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Vingt-quatre dissertations plus une

 

 

 

 

 

 

 

 

C O L L I G N ON

 

VINGT-QUATRE DISSERTATIONS

plus une

 

I BRANLOMANIE

Dans les années 2030, en retard déjà sur le bouleversement des mentalités, nous écrivions ce qui suit :

« Toute vocation pédagogique es d’ordre sexuel. Mais si vous éprouvez la moindre velléité de tentation de passage à l’acte, vous n’êtes pas faits pour ce métier, vous y êtes même diamétralement opposés. Fuyez vite, loin, à tout jamais. Nous ne parlons pas des femmes, dont le contact physique, n’en déplaise aux effarouchés ridicules, n’a jamais fait grand mal ni aux garçons, ni encore moins aux filles. C’est aux hommes que nous nous adressons, qui forment la quasi-totalité de ce genre de malades : messieurs, s’il vous est arrivé de glisser dans cette fosse à merde, sachez que vous n’êtes plus, que non seulement ne compterez jamais plus au nombre des hommes au sens plein et viril de ce terme – mais que vous serez tombés au-dessous même de ce qu’il est convenu d’appeler « l’espèce humaine ».

Or, l’éducation sexuelle, obligatoire et jamais assumée (chacun se repassant la patate chaude) est un des seuls moyens légaux et propres dont nous disposons pour cimenter les relations humaines dans le cadre pédagogique. Putain c’est bien dit. Mais con ne vienne pas nous parler d’Autorisation Préalable du Principal ou d’Accord des Parent, car à supposer que nous les obtinssions, ces autorisations, elles seraient assorties de clauses tellement restrictives et tellement comminatoires que pratiquement rien ne serait possible. Terreur latente et l’arme de poing dans la poche. Sans gueulbe. Comme me disait Jeune Sépluqui, « quand je fais l’amour avec mes élèves, je ne tiens pas à ce que n’importe qui puisse venir me prendre par derrière » - eh, c’est de l’humour tas de Cosaques.

Le jour de la Déclaration, il convient d’être au top de son honnêteté, en indiquant ses propres blocages, limites et tout ce qui s’ensuit : les vôtres, et pas celles d’une organisation chapeautante quelconque : « Vous me verrez hésiter, balbutier, rougisser. À chacun les séquelles de sa propre éducation. Mais je dirai toujours ce que je pense personnellement. Vous allez donc tous me rédiger vos questions sur un bout de papier anonyme » - si j’ai fait du bien, du mal ? les deux, sans doute. J’ai fortement soulagé le garçon C. en lui révélant que non, les règles ne coulaient pas « à gros bouillons » ; j’ai révélé au garçon O., très étonné, que oui, les femmes aussi éprouvaient du plaisir. Mais le garçon R. se montra profondément écœuré d’apprendre, à quatorze ans, les gestes exacts de ce fameux « acte sexuel » dont on parlait tant. Et toujours, point capital selon moi, je proclamais à la face du monde que les filles, elles aussi, parfaitement, se masturbaient, et comment. Les jeunes garçons ayant bien trop tendance à « idéaliser » leurs « petites amoureuses » - à les désincarner.

Or, ne trouvant pas dans l’éducation sexuelle proprement dite un exutoire suffisant à ma perversité mentale, je ne le répéterai jamais assez aux punaises de sectes, j’ai exploité le filon du rire. Non pas en me bornant aux histoires de dessous de ceinture dites « drôles », hélas réclamées par les élèves (et accordées par moi) aux dernières heures de l’année scolaire, je me suis saisi de toute occasion dans mes cours, dans mon langage, de sexualiser, ouvertement, la relation professeur-élèves : la langue française, comme toutes les autres je suppose, est ainsi faite, que le moindre déplacement de syllabe ou d’intonation déclenchent aussitôt, dans l’esprit de mes branleurs et surtout leuses, toute une série de connotations marquées au coin (cuneus) de la sexualité.

Pensez seulement aux incongruités qui peuvent résulter de l’intonation d’un groupe de mots comme « l’habitat urbain » ou « le taureau est entré dans l’arène ». Une fois l’attention aspirée par ce terrain, il est impossible de l’en dégager. Au détour d’une phrase sévère de Pascal ou d’un cours sur les participes, le sexe peut même survenir par simple suppression de syllabes : « Il en a pris l’habitude » devient « il en a pris l’ha - üde », suivi ou non d’un fin silence. Se garder, surtout, de prononcer le moindre terme grossier : le sexuel doit venir en quelque sorte s’imprimer en creux dans le discours, au prix d’une certaine attention, d’où une atmosphère constante de complicité dégoûtante.

Bien entendu, ces plaisanteries sont on ne peut plus stupides et dégradantes, ne me faites pas l’injure de me croire inconscient. S’il existe un Dieu, je me présenterai devant lui : « J’ai fait rire mes élèves », et il me sera beaucoup pardonné, car le temps passé à rire n’est jamais perdu. Ils rient, ils se débloquent (en marge, au crayon : moi non ; qui a écrit cela?). Ils écoutent chaque phrase, où peut se glisser à tout instant un sexe baladeur, et retiennent, prétend-il, le sérieux en compagnie du plaisant. Tout rire est sexuel. Toute subversion du langage abat un interdit, tout calembour abat une chaîne de calendos. S’il est vrai d’après Freud que la délivrance n’est que pour l’auditeur, tandis que le locuteur renforce son blocage (il rit peut, mais voit rire) (voyeur, non actif), nous serions volontiers tenté par ce paradoxe de poser au martyr, sacrifiant son épanouissement personnel sur l’autel de l’abnégation libératrice, comble de la mauvaise foi.

 

DU VÉRITABLE OBJET DE MON ENSEIGNEMENT

 

Nous voudrions établir une ligne de démarcation très nette. Creuser avec véhémence un abîme sans fond : il n’est pas question pour moi du sexe masculin. Rien ne nous est plus étranger que les extases sulfureuses d’un Michel Tournier sur les genoux écorchés des garçons, ou le fumet des pissotières d’école, « autel(s) fumant(s) de la garçonnie ». Rien ne me répugne autant qu'un adolescent furonculeux qui se tripote la quéquette derrière la porte entrebâillée des chiottes. Jamais je ne me suis reconnu dans ces individus grossiers, prétentieux, pétant de vulgarité, toujours prêts pour le poing sur la gueule à 5 contre 1 de préférence. Je n'ai jamais voulu, un seul instant, leur ressembler.

