Proullaud296

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  • La java des macchabées

     

    Le jour où j'ai obtenu du médecin-chef la permission de sortir, je me suis affolé :

     

    - « Mes os vont se détacher ! - Concentrez-vous ! » J'ai appris à nager dans la terre, à repousser les  mottes souterraines, sans muscles, mais en bandant ma volonté. Parfois je reviens sur mes pas à la  recherche d'un os. Une fois j'eus une altercation et nous nous réconciliâmes après avoir essayé  chacun l'os (mais elle (c'était une femme) se l'était essayé à l'emplacement du vagin) (on jouit  comme le reste, par volonté). On circule sous l'allée, ou bien on franchit les cercueils. Je peux

     

    rendre des visites, voir enfin les soldats.

     

    Pour ne pas m'égarer, il a fallut d'abord me promener avec Michel Parmentier. Les points de repère

     

    souterrains sont peu nombreux. Il y a quelques pierres indicatrices. Il existe aussi des couloirs d'une

     

    tombe à l'autre, mais ce réseau demeure encore assez anarchique : la terre, àforce d'avoir été

     

    remuée, est devenue plus meuble. Dans certains quartiers, les morts ont réalisé un beau réseau de

     

    tunnels. Avec mon voisin je suis allé voir une jeune fille morte récemment. Nous l'avons beaucoup

     

    surprise.

     

    Elle est encore très belle et son odeur modérée. D'ailleurs je me suis habitué, je ne sens moi-même

     

    presque plus rien. Nous avons parlé à la jeune fille. Elle a raconté sa mort, j'ai voulu la faire sortir,

     

    mais Michel est intervenu : « Vous allez l'abîmer : ses muscles ne répondent plus, et elle n'a pas

     

    encore fait les exercices de volonté. » Je voulus la posséder, mais ma tête décharnée l'effrayait.

     

    Nous avons poursuivi notre promenade. Nous nous heurtions parfois à des parois de ciment: les

     

    caveaux de famille. Ils sont très utiles pour se repérer. Dans le quartier riche du cimetière, ils se

     

    touchent. Un jour, nous parvenons au mur extérieur. Je propose l'aventure, mais Parmentier me le

     

    déconseille : nous risquerions de tomber dans les égouts ; une fois, un camarade à lui y fut retrouvé,

     

    la police l'a pris pour un clochard mort, elle a fait des recherches, elle a cru découvrir une identité,

     

    et un vivant a été classé mort. On a réenterré le camarade, bien content de retrouver, après quelques

     

    errances, son domicile fixe.

     

    J'assistai un jour à une séance du Tribunal d'Accès. Elle se tenait dans un souterrain voûté. Il

     

    s'agissait de savoir si tel ou tel mort était devenu, véritablement ou non, un squelette viable. Ces

     

    derniers, rangés derrière un grand couvercle en guise de bureau, huaient le candidat, par trois

     

    claquements de mâchoires, ou les applaudissaient (quatre claquements, deux fois deux). Ayant été

     

    récemment intronisé, je m'essayai aux claquements, mais cela fit rire: squelette de fraîche date, mes

     

    os résonnaient de façon molle et novice.

     

    C'était un tribunal d'une propreté éblouissante. Solennels, ils jugeaient une dizaine d'autres morts

     

    dans le même état, mais d'aspect bien plus noir.

     

    Un autre squelette, devant la barre, témoignait que chacun s’était bien débarrassé de toute trace de

     

    chair. L'un d'eux, appelé, se présenta muni d'un dernier lambeau mal placé, qu'il essaya de

     

    dissimuler entre ses cuisses. Ce furent des huées (trois claquements de mâchoires). Je récidivai. Les

     

    regards se tournèrent de nouveau vers moi, et l'assistance éclata en huées de quatre claquements  (deux fois deux), car j'avais encore, malgré tout, de nombreux lambeaux de chair.  Je m'enfuis. Moi aussi je passai plus tard devant ce tribunal et m'en tirai fort bien, et même, certains

     

    de mes os tombaient en poussière. Dans la fosse commune, la situation est presque avantageuse, on

     

    vous fout dans la chaux vive, et après quelques jours de bousculade, les morts passent sans

     

    transition à l'état d'esprits. On peut se faufiler à travers pierres. On devient immatériel. On peut

     

    même remonter à l'air libre. Nous avons taillé quelques bavettes avec le gardien, qui nous assoit

     

    tous sur des sièges de paille et nous donne de quoi fumer.

