Proullaud296

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  • En eaux profondes

     

    Entonner la Complainte des Preux du temps jadis, ou ricaner, ou rouvrir les livres poussiéreux, notre choix n'est guère vaste. "Et Coriolan qui massacra le Volsque en fuite, et le dictateur sorti d'exil qui mit en déroute les Sénons ?" Et quand c'est non, c'est non. Les exploits de ces grands hommes, tous militaires, tous vertueux, spartiates en quelque sorte, étaient enseignés aux enfants romains comme autant d'articles de foi. En bas de page, on me souffle : Camille (oui, le second Romulus, grâce à qui Rome fut fondée une seconde fois). Toutes ces gloires s'éloignent, et que sera le monde s'il ne reste plus que moi, post bombas atomicas, pour ânonner à des savants éblouis le peu qu'il me reste d'Histoire romaine dans ma calebasse de prof ?

     

    J'ânonne déjà. "Je voudrais revivre", dit Rome, "la vie de Fabricius, la mort des Decius" (Decius Mus, la Souris, Mickey Mouse des Romains) – "Fabricius refusa de faire empoisonner son ennemi Pyrrhus"... VII, 69 – 6 04 19... "Je voudrais ces victoires ou ces nobles défaites", bel alexandrin ma foi, comme il devrait s'en échapper plus souvent sous la plume de notre si souvent prosaïque traducteur, André Loyen. Nous sommes en effet passés du catalogue botanique à l'énumération chronologique, l'un et l'autre tant aimés des périodes qui n'ont plus rien à dire : ainsi fleurissent les dictionnaires de notre nouveau millénaire. Nous commémorons à tout va : "rends-moi mes enfances", redde mihi principia, fort bien dit, vas-y Sidoine.

     

    "Il s'échappe de toi des bonheurs d'écriture", en dépit des jaloux qui dénigrent ton style ; à moins que tu ne les aies chipés à Claudien ou à quelque autre : avec toi, qui peut savoir. "Hélas ! où sont maintenant les pompes et les riches triomphes du consul pauvre ?" est-ce de Cincinnatus (le Bouclé") qu'il s'agit ? ce riche propriétaire qui jamais de sa vie ne toucha les mancherons d'une charrue ? Que les ressorts humains sont pauvres, qui lui font admirer la simplicité, lorsque de puissants riches la manœuvrent en sous-main ? Waluliso, faux pauvre prédicant, Jeanne d'Arc dans la manche du roi et répétant la scène de sa réception de Chinon ? Cela console d'avoir échoué, cela ne consolera jamais. Rome pleure ses légendes : "La pointe de ma lance a porté l'effroi sous le ciel lybien" – moins désertique qu'il paraît, puisqu'en arrière s'étendent des terres fertiles, un des "greniers à blé" de Rome ; et la géographie d'Apollinaire souffre bien les imprécisions, puisque pour illustrer cette Lybie, c'est Carthage que l'on invoque : "au perfide Carthaginois j'ai imposé trois fois le joug, posui juga tertia". C'est bien à Rome de parler de perfidie, elle qui n'accepta la paix que sous la condition que la ville vaincue se reconstruisît 40km à l'intérieur des terres, belle position en vérité pour un port maritime !

     

    Tant de mensonges ne portent en eux leur consolation que par le néant de la chose humaine. Plus difficiles à effacer sont les tortures infligées aux humains, et que rien ne pourra recoller. Laissons la vieille Rome ululer : "Le Gange de l'Inde, l'Araxe d'Arménie, le Ger d'Ethiopie et le Tanaïs des Gètes ont tremblé devant mon Tibre". Franchir un fleuve était domination sacrilège si forte qu'on offrait des sacrifices aux dieux fluviaux ainsi surmontés et violés. Encore maintenant, quand je franchis le Rhône en train, ou la Garonne sur mes quatre roues, je prie ou je contemple, pour ne pas franchir vainement ce fleuve que tant de cons passent sans même y penser, à moins qu'ils ne fassent comme moi, ou moi comme eux.