Ce sexe malotru qui fut le mien par les hasards de la génétique, entre le dérisoire et le pathétique, ne me semble tout juste supportable que sur mon propre corps, à force d'à bite hude. Et s'il existe paraît-il un "masochisme féminin", j'en verrais volontiers l'illustration la plus consternante dans son attirance pour cette espèce de cornemuse flasque et baveuse qui sert d'organe érotique à mes cons génères. Ce cou de vautour pelé, maladif et malodorant, cet incongru et vaniteux sac à pus. Dispenser cours à une classe de garçons équivaut à faire un plongeon nauséabond de 45 en en arrière dans une espèce de fosse-cloaque où fermentent en cloques de longs tourbillons d'étrons et de résidus de branlette.

La lectrice (les hommes ne lisent pas) comprendra sans difficulté notre particulière attirance pour l'onanisme féminin, si dissemblable, dans son élégance, dans son innocence (car la fille et plus tard la femme se branlent dans la plus parfaite bonne conscience voire inconscience), du trayage cradingue et laborieux qu'effectuent les garçons disgraciés. La masturbation, chez la débutante, n'a pas encore acquis ce stade de fixation qu'il atteint irémédiablement plus tard, quand la femme décide de "choisir" et ne choisit personne.

Donc, tandis que les hommes seraient prêts à se contenter de n'importe quel croûton, les femmes exigent de la brioche. Pour le faire court : le garçon se "tripote" dans la honte la plus totale ; la jeune fille se caresse dans l'incertitude parfois, ce qui est tout de même moins grave, et reste en tout cas entre soi et soi (le garçon fait des taches ; il ne peut rien cacher ; les filles aussi, mais pour d'autres raisons qui n'ont rien à voir). Pour s'absoudre à ses propres yeux, l'homme se trouve ainsi condamné à l'enfournage répétitif et mécanique ; l'adorateur se mue alors s'il le peut en punisseur déespéré, pilant sous ses coups de boutoir ce foutu sexe capable de jouir à lui seul... le plus souvent à lui seul.

L'objectif serait donc, plus modestement, de transformer ces jeunes oies butées, résolues à se faire hacher menu plutôt que d'avouer leurs pratiques (telles ces connes d'avant-guerre qui répétaient en boucle "je ne comprends pas ce que vous dites", ayant le putain de culot d'aller jusqu'à nier la question posée) en femmes révélées, reconnaissant leur plaisir sans réticence, et le pratiquant le plus possible sous nos yeux. Nous n'avons rien trouvé de plus complet, de plus ingénieux, de plus irrévocable, que le vénérable Manuel du Confesseur : pour amener n'importe quelle femme à reconnaître ses masturbations, il faut lui parler en confesseur d'expérience, à qui "on ne la fait pas".

Le questionnaire doit donc porter non pas sur l'existence ou non de l'acte, posé comme indubitable, mais sur sa fréquence. Le qualitatif se trouvant éludé au profit du quantitatif, la femme se débat ainsi non plus sur le oui ou le non, mais sur le combien : "Trois fois par semaine ?... vous ne répondez pas ? serait-ce sept fois ? dix fois ? vous gardez le silence ? mon Dieu ! iriez-vous jusqu'à vingt fois ?" "Ne craignez pas, dit le Manuel, "de pousser le nombre aussi loin que possible dans l'absurde.Tôt ou tard il vous sera donné un démenti à partir duquel il sera aisé d'établir la vérité : car si vous ne le faites pas un nombre incalculable de fois, - c'est que vous le faites. C.Q.F.D.

Dans le cas qui nous préoccucupe, il s’agit avant tout de parvenir à l ‘identité mathématique jeune fille ≡ masturbation. La Masturbation est l’essence même de la Jeune Fille. Au premier regard entendu, elle comprend sur-le-champ de quoi il est question. « Se masturber » se dit, entre elles, « le faire ». « Faire » par excellence, c’est « se masturber ». Au premier regard entendu, elle comprend que c’est de sa masturbation, à elle toute seule, que l’on parle. Elle ne nie jamais. Plus jamais. Le contact ainsi établi au plus intime, la confiance est totale, absolue. Les allusions peuvent alors se multiplier, de part et d’autre, et c’est alors que l’Interlocuteur apprend avec délices toute sorte de précisions voilées parfaitement claires, sur la fréquence, la qualité de plaisir ou de frustration.

Autre conséquence extraordinaire : la composante masculine du groupe, jusque là sur la réserve indienne, sur la « touche », acquiert une tendresse inconnue. Eux qui se croyaient sales et méprisés découvrent, ô merveille, ô soleil levant, que ces monstres, ces invraisemblances angéliques, les jeunes filles ! se masturbent tout autant qu’eux, voire plus, en haletant tout aussi fort. Il en résulte une saine complicité – et surtout, surtout : une impossibilité radicale de concevoir une de ces atroces passions sado-maso, ver de terre amoureux d’une étoile. Car, Dieu merci, on ne peut plus envisager de se rouler en suppliant aux pieds d’une jeune fille hautaine et glacée, qui, tout bonnement, se branle comme vous et moi.

Ceux – et surtout celles – qui auront lu jusqu’ici n’auront pas manqué de se répandre en sarcasmes, invectives et menaces. Nous allons leur river leur clou en trois rounds :

  1. a) Les tartufes

On pourrait croire qu’en ce siècle où la sexologie… où Sigmund Freud… où les sex-shops etc. - eh bien non. Pas du tout. La dose d’insecticide n’a pas été assez massive. « Freud, connais pas. Veux pas le savoir » - argument adventice : « on ne plaisante pas de ces choses-là avec des enfants ». Je refuse cette sacralisation aliénatrice. « L’enfant a besoin d’être sécurisé ». Non. Secouez les enfants. Montrez-lui la vanité des choses. Scandalisez-le. C’est à ce prix que s’accroît la Conscience Humaine. Tout est permis à qui ne fait que parler. « Mais alors, vous avouez que votre système a-pédagogique est essentiellement destiné à assouvir vos propres fantasmes ».