    Vache bleue abandonnée.JPG

     

    Enfin prendre l'air et ses ébats parmi les tombes, se prélasser ! Mais de nuit seulement. Nous nous

     

    allongeons parmi les sépultures, nous faisons des danses macabres grâce aux musiciens enterrés

     

    avec leur instrument.

     

    A l'issue du bal, nous finissons la soirée dans un caveau. Les propriétaires nous y offrent de

     

    l'encens. Sur différentes étagères, des cercueils, où les cadavres présentent leurs degrés de

     

    décomposition. Les plus jeunes, en se soulevant, peuvent participer aux réjouissances.

     

    Grâce au gardien, l'encens est complété par del'opium. Je fais des promenades avec la jeune fille

     

    que j'ai vue, et que j'aime. Demain, nous serons mariés. La vie continue. Nous irons en voyage de

     

    noces à l'étage au-dessous. ...Le macchabée fait ses ultimes découvertes. Tout a duré un ou deux ans

     

    dans son temps à lui, mais un million d'années sur terre. ..La bataille d'Azincourt est figée comme

     

    une gelée et se passe éternellement. On la retrouvera telle quelle. Pourra-t-on y toucher ? Les

     

    événements du passé sont ceux qu'ont imaginés les hommes de l'an 8000.

     

    Je suis persuadé qu'on voyagera dans le temps. A la limite, l'espace se recourbe sur lui-même

     

    comme une sphère. Nous sommes à sept milliards d'années-lumière et ici à la fois, mais ces deux

     

    points de l'espace se recouvrent : comme une vibration (tels les électrons qui bougent tant, qu'ils en

     

    restent immobiles. Il en est de même pour le temps.

     

    Mais je crains fort, cher Michel Houellebecque, d'avoir abusé de votre patience

     

  • Michel de St-Pierre, Les murmures de Satan

     

    Ainsi l'humain sautille-t-il d'un pied sur l'autre pour soulager son fardeau : cette image me fut révélée par un élève de 17 ans, alors que j'en avais 21. Vous jugerez sur pièce, par cet explicit que je livre à vos « fiers appétits » : car on ne dit pas un « excipit », ô professeurs ignares, mais un explicit. Jean Dewinter, « L'Hiver » en flamand, se livre, devant le corps de Gros-Louis, à son ultime monologue : que faire de sa destinée, foudroyée par l'évêque, de son artiste, qui tente bien sa femme, de sa communauté, à vau-l'eau, et dit ceci, en un texte fiévreux :

     

    « Avec un soupir, Jean retrouva son fauteuil et l'engourdissement : « Je me demande ce que fait [l'abbé] Muire en ce moment ? » S'astique-t-il dans ses burettes ? « Il ne dort pas. Nous l'avons laissé partir tout à l'heure après de molles poignées de main, sans un mot, sans un regard, sans un remerciement. Seule Monique a fait quelque chose. Le baiser au lépreux : c'est exactement ça ! Et moi, j'étais alors brisé, anesthésié. » Il venait d'apprendre l'abandon de l'institution ecclésiastique. « Puis il a fallu subir les rouspétances des autres. Pauvres gars ! » Pauvres inférieurs qui rouspètent, gens du peuple qu'il faut bien comprendre, n'est-ce pas, encore un petit gâteau sexe ? « Je me demande bien de quel droit je me suis permis de les engueuler par exemple ! Ils l'ont supporté. Ils supportent à peu près tout de moi. » J'ai tant de prestige et de modestie. « Et je suis parti – non seulement parce que Gros-Louis m'attendait, mais parce que je ne trouvais pas les mots qu'il fallait. Les mots sont des traîtres qui vous abandonnent toujours devant l'ennemi, devant la vérité. Que pouvais-je leur dire, moi ? » L'utopiste ? « Je ne comprends même pas comment j'ai pu accepter de me soumettre – et je sais bien que je vais souffrir ! Mais je reste sûr d'une chose à laquelle je m'accrocherai jusqu'au bout : les gens ont moins besoin d'un nouveau mode de vie chrétienne que d'un exemple d'obéissance... » - et voilà un mot terrible : notre héros a failli s'approcher de la politique.

