèse dite « à l’eau tiède » : les deux sexes dos à dos ou « l’infranchissable différence si enrichissante » (cf. « Les garçons et les filles » dans le Journal de Mickey »)
    2. b) « Le mieux » (dira quelque sage cervelle – j’adore cette incise de La Fontaine) « serait que des femmes intervinssent, et pourquoi pas la vôtre » (car je suis marié ne vous en déplaise) « qui vous donnerai(en)t la réplique » (sauce Platon ? non merci), « en dramatisant le discours, mais sans dramatiser n’est-ce pas » - pourquoi ne pas écrire l’histoire d’un couple tant que vous y êtes, le mien par hasard – pour des champions de l’originalité, vous vous posez là… sexe,Mickey,cervelle

    c), le plus énorme : « J’ai découvert un manuscrit... » - jouer sur le velours de la 3e personne, avec la mauvaise foi du narrateur – bof…

    Non. Je parle en mon nom.

    Sans croire un mot de ce que je dis

    Devant l’autel des lettres - La main sur la braguette - je déclare ici ma sincérité « des larmes coulent ».

    ...En garde , je baisse la visière... X

     

    Ce n’est pas une visière, c’est toute une armure. Surtout qu’on ne me reconnaisse pas – l’Anticasanova, ça se cache. Irrésistible.

    ...Alors comme ça, les femmes me détestent. Ou l’inverse. Les deux mon adjudant. Des preuves !

    D’abord, de simples constatations : ma vie passée vaudra attestation et justification. Vous voilà fixés : qui n’est pas pour moi, est contre moi. Ma rancœur, ou rien. Il aura bien fallu vingt ans pour me permettre de reconstituer l’objectivité des comportements et préparer le terrain du deuil psychanalytique : sous la pellicule, la lave à 400°.

    Trois périodes sont à distinguer dans le processus moil’nœud d’éducation pardon de démolition sentimentale. Sans remonter au-delà des pubertés (où les enfants, tant garçons que filles, m’auront rejeté, nous auront rejetés, vous auront rejetés, une belle, une magnifique inadaptation sociale originelle, dont la misogynie ultérieure ne sera qu’un montage en épingle, nous distinguerons la période tangéroise, à dispositif contraignant (1958-1962, soit de 14 à 18 ans) – dite aussi Quatorze-Dix-Huit, la période mussidanaise à dispositif libéral (1962-1966 jusqu’aux noces), et la période bordelaise, à dispositif carcéral, qui nous mène, en première rédaction, début 87. Toujours est-il que peu après mes 14 ans, je débarque à Tanger dans les bagages de mes parents. Lycée mixte, donc décontracté, filles libres à gogo, moi bloqué comme un moine. Mais sans le savoir.

    Tout de même, j’ai bien envie d’y goûter, aux filles. Bien mal m’en prend, ou je m’y prends bien mal.

    ...Lecteurs, et trices (pour les filles, le cas est tout à fait différent ; rien ne ressemble moins à une adolescence de fille qu’une adolescence de garçon) – vous avez tous, ou la plupart, tenu votre journal intime. Il ne vous serait jamais venu à l’idée, par exemple, de le laisser traîner. Moi, si. Avec la mention DÉFENSE D’OUVRIR, autrement dit « prière d’ouvrir ». Ma mère a répondu à mes attentes au-delà de toute espérance. Lisant que j’avais touché le genou de la voisine d’en face, âgée de 13ans, avec l’intention bien arrêtée de ne pas m’arrêter là, ma mère exprima bruyamment le désir de montrer ces insanités au médecin de famille « pour [m]e faire soigner ».

    Lorsque ladite voisine est revenue me visiter, elle s’est fait jeter dehors par un père déchaîné. Je me suis rabattu sur une gosse de trois ans. La fille des voisins de palier. Ni exhibition, ni pénétration. Mais quand même. Lorsqu'ils étaient absents, je consultais leur dictionnaire médical, en me branlant sur les croquis médicaux. Rien ne vaut le vif. Merci chers parents. Pour elle et pour moi. Vous aussi, vous avez cru en papa-maman ? "A ton âge, on n'est pas amoureux ! on travaille !" et aussi : "...ça rend fou !" ...ou folle...

    ...Les filles aussi... dit la rumeur... surtout les filles... Alors je m'accoudais au balcon, Anne-Betty s'accoudait au balcon, je lui voyais le cordon du slip sous la jupe vichy, et je tournais ma langue dans la bouche, "tu sais que tu ne devrais pas te... te... on ne pourrait pas le faire ensemble ? " Cela devait m'ouvrir son coeur et sa culotte. Je ne l'ai jamais dit. Sûr que j'ai raté quelque chose. "Et que ferez-vous, le jour où une jeune fille... vous serez impuissant, mon garçon, impuissant !" Merci, Docteur.

    Ce qu'on a besoin d'amour, à 15 ans, ce n'est pas croyable. On idéalise, on diabolise. Celia, Celia shits - la plus belle fille du monde va aux chiottes.

    Choeur des cons disciples :

    "Fringue-toi mieux !

    "Pas d'histoires drôles !

    "Pour draguer, y a qu'à... y a qu'à...

    "...et envoie chier tes vieux !...

    ...Il fallait vraiment que je sois con comme un tonneau pour ne pas avoir baisé comme un chef avec tous ces super-conseils ! seulement, mes rires de malade, mes clavicules au niveau des oreilles et ma gueule de catastrophe naturelle, qui est-ce qui allait me les réparer ?

    Écoutez celle-là (c'est pas vous qui trinquez, vous pouvez rigoler) : un pote sapé aux cheveux plaqués me glisse dans la poche un petit mot d'amour pas mal ficelé, pour une fille que je dois rencontrer. Moi je me pavane chez les Yappi (ce nom-là ou un autre), avec ma lettre en poche. Tous les autres sont au courant et se regardent avec apitoiement. Moi je paradais au baby-foot avant le rendez-vous. Et vous me disiez tous N’y va pas j’y suis allé. Ma môme était là, splendide, mûre, blonde, au courant de tout, « dans le jeu ». Avec bonté, avec sincérité, fallait le dépuceler ce grand niais, tu vas rire, elle m’a baratiné sur le trottoir, moi je courais à toute vitesse, de plus en plus vite !

    J’avais peur. Vous ne pouvez pas comprendre.

    Je haletais Est-ce que tu es une bonne élève bonne élève bonne élève

    sinon mon père voudra jamais je galopais les couilles en dedans elle a lâché prise on a son honneur vous ne trouvez pas ça drôle Au suivant Au suivant :

    J’entre chez ma copine Sarah parfaitement j’avais une copine mais on se touchait pas faut pas déconner On devait réviser le bac. Je trouve Sarah au lit habillée affalée bras ballants cheveux ballants qu’est-ce que tu aurais fait ?

    « Facile mon con je l’aurais redressée – nos deux bouches » e tutti quanti – Non. Non.

    Écoute Écoute – j’ai pensé ELLE EST ENDORMIE curieux non comme position ? -...elle est évanouie elle est morte je vais appeler quelqu’un alors elle s’est redressée

    Tu dormais ?

    - Non.

    - Pourquoi cette position ?

    Pas de réponse les mecs t’es con aussi c’était évident évident quoi tas de cons ça veut dire quoi « évident » ?

    Moi je m’étais forgé une théorie tout seul pour expliquer que les femmes n’avaient pas de désir, ne sentaient rien ne pensaient pas à ces choses-là.Vingt ans vingt ans durant je suis passé à côté des signaux sans les voir, énormes les signaux il paraît, la faute aux femmes la faute aux Autres mais oui j’étais pédé mais oui c’était ça l’évidence tu as gagné une boîte de jeux et ce jour-là, Sarah et moi, nous nous sommes assis côte à côte, j’ai voulu effleurer le petit doigt elle l’a retiré vite vite ha très très vite offusquée QU’EST-CE QUE JE DISAIS qu’est-ce que je disais les hommes tous des cochons JE VEUX REVIVRE JE VEUX REVIVRE Chapitre Relief de l’Asie Centrale Everest 8847m ma pine 0,5cm bon Dieu si t’as pas rigolé c’est que tu es coincé branleur de mes deux.

    De toute façon avec ces Juives Hispano-Marocaines il faut faire attention disait ma mère on ne se méfie jamais assez ils sont capables de te la faire épouser sous le revolver.

    T’as raison la vieille je vais avoir l’œil.

    * * * * * * * * *

     

    Retour en France Périgord exactement 1962, fin d’un monde. Des filles des flirts partout au bord de l’Isle sous les buissons alors moi voyant ça jedizamamaman devant la mère Gauty qui l’a redit partout ça va être facile ici elles sont pas surveillées comme là-bas t’as vu ta gueule non mais t’avais vu ta gueule d’enfariné d’enflé de client de putes ? …Quand tu t’es présenté dans le Groupe « ber-nard » avec le n entre les dents le sourire con et les « r » dans la gorge tu les as repérés les autres qui pouffaient tandis que celle qui semblait être le chef les calmait de la main, tout le monde s’est mêlé sauf un. Au jeu de la vérité, avec qui aimerais-tu sortir ? - Avec Eustache !

    J’étais abasourdi. Une fille voulait de moi ! Je me suis éloigné, j’ai demandé à trois ou quatre « garçons » que je connaissais à peine « ...comment on fait ? » - Débrouille-toi ! » - au fait, croyez-vous que la fille en question se soit hasardée à faire un GESTE envers moi je dis bien UN geste ? - Ah mais non mon pote, elle en a déjà fait beaucoup, c’est à ton tour, t’as rien compris, tu parles d’un con…

    ...Pourquoi m’avez-vous renfoncé dans mon ridicule ? autre sujet - pourquoi vous êtes-vous foutus de moi parce que j’avais un biclou trop petit sans me dire simplement « tu as un biclou trop petit » ? pourquoi vous êtes-vous payé ma gueule parce que je levais les pieds en rentrant la tête sans me dire « tu lèves les pieds et tu rentres la tête » ? Il a fallu que je me surprenne dans une vitrine pour m’en rende compte. Pourquoi en surboum – un Teppaz et deux planches dans un garage - toutes les filles ont-elles trouvé des genoux pour s’assoir sauf les miens ? Oui, c’est rigolo, oui c’est ridicule. Mais pourquoi toutes ces humiliations, ah que je souffre, ah qué yé souis malhéré mon Dié mon Dié !