Écoutez-moi bien : je n’ai pas envie de débrouiller mon écheveau psychanalytique. Je me comporte exactement comme ceux que je viens de blâmer. Les gens de l’art pataugeront avec des lis dans mes refoulements, transferts et autres. Ils concluront que je suis psychopathe comme tout le monde, attardé comme tout le monde, bref, un pauvre type à remettre dans le droit chemin à grands coups de « projecteurs impitoyables ». Ils me trouveront un Ééédipe gros comme une patate et la bite à papa dans le cul. Tant pis. Ce n’est pas mon boulot. « Qu’est-ce que le moi ? » Je n’en sais rien. Je me suis réveillé (nous nous sommes réveillés) un jour sur cette terre, prisonnier d’un corps, d’un caractère, d’une destinée.

Irais-je (Irions-nous) m’amuser à vouloir les changer, et, en faisant cela, m’abstenir (nous abstenir) de vivre ? Duperie ; je me soumets à leurs défauts » - massacre de Stendhal. Que si d’ailleurs le centième de mes délires se réalisait, je ne bougerais pas d’un cil. Une jeune fille réellement amoureuse me paniquerait, me pétrifierait de respect. Je ne sauterais pas sur l’occasion. Nous parlerions ensemble, nous essaierions l’un et l’autre d’y voir clair. Peut-être que je l’aimerais. Mais ceci est une autre histoire.

 

* * * * * * * * *

 

Un jour, à propos de la surpopulation carcérale, nous avions conclu quel ‘on pouvait bien « s’amuser » dans une cellule, à partir de deux... » - « ...et même tout seul », avais-je renchéri. Une petite fille « chaste et pure » fut la seule à s’étonner en toute bonne fois au milieu des rires gras. « Demandez à votre voisine », lui ai-je dit. « Elle a l’air particulièrement au courant » - de fait, ladite voisine, déjà formée, pulpeuse, portait sur son visage, plein et velouté, voluptueusement sournois, les stigmates mêmes et le masque de la masturbation fréquente et accomplie. Elle s’empressa de renseigner sa camarade à l’oreille tandis que l’Interlocuteur poursuivait son discours. Alors ce dernier fut interrompu par une exclamation dont l’indignation révélait le plus ingénu et le plus intense des émerveillements : « Oh ! Monsieur ! Si je disais ça à maman, je ne sais pas ce qu’elle me ferait ! » (braves parents…) - l’Interlocuteur passa outre, les autres pensant déjà à autre chose.

Je rencontrai ensuite plusieurs fois la même petite jeune fille dans les couloirs. Elle riait, métamorphosée en jeune fille, ouverte, gourmande, heureuse. Tel est le plus grand péché, la plus belle réussite dont l’Intervenant puisse jamais s’accuser...

Si notre vision est fragmentaire, c’est par déformation professionnelle. Mais l’étroitesse du machisme permet, elle aussi, d’approfondir. Pour la connaissance de la véritén reportez-vous à votre hebdomadaire habituel.

 

II

DES AMBIGUÏTÉS DE L’ AMOUR

 

 

 

Les enfants ne se livrent jamais. Leurs chairs y font encore obstacle : opaques, hors-jeu. Nous parlerons donc de la chair des jeunes filles, origine du monde.

Certaines, sur lesquelles je ne m’étendrai pas, possèdent des yeux de vaches, où se lit la vaisselle, l’enfant. Le stade ruminant. Vie faite et cercueil vissé.

D’autres sont des jeunes filles qui s’ignorent. Ont-elles un sexe, rien n’en transpire. « Les jeunes filles bien » travaillent, rient, jouent, mangent. On les rencontre jusqu’à l’âge avancé, sur les bancs de la fac : les « copines », les « chic filles ». Pas un poil d’ambiguïté. Le sexe ? « On n’y pense jamais » disent-elles. Nous éprouvons devant ces absences le même malaise que devant l’abeille, la fourmi, le termite, dépourvus de cerveau sexué. Nos regards se traversent. Castré, je passe outre. En peau de chèvre.

Devient fille d’Onan toutes celles aux yeux faufilés : paupières en biseaux, cils battants, lèvres mordues. Plus flagrant : la chair grasse et luisante comme d’une constante exsudation de cyprine, les yeux frottés et charbonnés. La bouche et le rire lourds – l’onanisme Dieu merci n’est plus chlorotique, mais insolent. Le point crucial n’est plus focalisé, mais diffusé. Nous pensons aux lourdes femmes de notre enfance, lourdes choses blanches et chaudes, couvertes de bas, de culottes, d’arrière-mondes vaguement grouillants de dentelles et d’étoffes imprécises aux finalités floues.

Quant aux adolescentes en fin de course, que dire ? ce sont déjà des femmes, avec leur chevelure, leurs seins, leur pubis, leurs flirts. Elles n’appartiennent plus àl ‘univers fantasmiques – et parfois même, elles baisent.

Ailleurs.

...Nous avons connu des élèves attirantes et tourmentées, supérieures, bourrées de recherches. Nous discutions. Leurs yeux fiévreux traquaient ma vérité, sans y trouver vraiment de quoi m’admirer. Un jour d’exposé où je m’étais assis près d’une fille, nos hanches se sont touchées. Elle s’est vivement décalée, le temps d’un regard de flic fou. L’érotisme des filles est intellectuel. Nous en sommes lassés, à tout âge.

Quelques-unes ont envoyé des lettres, sur leurs élans, leurs vagues confusions… Naïf

est celui qui verrait dans leurs demi-aveux le signe ineffable d’une aspiration au harem, au vivier de nos vieux jours éventuels - spirituel, spirituel… Mieux vaut alors nager dans le bonheur parfait : l’éréthisme pédagogique, expérimentée le temps d’un trimestre en 2021, dans une classe de filles presque exclusivement. Tout mon répertoire y fut épuisé. Je me fis passer pour homo : elles m’adorèrent. Je fis l’amour avec la classe entière, métaphoriquement parlant – lorsque G. ouvrait la bouche, je pensais voir un fruit fondant, et toutes ces sortes de choses…

À la rentrée de janvier, tout soudain, je leur dis : « Aujourd’hui, je ne vous « sens » pas. Nous allons faire une dictée ». Je ne les ai jamais plus « senties ». Lorsqu’elles sont revenues me voir l’année suivante, j’ai balbutié. Je me suis très vite enfui aux toilettes, providentiellement proches. Mes troisièmes étaient devenues des jeunes filles, baisables, sans plus.