     

     

    Le grand pas rouge.JPGLE GRAND PAS ROUGE, d'ANNE JALEVSKI

    Et la phrase reste en suspens, car le marquis de Saint-Pierre s'aperçoit qu'il développerait dangereusement son sujet. Mais une voie de garage s'offre à lui : la psychologie. Le cas du sculpteur, qui ne croit à rien :  « Il voulut s'interdire de penser à Léo. Il ne put. Léo lui revenait comme un ami acharné. L'image du sculpteur, son sourire, son masque et sa douleur – depuis le commencement de cette veillée – étaient présents dans l'esprit de Jean : volontairement cachés sous le bien-être, la méditation ou la prière. Léo se débattait, luttait contre la nuit qui le saturait lentement. Il avait fait de poignants efforts vers la tête du Christ, vers l'amitié de Jean. Mais chacun de ses pas soulevait des éclaboussures de reniements, d'appels troubles, de rires bas ou de blasphèmes. » Ce prêchi-prêcha digne d'un Claudel ou d'un Cesbron soulève d'irrespirables effluves de soutane et de sacritie. « Un fou ? reprend Dewinter. Oh non ! Pas le moins du monde. Un bluffeur, un mystificateur ? Oui, mais évoluant dans un domaine où la duperie s'élève au rang de la science et de l'art ! Léo est une machine de destruction compliquée, dont l'ingénieur n'est pas encore le maître. Une machine possédant une âme immortelle » - c'est bien ça qui fausse tout - «que nul au monde n'a le pouvoir de détruire, et pas même le Dieu créateur » qui cesse alors d'être tout-puissant si j'ai bien compris. « Et cette âme-là, prisonnière, peut bloquer les rouages comme un simple grain de sable... Mais l'ingénieur de la machine, il faudra bien maintenant l'appeler par son nom. Que disait donc le « Rituel romain », dont nous a parlé un soir l'abbé Muire ? Que la connaissance de faits distincts ou cachés, et la manifestation d'une force physique anormale sont des signes spécifiques de la possession... Je veux bien ! » - obscurantistissime concession, monsieur le personnage... « Mais laisser un homme se noyer dans l'ombre, sous mes yeux, alors que n'importe quel chrétien devrait se doubler d'un exorciste ? » Pourquoi, Marquis ? devenir chrétien est-il plus confortable ?

     

    Guérit-on du tourment comme un lavabo se décrasse, « un bon coup de Jésus-Christ, et hop, ça brille» ? « Il est d'une folle impiété de courir des risques spirituels, quand le plan de Dieu sur vous ne le comporte pas. » Encore une sentence de théologien ! Il est d'une folle impiété de parler aux damnés, ou d'avoir pitié de Satan – de cette chute minérale dans la nuit et de cette horrible peine ! Il est d'une folle impiété de tendre la main au possédé, quand on voit sur son visage l'affolement et le mensonge, » - qu'est-ce que le mensonge, monsieur de Saint-Pierre ? - « la rage du meurtre et l'appel désespéré ! Mais cette fois, je prendrai le risque et je ne me dégonflerai pas ! Je reverrai Léo – car on ne sait plus, à la fin, ce qui nous resterait de nous-mêmes si nous abdiquions indéfiniment la révolte et le courage ! » - belle phrase.