    C’est alors que j’ai commencé à hhhaïr – tremblez… Quand on m’a traité de prétentieux, d’intel-lectuel (réflexion faite, je l’étais) - de pédé, d’impuissant… la Haine ! la Haine !... tu ne peux pas juger, c’est trop dur pour toi… la haine du pas-comme-tout-le-monde contre les comme-tout-le-monde – Baisers volés j’ai connu ça. Mis à part que chez Truffaut le couillon trouve quelqu’un pour le tirer de là, moi aussi, mais j’aime râler.

    Vi-queue-time desfemems, de la paralysie des femmes sans voir la mienne – quand les bras sont tout raides et le reste tout mou – toi en face, l’autre, tu es un baiseur un vrai, tu fais partie des 2 % que les femmes se repassent entre elles au nom de la liberté sexuelle – non pas toi t’as vu ta gueule ? (rires) ...dégage, baiseur… ici c’est un taré qui te parle, un Rescapé du Périgord. Et j’ai fini par la trouver, l’âme sœur : une fille de flic, avec plein de boutons sur la gueule. Et ces mêmes fleurtouillards qui me chambraient à cause de ma solitude se sont empressés de se payer ma gueule parce qu’on me voyait, cette fois, avec une fille oui mais la plus moche. On touche le fond. Pas le con.

    Mais je me foutais bien d’eux à présent. J’étais accepté. Nous passions à trois des après-midi chez sa mère, au grand dam de mes parents : une Fille de Flic ! Et si je lui racontais que mon père n’avait pas été résistant pendant la guerre, plutôt de l’autre côté ? Et si je faisais un enfant ? Eh bien non : je suis resté très exactement 32 jours, je dis bien trente-deux, sans branlette ! (rires) mon record absolu. Pour la fille, je ne garantis rien. Puis, hélas ! elle a cru que je me moquais d’elle, que je prenais « de [m]es grands airs » (j’en prenais), que j’ «étalais mon instruction » (j’étalais). « À la rentrée tu connaîtras une étudiante et tu m’oublieras » - exactement Maggie : en octobre 10, j’ai rencontré ma femme…

    *

    Mes vieux étaient loin. J’habitais Cité Universitaire, je me payais le bordel tous les 11 jours (on tient ses comptes), je tournais autour d’une étudiante ravagée de branlette comme moi, détraquée jusqu’au trognon comme moi, que je ne devais baiser que le 15 février 02, sans compter six mois de liaison homo (rien ne vous sera épargné) (rires). Un jour j‘ai bu un cognac cul-sec pour oser embrasser ma Future – sur la joue.

    Et à présent Mesdames et Messieurs, Meine Samen und Spermien (lacht) place au délire. Car, « les paranoïaques ont toujours raison » (Anne-Marie M.)

    Chapitre Un : Pourquoi les femmes ne veulent-elles pas coucher avec moi ? (mouchoirs!)

     

    X

     

    Argument n° 1 : Je ne t’aime pas

     

    Parenthèse (cet ouvrage manque de plan) : je dois définir ce ridicule dont je me pare.

    La notion de ridicule participe du passionnel.

    Tout individu traitant de sa passion devient par là même ridicule.

    Et c’est pourquoi (deuxième parenthèse) toute femme qui crie en jouissant excite le mâle par le ridicule qu’elle déploie.

    Il faut châtrer les mâles, afin de les préserver du ridicule de l’excitation.

    ...La femme prétend donc ne pas désirer l’homme si l’amour est absent. Mais elle crie pour jouir (par feinte ? par ordre?) et se ridiculise, disent les connards.

    Seul l’amour lui ouvre les portes du ridicule, alors ressenti comme un don.

    Suivez-moi bien, c’est de plus en plus con.

    Nous en revenons donc à l‘éternel rabâchage : les femmes croient encore dur comme pine (hi ! hi!) que seul l’amour peut déculpabiliser l’acte. Si elles ne devaient baiser qu’amoureuses, la chose ne se produirait pas souvent !

     

    Deuxième hypocrisie

    Lorsqu’elles se branlent, de qui sont-elles amoureuses ? (chœur des vierges indignées : « Ah! mais ce n’est pas du tout la même chose!) - ben si, quoi d’autre ?

     

    Troisième attaque

    « Si je couche avec toi sans t’aimer, tu en souffriras » - variante : « je transpose chez les hommes mes subtilités névrotiques ». Le mâle, sexe dominateur (re-hi ! re-hi!) ne nous sentons pas coupables de faire l’amour. Nous n’avons pas besoin d’un voile. Nous avons séparé depuis longtemps l’Église et l’État, l’Amour et le Zob.

    En revanche, contrairement aux femmes, nous souffrons de l’obligation de nous masturber. Par famine. Car la honte se répartit différemment selon les sexes. Merci de tout cœur, ô Femmes, pour mes branlettes. Pour vous, c’est du sublime, c’est de l’éthéré, chaque tour de doigt vous fait pousser des ailes. Pour nous, c’est sale. Vous m’avez en effet dispensé d’une grande souffrance en vous refusant comme vous l’avez fait. BOUOUOUOUH !!!

    Merci aussi, de tout cœur, pour ma souillure homosexuelle. Une femme est gouine sans même y penser, « On se rend des services entre filles. Qu’est-ce que vous allez penser ? ah ces hommes : ils voient le vice partout ».

    Merci de m’avoir éviter une grande souffrance. Amen.

    Merci enfin pour ma fréquentation des putes. Je n’avais qu’à me branler, voir plus haut.

    Onanisme, pédérastie, putasserie : ça fait tout de même un sacré tiercé d’échecs et de souffrances – croyez-vous donc, ô Modèles de Modestie, qu’il m’importât à ce point d’être aimé de Vous ?

     

    X

     

    Argument n°2 : J’en aime un autre.

    ...Rien ne le prouve. Si d’autre part cet homme profite autant que moi de vos faveurs, car l’amour ne suffit pas pour accéder à Votre Cul, Huitième Merveille du Monde. EN EFFET :

    ...il paraît hautement invraisemblable que le femme, s’estimant si haut, et si comblée par son auto-érotisme, puisse éprouver le besoin d’un amour quelconque ENFERMEZ-LE CE MEC C’EST INTOLÉRABLE (blagadeuballes : « Dieu et mon droit », devise de l’Angleterre. Devise de la Femme : « Moi et mon doigt ».

    Une femme qui dit « J’en aime un autre » veut signifier par-là qu’elle se soumet à une habitude sexuelle. Jamais, ou si peu, elle n’aura franchi le cap du premier homme. Un peu comme si l’on devait s’arrêter au premier livre, au premier film, au premier slip – achevez-le, voyez comme il souffre). Vient-il seulement à l’esprit de ces créatures qu’on puisse aimer deux êtres à la fois, ou une multitude d’êtres ? mais nous traiterons de cela plus tard.

    Voici le moment venu en effet d’aborder le Troisième, dernier et capital Argument de ces pimprenelles (c’est l’un des charmes de l’écriture, ô lectrices, que ce mélange suave des raisonnements les plus subtils et des insultes les plus offensantes ) (ou l’inverse ?) - une seule formule, si délicatement féminine, à prononcer de préférence avec l’accent d’Agen ou de Carcassonne :

    OUAH PUTAING CE QU’IL EST CONG ÇUI-LÀ.

    Sans réplique. Ça vous en bouche un coing. Cette acuité du jugement. Voilà qui est chiadé. Nous tombons en effet droit sur le seul argument : JE SUIS con. Il n’y a plus d’hommes ni de femmes. Il n’y a plus que le Hideux, le Répugnant Rracisme à l’adresse, tenez-vous bien, d’une seule personne : Moa. L’Auteur – on donne à Cet Autre, pas un autre, celui-à, çui-là, l’air con, puis on se moque de son air con. Exactement le coup du Noir qui cire les godasses.

    Pas de pitié pour l’Air Con. Ça te tombe dessus, c’est écrit : l’Air Con. À la trappe. L’air con, ça au moins, c’est un critère. Quel jugement les femmes ! Putain l’intuition je te dis pas ! Juif, arabe, tombé dedans quand t’étais petit. Les femmes (pardon : DES femmes, il paraît qu’il faut dire DES FEMMES) ont raison de se foutre de toi, mais toi, tu as raison – de tirer ta Kalach et de tirer ? non… - mais de gueuler.

     

    X

    X X

     

    ...À présent, l’auteur – est prié d’être objectif, de présenter son mea culpa – j’ai déconné, j’ai agressé, j’ai larmoyé : excusez-moi d’exister.

    Petit a, de fumier :

    Je suis grossier. Tombé dedans tout petit. Oncle Serge : « Répète : Trou du cul ».Je répète. Ça le fait rire ce con. J’ai trois ans. Paix à son âme. À huit ans je me soûlais d’ordures avec Lucien. Là où jene pige pas c’est quand les potes se font interdire de me fréquenter par les parents : « Il est grossier ». Des gosses qui n’avaient que ça à la bouche. « On ne joue pas avec toi, t’es trop grossier » C’est l’histoire du Gabonais qui ne parle pas au Malien parce qu’il est trop noir. Qui est fou ? En vacances, je trouve un groupe. « J’ai un secret. - Lequel ? - Vous ne le saurez pas . » Je finis par me faire coincer sous une tôle et tabasser : « Alors ce secret ? - Je suis grossier. - C’est tout ? - ils m’ont tous laissé tomber à la seconde.

    Pas grossier, con. Nuance.