... »Mais », direz-vous, « parlez-nous des garçons ; vous les avez trop durement esquintés pour ne pas avoir été attiré ».

Exact. Là aussi j’ai connu mes coups de foudre, uni- ou bilatéraux.

...Les petits viennent à vous en toute innocence : leurs yeux clairs et confiants, et toute la panoplie – l’horrible T., aux grandes oreilles rouges, avec sa mine d’assassin au nez plongeant, dissimulant derrière sa bosse la bouteille de grand cru ; le blond B., sa course en va-et-vient dans l’allée centrale : « Monsieur, vous êtes bon ; vous êtes trop bon ; pourquoi êtes-vous si bon ; vous ne devriez pas être si bon ». M., noir de cheveux, blanc de peau, vif-argent, sa main sur mon cul et ma BAFFE immédiate ; Jd., les yeux ronds, la bouche en cerise, la brosse de jais – pour cause d’indiscipline, je l’avais enfermé dans un réduit d’1m² entre deux salles ; les autres élèves avaient remarqué ma rougeur extrême lorsque je l’avais saisi à l’épaule…

Plus complexes : les collants. Celui qui me montre ses dessins à la fin du cours ; ceux à qui j’ai précisé que je n’avais pas besoin de cirage… Le plus attachant fut encore un certain Holf, capable de me lire Tacite dans le texte, pauvre rejeton d’un attaché militaire belge, fils définitivement noué (sa sœur ôtée à ma section pour ne plus entendre mes allusions nocives à l’impureté des jeunes filles) – Hol me confie, un jour de printemps : « Je n’aime pas toute cette matière qui fermente, ça fait trop « vivant » - pauvre diable morose…

Certaines conquêtes masculines exigent en revanche une efficacité foudroyante : ceux dont la tête à claques est en elle-même un explosif à désamorcer d’urgence. Ils traînent des pieds comme un yakuza, balancent leurs cartables dans les coins, critiquent bruyamment (maussade et agressif, le ton) – DONC, leur donner raison, leur donner la parole. D’urgence. Que le jeu soit truqué, ils n’en ont aucun soupçon. Vous connaissez d’avance les positions qu’ils vont attaquer – n’ayez crainte : ils se contrediront, ils s’embrouilleront avant vous. Le seul grief cohérent qu’ils pourraient avancer, s’ils avaient la moindre parcelle de conscience, c’est qu’ils sont jeunes, et que vous êtes vieux. Ça ne va pas plus loin. Avouez à fond vos insuffisances, arborez un puissant sourire, affirmez haut et fort que mieux vaut un contact rugueux que pas de contact du tout : « Nous verrons bien comment cela marchera ».

...Et tout en professant, clignez de l’œil entre complices, par dessus le marais. Il vous admirera peut-être, du moins vous respectera. Si de surcroît le garçon est beau, s’il vient vous voir chez vous, vous aurez gagné un ami. Et des ragots…

Si le coup rate, l’Opposant, n’ayant pu séduire le Chef, séduira immanquablement la Masse : un caïd… car ils auront vu dans l’œil vaincu de l’enseignant l’admiration soumise. Je me suis laissé entraver dans la bande d’un store, ligoté, incapable de maîtriser un rire convulsif… « La seule présence de l’élève D. empêche à la lettre le cours d’avoir lieu – comment voulez-vous, madame, que j’accepte votre fils dans mon école avec un dossier pareil ? - ne vous affligez pas : il a sûrement gagné plus que moi.

Mais dans le meilleur des cas, l’insolence et la vulgarité vous laisseront sans armes, comme si vous aviez douze ans. Vous pouvez gueuler , engueuler, votre caid va se marrer. Vous n’aurez pu mater personne. Tôt ou tard, le « copain » jouera pour son propre compte : « Puisque ça t’emmerde tant prof, ...ne me punis pas pour ce que tu as envie de faire toi-même » - au mieux il se détache, et dort. L’humanité n’a pas besoin d’avenir.

Pourtant si j’ai devant moi de braves petits bûcheurs aux yeux candides, je vais les trouver ternes, trop sages – et dangereux : « Ma mère ne veut plus que j’aille avec monsieur D. l’année prochaine : elle le trouve idiot ». Ça fait plaisir. Mais qu’une autre « tête blonde », toujours au premier rang, gavée de recommandations, de renseignements, de timbres-poste, rentre ensuite se plaindre à son papa de l’inconvenance de mes propos et parvienne à me faire jeter sur un score de 3 lettres défavorables sur 23 de soutien, c’est intolérable.

 

 

 

LE COURS – SPECTACLE

« Môssieur le Proufessour,

Vous cultivez l’utopie et le flou en chambre : d’abord ce sexe que vous faufilez, puis ces prurits affectifs… Mais nous ignorons toujours le contenu proprement dit de vos cours... »

Réponse : « La Peur ».

Seule façon de l’affronter : Le Cours-Spectacle.

Peur tricéphale : fonctionnelle, bordélique, textuelle.

Fonctionnellement : la première fois, devant la classe, on se sent con. Je le jure.

« Faites-leur donc faire des exercices ! »

Bien sûr mon brave. On peut dicter, aussi.

En sixième, on m’a collé des cours d’histoire. Je ne savais plus rien des pharaons. Il a bien fallu que je m’y remisse : dictée… Les pauvres ne se rendaient même pas compte qu’ils recopiaient leur livre, phrase après phrase.

Autre truc génial : la remise des devoirs. Prendre un paquet de copies, et, l’une après l’autre, dans l’anonymat, éplucher toutes les notes marginales. Ça peut durer deux heures quand on est doué.

Le fin du fin: le cours par cœur. Tout noté. Jusqu’au moindre mot – en tout petit, pour qu’on ne me voie pas compulser. Technique à vrai dire extraordinaire du doigt sur la ligne et du battement de paupières – sans oublier la modulation phonique – mais quel épuisement : avant pour préparer, pendant, et après pour récupérer. Très, très vite, la peur cruciale : celle du bordel.

 

- T’arrives, tu fais ton cours et tu repars.

- ...Essaye, pour voir…

...Faire avec ce qu’on a – l’humour, la névrose.