     

  • Pline le Jeune

     

    Pline le Jeune fait partie de ces auteurs que personne ne lit plus, sauf les Italiens, pour qui le latin reste obligatoire. Il écrivit des livres de lettres, parmi lesquelles, dans la 9e, à son ami Calestrius Tiro, celle qui vient en cinquième position, intitulée par les traducteurs "Le tact dans l'administration". Il s'agit de celle de toute une province, et non de ces amoncellements de paperasses obstruant toute forme de raisonnement. "Vous êtes dans la bonne voie", écrit-il, Egregie facis, (car je m'informe, ajoute l'auteur) et vous devez continuer à relever votre justice aux yeux des gens de votre province à force de tact." La distinction de Pline est évidente. Il n'en demeure pas moins qu'en latin, comme en hébreu contemporain, tout le monde se tutoyait, du haut en bas de la hiérarchie sociale.

     

     

    Statue blanche.JPG

    Le tact correspond en latin à humanitate ; ces mots impliquent le respect du justiciable. "Ce tact consiste principalement (praecipua pars est) à lier amitié avec tout ce qu'il y a d'honorable et à s'attirer l'affection des petits sans cesser en même temps d'être agréable aux grands." C'est une devise de grand seigneur. L'amitié s'entend de la reconnaissance mutuelle à l'intérieur d'une même caste ; il y a les gens distingués, puis les "petits", les minoribus, qui n'auront le droit que de manifester leur "affection". Car les gens du peuple sont bien humbles, ils aiment, avec reconnaissance, mais on ne saurait les tirer de leur place en leur accordant une considération excessive.

     

    L'organisation sociale est donc légitime, cependant, nous ne devons pas montrer d'attachement aux classes inférieures. Soyons bons avec les animaux. Et pour notre part, ne blâmons pas trop vite, et demandons-nous quelle classe sociale nous évitons le plus possible. "Beaucoup, au contraire, ajoute Pline, craignant de trop accorder au désir d'être apprécié des puissants, se font une réputation de maladresse, sinisteritatis, et même de méchanceté." Ils ne veulent pas passer pour des flatteurs. Ce n'est donc pas l'humanitas, le tact, la mesure, le bon goût, qui les inspirent, mais la crainte de leur propre servilité. Montesquieu parlerait d'honneur aristocratique. L'honneur consiste à se faire apprécier par les Grands, mais par son mérite, non par les flatteries.

     

    C'est là toute une mesure, un idéal de noblesse, non seulement de titre, mais d'esprit. Nous sommes sous le règne de Trajan, l'un des meilleurs empereurs de Rome. Et si bien des hommes affichent une balourdise proche de l'agressivité envers leurs supérieurs, c'est qu'ils ne se sentent ni capables de ressentir, ni tenus de singer, les nobles sentiments ni les belles manières de ces derniers. Ils oscillent entre le haut et le bas. Ils sont moyens, ce qui est le plus inconfortable de tout. Ils sont jaloux. Ils prennent leur médiocrité pour du respect de soi-même, et se tournent vers le bas peuple, vers les vulgaires. Ils soutiennent les mauvais instincts du peuple, ils s'acoquinent avec ceux qui vdoudraient bien, justement, s'élever, vers la partie des petites gens qui prennent conscience des inégalités sociales. Ils appuient leurs revendications, non pas pour les élever, mais pour détruire la couche sociale actuellement supérieure, et lorsqu'ils les auront renversés, à supposer qu'ils y parviennent, les médiocres joueront les chefs, diront : "C'est moi qui vous ai sortis de là, et vous devez à présent m'obéir".

     

    Sans aller aussi loin dans les sous-entendus, Pline se contente de rappeler certaines règles de comportement, l'extérieur noble et distingué se communiquant aux âmes par une sorte de douce capillarité. Ce n'est pourtant pas difficile : imitez les Grands, reconnaissez votre médiocrité, tâchez de ne pas la montrer. "Ce défaut, vous en êtes bien éloigné, je le sais. Mais je ne puis m'empêcher de vous donner des éloges qui ressemblent à des avertissements (...)" - qu'est-ce à dire ? Pline possède-t-il un ascendant sur son ami ? Une quelconque autorité administrative ? Ressent-il un certain effort de la part de Calestrius Tiro ? "...sur ce que vous avez su si bien garder la mesure (eum modum) pour maintenir les différences qui séparent les classes et les dignités..." Insinue-t-il que tel n'aurait pu ne pas être le cas ?