    On me présente à 13 ans à une fille de 13 ans. Eh bien, dites-vous quelque chose ! - Euh… vous savez, je suis grossier. - C’est tout ce que tu trouves à lui dire ? » - côté connerie j’avais sans doute de qui tenir. Les filles ont peur des mots,pas des choses. Comme il est dit dans l’introuvable Manuel de savoir-vivre à l‘usage des demoiselles : « Dites : « Elle est très sentimentale ». Ne dites pas : « Elle se branle à mort ». « Faites-la rire, c’est gagné » - mon cul ! On s’agglutinait : « Une autre, allez, une autre » - on me disait un mot, j’en disais une bien bonne. J’avais une cour de garçons. Tant que j’en avais dans le sac ça rigolait, de plus en plus mécanique, de plus en plus mou.

    Puis je me retrouvais seul, comme un égoutier. Les autres se poliçaient, ils draguaient (successfully) des filles sans poils ni doigts. Moi je ramenais tout à moi. « Moi aussi » me semblait le meilleur moyen de montrer mon empathie moi aussi je suis comme vous moi aussi ça m’est arrivé les autres voyaient cela autrement – non, je n’étais pas le point de rencontre de toutes les trajectoires humaines. En moi se confrontaient toutes leurs souffrances, de façon tellement plus nette, plus aboutie – eux l’accident, moi l’essence. Pas d’étonnant que le Christ se soit fait tant d’ennemis. « Tous les péchés du monde ». Je vous demande un peu.

    Quand je me suis vu ainsi rejeté, je me suis plaint. Et je me suis fait engueuler de me plaindre. Et comme j’étais amoureux de B. qui se branlait à mort- elles étaient deux – passons – et je ne trouvais rien de mieux que de la suivre en chantant Si tu ne veux pas / De mon amour / Adieu Bonjour / Ma mie – Quatuor de Paris – habile, n’est-ce pas ? Je le faisais exprès pour être repoussé. Les juifs ont tout fait pour se faire cramer. Les communistes ont tout fait pour être pinochés – ça ne vous passe pas, de vous plaindre, savez-vous, le goût de se faire plaindre. Ayant lu dans un livre – on n’apprend rien, dans les livres, tous les cancres vous le diront – que le héros  « avait cet air malheureux qui plaît tant aux femmes », je tirais en pleine rue des gueules sinistres, la bouche en fer à cheval, ce qui les faisait bien rire.

    Au téléphone je demandais pardon, je m’aplatissais, je larmoyais bien fort à travers la vitre du téléphone. Pagnol rapporte ses ridicules d’enfant. Avec un extraordinaire attendrissement. Il a « dépassé », lui. Moi, non. Tout le monde n’est pas Marcel Pagnol.

     

     

  • Vingt-quatre dissertations plus une

     

     

     

     

     

     

     

     

    C O L L I G N ON

     

    VINGT-QUATRE DISSERTATIONS

    plus une

     

    I BRANLOMANIE

    Dans les années 2030, en retard déjà sur le bouleversement des mentalités, nous écrivions ce qui suit :

    « Toute vocation pédagogique es d’ordre sexuel. Mais si vous éprouvez la moindre velléité de tentation de passage à l’acte, vous n’êtes pas faits pour ce métier, vous y êtes même diamétralement opposés. Fuyez vite, loin, à tout jamais. Nous ne parlons pas des femmes, dont le contact physique, n’en déplaise aux effarouchés ridicules, n’a jamais fait grand mal ni aux garçons, ni encore moins aux filles. C’est aux hommes que nous nous adressons, qui forment la quasi-totalité de ce genre de malades : messieurs, s’il vous est arrivé de glisser dans cette fosse à merde, sachez que vous n’êtes plus, que non seulement ne compterez jamais plus au nombre des hommes au sens plein et viril de ce terme – mais que vous serez tombés au-dessous même de ce qu’il est convenu d’appeler « l’espèce humaine ».

    Or, l’éducation sexuelle, obligatoire et jamais assumée (chacun se repassant la patate chaude) est un des seuls moyens légaux et propres dont nous disposons pour cimenter les relations humaines dans le cadre pédagogique. Putain c’est bien dit. Mais con ne vienne pas nous parler d’Autorisation Préalable du Principal ou d’Accord des Parent, car à supposer que nous les obtinssions, ces autorisations, elles seraient assorties de clauses tellement restrictives et tellement comminatoires que pratiquement rien ne serait possible. Terreur latente et l’arme de poing dans la poche. Sans gueulbe. Comme me disait Jeune Sépluqui, « quand je fais l’amour avec mes élèves, je ne tiens pas à ce que n’importe qui puisse venir me prendre par derrière » - eh, c’est de l’humour tas de Cosaques.

    Le jour de la Déclaration, il convient d’être au top de son honnêteté, en indiquant ses propres blocages, limites et tout ce qui s’ensuit : les vôtres, et pas celles d’une organisation chapeautante quelconque : « Vous me verrez hésiter, balbutier, rougisser. À chacun les séquelles de sa propre éducation. Mais je dirai toujours ce que je pense personnellement. Vous allez donc tous me rédiger vos questions sur un bout de papier anonyme » - si j’ai fait du bien, du mal ? les deux, sans doute. J’ai fortement soulagé le garçon C. en lui révélant que non, les règles ne coulaient pas « à gros bouillons » ; j’ai révélé au garçon O., très étonné, que oui, les femmes aussi éprouvaient du plaisir. Mais le garçon R. se montra profondément écœuré d’apprendre, à quatorze ans, les gestes exacts de ce fameux « acte sexuel » dont on parlait tant. Et toujours, point capital selon moi, je proclamais à la face du monde que les filles, elles aussi, parfaitement, se masturbaient, et comment. Les jeunes garçons ayant bien trop tendance à « idéaliser » leurs « petites amoureuses » - à les désincarner.

    Or, ne trouvant pas dans l’éducation sexuelle proprement dite un exutoire suffisant à ma perversité mentale, je ne le répéterai jamais assez aux punaises de sectes, j’ai exploité le filon du rire. Non pas en me bornant aux histoires de dessous de ceinture dites « drôles », hélas réclamées par les élèves (et accordées par moi) aux dernières heures de l’année scolaire, je me suis saisi de toute occasion dans mes cours, dans mon langage, de sexualiser, ouvertement, la relation professeur-élèves : la langue française, comme toutes les autres je suppose, est ainsi faite, que le moindre déplacement de syllabe ou d’intonation déclenchent aussitôt, dans l’esprit de mes branleurs et surtout leuses, toute une série de connotations marquées au coin (cuneus) de la sexualité.

    Pensez seulement aux incongruités qui peuvent résulter de l’intonation d’un groupe de mots comme « l’habitat urbain » ou « le taureau est entré dans l’arène ». Une fois l’attention aspirée par ce terrain, il est impossible de l’en dégager. Au détour d’une phrase sévère de Pascal ou d’un cours sur les participes, le sexe peut même survenir par simple suppression de syllabes : « Il en a pris l’habitude » devient « il en a pris l’ha - üde », suivi ou non d’un fin silence. Se garder, surtout, de prononcer le moindre terme grossier : le sexuel doit venir en quelque sorte s’imprimer en creux dans le discours, au prix d’une certaine attention, d’où une atmosphère constante de complicité dégoûtante.

    Bien entendu, ces plaisanteries sont on ne peut plus stupides et dégradantes, ne me faites pas l’injure de me croire inconscient. S’il existe un Dieu, je me présenterai devant lui : « J’ai fait rire mes élèves », et il me sera beaucoup pardonné, car le temps passé à rire n’est jamais perdu. Ils rient, ils se débloquent (en marge, au crayon : moi non ; qui a écrit cela?). Ils écoutent chaque phrase, où peut se glisser à tout instant un sexe baladeur, et retiennent, prétend-il, le sérieux en compagnie du plaisant. Tout rire est sexuel. Toute subversion du langage abat un interdit, tout calembour abat une chaîne de calendos. S’il est vrai d’après Freud que la délivrance n’est que pour l’auditeur, tandis que le locuteur renforce son blocage (il rit peut, mais voit rire) (voyeur, non actif), nous serions volontiers tenté par ce paradoxe de poser au martyr, sacrifiant son épanouissement personnel sur l’autel de l’abnégation libératrice, comble de la mauvaise foi.

     

    DU VÉRITABLE OBJET DE MON ENSEIGNEMENT

     

    Nous voudrions établir une ligne de démarcation très nette. Creuser avec véhémence un abîme sans fond : il n’est pas question pour moi du sexe masculin. Rien ne nous est plus étranger que les extases sulfureuses d’un Michel Tournier sur les genoux écorchés des garçons, ou le fumet des pissotières d’école, « autel(s) fumant(s) de la garçonnie ». Rien ne me répugne autant qu'un adolescent furonculeux qui se tripote la quéquette derrière la porte entrebâillée des chiottes. Jamais je ne me suis reconnu dans ces individus grossiers, prétentieux, pétant de vulgarité, toujours prêts pour le poing sur la gueule à 5 contre 1 de préférence. Je n'ai jamais voulu, un seul instant, leur ressembler.

    Ce sexe malotru qui fut le mien par les hasards de la génétique, entre le dérisoire et le pathétique, ne me semble tout juste supportable que sur mon propre corps, à force d'à bite hude. Et s'il existe paraît-il un "masochisme féminin", j'en verrais volontiers l'illustration la plus consternante dans son attirance pour cette espèce de cornemuse flasque et baveuse qui sert d'organe érotique à mes cons génères. Ce cou de vautour pelé, maladif et malodorant, cet incongru et vaniteux sac à pus. Dispenser cours à une classe de garçons équivaut à faire un plongeon nauséabond de 45 en en arrière dans une espèce de fosse-cloaque où fermentent en cloques de longs tourbillons d'étrons et de résidus de branlette.

    La lectrice (les hommes ne lisent pas) comprendra sans difficulté notre particulière attirance pour l'onanisme féminin, si dissemblable, dans son élégance, dans son innocence (car la fille et plus tard la femme se branlent dans la plus parfaite bonne conscience voire inconscience), du trayage cradingue et laborieux qu'effectuent les garçons disgraciés. La masturbation, chez la débutante, n'a pas encore acquis ce stade de fixation qu'il atteint irémédiablement plus tard, quand la femme décide de "choisir" et ne choisit personne.