Le bordel est inévitable ? Organisons-le. Et ça donne :

1) Un cours sur les sangliers. À deux pattes, à roulettes, à feu rouge incorporé, à queue traînante, avec questions véhémentes, interpellations drôlatiques aux moindres velléités d’initiative potachière :

 

 

 

 

C O L L I G N ON

 

VINGT-QUATRE DISSERTATIONS

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I BRANLOMANIE

Dans les années 2030, en retard déjà sur le bouleversement des mentalités, nous écrivions ce qui suit :

« Toute vocation pédagogique es d’ordre sexuel. Mais si vous éprouvez la moindre velléité de tentation de passage à l’acte, vous n’êtes pas faits pour ce métier, vous y êtes même diamétralement opposés. Fuyez vite, loin, à tout jamais. Nous ne parlons pas des femmes, dont le contact physique, n’en déplaise aux effarouchés ridicules, n’a jamais fait grand mal ni aux garçons, ni encore moins aux filles. C’est aux hommes que nous nous adressons, qui forment la quasi-totalité de ce genre de malades : messieurs, s’il vous est arrivé de glisser dans cette fosse à merde, sachez que vous n’êtes plus, que non seulement ne compterez jamais plus au nombre des hommes au sens plein et viril de ce terme – mais que vous serez tombés au-dessous même de ce qu’il est convenu d’appeler « l’espèce humaine ».

Or, l’éducation sexuelle, obligatoire et jamais assumée (chacun se repassant la patate chaude) est un des seuls moyens légaux et propres dont nous disposons pour cimenter les relations humaines dans le cadre pédagogique. Putain c’est bien dit. Mais con ne vienne pas nous parler d’Autorisation Préalable du Principal ou d’Accord des Parent, car à supposer que nous les obtinssions, ces autorisations, elles seraient assorties de clauses tellement restrictives et tellement comminatoires que pratiquement rien ne serait possible. Terreur latente et l’arme de poing dans la poche. Sans gueulbe. Comme me disait Jeune Sépluqui, « quand je fais l’amour avec mes élèves, je ne tiens pas à ce que n’importe qui puisse venir me prendre par derrière » - eh, c’est de l’humour tas de Cosaques.

Le jour de la Déclaration, il convient d’être au top de son honnêteté, en indiquant ses propres blocages, limites et tout ce qui s’ensuit : les vôtres, et pas celles d’une organisation chapeautante quelconque : « Vous me verrez hésiter, balbutier, rougisser. À chacun les séquelles de sa propre éducation. Mais je dirai toujours ce que je pense personnellement. Vous allez donc tous me rédiger vos questions sur un bout de papier anonyme » - si j’ai fait du bien, du mal ? les deux, sans doute. J’ai fortement soulagé le garçon C. en lui révélant que non, les règles ne coulaient pas « à gros bouillons » ; j’ai révélé au garçon O., très étonné, que oui, les femmes aussi éprouvaient du plaisir. Mais le garçon R. se montra profondément écœuré d’apprendre, à quatorze ans, les gestes exacts de ce fameux « acte sexuel » dont on parlait tant. Et toujours, point capital selon moi, je proclamais à la face du monde que les filles, elles aussi, parfaitement, se masturbaient, et comment. Les jeunes garçons ayant bien trop tendance à « idéaliser » leurs « petites amoureuses » - à les désincarner.

éducation,France,gueuleOr, ne trouvant pas dans l’éducation sexuelle proprement dite un exutoire suffisant à ma perversité mentale, je ne le répéterai jamais assez aux punaises de sectes, j’ai exploité le filon du rire. Non pas en me bornant aux histoires de dessous de ceinture dites « drôles », hélas réclamées par les élèves (et accordées par moi) aux dernières heures de l’année scolaire, je me suis saisi de toute occasion dans mes cours, dans mon langage, de sexualiser, ouvertement, la relation professeur-élèves : la langue française, comme toutes les autres je suppose, est ainsi faite, que le moindre déplacement de syllabe ou d’intonation déclenchent aussitôt, dans l’esprit de mes branleurs et surtout leuses, toute une série de connotations marquées au coin (cuneus) de la sexualité.

Pensez seulement aux incongruités qui peuvent résulter de l’intonation d’un groupe de mots comme « l’habitat urbain » ou « le taureau est entré dans l’arène ». Une fois l’attention aspirée par ce terrain, il est impossible de l’en dégager. Au détour d’une phrase sévère de Pascal ou d’un cours sur les participes, le sexe peut même survenir par simple suppression de syllabes : « Il en a pris l’habitude » devient « il en a pris l’ha - üde », suivi ou non d’un fin silence. Se garder, surtout, de prononcer le moindre terme grossier : le sexuel doit venir en quelque sorte s’imprimer en creux dans le discours, au prix d’une certaine attention, d’où une atmosphère constante de complicité dégoûtante.

Bien entendu, ces plaisanteries sont on ne peut plus stupides et dégradantes, ne me faites pas l’injure de me croire inconscient. S’il existe un Dieu, je me présenterai devant lui : « J’ai fait rire mes élèves », et il me sera beaucoup pardonné, car le temps passé à rire n’est jamais perdu. Ils rient, ils se débloquent (en marge, au crayon : moi non ; qui a écrit cela?). Ils écoutent chaque phrase, où peut se glisser à tout instant un sexe baladeur, et retiennent, prétend-il, le sérieux en compagnie du plaisant. Tout rire est sexuel. Toute subversion du langage abat un interdit, tout calembour abat une chaîne de calendos. S’il est vrai d’après Freud que la délivrance n’est que pour l’auditeur, tandis que le locuteur renforce son blocage (il rit peut, mais voit rire) (voyeur, non actif), nous serions volontiers tenté par ce paradoxe de poser au martyr, sacrifiant son épanouissement personnel sur l’autel de l’abnégation libératrice, comble de la mauvaise foi.

 

DU VÉRITABLE OBJET DE MON ENSEIGNEMENT

 

Nous voudrions établir une ligne de démarcation très nette. Creuser avec véhémence un abîme sans fond : il n’est pas question pour moi du sexe masculin. Rien ne nous est plus étranger que les extases sulfureuses d’un Michel Tournier sur les genoux écorchés des garçons, ou le fumet des pissotières d’école, « autel(s) fumant(s) de la garçonnie ». Rien ne me répugne autant qu'un adolescent furonculeux qui se tripote la quéquette derrière la porte entrebâillée des chiottes. Jamais je ne me suis reconnu dans ces individus grossiers, prétentieux, pétant de vulgarité, toujours prêts pour le poing sur la gueule à 5 contre 1 de préférence. Je n'ai jamais voulu, un seul instant, leur ressembler.