     

    Ou mieux, que la corde raide est étroite en cet exercice d'équilibre, et qu'il ne faut jamais se relâcher d'un instant dans l'exercice de cet art difficile ? Ne faudrait-il pas dépasser l'injonction de caste, le perpétuel rappel de son propre rang - condition sine qua non de son maintien, pour faire de ces compliments l'encouragement même d'un compagnon de cordée à un autre, sur l'itinéraire escarpé de l'élévation ? "quand tout cela est confondu, bouleversé, mêlé, rien n'est plus inégal que cette inégalité même". Toujours se souvenir du dictateur Marius, qui se tourna vers les petits parce qu'il avait été humilié par les grands. Ceux-ci ne doivent pas mépriser les petites gens, mais ne doivent pas non plus, par leur attitude rogue, décourager les moins nobles d'entre eux.

     

    L'aristocratie doit se montrer solidaire, que l'on soit au sommet de l'échelle ou sur un échelon intermédiaire. Ainsi, l'échelle reste stable, la pyramide harmonieuse, la cordée solide, si l'on veut multiplier les métaphores. C'est toujours, en définitive, l'apologue de Ménénius Agrippa, la parabole des membres et de l'estomac : l'estomac nourrit les membres, qui travaillent pour alimenter l'estomac. Et tout est en ordre. Le peuple admet très bien l'inégalité, pourvu qu'elle ne s'accompagne pas de mépris ni d'arrogance. Il semble que le concept d'égalité, aequalitate, consiste bien moins en

     

    ce nivellement que proclament (sans y croire) les démagogues, qu'en un sentiment de dignité, de reconnaissance mutuelle : chaque barreau de l'échelle compte, la base soutient la pyramide sans en être écrasée. Les guerres civiles de Rome avaient tant bouleversé l'ordre social que l'édifice avait croulé. La puissance des grands veille sur l'égalité, garantit la dignité de tous. Mais c'est chose bien utopique.

     

  • Exacerbation de l'égocentrisme

     

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    Le grand nu redressé.JPG

     

     

    On a tout déménagé chez moi, il ne reste plus que la moquette dégueulasse et quelques meubles dans les angles. Des gens rôdent autour de la maison, sonnent, j'essaie de me dissimuler contre le sol mais la lumière du soleil me frappe en plein visage, il semble difficile que les envahisseurs ne me voient pas. Ils finissent par entrer dans la maison pour en prendre possession en rigolant très fort. Je surgis alors et les vire tous en gueulant. Puis je me rends à Paris pour voir un film burlesque. La salle est immense. Annie m'a dit, avant, qu'elle allait sombrer dans la maladie mentale, d'un ton triste et absent. Je suis au cinéma à côté de Solignor à qui je demande sans cesse des explications sur le film, l'héroïne est noire mais semble une Blanche mal maquillée, le film piaille et crie partout, les gens semblent comprendre mais je ne comprends rien.

     

    Solignor en a marre de me donner des explications. A l'entracte, Boudjon vient me rejoindre debout dans l'allée, je téléphone devant lui : le film est nul, plus que Walt Disney, on ne comprend pas les motivations des personnages ni la problématique générale. Boudjon m'approuve tacitement. Puis, dans le métro du retour, je répète les mêmes jugements à Annie, après deux autres appels téléphoniques. Il y a avec nous sur le aussi un jeune homme déjà pourvu d'un collier de barbe à 14 ans, je lui recommande un jus de hareng frais tous les matins, car c'est du « hareng bu tôt ». Le calembour lui semble médiocre mais je le répète avec hilarité. Nous montons dans la rame de métro complète.

     

     

     

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    1. Un cours de philosophie que je donne fait s'en aller petit à petit les élèves. Je donne donc un devoir en classe, que je me mets à faire en leur compagnie. L'une des sous-partie, à laquelle sans doute ils n'auront pas pensée, doit traiter du chien. Mais je ne leur en parle pas, pour avoir l'occasion d'une petite supériorité. Cela n'empêche pas que d'autres s'en aillent, par la porte ouverte.