    Effets d'eau.JPG

     

     

    En toute ignorance en effet, jamais les eaux n'auraient dû former des vallées, courant ainsi sur les rocs sans les entamer, ou croupissant dans les Okavango du monde. Ainsi le Houang-Ho ne vient-il plus dans son delta, et s'enfonce-t-il sous les sables bien avant la mer. Peut-on le cultiver ? Remonte-t-il du fond pour les inondations ? Nous franchissions ainsi le Rhin, nous autres Welsches, qui dépasse le kilomètre de large. Et Rome énumère ses triomphes, dans une mélancolie bien plus forte que les amateurs de déclin d'aujourd'hui, car de nos jours la bêtise pense, impose sa démocratie dans l'opinion, oppose toujours aux déplorations évidentes ses arguties inverses ornementant les débats : je suis pour, je suis contre, et cependant la vérité, l'univoque vérité, poursuit son règne austère. À vous, Rome ! "Ecrasé jadis avec ton allié Teuton, tu subis ma loi, Cimbre, et ton bras, qui étais jusqu'alors chargé du poids des épées (gladiisque gravatas), sur mon ordre, ne porta plus que des chaînes" – forza Roma ! Qui dira qu'il n'y a pas d'énergie dans Sidoine ? qui parlera de pauvreté de la pensée (certes, et alors), d'enflure, de pompe et de sottise ?

     

    Le moment n'est plus là, le sera-t-il plus au temps de Corneille ? Ces formules sont creuses, inadaptées : n'ont-elles aucune grandeur ? De quels soubresauts notre agonie ne sera-t-elle pas soulevés, au rappel de nos triomphes et de nos adversités ? Les Teutons ou Teutsch, les Cimbres ou Kimmériens, n'apprirent-ils pas à Aix ou à Verceil que la terre qu'ils exigeaient en conquérants se trouvait justement sous leurs pieds, où il faudrait les enterrer ? Sidoine et ses contemporains, et tout Rome, étaient lucidement convaincus de leur plus profond déclin, nul démocrate contradicteur ne venait leur démontrer qu'ils étaient en pleins progrès et que le noir était blanc : ça se voyait, et tout le monde y acquiesçait. L'illusion venait d'un chef magnétique, immense, qui reviendrait remettre de l'ordre. Là gisait le rêve, le déni pathétique : "Hélas ! poursuit-elle, quelle était ma puissance lorsque Sylla, Asiagenes ou Scipion l'Asiatique, Curius, Paulus, Pompeius "imposaient à Tigrane, Antiochus, Pyrrhus, Persée, Mithridate, la paix, l'abdication, l'exil, la rançon, les chaînes, le poison." Soyez assurés que chaque souverain, dans l'ordre, a subi le châtiment correspondant : à Tigrane la paix, l'abdication à Antiochus, IIIe du nom, souverain de Syrie, et ainsi de suite, en de belles énumérations, comme on lit les victoires sur l'Arc de Triomphe.

     

  • De quelques catafalques

     

    CATAFALQUE

     

    Il s'agit de ces gigantesques constructions de carton-pâte, sur le cercueil d'un homme illustre, afin d'exhiber l'immensité du respect éprouvé pour le défunt, aussi bien que la vanité humaine. Mentionnons ceux de Mirabeau, de Napoléon, de Victor Hugo, de Chauchard. Celui de Mirabeau fut édifié dans l'Eglise St-Eustache, aujourd'hui en bordure de la hideuse place des Halles ; les voûtes étaient tendues de crêpes noirs, et l'on y tira, en l'honneur du grand varioleux, plusieurs salves de mousquets. Celui de Napoléon, après son rapatriement ( décembre 1840), défila sous l'Arc-de-Triomphe afin de réconcilier la monarchie d'Orléans avec les bonapartistes. Celui de Victor Hugo exposé plusieurs jours sous l'Arc de Triomphe, fut accompagné de tout un peuple, après quoi ledit peuple se livra, chez soi ou dans les maisons closes, à une véritable débauche sexuelle d'une époque ignorante encore des bienfaits ou méfaits de la psychanalyse : ce fut le meilleur hommage qu'on eût pu rendre au divin Victor, qui, à 80 ans, exigeait encore ses nymphes.