Ce sexe malotru qui fut le mien par les hasards de la génétique, entre le dérisoire et le pathétique, ne me semble tout juste supportable que sur mon propre corps, à force d'à bite hude. Et s'il existe paraît-il un "masochisme féminin", j'en verrais volontiers l'illustration la plus consternante dans son attirance pour cette espèce de cornemuse flasque et baveuse qui sert d'organe érotique à mes cons génères. Ce cou de vautour pelé, maladif et malodorant, cet incongru et vaniteux sac à pus. Dispenser cours à une classe de garçons équivaut à faire un plongeon nauséabond de 45 en en arrière dans une espèce de fosse-cloaque où fermentent en cloques de longs tourbillons d'étrons et de résidus de branlette.

La lectrice (les hommes ne lisent pas) comprendra sans difficulté notre particulière attirance pour l'onanisme féminin, si dissemblable, dans son élégance, dans son innocence (car la fille et plus tard la femme se branlent dans la plus parfaite bonne conscience voire inconscience), du trayage cradingue et laborieux qu'effectuent les garçons disgraciés. La masturbation, chez la débutante, n'a pas encore acquis ce stade de fixation qu'il atteint irémédiablement plus tard, quand la femme décide de "choisir" et ne choisit personne.

Donc, tandis que les hommes seraient prêts à se contenter de n'importe quel croûton, les femmes exigent de la brioche. Pour le faire court : le garçon se "tripote" dans la honte la plus totale ; la jeune fille se caresse dans l'incertitude parfois, ce qui est tout de même moins grave, et reste en tout cas entre soi et soi (le garçon fait des taches ; il ne peut rien cacher ; les filles aussi, mais pour d'autres raisons qui n'ont rien à voir). Pour s'absoudre à ses propres yeux, l'homme se trouve ainsi condamné à l'enfournage répétitif et mécanique ; l'adorateur se mue alors s'il le peut en punisseur déespéré, pilant sous ses coups de boutoir ce foutu sexe capable de jouir à lui seul... le plus souvent à lui seul.

L'objectif serait donc, plus modestement, de transformer ces jeunes oies butées, résolues à se faire hacher menu plutôt que d'avouer leurs pratiques (telles ces connes d'avant-guerre qui répétaient en boucle "je ne comprends pas ce que vous dites", ayant le putain de culot d'aller jusqu'à nier la question posée) en femmes révélées, reconnaissant leur plaisir sans réticence, et le pratiquant le plus possible sous nos yeux. Nous n'avons rien trouvé de plus complet, de plus ingénieux, de plus irrévocable, que le vénérable Manuel du Confesseur : pour amener n'importe quelle femme à reconnaître ses masturbations, il faut lui parler en confesseur d'expérience, à qui "on ne la fait pas".

Le questionnaire doit donc porter non pas sur l'existence ou non de l'acte, posé comme indubitable, mais sur sa fréquence. Le qualitatif se trouvant éludé au profit du quantitatif, la femme se débat ainsi non plus sur le oui ou le non, mais sur le combien : "Trois fois par semaine ?... vous ne répondez pas ? serait-ce sept fois ? dix fois ? vous gardez le silence ? mon Dieu ! iriez-vous jusqu'à vingt fois ?" "Ne craignez pas, dit le Manuel, "de pousser le nombre aussi loin que possible dans l'absurde.Tôt ou tard il vous sera donné un démenti à partir duquel il sera aisé d'établir la vérité : car si vous ne le faites pas un nombre incalculable de fois, - c'est que vous le faites. C.Q.F.D.

Dans le cas qui nous préoccucupe, il s’agit avant tout de parvenir à l ‘identité mathématique jeune fille ≡ masturbation. La Masturbation est l’essence même de la Jeune Fille. Au premier regard entendu, elle comprend sur-le-champ de quoi il est question. « Se masturber » se dit, entre elles, « le faire ». « Faire » par excellence, c’est « se masturber ». Au premier regard entendu, elle comprend que c’est de sa masturbation, à elle toute seule, que l’on parle. Elle ne nie jamais. Plus jamais. Le contact ainsi établi au plus intime, la confiance est totale, absolue. Les allusions peuvent alors se multiplier, de part et d’autre, et c’est alors que l’Interlocuteur apprend avec délices toute sorte de précisions voilées parfaitement claires, sur la fréquence, la qualité de plaisir ou de frustration.

Autre conséquence extraordinaire : la composante masculine du groupe, jusque là sur la réserve indienne, sur la « touche », acquiert une tendresse inconnue. Eux qui se croyaient sales et méprisés découvrent, ô merveille, ô soleil levant, que ces monstres, ces invraisemblances angéliques, les jeunes filles ! se masturbent tout autant qu’eux, voire plus, en haletant tout aussi fort. Il en résulte une saine complicité – et surtout, surtout : une impossibilité radicale de concevoir une de ces atroces passions sado-maso, ver de terre amoureux d’une étoile. Car, Dieu merci, on ne peut plus envisager de se rouler en suppliant aux pieds d’une jeune fille hautaine et glacée, qui, tout bonnement, se branle comme vous et moi.

Ceux – et surtout celles – qui auront lu jusqu’ici n’auront pas manqué de se répandre en sarcasmes, invectives et menaces. Nous allons leur river leur clou en trois rounds :

  1. a) Les tartufes

On pourrait croire qu’en ce siècle où la sexologie… où Sigmund Freud… où les sex-shops etc. - eh bien non. Pas du tout. La dose d’insecticide n’a pas été assez massive. « Freud, connais pas. Veux pas le savoir » - argument adventice : « on ne plaisante pas de ces choses-là avec des enfants ». Je refuse cette sacralisation aliénatrice. « L’enfant a besoin d’être sécurisé ». Non. Secouez les enfants. Montrez-lui la vanité des choses. Scandalisez-le. C’est à ce prix que s’accroît la Conscience Humaine. Tout est permis à qui ne fait que parler. « Mais alors, vous avouez que votre système a-pédagogique est essentiellement destiné à assouvir vos propres fantasmes ».