     

     

     

     

     

     

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    Avec Boudjon dans un vaste domaine éclaté, comprenant plusieurs maisons rustiques sur un terrain en pente. Il y a là plusieurs enfants d'on ne sait qui, des filles qui se lavent et demandent des serviettes ou du savon : je baisse les yeux pour ne pas voir les nudités. Un de ses ouvrages édités parle de radio, complétant mes connaissances. Deux petits garçons aussi virevoltent. Devant tant de public nouveau j'ai une forte envie d'aimer et de faire le con. Nous mangeons un peu au hasard des tables, il règne un grand bazar, Anita est joyeuse. Montescu se trouvait dans le train par où j'étais venu. Puis je monte dans les maisons ouvertes et accueillantes, un jeune homme tond le gazon dans une pièce en cours d'aménagement...

     

    Du fromage ? j'en trouverai chez l'abbé Delaiguille. Mais pas envie de le déranger. Une femme sortie dans la boue des sentiers brandit et vante son fromage. Cela grouille de partout. Boudjon est devenu le patriarche généreux du lieu, le centre d'une vie culturelle locale.

     

     

     

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    Fin d'un long rêve, avec la présence de Pipette. Un groupe de Vieux-Russes chante en gros plan, leur langue est peut-être du russe, ils semblent avoir une idéologie libertaire, Pipette les soutient, mais se tient à l'écart d'eux quand même. Ils seraient à la limite menaçants avec leurs convictions.

     

     

     

  • Créatures

     

    En dépit du mâle, sa grossesse se poursuivit. Il y eut de longs jours. Le chat bâillait, se grattait, les deux insulaires avaient repéré très exactement où tomberaient la langue ou la griffe. La désoccupation régnait, rongeait. La femme seule, sachant qu'elle accoucherait, demeurait calme. L'homme errait dans son maquis, sombre, fermé, ou résolvant des grilles d'échecs. Il se trouva un autre jeu : coupant des poils de différentes tailles, tressant des voiliers, il en garnit les haubans d'équipages fictifs, les fit combattre à sec / sur le dos de la bête, se livrant aux sottises des fils uniques livrés à eux-mêmes, que leurs parents malavisés privent de tout contact (puis l'enfant cessant d'être seul, il en éprouve à tout jamais un désarroi farouche ; accompagne la femme dans son infirmité, où le ventre quadruple de taille, sans possibilité  d'interrompre jamais la mécanique infernale). D'aucuns prétendent que si l'on aime, la vie n'est pas perdue ; Brian pense que c'est duperie : la vie se composant de toutes les incohérences, ne vaudrait-il pas mieux pour se concilier Dieu vivre à toute force le plus d'incohérences possibles, afin de Le distraire ?

     

    « Tu te trompes, dit Dieu.

     

      • Fais chier, dit le gnome.

     

    Dieu illico lui chia sur la tête une énorme averse, et le chat se secoua, vexé jusqu'à l'os : un félin sent venir de tels phénomènes. Il ne se laisse pas prendre en défaut. Ce secouement d'oreilles à lui seul était un miracle, la preuve de Dieu. Brian se mit à l'abri sous une touffe et joua de sa flûte, bénissant Dieu de lui avoir fourni un chat à poils longs – qu'aurait-il fait du dos dégoulinant d'un gouttière ? Comme il avait aussi sur lui ses barques, il disposa sur une flaque (admirant les proportions infinies de L'Hextrine) ses bateaux de poils tressés, assez semblables aux esquifs du Grand Lac Andin, qui se heurtèrent en formations, plus ou moins, de combat. « Je veux, dit-il, une autre femme ». Aussitôt le désir bondit sous son crâne. En ces temps-là les femmes pensaient peu : accouchant, babillant, ne raccouchant que pour mourir.

     

    La toison, malgré son épaisseur, ne recélait aucun parasite comestible – qu'on écartât à l'infini les touffes qui formaient sur la peau rose autant de halliers alignés, nulle créature, pas même une puce (et c'eût été horrible) n'apparaissait - il n'y avait de Seconde Femme qu'à l'extérieur. Sur un autre chat. Brian préférait-il une autre morte, sur un autre félin des brumes, ou une vivante, dans ce monde où règne un Dieu ? Existait-il autre chose que des chats ? On ne voyait que des étoiles. « Examinons, dit-il, les procédés auxquels je suis réduit. Dévaler sur le poil des flancs, jusqu'au sol où je me fracasse pour peu que L'Hextrine bondisse.