     

    Ainsi s'accrût sensiblement la population parisienne. Quant à l'enterrement de Chauchard, négociant richissime, il montra pour la dernière fois la splendeur du cynisme à la population parisienne ; on se scandalisa des braises qui chauffaient l'attirail, pour que ce soit un "chaud char" (nul à chier, mais vrai) . Il y eut pour ces funérailles une telle profusion de dépenses funéraires que les pauvres gens se scandalisèrent à juste titre, et nous ignorons combien de catafalques osèrent encore défiler dans les rues de notre capitale. Mais revenons à présent sur tous ces sujets. Nous apprenons que "catafalque" signifie échafaudage en italien, et se dresse, originairement, à l'intérieur d'une église. Le cercueil proprement dit ne se trouve pas nécessairement sous ledit échafaudage, mais plus profondément, sous un fac-simile.

     

     

    Angoulêle tronquée.JPG

    Nous retiendrons tout particulièrement les catafalques (de l'italien catafalco, l'échafaudage) de Mirabeau, dont les funérailles se déroulèrent à l'église St-Eustache, toute tendue de noir, qui se trouve en bordure de la déplorable plate-forme des Halles ; les voûtes, ce 4 avril 1791, retentirent de salves de mousquet, en l'honneur de ce grand traître à la République. Plus tard, en 1840, les cendres de l'Empereur, de retour de Ste-Hélène, passent sous l'Arc de Triomphe et descend les Champs-Elysées : "Des tambours éloignés battent aux champs. Le char de l’empereur apparaît.

     

    Le soleil voilé jusqu’à ce moment, reparaît en même temps. L’effet est prodigieux." Le roi Louis-Philippe comptait ainsi se concilier l'accord des bonapartistes – peine perdue.

     

    Troisième catafalque : celui de Victor Hugo ; il resta exposé toute une nuit sous l'Arc-de-Triomphe, et dépassait les dimensions de celui de Napoléon. Deux millions de personnes assistèrent au funérailles, où le corps reposait sur le corbillard des pauvres, conformément aux dernières volontés du défunt. Des bruits courent sur une vaste copulation privée sous les toits de Paris, comme s'il avait fallu réparer cette perte incommensurable, qui fut suivie, neuf mois plus tard, par un sensible accroissement de la population parisienne.

     

    Dernier en date, le catafalque du nommé Chauchard, qui déclencha le scandale : les dépenses y furent faramineuses ; le corbillard transportait un immense brasero allumé, afin que l'on pût dire que le négociant avait été enterré dans un "chaud char". Révoltant de stupidité, mais vrai. Une dépense de 500 000 francs de l'époque. Il y eut une véritable émeute sur son passage, et les .

     

    forces de l'ordre durent intervenir..

     

  • Les ordinateurs et les rois

     

     Sans ordinateur je suis un infirme.

     

    Deux acteurs se frappaient dans les paumes, l'un, puis l'autre. A la fin, le plus décidé recevait une piqûre de drogue, et disait : "Je ne sens plus mes mains." Son allant s'était aboli. Ou bien le poison gagnerait le bras, puis le cœur. Le public avait applaudi, Anna, pas tellement, car ces deux acteurs souffraient d'une grande laideur. Je me suis retiré sur la haute chaise des Précieuses, pour lire Minicelli-Animato : Nerofumo. Tordu sur le siège, afin que nul ne pensât que je posasse. Il y avait autour de nous des filles de vingt ans, toutes en vivacité. J'aurai vécu ainsi, au sein des émotions : des jeunes femmes tout autour de moi.

