De quelques catafalques
CATAFALQUE
Il s'agit de ces gigantesques constructions de carton-pâte, sur le cercueil d'un homme illustre, afin d'exhiber l'immensité du respect éprouvé pour le défunt, aussi bien que la vanité humaine. Mentionnons ceux de Mirabeau, de Napoléon, de Victor Hugo, de Chauchard. Celui de Mirabeau fut édifié dans l'Eglise St-Eustache, aujourd'hui en bordure de la hideuse place des Halles ; les voûtes étaient tendues de crêpes noirs, et l'on y tira, en l'honneur du grand varioleux, plusieurs salves de mousquets. Celui de Napoléon, après son rapatriement ( décembre 1840), défila sous l'Arc-de-Triomphe afin de réconcilier la monarchie d'Orléans avec les bonapartistes. Celui de Victor Hugo exposé plusieurs jours sous l'Arc de Triomphe, fut accompagné de tout un peuple, après quoi ledit peuple se livra, chez soi ou dans les maisons closes, à une véritable débauche sexuelle d'une époque ignorante encore des bienfaits ou méfaits de la psychanalyse : ce fut le meilleur hommage qu'on eût pu rendre au divin Victor, qui, à 80 ans, exigeait encore ses nymphes.
Ainsi s'accrût sensiblement la population parisienne. Quant à l'enterrement de Chauchard, négociant richissime, il montra pour la dernière fois la splendeur du cynisme à la population parisienne ; on se scandalisa des braises qui chauffaient l'attirail, pour que ce soit un "chaud char" (nul à chier, mais vrai) . Il y eut pour ces funérailles une telle profusion de dépenses funéraires que les pauvres gens se scandalisèrent à juste titre, et nous ignorons combien de catafalques osèrent encore défiler dans les rues de notre capitale. Mais revenons à présent sur tous ces sujets. Nous apprenons que "catafalque" signifie échafaudage en italien, et se dresse, originairement, à l'intérieur d'une église. Le cercueil proprement dit ne se trouve pas nécessairement sous ledit échafaudage, mais plus profondément, sous un fac-simile.
Nous retiendrons tout particulièrement les catafalques (de l'italien catafalco, l'échafaudage) de Mirabeau, dont les funérailles se déroulèrent à l'église St-Eustache, toute tendue de noir, qui se trouve en bordure de la déplorable plate-forme des Halles ; les voûtes, ce 4 avril 1791, retentirent de salves de mousquet, en l'honneur de ce grand traître à la République. Plus tard, en 1840, les cendres de l'Empereur, de retour de Ste-Hélène, passent sous l'Arc de Triomphe et descend les Champs-Elysées : "Des tambours éloignés battent aux champs. Le char de l’empereur apparaît.
Le soleil voilé jusqu’à ce moment, reparaît en même temps. L’effet est prodigieux." Le roi Louis-Philippe comptait ainsi se concilier l'accord des bonapartistes – peine perdue.
Troisième catafalque : celui de Victor Hugo ; il resta exposé toute une nuit sous l'Arc-de-Triomphe, et dépassait les dimensions de celui de Napoléon. Deux millions de personnes assistèrent au funérailles, où le corps reposait sur le corbillard des pauvres, conformément aux dernières volontés du défunt. Des bruits courent sur une vaste copulation privée sous les toits de Paris, comme s'il avait fallu réparer cette perte incommensurable, qui fut suivie, neuf mois plus tard, par un sensible accroissement de la population parisienne.
Dernier en date, le catafalque du nommé Chauchard, qui déclencha le scandale : les dépenses y furent faramineuses ; le corbillard transportait un immense brasero allumé, afin que l'on pût dire que le négociant avait été enterré dans un "chaud char". Révoltant de stupidité, mais vrai. Une dépense de 500 000 francs de l'époque. Il y eut une véritable émeute sur son passage, et les .
forces de l'ordre durent intervenir..