    Donc, tandis que les hommes seraient prêts à se contenter de n'importe quel croûton, les femmes exigent de la brioche. Pour le faire court : le garçon se "tripote" dans la honte la plus totale ; la jeune fille se caresse dans l'incertitude parfois, ce qui est tout de même moins grave, et reste en tout cas entre soi et soi (le garçon fait des taches ; il ne peut rien cacher ; les filles aussi, mais pour d'autres raisons qui n'ont rien à voir). Pour s'absoudre à ses propres yeux, l'homme se trouve ainsi condamné à l'enfournage répétitif et mécanique ; l'adorateur se mue alors s'il le peut en punisseur déespéré, pilant sous ses coups de boutoir ce foutu sexe capable de jouir à lui seul... le plus souvent à lui seul.

    L'objectif serait donc, plus modestement, de transformer ces jeunes oies butées, résolues à se faire hacher menu plutôt que d'avouer leurs pratiques (telles ces connes d'avant-guerre qui répétaient en boucle "je ne comprends pas ce que vous dites", ayant le putain de culot d'aller jusqu'à nier la question posée) en femmes révélées, reconnaissant leur plaisir sans réticence, et le pratiquant le plus possible sous nos yeux. Nous n'avons rien trouvé de plus complet, de plus ingénieux, de plus irrévocable, que le vénérable Manuel du Confesseur : pour amener n'importe quelle femme à reconnaître ses masturbations, il faut lui parler en confesseur d'expérience, à qui "on ne la fait pas".

    Le questionnaire doit donc porter non pas sur l'existence ou non de l'acte, posé comme indubitable, mais sur sa fréquence. Le qualitatif se trouvant éludé au profit du quantitatif, la femme se débat ainsi non plus sur le oui ou le non, mais sur le combien : "Trois fois par semaine ?... vous ne répondez pas ? serait-ce sept fois ? dix fois ? vous gardez le silence ? mon Dieu ! iriez-vous jusqu'à vingt fois ?" "Ne craignez pas, dit le Manuel, "de pousser le nombre aussi loin que possible dans l'absurde.Tôt ou tard il vous sera donné un démenti à partir duquel il sera aisé d'établir la vérité : car si vous ne le faites pas un nombre incalculable de fois, - c'est que vous le faites. C.Q.F.D.

    Dans le cas qui nous préoccucupe, il s’agit avant tout de parvenir à l ‘identité mathématique jeune fille ≡ masturbation. La Masturbation est l’essence même de la Jeune Fille. Au premier regard entendu, elle comprend sur-le-champ de quoi il est question. « Se masturber » se dit, entre elles, « le faire ». « Faire » par excellence, c’est « se masturber ». Au premier regard entendu, elle comprend que c’est de sa masturbation, à elle toute seule, que l’on parle. Elle ne nie jamais. Plus jamais. Le contact ainsi établi au plus intime, la confiance est totale, absolue. Les allusions peuvent alors se multiplier, de part et d’autre, et c’est alors que l’Interlocuteur apprend avec délices toute sorte de précisions voilées parfaitement claires, sur la fréquence, la qualité de plaisir ou de frustration.

    Autre conséquence extraordinaire : la composante masculine du groupe, jusque là sur la réserve indienne, sur la « touche », acquiert une tendresse inconnue. Eux qui se croyaient sales et méprisés découvrent, ô merveille, ô soleil levant, que ces monstres, ces invraisemblances angéliques, les jeunes filles ! se masturbent tout autant qu’eux, voire plus, en haletant tout aussi fort. Il en résulte une saine complicité – et surtout, surtout : une impossibilité radicale de concevoir une de ces atroces passions sado-maso, ver de terre amoureux d’une étoile. Car, Dieu merci, on ne peut plus envisager de se rouler en suppliant aux pieds d’une jeune fille hautaine et glacée, qui, tout bonnement, se branle comme vous et moi.

    Ceux – et surtout celles – qui auront lu jusqu’ici n’auront pas manqué de se répandre en sarcasmes, invectives et menaces. Nous allons leur river leur clou en trois rounds :

    1. a) Les tartufes

    On pourrait croire qu’en ce siècle où la sexologie… où Sigmund Freud… où les sex-shops etc. - eh bien non. Pas du tout. La dose d’insecticide n’a pas été assez massive. « Freud, connais pas. Veux pas le savoir » - argument adventice : « on ne plaisante pas de ces choses-là avec des enfants ». Je refuse cette sacralisation aliénatrice. « L’enfant a besoin d’être sécurisé ». Non. Secouez les enfants. Montrez-lui la vanité des choses. Scandalisez-le. C’est à ce prix que s’accroît la Conscience Humaine. Tout est permis à qui ne fait que parler. « Mais alors, vous avouez que votre système a-pédagogique est essentiellement destiné à assouvir vos propres fantasmes ».

    Écoutez-moi bien : je n’ai pas envie de débrouiller mon écheveau psychanalytique. Je me comporte exactement comme ceux que je viens de blâmer. Les gens de l’art pataugeront avec des lis dans mes refoulements, transferts et autres. Ils concluront que je suis psychopathe comme tout le monde, attardé comme tout le monde, bref, un pauvre type à remettre dans le droit chemin à grands coups de « projecteurs impitoyables ». Ils me trouveront un Ééédipe gros comme une patate et la bite à papa dans le cul. Tant pis. Ce n’est pas mon boulot. « Qu’est-ce que le moi ? » Je n’en sais rien. Je me suis réveillé (nous nous sommes réveillés) un jour sur cette terre, prisonnier d’un corps, d’un caractère, d’une destinée.

    Irais-je (Irions-nous) m’amuser à vouloir les changer, et, en faisant cela, m’abstenir (nous abstenir) de vivre ? Duperie ; je me soumets à leurs défauts » - massacre de Stendhal. Que si d’ailleurs le centième de mes délires se réalisait, je ne bougerais pas d’un cil. Une jeune fille réellement amoureuse me paniquerait, me pétrifierait de respect. Je ne sauterais pas sur l’occasion. Nous parlerions ensemble, nous essaierions l’un et l’autre d’y voir clair. Peut-être que je l’aimerais. Mais ceci est une autre histoire.

     

    * * * * * * * * *

     

    Un jour, à propos de la surpopulation carcérale, nous avions conclu quel ‘on pouvait bien « s’amuser » dans une cellule, à partir de deux... » - « ...et même tout seul », avais-je renchéri. Une petite fille « chaste et pure » fut la seule à s’étonner en toute bonne fois au milieu des rires gras. « Demandez à votre voisine », lui ai-je dit. « Elle a l’air particulièrement au courant » - de fait, ladite voisine, déjà formée, pulpeuse, portait sur son visage, plein et velouté, voluptueusement sournois, les stigmates mêmes et le masque de la masturbation fréquente et accomplie. Elle s’empressa de renseigner sa camarade à l’oreille tandis que l’Interlocuteur poursuivait son discours. Alors ce dernier fut interrompu par une exclamation dont l’indignation révélait le plus ingénu et le plus intense des émerveillements : « Oh ! Monsieur ! Si je disais ça à maman, je ne sais pas ce qu’elle me ferait ! » (braves parents…) - l’Interlocuteur passa outre, les autres pensant déjà à autre chose.

    Je rencontrai ensuite plusieurs fois la même petite jeune fille dans les couloirs. Elle riait, métamorphosée en jeune fille, ouverte, gourmande, heureuse. Tel est le plus grand péché, la plus belle réussite dont l’Intervenant puisse jamais s’accuser...

    Si notre vision est fragmentaire, c’est par déformation professionnelle. Mais l’étroitesse du machisme permet, elle aussi, d’approfondir. Pour la connaissance de la véritén reportez-vous à votre hebdomadaire habituel.

     

    II

    DES AMBIGUÏTÉS DE L’ AMOUR

     

     

     

    Les enfants ne se livrent jamais. Leurs chairs y font encore obstacle : opaques, hors-jeu. Nous parlerons donc de la chair des jeunes filles, origine du monde.

    Certaines, sur lesquelles je ne m’étendrai pas, possèdent des yeux de vaches, où se lit la vaisselle, l’enfant. Le stade ruminant. Vie faite et cercueil vissé.

    D’autres sont des jeunes filles qui s’ignorent. Ont-elles un sexe, rien n’en transpire. « Les jeunes filles bien » travaillent, rient, jouent, mangent. On les rencontre jusqu’à l’âge avancé, sur les bancs de la fac : les « copines », les « chic filles ». Pas un poil d’ambiguïté. Le sexe ? « On n’y pense jamais » disent-elles. Nous éprouvons devant ces absences le même malaise que devant l’abeille, la fourmi, le termite, dépourvus de cerveau sexué. Nos regards se traversent. Castré, je passe outre. En peau de chèvre.

    Devient fille d’Onan toutes celles aux yeux faufilés : paupières en biseaux, cils battants, lèvres mordues. Plus flagrant : la chair grasse et luisante comme d’une constante exsudation de cyprine, les yeux frottés et charbonnés. La bouche et le rire lourds – l’onanisme Dieu merci n’est plus chlorotique, mais insolent. Le point crucial n’est plus focalisé, mais diffusé. Nous pensons aux lourdes femmes de notre enfance, lourdes choses blanches et chaudes, couvertes de bas, de culottes, d’arrière-mondes vaguement grouillants de dentelles et d’étoffes imprécises aux finalités floues.

    Quant aux adolescentes en fin de course, que dire ? ce sont déjà des femmes, avec leur chevelure, leurs seins, leur pubis, leurs flirts. Elles n’appartiennent plus àl ‘univers fantasmiques – et parfois même, elles baisent.

    Ailleurs.

    ...Nous avons connu des élèves attirantes et tourmentées, supérieures, bourrées de recherches. Nous discutions. Leurs yeux fiévreux traquaient ma vérité, sans y trouver vraiment de quoi m’admirer. Un jour d’exposé où je m’étais assis près d’une fille, nos hanches se sont touchées. Elle s’est vivement décalée, le temps d’un regard de flic fou. L’érotisme des filles est intellectuel. Nous en sommes lassés, à tout âge.