     

    Je ne les savais pas aussi peu mystérieuses. Tâche de ne pas me rater : pensent-elles cela dans les rues ? Ici, les femmes, comme les destinées, restent cependant floues. Je trouve merveilleux à mon âge avancé de me trouver encore avec des femmes. J'en remballe une. J'arrose l'autre. Et plus question de chercher leur plaisir. L'amour n'est plus une gymnastique. Il me faudra dormir. Sa voix suffit à m'émouvoir. Je suis amoureux, et me reste-t-il aussi peu à vivre ? Le test électronique me donne mort le 1er décembre 57 : je ne veux manipuler personne, juste t'éclaircir la tête. Je pense à ce monsieur de Wolinski, baissant la tête au dernier moment par réflexe, tandis que la femme derrière lui se mange le coup en pleine poire.

     

    L'alignement.JPGProjet : lire Celan, édition bilingue. Anna ignore Celan, j'en ignore bien de l'autre. D'innombrables écrivains de l'ombre. Ce seraient des mots sans suite, et des viols de petits garçons dans les pissotières : moi par mon père et le curé. Parce que je l'aurais souhaité. Odeurs de cul. Répugnances. Chambres de Guignicourt où tout sentait le décès. Comme l'amante du Spoutnik : tout écrire. "Rabelais ne sait pas s'arrêter." Mais qu'est-ce que Rabelais, s'il s'arrête ? Borner Proust, le châtrer ? Soit une page de symboles mathématiques : il y a des ânes pour en passer des examens. Rabelais, de même : réservé aux initiés. L'âne est initié chez Lucien.

     

    57 03 03

     

    T R O I S R O I S

     

     

     

    Thème

     

    Errances et vicissitudes de la politique humaine.

     

     

     

    Thèse

     

    L'étouffement que c'est d'avoir un roi et d'être roi.

     

     

     

    Style

     

    Familier et effaré. Anticliché.

     

    Pays

     

    Côte étroite et riche, plateau immense et sans frontières

     

     

     

    Progression

     

    Urbain XIX = Louis-Philippe

     

    Alain XI = Napoléon III

     

    Valentin = nouveau nom de Napoléon III

     

    De la côte vers les plateaux, vers le rêve, vers la catastrophe du "Désert des Tartares".

     

     

     

     

     

    I Situation en 1830 VI Les expéditions

     

    a) Le pays d'Egypte et du Mexique

     

    b) son passé

     

    c) Sa position dans le monde

     

    en 1831

     

     

     

    II Urbain XIX et la petitesse VII L'invasion de la

     

    prospère côte par la métèquerie

     

    a) circonstances - barricades et comporte-

     

    de sa venue au trône ments délirants

     

    (cf. Claude après Caligula)

     

    b) équitation burlesque

     

    pour en imposer

     

    c) Descente sur la Côte par

     

    la pente de Clermont-Ferrand

     

     

     

    III Prospérité économique VIII Valentin Zéro et

     

    cf. Alejo Carpentier l'exploitation des

     

    "Symphonie Baroque" hauts plateaux

     

    On a réussi à persuader le monde

     

    entier de la nécessité de tout ça :

     

    a) Tonneaux de vin (cf. cuves Listrac)

     

    b) Chiens et perroquets

     

    c) Echiquiers, jeux de dames et

     

    de lettres.

     

     

     

    IV Les absurdités : gaspillages IX La Fuite au désert

     

    a) déniche un bordel et s'y love

     

    b) indispose, en ne buvant que de l'eau

     

    c) tombe amoureux, ce con, et meurt

     

    de sapropre plénitude.

     

     

     

    V Alain XI et la Recherche, X Un Roi à la Raspail,

     

    vers la Politique extérieure commande des

     

    - le Prince Sombre Etrangers volontaires

     

    vers les Plateaux

     

    illimités de la déraison.

