De Gaulle et la diplomatie par l'image
CHANTRIAUX "DE GAULLE ET LA DIPLOMATIE PAR L'IMAGE"
Dure tâche, abordée les dents serrées : relire intégralement l'infernal pensum de "La diplomatie par l'image", retraçant l'épopée molle du procédé SECAM pour la télévision en couleurs. Il m'a fallu, ligne à ligne, éplucher toutes les pages de ce redoutable compte rendu, farci de détails techniques et de références à maintes et maintes archives nécessairement poussiéreuses. La thèse est de défendre les initiatives du général de Gaulle et de Georges Pompidou, afin de contrecarrer l'hégémonie technologique américaine, évidemment soutenue par son allié inconditionnel et germanique. Contre toute évidence, les partisans de l'économie dérégulée n'ont voulu voir qu'un échec dans l'aboutissement de ce projet, qui aurait divisé l'Europe entre deux procédés concurrents au nom d'une conception "maurassienne" de la France.
C'est de la pure et simple mauvaise foi : notre pays serait donc le seul à devoir se retirer d'une compétition où les autres Etats donnent de la voix pour établir leur souveraineté... Mais il faut que la France disparaisse... Ainsi présenté, ainsi préfacé, l'ouvrage d'Olivier Chantriaux peut sembler attirant, animé d'une foi nécessairement ardente au service d'une idéologie d'exaltante indépendance. Hélas. Hélas. Hélas. Nous tomberons, je le sais, dans un inextricable marécage de notes et contrenotes diplomatiques, de démêlés internationaux, de technicités abstruses et fastidieuses, de radotages dans un style à couper au couteau, de notes en bas de pages foisonnantes et particulièrement importunes.
Cette histoire de télévision en couleurs, que Napoléon eût sans doute négligée comme il a raté Fulton et son sous-marin, fut une affaire d'inventeurs et d'entrepreneurs. Or il faut une foi nécessairement inébranlable pour vouloir améliorer le bien-être de la race humaine, surtout dans un domaine apparemment si futile – mais il n'est rien de futile quand il s'agit de maintenir la France à flot dans le concert technique des nations. Aussitôt, la note 24 vient refréner mes ardeurs : elle me rappelle qu'une telle affirmation n'aurait pu être prononcée si ce n'eût été "d'après des documents communiqués par un ancien responsable de l'O.R.T.F." On s'en serait douté, cher enquêteur. C'est même une lapalissade.
Et s'il ne faut omettre personne, il ne faut pas non plus révéler ses sources. Ce qui donne à cette note le caractère d'une profonde superficialité, si je peux me permettre cet oxymore, voir celui d'une totale ineptie (nous sommes de la catégorie des passifs, vengeons-nous de tous ces insolents actifs). Dès avant la Seconde Guerre mondiale, pas de "g" majuscule, monsieur l'Actif, les ingénieurs Henri de France et René Barthélémy, fâcheuse alliance de la famille royale et d'un souvenir massacrant, travaillent à des problèmes de télévision ; ils sont comme les pères des technologies françaises de la télévision. Ou "dans ce domaine", si l'on veut éviter les répétitions. La guerre finie, Henri de France travaille dans l'entreprise de son beau-père, Worms, petit industriel qui fabrique, entre autres choses, des téléviseurs, des émetteurs et des appareils de radar. Toujours cette image immortelle d'un Tournesol, professeur Nimbus ou Géo Trouvetout, semi-fou enfermé dans son laboratoire, au milieu des cornues et des ressorts à boudin.
Plus concrètement, c'est aussi l'histoire de maintes associations familiales, petites entreprises animées par l'obstination et l'esprit de clan. Tout à fait le petit inventeur français parti de rien, voir Les palmes de M. Schultz, par exemple. Dès 1956, tout est décidément très précoce d'une phrase à l'autre, dès, n'est-ce pas, l'entreprise connaît des difficultés : elle s'avère trop petite pour satisfaire aux exigences du marché. Ma pauvre dame. Nous allons donc lire pour la nième fois l'histoire de ces petits obstinés qui grâce à leur persévérance et with a little help of [their] friends, de coup de pouce en coup de collier, vont s'extraire du bourbier, repoussant pour finir le marasme d'un grand coup de savate française dans la gueule.