    Quelques-unes ont envoyé des lettres, sur leurs élans, leurs vagues confusions… Naïf

    est celui qui verrait dans leurs demi-aveux le signe ineffable d’une aspiration au harem, au vivier de nos vieux jours éventuels - spirituel, spirituel… Mieux vaut alors nager dans le bonheur parfait : l’éréthisme pédagogique, expérimentée le temps d’un trimestre en 2021, dans une classe de filles presque exclusivement. Tout mon répertoire y fut épuisé. Je me fis passer pour homo : elles m’adorèrent. Je fis l’amour avec la classe entière, métaphoriquement parlant – lorsque G. ouvrait la bouche, je pensais voir un fruit fondant, et toutes ces sortes de choses…

    À la rentrée de janvier, tout soudain, je leur dis : « Aujourd’hui, je ne vous « sens » pas. Nous allons faire une dictée ». Je ne les ai jamais plus « senties ». Lorsqu’elles sont revenues me voir l’année suivante, j’ai balbutié. Je me suis très vite enfui aux toilettes, providentiellement proches. Mes troisièmes étaient devenues des jeunes filles, baisables, sans plus.

    ... »Mais », direz-vous, « parlez-nous des garçons ; vous les avez trop durement esquintés pour ne pas avoir été attiré ».

    Exact. Là aussi j’ai connu mes coups de foudre, uni- ou bilatéraux.

    ...Les petits viennent à vous en toute innocence : leurs yeux clairs et confiants, et toute la panoplie – l’horrible T., aux grandes oreilles rouges, avec sa mine d’assassin au nez plongeant, dissimulant derrière sa bosse la bouteille de grand cru ; le blond B., sa course en va-et-vient dans l’allée centrale : « Monsieur, vous êtes bon ; vous êtes trop bon ; pourquoi êtes-vous si bon ; vous ne devriez pas être si bon ». M., noir de cheveux, blanc de peau, vif-argent, sa main sur mon cul et ma BAFFE immédiate ; Jd., les yeux ronds, la bouche en cerise, la brosse de jais – pour cause d’indiscipline, je l’avais enfermé dans un réduit d’1m² entre deux salles ; les autres élèves avaient remarqué ma rougeur extrême lorsque je l’avais saisi à l’épaule…

    Plus complexes : les collants. Celui qui me montre ses dessins à la fin du cours ; ceux à qui j’ai précisé que je n’avais pas besoin de cirage… Le plus attachant fut encore un certain Holf, capable de me lire Tacite dans le texte, pauvre rejeton d’un attaché militaire belge, fils définitivement noué (sa sœur ôtée à ma section pour ne plus entendre mes allusions nocives à l’impureté des jeunes filles) – Hol me confie, un jour de printemps : « Je n’aime pas toute cette matière qui fermente, ça fait trop « vivant » - pauvre diable morose…

    Certaines conquêtes masculines exigent en revanche une efficacité foudroyante : ceux dont la tête à claques est en elle-même un explosif à désamorcer d’urgence. Ils traînent des pieds comme un yakuza, balancent leurs cartables dans les coins, critiquent bruyamment (maussade et agressif, le ton) – DONC, leur donner raison, leur donner la parole. D’urgence. Que le jeu soit truqué, ils n’en ont aucun soupçon. Vous connaissez d’avance les positions qu’ils vont attaquer – n’ayez crainte : ils se contrediront, ils s’embrouilleront avant vous. Le seul grief cohérent qu’ils pourraient avancer, s’ils avaient la moindre parcelle de conscience, c’est qu’ils sont jeunes, et que vous êtes vieux. Ça ne va pas plus loin. Avouez à fond vos insuffisances, arborez un puissant sourire, affirmez haut et fort que mieux vaut un contact rugueux que pas de contact du tout : « Nous verrons bien comment cela marchera ».

    ...Et tout en professant, clignez de l’œil entre complices, par dessus le marais. Il vous admirera peut-être, du moins vous respectera. Si de surcroît le garçon est beau, s’il vient vous voir chez vous, vous aurez gagné un ami. Et des ragots…

    Si le coup rate, l’Opposant, n’ayant pu séduire le Chef, séduira immanquablement la Masse : un caïd… car ils auront vu dans l’œil vaincu de l’enseignant l’admiration soumise. Je me suis laissé entraver dans la bande d’un store, ligoté, incapable de maîtriser un rire convulsif… « La seule présence de l’élève D. empêche à la lettre le cours d’avoir lieu – comment voulez-vous, madame, que j’accepte votre fils dans mon école avec un dossier pareil ? - ne vous affligez pas : il a sûrement gagné plus que moi.

    Mais dans le meilleur des cas, l’insolence et la vulgarité vous laisseront sans armes, comme si vous aviez douze ans. Vous pouvez gueuler , engueuler, votre caid va se marrer. Vous n’aurez pu mater personne. Tôt ou tard, le « copain » jouera pour son propre compte : « Puisque ça t’emmerde tant prof, ...ne me punis pas pour ce que tu as envie de faire toi-même » - au mieux il se détache, et dort. L’humanité n’a pas besoin d’avenir.

    Pourtant si j’ai devant moi de braves petits bûcheurs aux yeux candides, je vais les trouver ternes, trop sages – et dangereux : « Ma mère ne veut plus que j’aille avec monsieur D. l’année prochaine : elle le trouve idiot ». Ça fait plaisir. Mais qu’une autre « tête blonde », toujours au premier rang, gavée de recommandations, de renseignements, de timbres-poste, rentre ensuite se plaindre à son papa de l’inconvenance de mes propos et parvienne à me faire jeter sur un score de 3 lettres défavorables sur 23 de soutien, c’est intolérable.

     

     

     

    LE COURS – SPECTACLE

    « Môssieur le Proufessour,

    Vous cultivez l’utopie et le flou en chambre : d’abord ce sexe que vous faufilez, puis ces prurits affectifs… Mais nous ignorons toujours le contenu proprement dit de vos cours... »

    Réponse : « La Peur ».

    Seule façon de l’affronter : Le Cours-Spectacle.

    Peur tricéphale : fonctionnelle, bordélique, textuelle.

    Fonctionnellement : la première fois, devant la classe, on se sent con. Je le jure.

    « Faites-leur donc faire des exercices ! »

    Bien sûr mon brave. On peut dicter, aussi.

    En sixième, on m’a collé des cours d’histoire. Je ne savais plus rien des pharaons. Il a bien fallu que je m’y remisse : dictée… Les pauvres ne se rendaient même pas compte qu’ils recopiaient leur livre, phrase après phrase.

    Autre truc génial : la remise des devoirs. Prendre un paquet de copies, et, l’une après l’autre, dans l’anonymat, éplucher toutes les notes marginales. Ça peut durer deux heures quand on est doué.

    Le fin du fin: le cours par cœur. Tout noté. Jusqu’au moindre mot – en tout petit, pour qu’on ne me voie pas compulser. Technique à vrai dire extraordinaire du doigt sur la ligne et du battement de paupières – sans oublier la modulation phonique – mais quel épuisement : avant pour préparer, pendant, et après pour récupérer. Très, très vite, la peur cruciale : celle du bordel.

     

    - T’arrives, tu fais ton cours et tu repars.

    - ...Essaye, pour voir…

    ...Faire avec ce qu’on a – l’humour, la névrose.

    Le bordel est inévitable ? Organisons-le. Et ça donne :

    1) Un cours sur les sangliers. À deux pattes, à roulettes, à feu rouge incorporé, à queue traînante, avec questions véhémentes, interpellations drôlatiques aux moindres velléités d’initiative potachière :

     

     

     

     

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  • Sidoine Apollinaire

    1. 8

    Était-il donc si inconcevable de se présenter la tête haute devant l'Eternel ? préférons à tout prendre les ronds de jambe mythologiques de Sidoine à ces avalanches intestinales qui laissent bien mal augurer du christianisme à venir. Heureusement, notre évêque d'Arvernis s'est vigoureusement soulevé contre la livraison clés en main (le mot n'est pas trop fort) de son Auvergne aux Barbares d'Euric, Wisigoth fratricide ; ce que notre poète paya d'un séjour en prison. L'an 475 en effet, juste avant la chute de Rome (en repères contemporains, ce serait 1975) l'Empereur Népos négocie l'abandon de l'Auvergne contre le retour à l'Empire d'Arles et de Marseille - comment balancer en effet le prestige de ces glorieuses cités avec l'obscure citadelle des Auvergnate (700 habitants).

    Sidoine, au-dessous de ces pavés mêmes où nous marchons, de ce lycée qui perpétue son nom, de sa statuette en Père Noël épiscopal, promena son mètre soixante, encouragea le peuple du haut des remparts tel Augustin à Bône. Quant au Sidoine du jeune temps, si dynamique, si passionné, si vulgaire, il ne nous est pas moins étranger. Son époque pourtant correspond à ce que nous vivons, et tout fanera comme l'herbe. Disparaîtront aux premiers chocs tant de précieux documents informatiques. Sidoine descendait de nobles consulaires. Il épouse la fille du futur empereur Arverne. Cependant l'Empire poursuit ses écroulements. A 18 ans, l'Apollinaire (le nôtre, le Gallo-Romain, dont il ne reste aucun portrait) (fondue, la statue d'or) – fut acclamé par la noblesse lyonnaise.

    Qui s'ébaubit de sa virtuosité : l'écriture n'est plus qu'un jeu de mots. De quels siècles serons-nous l'Antiquité ? ...donnerons-nous naissance à quelque cycle épique ? d'Auschwitz à Hiroshima, la matière est riche ; qui seraient nos Roland, nos Guillaume d'Orange ? ...il était une fois, de siècle en siècle, une chaîne ininterrompue, atavique et sacrée, des moines de Saint-Michel-au-Péril-de-la-Mer à ceux de Liège ou de Bobbio, dans ces atmosphères intégristes, où l'on grattait et regrattait le parchemin de sa plume d'oie rêche ; priant, mourant vite, vite, le temps du passage de relais. Chateaubriand, Huysmans, haussent Sidoine aux premiers rangs.