Écoutez-moi bien : je n’ai pas envie de débrouiller mon écheveau psychanalytique. Je me comporte exactement comme ceux que je viens de blâmer. Les gens de l’art pataugeront avec des lis dans mes refoulements, transferts et autres. Ils concluront que je suis psychopathe comme tout le monde, attardé comme tout le monde, bref, un pauvre type à remettre dans le droit chemin à grands coups de « projecteurs impitoyables ». Ils me trouveront un Ééédipe gros comme une patate et la bite à papa dans le cul. Tant pis. Ce n’est pas mon boulot. « Qu’est-ce que le moi ? » Je n’en sais rien. Je me suis réveillé (nous nous sommes réveillés) un jour sur cette terre, prisonnier d’un corps, d’un caractère, d’une destinée.

Irais-je (Irions-nous) m’amuser à vouloir les changer, et, en faisant cela, m’abstenir (nous abstenir) de vivre ? Duperie ; je me soumets à leurs défauts » - massacre de Stendhal. Que si d’ailleurs le centième de mes délires se réalisait, je ne bougerais pas d’un cil. Une jeune fille réellement amoureuse me paniquerait, me pétrifierait de respect. Je ne sauterais pas sur l’occasion. Nous parlerions ensemble, nous essaierions l’un et l’autre d’y voir clair. Peut-être que je l’aimerais. Mais ceci est une autre histoire.

 

* * * * * * * * *

 

Un jour, à propos de la surpopulation carcérale, nous avions conclu quel ‘on pouvait bien « s’amuser » dans une cellule, à partir de deux... » - « ...et même tout seul », avais-je renchéri. Une petite fille « chaste et pure » fut la seule à s’étonner en toute bonne fois au milieu des rires gras. « Demandez à votre voisine », lui ai-je dit. « Elle a l’air particulièrement au courant » - de fait, ladite voisine, déjà formée, pulpeuse, portait sur son visage, plein et velouté, voluptueusement sournois, les stigmates mêmes et le masque de la masturbation fréquente et accomplie. Elle s’empressa de renseigner sa camarade à l’oreille tandis que l’Interlocuteur poursuivait son discours. Alors ce dernier fut interrompu par une exclamation dont l’indignation révélait le plus ingénu et le plus intense des émerveillements : « Oh ! Monsieur ! Si je disais ça à maman, je ne sais pas ce qu’elle me ferait ! » (braves parents…) - l’Interlocuteur passa outre, les autres pensant déjà à autre chose.

Je rencontrai ensuite plusieurs fois la même petite jeune fille dans les couloirs. Elle riait, métamorphosée en jeune fille, ouverte, gourmande, heureuse. Tel est le plus grand péché, la plus belle réussite dont l’Intervenant puisse jamais s’accuser...

Si notre vision est fragmentaire, c’est par déformation professionnelle. Mais l’étroitesse du machisme permet, elle aussi, d’approfondir. Pour la connaissance de la véritén reportez-vous à votre hebdomadaire habituel.

 

II

DES AMBIGUÏTÉS DE L’ AMOUR

 

 

 

Les enfants ne se livrent jamais. Leurs chairs y font encore obstacle : opaques, hors-jeu. Nous parlerons donc de la chair des jeunes filles, origine du monde.

Certaines, sur lesquelles je ne m’étendrai pas, possèdent des yeux de vaches, où se lit la vaisselle, l’enfant. Le stade ruminant. Vie faite et cercueil vissé.

D’autres sont des jeunes filles qui s’ignorent. Ont-elles un sexe, rien n’en transpire. « Les jeunes filles bien » travaillent, rient, jouent, mangent. On les rencontre jusqu’à l’âge avancé, sur les bancs de la fac : les « copines », les « chic filles ». Pas un poil d’ambiguïté. Le sexe ? « On n’y pense jamais » disent-elles. Nous éprouvons devant ces absences le même malaise que devant l’abeille, la fourmi, le termite, dépourvus de cerveau sexué. Nos regards se traversent. Castré, je passe outre. En peau de chèvre.

Devient fille d’Onan toutes celles aux yeux faufilés : paupières en biseaux, cils battants, lèvres mordues. Plus flagrant : la chair grasse et luisante comme d’une constante exsudation de cyprine, les yeux frottés et charbonnés. La bouche et le rire lourds – l’onanisme Dieu merci n’est plus chlorotique, mais insolent. Le point crucial n’est plus focalisé, mais diffusé. Nous pensons aux lourdes femmes de notre enfance, lourdes choses blanches et chaudes, couvertes de bas, de culottes, d’arrière-mondes vaguement grouillants de dentelles et d’étoffes imprécises aux finalités floues.

Quant aux adolescentes en fin de course, que dire ? ce sont déjà des femmes, avec leur chevelure, leurs seins, leur pubis, leurs flirts. Elles n’appartiennent plus àl ‘univers fantasmiques – et parfois même, elles baisent.

Ailleurs.

...Nous avons connu des élèves attirantes et tourmentées, supérieures, bourrées de recherches. Nous discutions. Leurs yeux fiévreux traquaient ma vérité, sans y trouver vraiment de quoi m’admirer. Un jour d’exposé où je m’étais assis près d’une fille, nos hanches se sont touchées. Elle s’est vivement décalée, le temps d’un regard de flic fou. L’érotisme des filles est intellectuel. Nous en sommes lassés, à tout âge.

Quelques-unes ont envoyé des lettres, sur leurs élans, leurs vagues confusions… Naïf

est celui qui verrait dans leurs demi-aveux le signe ineffable d’une aspiration au harem, au vivier de nos vieux jours éventuels - spirituel, spirituel… Mieux vaut alors nager dans le bonheur parfait : l’éréthisme pédagogique, expérimentée le temps d’un trimestre en 2021, dans une classe de filles presque exclusivement. Tout mon répertoire y fut épuisé. Je me fis passer pour homo : elles m’adorèrent. Je fis l’amour avec la classe entière, métaphoriquement parlant – lorsque G. ouvrait la bouche, je pensais voir un fruit fondant, et toutes ces sortes de choses…

À la rentrée de janvier, tout soudain, je leur dis : « Aujourd’hui, je ne vous « sens » pas. Nous allons faire une dictée ». Je ne les ai jamais plus « senties ». Lorsqu’elles sont revenues me voir l’année suivante, j’ai balbutié. Je me suis très vite enfui aux toilettes, providentiellement proches. Mes troisièmes étaient devenues des jeunes filles, baisables, sans plus.

... »Mais », direz-vous, « parlez-nous des garçons ; vous les avez trop durement esquintés pour ne pas avoir été attiré ».