     

  • De Gaulle et la diplomatie par l'image

     

     

    CHANTRIAUX "DE GAULLE ET LA DIPLOMATIE PAR L'IMAGE"

     

    Dure tâche, abordée les dents serrées : relire intégralement l'infernal pensum de "La diplomatie par l'image", retraçant l'épopée molle du procédé SECAM pour la télévision en couleurs. Il m'a fallu, ligne à ligne, éplucher toutes les pages de ce redoutable compte rendu, farci de détails techniques et de références à maintes et maintes archives nécessairement poussiéreuses. La thèse est de défendre les initiatives du général de Gaulle et de Georges Pompidou, afin de contrecarrer l'hégémonie technologique américaine, évidemment soutenue par son allié inconditionnel et germanique. Contre toute évidence, les partisans de l'économie dérégulée n'ont voulu voir qu'un échec dans l'aboutissement de ce projet, qui aurait divisé l'Europe entre deux procédés concurrents au nom d'une conception "maurassienne" de la France.

    Le rond de pavés.JPG

     

    C'est de la pure et simple mauvaise foi : notre pays serait donc le seul à devoir se retirer d'une compétition où les autres Etats donnent de la voix pour établir leur souveraineté... Mais il faut que la France disparaisse... Ainsi présenté, ainsi préfacé, l'ouvrage d'Olivier Chantriaux peut sembler attirant, animé d'une foi nécessairement ardente au service d'une idéologie d'exaltante indépendance. Hélas. Hélas. Hélas. Nous tomberons, je le sais, dans un inextricable marécage de notes et contrenotes diplomatiques, de démêlés internationaux, de technicités abstruses et fastidieuses, de radotages dans un style à couper au couteau, de notes en bas de pages foisonnantes et particulièrement importunes.

     

    Cette histoire de télévision en couleurs, que Napoléon eût sans doute négligée comme il a raté Fulton et son sous-marin, fut une affaire d'inventeurs et d'entrepreneurs. Or il faut une foi nécessairement inébranlable pour vouloir améliorer le bien-être de la race humaine, surtout dans un domaine apparemment si futile – mais il n'est rien de futile quand il s'agit de maintenir la France à flot dans le concert technique des nations. Aussitôt, la note 24 vient refréner mes ardeurs : elle me rappelle qu'une telle affirmation n'aurait pu être prononcée si ce n'eût été "d'après des documents communiqués par un ancien responsable de l'O.R.T.F." On s'en serait douté, cher enquêteur. C'est même une lapalissade.

     

    Et s'il ne faut omettre personne, il ne faut pas non plus révéler ses sources. Ce qui donne à cette note le caractère d'une profonde superficialité, si je peux me permettre cet oxymore, voir celui d'une totale ineptie (nous sommes de la catégorie des passifs, vengeons-nous de tous ces insolents actifs). Dès avant la Seconde Guerre mondiale, pas de "g" majuscule, monsieur l'Actif, les ingénieurs Henri de France et René Barthélémy, fâcheuse alliance de la famille royale et d'un souvenir massacrant, travaillent à des problèmes de télévision ; ils sont comme les pères des technologies françaises de la télévision. Ou "dans ce domaine", si l'on veut éviter les répétitions. La guerre finie, Henri de France travaille dans l'entreprise de son beau-père, Worms, petit industriel qui fabrique, entre autres choses, des téléviseurs, des émetteurs et des appareils de radar. Toujours cette image immortelle d'un Tournesol, professeur Nimbus ou Géo Trouvetout, semi-fou enfermé dans son laboratoire, au milieu des cornues et des ressorts à boudin.

     

    Plus concrètement, c'est aussi l'histoire de maintes associations familiales, petites entreprises animées par l'obstination et l'esprit de clan. Tout à fait le petit inventeur français parti de rien, voir Les palmes de M. Schultz, par exemple. Dès 1956, tout est décidément très précoce d'une phrase à l'autre, dès, n'est-ce pas, l'entreprise connaît des difficultés : elle s'avère trop petite pour satisfaire aux exigences du marché. Ma pauvre dame. Nous allons donc lire pour la nième fois l'histoire de ces petits obstinés qui grâce à leur persévérance et with a little help of [their] friends, de coup de pouce en coup de collier, vont s'extraire du bourbier, repoussant pour finir le marasme d'un grand coup de savate française dans la gueule.