Bref, Worms décide donc de s'associer à un actionnaire du nom de Michelson. D'où la nécessité de connaître des actionnaires. A coup sûr l'un d'eux, soucieux de gagner sur ses actions, se précipitera à votre secours. Celui-ci ouvre son portefeuille : ô bienfaisante puissance du conformisme, qui permet d'obtenir les appuis financiers ! Ce dernier détient alors une part du capital d'Europe n° 1, que Worms avait créé à la demande de son ami Dumollet. Avec un "e" au participe, nous aurions pu penser que Worms avait créé cette station de radio ; ce masculin représente Europe N° 1 en tant que "poste d'émission radiophonique". Et j'avoue n'avoir jamais entendu parler de ce "Worms", alias Desasticots. Cependant, Michelson se voit rapidement ruiné par la faillite d'une banque monégasque : le petit groupe constitué par Worms est démantelé ; carrément ; les parts du capital d'Europe N° 1 (lire "Europe 1") que détenait Michelson sont vendues à Sylvain Floirat, plus tard actionnaire de la Compagnie française de télévision. J'ai persiflé trop tôt : voilà mon Worms vaincu.
Mais il rebondira. En attendant, je ronge mes ongles. La télévision n'est pas née. Juste, on l'expérimente. En noir et blanc. La cellule de recherche de l'ingénieur de France, qui vient de déposer, en 1956, nous ne sommes donc plus immédiatement après la guerre, le premier brevet d'un procédé SECAM, risque de disparaître. Déjà les premiers téléviseurs font leur apparition dans les familles. L'on se réunit chez ceux qui en ont. Votre serviteur attrape alors chez les Blanchet sa primo-infection, en manipulant le crachoir du Monsieur tandis que ses parents se gavent de télévision. Or il se trouve, par bonheur, que Mme de France a pour habitude de jouer au bridge – je me marre – avec l'épouse de René Grandgeorges, directeur général de Saint-Gobain. À quoi tient l'Histoire...
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Parler sur un livre qui rase considérablement : rien de bien constructif. Les archives du MAE (Ministère des Affaires Etrangères) m'indiffèrent au dernier degré. Le rapprochement franco-soviétique en 1965 à l'occasion d'une collaboration technique sur la SECAM ressemble au secouement d'un vaste tapis gorgé de poussière. Je n'aime pas l'histoire immédiate. Ce qui m'est arrivé à moi ne peut pas être devenu de l'histoire. Pas moyen de considérer la guerre d'Algérie, par exemple, comme un évènement détaché de moi. "L'article 220 c", maintes fois répété, n'avait pas besoin d'être ainsi asséné en bas de plusieurs pages de suite. "Document du cabinet du ministre de l'Information" : ce ministre n'existe plus.
En revanche, par les tergiversations des négociateurs, nous touchons du doigt les imbroglios diplomatiques, l'art et la manière de forcer la main de ceux qui manquent d'enthousiasme, ou de ne pas tenir compte des manœuvres de diversion, ici allemandes. C'est, là aussi, épuisant. "Entretien de M. de Bresson, directeur du cabinet de Monsieur le Ministre de l'Information". Comment tous ces gens parviennent-ils, à la fin de leur journée de travail négociatoire, à distinguer ce qu'ils ont fait de ce qu'ils ont singé ? Le procédé NIR soviétique n'était qu'une resucée du PAL (ou du NTSC américain), puisqu'il recourait comme eux à la modulation d'amplitude. Heureusement, ce procédé russe n'a que très peu retenu l'attention des futurs votants. - "...avec M. de Peyroles, Directeur Général de la CFT; le Samedi 2 octobre 1965", en date du 13 octobre 1965" – mon 21e anniversaire, majorité de ce temps-là.