    Tous les siècles sont là, chacun dans son costume et sa mémoire. Comment raisonnait-on ? comment les hommes s'accommodaient-ils de leur si courte existence ? Comment s'imaginaient-ils en vérité que Dieu vivait parmi nous – penser le contraire eût été inconcevable ? considérez la chaîne humaine au fin fond de laquelle nous tend la main, de l'autre extrémité du temps, ce jeune écervelé sportif qui court après les balles, s'essuie, se rafraîchit d'un Côtes de Bourg ; puis vient son fils.

    Son petit-fils fut vendu aux Wisigoths.

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    Puis sont venus les moines incessamment renouvelés, puis une longue processions, de Scaliger d'Agen jusqu'à Mommsen (1871-1903), Wilamowitz-Möllendorf mort en 31 qui fut son disciple ; les Doktoren postillonnants de Leipzig et Colmar se saluaient, rasés jusqu'aux bourrelets de nuque, engoncés de celluloïd. Au sein même des affrontements les plus barbares et des exterminations, se répondent et s'affrontent dans leurs complicités les souterraines controverses philologiques. Dans l'Europe à feu et à sang, de vieux Assis perclus et maniaques, aveuglés par la Sainte Science, les Assis dérisoires, par-dessus ruines et charniers, se transmettent les codes de la mémoire. Desséchés dans leurs cœur dès leur plus jeune âge, disséquant conjonctions et préciosités, hors du monde, sanglés en gilets d'intérieur et la loupe à la main, bouffés de tics et de phlegmons contre les poêles fumants, marmonnant sous les monocles - c'est ainsi pourtant qu'ils ont propagé, dans leurs fossiles voluptés, les Institutiones de Cassiodore et les Lettres de Symmaque, préfet de Rome, et de son lointain successeur, Sidoine.

    En bout de chaîne jusqu'à nous, entre leurs pincettes d'entomologistes. Ils ont pour nom Luetjohann, Mohr et Sirmont, Thilo, Leo. Ils repoussent de la gueule, baisent peu, sans un seul instant mettre en doute l'extrême nécessité de leurs immenses balivernes. Mais leurs valets révèrent profondément Herr Doktor. Hommage en vérité aux Benediktus-Gotthelf Teubner, aux Brakmann ; à Luetjohann, pieux germanique aux favoris poivre et sel. Me voici compagnon de ces vieux puceaux ressusciteurs d'ancêtres, bien à l'abri sous leurs cols durs. Tout semblables aux moines médiévaux, de Cork en Irlande à Byzance, extrémités protégées des Barbares, ici restituant une préposition, là l'optatif oblique.

    Ils ont sauvé le Verbe. Fascinés par la lectio difficilior, la lecture la plus difficile : quel scribe inattentif en effet, vers la fin du Xe siècle, épuisé de jeûnes et de vigiles, devant un écritoire assiégé par les vents, ne se fût laissé entraîner par les obscurités où sombraient un à un les raffinements de l'aède... Pour moi que le sort astreint à l'isolement, infirme volontaire de toutes relations humaines utilitaires, j'aurai entassé mes pages, souhaitant qu'un jour quelque chercheur me tire de la nuit, tout clignotants. Il exista en ce temps-là un ciel, de l'air, comme ceux que tu vois et respires.

     

    1. 10 X

    Comment les hommes de ce temps concevaient-ils leurs courtes vies ? L'existence ne pesait guère ; le moindre manquement, la moindre négligence, nous eût mille fois expédiés, nous autres profanes, sous le glaive ou sur le bûcher. Aimaient-ils, ces futurs jeunes morts, leurs enfants avec la même angoisse ? ligotait-on déjà les nourrissons pour fortifier leurs jambes ? Vivait-on l'instant présent dans la suffocation ? Retenons aussi qu'Octave Auguste vivait à égale distance de Sidoine que François Ier de nous autres. Constantin, fondateur du christianisme d'Etat, correspondrait au temps de Dreyfus. D'autre part,  lorsque naquit Sidoine (420), l'Empire de Rome pouvait encore se considérer comme éternel : en 389 (1889), n'avait-on pas expulsé de Rome  tous les étrangers ? (...qui pouvait donc bien rester?) - voici donc Sidoine, ce nouveau rejeton d'une famille noble.

    La décadence ? quand cela ? pantoufles brodées, service militaire interdit aux nobles au profit des barbares si bien payés, tout n'allait-il pas pour le mieux ? En vérité, l'Empire ne sera foutu que si les instances Barbares se substituent aux instances romaines ; ces dernières se maintiendront, mais progressivement étouffées (Auguste l'avait fait pour les institutions républicaines). Même si, plus tard, sous Théodoric, Romains et Barbares (418-451) obéissent aux mêmes lois, depuis longtemps, lorsque naît Sidonius, les forces, les lois de Rome « n'ont plus de romaines que le nom », dans une civilisation ramollie jusqu'à la pulpe, dans la plus parfaite inconscience. « Naquit à Lyon le 5 novembre, vers 431... » - onze ans de battement ?

     

    X

     

    ...J'entends toujours ces exclamations méprisantes et masculines du musée de Tarragone : “Il n'y a rien ici... Tu parles... des sonnettes, des lampes à huile, des tringles à rideau !” - méprisable con, ne t'aperçois-tu pas, du creux de tes couilles, que ces sonnettes en effet, ces écuelles et ces peignes, furent jadis touchés, polis, pétris ou effleurés par des paumes, des doigts, des souffles évanouis, et que ce sont ces souffles que l'on visite, flottant encore au-dessus des vitrines ? Ne t'aperçois-tu pas, ne t'épouvantes-tu pas de ce jour si proche à venir où nous ne serons plus qu'une haleine au-dessus de cette brosse à dents ou ce tintement de cuillère sur l'assiette vide ?

     

    X

     

    Il plut à Sidoine de s'élever aux cieux sur un petit char mièvre, tiré par les non moins mièvres aiglons de l'inspiration, liés de maigre lierre - se renseigner sur ce qu'étaient les griphons, sur le supplément d'âme de cet “y” de “grypas”. Rappelle-toi ce triple battement de pied, deux croches une noire, deux croches une noire – celui du péan grec – en l'honneur d'Apollon Péan - sur ce disque de Panyagua, « Pain et Eau », Musica Antigua... Le tout scandé par les meilleurs chanteurs d'Athènes, émettant de leurs voix graves des“'dhe”, des « th » de British sods. "Poète, prends ton luth », et frotte de ton plectre la lyre originelle en carapace de tortue. C'est alors que Sidoine se livre à l'une de ces acrobaties, de ces balles en touche auxquelles ne résiste nul bon poète estampillé qui se respecte : énumérer ce dont on ne va pas parler : “ce n'est pas aujourd'hui le moment de chanter la fin de Python”, non est modo dicere tempus / Pythona extinctum, “de dire Python éteint” - dont la décomposition fournit le fumet des Pythies, qui prophétisent.

     

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    Le trésor des Germains est l'Or, et l'invincibilité ; tandis que Fafner le Dragon se délite dans la lueur verte et sanieuse des sous-bois, notre Python solaire à nous cuit en plein été, mal enseveli sous le schiste. Sur les pas des Anciens je trébuche à mon tour.

     

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    Sidoine évoque le grand Vallia, aïeul de Ricimer, terrassant les Vandales, couvrant de cadavres l'occidentale Calpé » - c'est Gibraltar - “avant le [rappel] des Wisigoths en Gaule et leur établissement en Aquitaine.” L'exploit de Vallia ne fut qu'une escarmouche, et les Vandales n'étaient pas « rangés en “escadrons”...que je sache... Les Alains leurs alliés s'étaient depuis longtemps reposés sur la route, au nord vers Allainville, non loin de Rambouillet. Le petit-fils de Vallia, “le terrible patrice [Ricimer] faisait et défaisait les empereurs”, sans reculer devant le meurtre ; un camée représente Ricimer, glabre, balafré, porteur de la toge civique.

    On prononçait « Richimer », comme ich – défit les Vandales Tartesiacis terris – sur des “terres » non pas « espagnoles”, mais “tartésiennes”, («gibralteras ») - comme si l'on appelait la France “terres de Besançon” - « bisontines » - “la déesse, convaincue, s'apprête à se mettre en route”, nous dit le traducteur - quelles images se cachaient dans leurs têtes à tous ? quels émois éprouvaient-ils, parmi tant de chrétiennes passives ? « [|Son] baudrier, hérissé de boutons pris à l'ennemi, plaque sur le côté gauche l'épée dont la garde se dresse » : carton-pâte et convention – mais c'est Rome, non pas Bruxelles, qui devrait être capitale de l'Europe).

    Hexamètres brillants, coruscants, énigmatiques ; périodes balancées. Sidoine restait le seul capable de mener à bien le panégyrique d'usage ; on l'avait extirpé de sa retraite, car lui aussi avait participé au complot gaulois. A petite bite brosse-bottes. Se reporter encore à Loyen, si juste évocateur de cette immense lassitude millénaire emmiellant les Romains anémiés, mêmes clichés, mêmes héros essorés par les siècles. “Passation du flambeau”, «Bascule des cultures », entre voiles funèbres, invocations ; larmes à l'œil et vulgarité catholique, masochismes diarrhéeux d'Augustin - Sidoine couronné de liserons, pleutre fleuri, désormais récompensé par son accession à la Préfecture de l'annone.

    Sidoine subit une émeute par manque de pain et de vin dans la Ville - “Notre préfet est bien gras ; il ne doit pas manquer de pain, lui.”