Exact. Là aussi j’ai connu mes coups de foudre, uni- ou bilatéraux.

...Les petits viennent à vous en toute innocence : leurs yeux clairs et confiants, et toute la panoplie – l’horrible T., aux grandes oreilles rouges, avec sa mine d’assassin au nez plongeant, dissimulant derrière sa bosse la bouteille de grand cru ; le blond B., sa course en va-et-vient dans l’allée centrale : « Monsieur, vous êtes bon ; vous êtes trop bon ; pourquoi êtes-vous si bon ; vous ne devriez pas être si bon ». M., noir de cheveux, blanc de peau, vif-argent, sa main sur mon cul et ma BAFFE immédiate ; Jd., les yeux ronds, la bouche en cerise, la brosse de jais – pour cause d’indiscipline, je l’avais enfermé dans un réduit d’1m² entre deux salles ; les autres élèves avaient remarqué ma rougeur extrême lorsque je l’avais saisi à l’épaule…

Plus complexes : les collants. Celui qui me montre ses dessins à la fin du cours ; ceux à qui j’ai précisé que je n’avais pas besoin de cirage… Le plus attachant fut encore un certain Holf, capable de me lire Tacite dans le texte, pauvre rejeton d’un attaché militaire belge, fils définitivement noué (sa sœur ôtée à ma section pour ne plus entendre mes allusions nocives à l’impureté des jeunes filles) – Hol me confie, un jour de printemps : « Je n’aime pas toute cette matière qui fermente, ça fait trop « vivant » - pauvre diable morose…

Certaines conquêtes masculines exigent en revanche une efficacité foudroyante : ceux dont la tête à claques est en elle-même un explosif à désamorcer d’urgence. Ils traînent des pieds comme un yakuza, balancent leurs cartables dans les coins, critiquent bruyamment (maussade et agressif, le ton) – DONC, leur donner raison, leur donner la parole. D’urgence. Que le jeu soit truqué, ils n’en ont aucun soupçon. Vous connaissez d’avance les positions qu’ils vont attaquer – n’ayez crainte : ils se contrediront, ils s’embrouilleront avant vous. Le seul grief cohérent qu’ils pourraient avancer, s’ils avaient la moindre parcelle de conscience, c’est qu’ils sont jeunes, et que vous êtes vieux. Ça ne va pas plus loin. Avouez à fond vos insuffisances, arborez un puissant sourire, affirmez haut et fort que mieux vaut un contact rugueux que pas de contact du tout : « Nous verrons bien comment cela marchera ».

...Et tout en professant, clignez de l’œil entre complices, par dessus le marais. Il vous admirera peut-être, du moins vous respectera. Si de surcroît le garçon est beau, s’il vient vous voir chez vous, vous aurez gagné un ami. Et des ragots…

Si le coup rate, l’Opposant, n’ayant pu séduire le Chef, séduira immanquablement la Masse : un caïd… car ils auront vu dans l’œil vaincu de l’enseignant l’admiration soumise. Je me suis laissé entraver dans la bande d’un store, ligoté, incapable de maîtriser un rire convulsif… « La seule présence de l’élève D. empêche à la lettre le cours d’avoir lieu – comment voulez-vous, madame, que j’accepte votre fils dans mon école avec un dossier pareil ? - ne vous affligez pas : il a sûrement gagné plus que moi.

Mais dans le meilleur des cas, l’insolence et la vulgarité vous laisseront sans armes, comme si vous aviez douze ans. Vous pouvez gueuler , engueuler, votre caid va se marrer. Vous n’aurez pu mater personne. Tôt ou tard, le « copain » jouera pour son propre compte : « Puisque ça t’emmerde tant prof, ...ne me punis pas pour ce que tu as envie de faire toi-même » - au mieux il se détache, et dort. L’humanité n’a pas besoin d’avenir.

Pourtant si j’ai devant moi de braves petits bûcheurs aux yeux candides, je vais les trouver ternes, trop sages – et dangereux : « Ma mère ne veut plus que j’aille avec monsieur D. l’année prochaine : elle le trouve idiot ». Ça fait plaisir. Mais qu’une autre « tête blonde », toujours au premier rang, gavée de recommandations, de renseignements, de timbres-poste, rentre ensuite se plaindre à son papa de l’inconvenance de mes propos et parvienne à me faire jeter sur un score de 3 lettres défavorables sur 23 de soutien, c’est intolérable.

 

 

 

LE COURS – SPECTACLE

« Môssieur le Proufessour,

Vous cultivez l’utopie et le flou en chambre : d’abord ce sexe que vous faufilez, puis ces prurits affectifs… Mais nous ignorons toujours le contenu proprement dit de vos cours... »

Réponse : « La Peur ».

Seule façon de l’affronter : Le Cours-Spectacle.

Peur tricéphale : fonctionnelle, bordélique, textuelle.

Fonctionnellement : la première fois, devant la classe, on se sent con. Je le jure.

« Faites-leur donc faire des exercices ! »

Bien sûr mon brave. On peut dicter, aussi.

En sixième, on m’a collé des cours d’histoire. Je ne savais plus rien des pharaons. Il a bien fallu que je m’y remisse : dictée… Les pauvres ne se rendaient même pas compte qu’ils recopiaient leur livre, phrase après phrase.

Autre truc génial : la remise des devoirs. Prendre un paquet de copies, et, l’une après l’autre, dans l’anonymat, éplucher toutes les notes marginales. Ça peut durer deux heures quand on est doué.

Le fin du fin: le cours par cœur. Tout noté. Jusqu’au moindre mot – en tout petit, pour qu’on ne me voie pas compulser. Technique à vrai dire extraordinaire du doigt sur la ligne et du battement de paupières – sans oublier la modulation phonique – mais quel épuisement : avant pour préparer, pendant, et après pour récupérer. Très, très vite, la peur cruciale : celle du bordel.

 

- T’arrives, tu fais ton cours et tu repars.

- ...Essaye, pour voir…

...Faire avec ce qu’on a – l’humour, la névrose.

Le bordel est inévitable ? Organisons-le. Et ça donne :

1) Un cours sur les sangliers. À deux pattes, à roulettes, à feu rouge incorporé, à queue traînante, avec questions véhémentes, interpellations drôlatiques aux moindres velléités d’initiative potachière :

 

 

 

 

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