     

    Bref, Worms décide donc de s'associer à un actionnaire du nom de Michelson. D'où la nécessité de connaître des actionnaires. A coup sûr l'un d'eux, soucieux de gagner sur ses actions, se précipitera à votre secours. Celui-ci ouvre son portefeuille : ô bienfaisante puissance du conformisme, qui permet d'obtenir les appuis financiers ! Ce dernier détient alors une part du capital d'Europe n° 1, que Worms avait créé à la demande de son ami Dumollet. Avec un "e" au participe, nous aurions pu penser que Worms avait créé cette station de radio ; ce masculin représente Europe N° 1 en tant que "poste d'émission radiophonique". Et j'avoue n'avoir jamais entendu parler de ce "Worms", alias Desasticots. Cependant, Michelson se voit rapidement ruiné par la faillite d'une banque monégasque : le petit groupe constitué par Worms est démantelé ; carrément ; les parts du capital d'Europe N° 1 (lire "Europe 1") que détenait Michelson sont vendues à Sylvain Floirat, plus tard actionnaire de la Compagnie française de télévision. J'ai persiflé trop tôt : voilà mon Worms vaincu.

     

    Mais il rebondira. En attendant, je ronge mes ongles. La télévision n'est pas née. Juste, on l'expérimente. En noir et blanc. La cellule de recherche de l'ingénieur de France, qui vient de déposer, en 1956, nous ne sommes donc plus immédiatement après la guerre, le premier brevet d'un procédé SECAM, risque de disparaître. Déjà les premiers téléviseurs font leur apparition dans les familles. L'on se réunit chez ceux qui en ont. Votre serviteur attrape alors chez les Blanchet sa primo-infection, en manipulant le crachoir du Monsieur tandis que ses parents se gavent de télévision. Or il se trouve, par bonheur, que Mme de France a pour habitude de jouer au bridge – je me marre – avec l'épouse de René Grandgeorges, directeur général de Saint-Gobain. À quoi tient l'Histoire...

     

    59 10 04

     

    Parler sur un livre qui rase considérablement : rien de bien constructif. Les archives du MAE (Ministère des Affaires Etrangères) m'indiffèrent au dernier degré. Le rapprochement franco-soviétique en 1965 à l'occasion d'une collaboration technique sur la SECAM ressemble au secouement d'un vaste tapis gorgé de poussière. Je n'aime pas l'histoire immédiate. Ce qui m'est arrivé à moi ne peut pas être devenu de l'histoire. Pas moyen de considérer la guerre d'Algérie, par exemple, comme un évènement détaché de moi. "L'article 220 c", maintes fois répété, n'avait pas besoin d'être ainsi asséné en bas de plusieurs pages de suite. "Document du cabinet du ministre de l'Information" : ce ministre n'existe plus.

     

    En revanche, par les tergiversations des négociateurs, nous touchons du doigt les imbroglios diplomatiques, l'art et la manière de forcer la main de ceux qui manquent d'enthousiasme, ou de ne pas tenir compte des manœuvres de diversion, ici allemandes. C'est, là aussi, épuisant. "Entretien de M. de Bresson, directeur du cabinet de Monsieur le Ministre de l'Information". Comment tous ces gens parviennent-ils, à la fin de leur journée de travail négociatoire, à distinguer ce qu'ils ont fait de ce qu'ils ont singé ? Le procédé NIR soviétique n'était qu'une resucée du PAL (ou du NTSC américain), puisqu'il recourait comme eux à la modulation d'amplitude. Heureusement, ce procédé russe n'a que très peu retenu l'attention des futurs votants. - "...avec M. de Peyroles, Directeur Général de la CFT; le Samedi 2 octobre 1965", en date du 13 octobre 1965" – mon 21e anniversaire, majorité de ce temps-là.