     

    X

     

    Ce furent les prêtres qui incarnèrent après la mort de Sidoine un patriotisme romain moribond, du moins catholique : en ce temps-là, cujus regio, ejus religio. Les Burgondes, autour de Lyon, s'identifiaient comme “ariens”, ne croyaient pas en la divinité du Christ. Les Francs devinrent “catholiques” par Clotilde, princesse burgonde... Sidoine chrétien depuis son grand-père mais pas encore évêque nous pond éloge sur panégyrique, à la demande - qu'aurions-nous fait ? ce qui indispose outrancièrement dans la vie de Sidoine, c'est cette absence abyssale de sentiments profonds, ou simplement mêlés. Sidoine, gâté par la fortune, réagit toujours à l'Histoire comme on peut s'y attendre ; jamais comme on ne s'y attend pas. Aucune tentation, par exemple, de suicide, le stoïcisme est bien loin, ni même de dépression – juste une immense colère, enfin ! quand l'empereur Népos livre l'Auvergne en échange de la Provence, alors que les Arvernes, eux, ne se sont jamais rendus.

    Difficile de distinguer chez nous ce qui subsiste de l'antique, et ce qui nous est devenu, à tout jamais, incommunicable.

  • Route de Branne

    C o l l i g n o n

     

    R O U T E D E B R A N N E

     

     

    Qui veut voyager loin prend la route de Branne. Inutile de pousser jusqu'à Bergerac où l'on se rend de deux façons : soit par le Pont de Pierre estampillé "N", les Quatre-Pavillons et la route de Libourne, soit par le Pont St-Jean, inauguré le quinze sept soixante-neuf par le bal sur tablier – puis Fargues-St-Hilaire – et Branne. À St-Pey d'Armens les deux routes se rejoignent (Castillon, Ste-Foy...) - mais il suffit d'aller à Branne : "le lieu des terres brûlées" – ou "le marécage" – bourg disgracieux au premier abord mais beaux rivages, agrafés par un pont de fer, tronçon tombé là comme un morceau de Tour, Eiffel, signe particulier : brouillait la radio.

    La route de Libourne est pour les pressés, qui font Paris-Sète par Bordeaux, pour la vitesse – en ce temps-là le Massif Central n'était pas encore "désenclavé", et s'il l'était resté on y retrouverait moins de cons – "à main gauche St-Émilion et son église monolithique" troglodyte, en fait.

    La seconde façon d'aller, par Branne, est celle des flâneurs, des intelligents flâneurs. Une route engorgée de villages, laissant de côté les centres-bourg – Tresses, Baron, Vieux-Procédé – pas une demi-lieue qui ne soit jalonnée de souvenirs. Et s'il est vrai que toute route soit la Route, la mort au bout,ou bien le beau retour aux sources, alors qu'importe en vérité, qu'on s'accomplisse ou meure...

    Nous verrons bien ce qu'il advient de cette sérénité.

    Ma ville, c'est Bordeaux. La route de Branne est le cordon ombilical, effilé, insectionnable - partons du début, non pas des enfances enfouies désormais dans leur préhistoire, mais de cette interminable, fascinante et immobile adolescence, où l'avenir avait le goût doré de ces orages mort-nés.

    Cela me vint d'abord sous forme de comptine :b Sur l'arbre.JPG

    Une chambre sur un mur

    Qui donne sur l'arrière-cour

    Avec des murs de vert cru

    Où pousse le lichen bien dru.

     

     

    C'est de moi. En baissant les yeux par la fenêtre je voyais aussi une terrasse aux rebords d'alu bitumé. Tout est parti de là. Ou resté. La consigne est de décrire cette chambre comme une cellule, un boyau où vécurent sous la poussière, classés à plat dans les placards, tous les dossiers, tous les projets empilés bien étiquetés sur tranche : ROMANS, ESSAIS, POÈMES, lève-toi et marche. Dans ce décor un homme, prénommé B., dont la femme lui gâte la vie sans qu'il se soit jamais demandé pourquoi, et qu'il fuit jusqu'au bout de sa laisse aux confins des campagnes départementales, mettons Créon, Sauveterre - et Branne, en lisière.

    L'homme fait signe du pouce, la vie passe sans s'arrêter, "Vignonet", ces temps remontent fort loin, j'étais bien vivant. L'air portait en ces temps-là une texture, un parfum de frais, de feuilles vivantes et mortes, qui s'en souvient ? - d'espoir peut-être. L'air d'aujourd'hui est mou ("beau temps" sur la moitié sud) - un homme basané s'arrête dans la nuit - d'Antananarivo ? Mananjary ? L'auto-stoppeur évadé ne dit rien.Ne drague pas. Les Indiens noirs ou Dravidiens n'ont rien de négroïde : traits fins, lèvres bien ourlées, nez droit, faciès européen. Soit 70kilos de tendresse noire sur le dos dont seize centimètres dans le ventre - où est le risque?

    L'auto-stoppeur B. comme Blanc connaît cet homme,

    Ils bossent tous les deux dans la même prison

    exposés tous les deux aux mêmes affleurements et contacts de jeunes filles et B. le Blanc se remémore l'Indien Noir le Dravidien aux prises avec les mêmes circonstances ridicules : en ce temps-là, quelques diplômes et 5 années de plus constituaient une frontière infranchissable : deux jeunes prisonnières au parloir ("ambiente carcerario femminile") insistent auprès du Dravidien, très beau, très grand, sur un point de détail de grammaire anglaise. Il répond doucement, battant des cils sur ses longs yeux - hélas en ce temps-là, l'opinion commune était que les objets de désir des jeunes filles ne pouvaient être que d'autres jeunes filles.

    Tous les hommes se travestissaient, d'expression, de comportement, de ports de tête - hélas encore, elles aimaient aussi, certaines, parfois, de vrais hommes à peau

    dure avec de gros rires. Les prisonnières en centre éducatif ont tourné les talons, singeant avec mépris le battement de cil de l'Indien. La jeunesse du monde grinçait. Et l'autostoppeur B., témoin dans l'ombre du siège passager, repassait dans sa tête la scène infame du mépris des filles, sans pouvoir confier au chauffeur foncé que lui aussi battait des cils en langoureux, sans avoir pris conscience de son dérisoire.

    Il se jura ce soir au fond de son fauteuil que jamais plus, lui, Bertrand le Blanc, il ne prêterait le flanc à l'interprétation des jeunes filles. Cinq ans plus âgé qu'elles. B. vivait chez père et mère, plus loin, où ils sont morts depuis, la maison familiale au hasard des rachats devant abriter pour finir une famille de rouquins très antipathiques, la tombe des parents portant le n°113 au cimetière de Belle-Yves - au-delà de Branne, en Périgord pourpre. Route des tombes et des sources

    S'accomplir est mourir

    Ne pas le faire est mourir

    Tel est le choix - alors mourir.

    Parcourir une route où rien ne passe. Où rien ne se passe. Ce n’est plus le cas. Où les rencontres, les hommes et les femmes, s’engluent comme les mouches sur le papier brun au-dessous du plafond de l’enfance voyons dit le roi Arthur si la rivière aujourd’hui nous apporte quelque aventure – l’aventure est ce qui advient, ce que nul n’est jamais venu rechercher, car la vie n’est qu’un cours terrible et tranquille – « or voici : descendant la rivière à leur rencontre, le Roi et la Cour découvrirent la barque merveilleuse, où gisait une jeune fille, la plus belle, la mieux parée qui se vit oncques ; et cette belle était morte ».

     

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    L’homme errait toujours, flairant les bas-côté de son passé – ou peut-être un chien. En ces temps de route clairsemée, il se trouvait au pied du ressaut de Tizac. Deux jeunes femmes le prièrent courtoisement de prendre place à bord de leur automobile ; plus un jeune enfant, plus un petit oiseau dans une cage, tous trois sur le siège arrière. L’homme errant ce soir-là se sentant atteint de malaises (d’un gros rhume contagieux) évita l’enfant pour ne pas le contaminer, contraignant la passagère à descendre, qui s’installa mortifiée près de l’enfant fragile et de l’oiseau en cage, leur parlant à l’un puis à l’autre en alternance. Il n’y a rien de plus dangereux pour un tout petit enfant que le rhume. Il en souffre beaucoup. Ses voies respiratoires, nez, gorge, s’irritent et s’obstruent, sa mère ne dort pas. Je ne les revis plus, ni les femmes ni l’enfant, ni l’Indien de Tamatave aux longs cils. Les ombres ne signifient rien. Ou alors, le rien – éloignez-les de moi, aucune voix ne monte vers l’homme ou ne descend des cieux Seigneur écarte de moi ce Graal que je ne saurais voir.

     

    * * * * * * * * *

    De son vivant le même homme connut monsieur C. La scène se passe au bord de la route, et je lui dis ma femme (savez-vous) est très compréhensive. Le Sieur C., vendeur de chemises, donna son adresse à Pau mais sans suite – était-il vraiment opportun de prendre pour la circonstance mes airs les plus chafouins

     

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    Quatrième insecte englué sur la torsade : repartant d’Agen (tout petit périmètre) j’ai dragué sans intention de résultat j’ai allumé l’homme qui m’avait pris à bord. Le restaurant m’avait gavé de pilaf au safran. Une grosse pyramide bien pointue, un petit serveur typé tout rougissant, soudain pardon - s’éclipsant - je vous empêche de manger – j’ai tout englouti à éclater pour justifier sa honte et confusion – et nous voici le fondé de pouvoir gros et gras et moi tassés comme deux sacs de grains le tutoyant parlant de sa femme et de ses enfants, car les pédés s’enquièrent à fond des vieilles épouses et quand il m’a largué sur le bas-côté du crépuscule je l’ai entendu péter sur fond de claquage de porte.

    J’étais planté sur la route noire en plein cœur du Lot-et-Garonne partout le désert je hais les départementales et du milieu de la chaussée je m’étais guidé sur le ciel moins foncé entre les cimes des peupliers. À minuit d’un coup pile toutes les lumières de St-Maurice s’éteignent et tous les chiens me sautent dessus contre les grilles en gueulant, bout de conduite et frisson sur facture. Quand je suis arrivé à Monsègue les croix du cimetière sur la butte se détachaient comme des dents creuses sur l’aube à l’horizon : pendant dix ans j’ai mis bas là-dessus tout un livre Enfants de Montserrat vendu dans toutes les librairies de ma rue.

    *

     

    La cruauté des rapports humains m’a toujours épouvanté.

    Indice n° 1 le titre Mouvement Perpétuel ou Sur Place écrit par saint Cloporte qui se mord la queue – tu es le plus fort mais sitôt franchie la barrière fin du message et c’est Moi qui gravis la pente noire en me crottant jusqu’aux genoux sous la bruine du monde, je monte vers mes morts dans la tombe et la pluie sur eux, agrippé tout en noir les deux mains dans la terre, en direction de mon destin de fou trempé, trompé. J’ai raconté ma vie à la table de bois du bistrotier tombé du lit route de Branne à l’heure où les soiffards se parlent de femmes entre invertis de la cloche, marins de terre ferme et fiancés de la bouteille – je te connais mieux que toi-même puisque tu me manques.

    Alcool perdant.

    La route se perd après les croix du cimetierre.

    Prénom de femme.

    Quel est le chant, le livre, l’oraison… qui n’amplifie pas le prénom d’une femme.

    Voilà bien de l’histoire. Voilà bien de l’aventure. Non pas une forteresse, mais un véhicule qui m’appartiendrait, pourvu de tout ce que l’insertion comporte d’accessoire : lavabo, raccords électriques, couchette – finis, les hommes nocturnes, désormais les nuques rases, l’abandon des tournures d’Église, mais de larges rideaux tirés, des baises à petits coups précis pour éviter le plafonnier, de bons ressorts fidèles, rien qui se voie sous la tôle jaune griffée d’éraflures. En vérité le bouclier d’Achille représente le monde entier roulez bolides.

    Changement de ton

    C’est un camion. Une estafette. Sous le plancher une invraisemblable foule de connections électriques. Le garagiste lève les bras au ciel quel est le couillon qui vous a bidouillé ce bordel l’ami bricoleur a tronché ma môme derrière le tas de chiffons bourré de cambouis et puis je l’ai récupérée, camion en sale état fille à peu près retapée je n’ai rien dit sur le moment ça recuit des années avant que ça vous repète à la gueule

    Le lyrisme revient de suite

    ...tous les boutons pour que ça remarche, l’allume-gaz à pression, la bouteille plate sous le frigo, le petit lavabo où tu pisses à l’arrêt tout tordu fais gaffe que ta pisse aboutit dans les eaux usées que tu te trimballes au flanc comme une sonde vidange interdite si tu pollues tu payes. Se mettre sous la guinde donner un quart de tour, avec du pot tu évites ta merde sur la gueule juste à côté des vidanges d’huile ne quittez pas vidages réguliers j’ai revendu tel quel pour trois fois rien j’espère que le suivant s’est pris toutes mes vieilles pisses sur la gueule.

    Moi, l’homme, hésitant, étourdi, évadé, à présent, bien présent, muni du CAP « tournage bagues et bracelet », tour mécanique pour le cuivre, fin burinage, croix celtique, basque, etc. - je ne veux pas passer pour nazi je ne me fâche avec personne - mon ex était basque. Nous avons roulé neuf mois. Les marchés, les robinets de cimetières – l’eau des morts est bonne à boire, derrière le mur nul ne te soupçonne de remplir ta tonne de 40 litres à l’œil. Un soir, errant parmi les tombes à la tombée de la nuit je cherchais la prise d’eau lisant les plaques. Mais il est rare de péleriner sur le tombeau d’un grand-oncle avec un bidon à la main merveilleusement luminescent dans le crépuscule.

    Quand je suis ressorti du cimetière cinq hommes se promenaient dans ma direction, un peu vite pourtant, le maire et ses ânes-joints qui vérifiaient mine de rien ce que c’était que ce zombie qui scrutait les dalles avec un jerrycane. Nous nous sommes dit gentiment bonsoir sans plus. Les bouseux sont sympa. Mon ex s’appelle Monique. Nous faisons les marchés, ça me revient. On se lève à l’aurore, bourgeois. En pleine nuit lyrique les oreilles qui piquent, même l’été, le plein de sommeil n’est pas fait, le paysage s’il y en a un vous rentre par dans les yeux, l’estomac tire. Arrivée parmi de parfaits inconnus ou qui font semblant, un apprenti équilibriste tâche de tenir sur un fil entre deux chaises, très mauvais, les gosses admirent.

    Les Arabes et les Manouches passent très tôt en costards fripés, blasés, les mains aux poches et hurlant dans leur langue pour bien faire voir que le monde leur appartient, ce qui se pourrait bien. Ils supputent les bonnes arnaques. À neuf heures les bons coups sont partis – l’air dédaigneux, trop bons de te liquider tes rogatonspuis la place qui s’anime, la matinée qui se met en place, tu restes là dans la brume humaine qui s’accroche et qui meuble à ras de pavé, la place prend son relief normal, des Cajuns font du raffut sous chapiteau ça va dix minutes après tu en as marre, tu reviens à ton stand où rien n’est vendu, rien ne sera jamai vendu parce que personne n’en a strictement rien à foutre de tes merdes parce que tu ne t’intéresses pas à leurs merdes à eux.

    Le clown débutant jongle sur sa corde molle et se casse la gueule, les Cajuns bouffent, les gosses trimballent leur tête à claques au bistrot qui les engueule c’est un établissement de boissons ici je ne peux tout de même pas passer mon temps à vous offrir des verres d’eau – si t’avais su t’aurais fait bistrot mais t’as fait trop d’études, tu n’as toujours rien vendu et ton voisin ne t’a toujours pas adressé la parole alors que tu bouffais encore avec lui il y a huit jours c’est peut-être pour ça d’ailleurs qu’il te fait la gueule fallait pas faire du genou à sa sœur sous la table merde elle est libre à 38 ans tout de même en tout cas la solidarité entre forains mes couilles.

    En plein été on te place en plein cagnard sur la pente du château zéro vente le matin because la messe et l’après-midi tu te prends le soleil pleine poire jusqu’au coucher t’es bien le seul à ne pas avoir prévu de parasol chacun pour soi, le seul à vendre c’est le stand pain d’épices et le vendeur de Coca. Plus bas c’est les dessus de cheminées, chiens en plâtre Hercule en plâtre David en plâtre, tu marches coudes serrés cul serré en guettant du coin de l’œil parce que si tu engages la conversation ça va tout de suite retomber sur tu me le donnes ton fric cher ami de mes deux fils de pute oui ou merde ça décourage, forcément – vous aimez ça les contacts humains, vous autres ?

    On ne s’achète pas entre exposants. Chacun son badge. Tiens la sœur s’est mariée cette conne, le mari n’est pas mal je me l’enverrais bien mais faut pas me prendre pour un pédé, prétentieux mais beau gosse, quatre mois à Paris ça vous pose un homme, dès que t’es beau vaut mieux que tu fermes ta gueule lyrique, chaleur, mouches, consommations à renouveler pour ne pas crever de soif – et ce morveux de 3 ans qui braille – cette rage des prolos à vouloir se reproduire il faut vraiment ne rien avoir à foutre de sa conne de vie pour perdre son temps à élever un con de morpion qui te chiera à la gueule à quatorze quinze ans, faut vraiment avoir la tête vide comme un bricoleur pour pondre un gosse.

    Reprenons : des marchés en plein air ou à couvert, avec les artisses qui tortillent le blé le pin le maïs et la fleur séchée, le taulard qui vend tout exorbitant de chez exorbitant, les ploucs qui te traitent d’intello parce que tu as eu le malheur de parler russe avec des Popov, tous ces marchés, ces rassemblements de viandes molles qui de toute façon ne veulent jamais acheter rien acheter rien de rien ben c’est vulgaire prout et rintintin.

     

    X

    Moi je m’étais payé le camion lyrique pour faire la route, juste un petit coin de France, Bretagne à la rigueur ou Picardie, et puis Monique me fait le coup de la bonne femme elle tombe enceinte putain c’est vulgaire et tout, seuls les hommes vulgaires peuvent sentir ce que j’ai senti tout un château de cartes qui s’effondre, toute la vie qui s’écroule sur vous c’est dans « Monsieur Ripois » - les femmes font ça, vous rivent au pied du produit de vos couilles et plus moyen de faire quoi que ce soit ça ronge ça bouffe – je ne suis pas encore parvenu à déterminer si les gens qui font des enfants sont des héros ou des cons.

    Et que fait une femme avant de vous balancer sa purée de placenta ? Elle dort. Elle roupille. Ne peut plus supporter le camion. S’invente un médecin, deux médecins, des soins, l’homme est coupable, coupable à se les couper, tous les matins ce con-là s’enfuit sur sa machine roulante et tressautante. Les nuits d’insomnie allongé près du ventre. La reproduction c’est la mort – les femmes, c’est rien que des bombes à retardement la grosse bête qui gonfle, qui gonfle…

    Quatre longues années perdues plus tard, quatre années de ruine de bite parce que le mouflet lyrique ne vous laisse plus une nuit de répit, la chose et l’enfant deviennent présentables.

    Le père a pris quatre ans de plus. Encore heureux quand la mère ne décide pas de remettre ça. Ma fille s’appelle Rachel Sarah Svoboda liberté en tchèque. Une petite fille toute brune qui touche à tout, qui vous obéit bien et qui vous aime beaucoup. Peu de chose suffit pour se faire aimer d’un enfant. Sa mère et moi baisons doucement, faible amplitude, plafond aux fesses, camion docile, c’est la femme, c’est la fille qui vous tendent les clous pour fixer, tu dois aider l’humain à vivre, à braire un peu avant d’agoniser.

    Reste les matins.

    Le matin l’artisan, le fabricant de bracelets, s’emmerde, s’emmerde, on ne peut pas dire qu’il se réveille en bénissant Dieu, bobonne au lit ronfle tout éveillée (ça se peut) tu te lèves (c’est tu à présent), tu te cognes dans tout ce qui bouge, tu brosses le chat tu vides sa merde et tu te laves c’est désagréable, tout est désagréable. Au petit-déjeuner tout seul tu broies le noir, cinq biscottes avec la confiture dessus.

    Le plaisir qui subsiste est celui du camion. Pour moi tout seul. Un Diesel avec le retard Diesel à l’allumage.