     

    « Mon Dieu que tu es puéril » fit Dieu.

     

    - Depuis que je l'insulte Dieu me parle. Je suis le seul qui reçoit Sa parole. » 

    Noble épouse.JPG

     

     

    Il devenait plus insolent que Moïse.

     

    « Je refuse ma femme et l'enfant »

     

    Brian se laisse glisser. Là-dessous les poils agglomérés ballent au gré des enjambées du grand félin. Brian se cramponne, observe d'en haut cailloux et parquets, structurant ainsi ses pensées, mieux que par des semblants de combats navals dont on ne possède plus la tactique ni le vocabulaire. « La mort certes interrompt le temps. Mais si le temps brise la mort, je m'ennuierai autant.

     

      • Assez ! dit Dieu - la mort - ne t'as donné aucune maturité...

     

    Le gnome poursuit sa progression latérale sous le ventre, suspendu dextrement d'une mèche à l'autre, pour ne pas se fracasser : rien ne garantissant qu'il fût immortel au carré. Les blasphèmes de Dieu le tourmentent : sur quel pied danser avec l'Esprit ? De loin en loin pointait le téton rosâtre des femelles. « Que ma chatte jamais ne soit couverte". Il ne chatouille pas son animal porteur : ventre et dos, pour le chat, c'est tout un. L'Hextrine se met au repos, bâille, puis s'enroule ; et le pli supérieur fermé sur l'inférieur, Brian suffoque un temps sous le pelage, puis poursuit en sécurité : confort plus grand, mais progression plus difficile. « Je ne me fais pas à l'idée que nous sommes les deux seuls habitants de ce parallépipède à pattes ; me voici justement sous les couteaux de la patte avant droite.

     

    De véritables faux, qui ne sortent de leurs fourreaux que pour d'apocalyptiques grattages. » Brian remonte par le ras du poil. Eprouve l'élasticité du coussinet supérieur - mieux vaut ne pas déclencher le dégainage de l'immense patte. Quand le chat se fut remis brusquement debout, le Pirate tomba au sol : de pas bien haut, de l'extrémité d'une griffe ! animal déambulatoire, chat sans esprit ! « Je percerai le crâne du suivant, s'il existe. Extrairai de là ses méditations... » - un grand coup de cœur mort bondit dans sa poitrine : à hauteur vertigineuse le dominait un gentilhomme de ce temps, méchants souliers, guêtres crottées. Le Vicomte, car c'est lui, le contemple sans y croire ni s'incliner : pour lui le gnome n'est qu'une ombre, dont il convient de se garder en murmurant quelques conjurations en anglais.

     

  • Ylipe

     

     

    Plus d'images. Ces mystères me dépassent. Je m'en fous.

     

    La Rochefoucauld lui-même, Chamfort ou Vauvenargues alias Luc de Clapiers, auteur de Réflexions et maximes, n'échappent pas toujours à cette lassitude de celui qui empileaphorisme sur aphorisme, à cette indigestion de lecture trop rapide : il faudrait relire, on n'en a pas saisi tout le sel du premier coup, et souvent, l'homme pressé s'abstient de relire. Il faudrait, comme dans ces calendriers souvent hélas américains, se remâcher chaque jour la devise du jour, comme une prédiction d'horoscope ou une prédication de pasteur angolais. Mais ici, notre prédicateur n'a rien d'un moraliste ecclésiastique : ne nous dit-il pas (j'en ai retenu quelques-une spontanément) « J'ai parfois la crainte que mon trou du cul ne se cicatrise », ce que vous entendrez rarement en chaire.

     

    Ou encore, de mémoire : « J'ai fait percer des trous dans mes paupières ; le matin, le jour me réveille ». Macabre, truculence, poésie, souvent les trois ensemble, le surréalisme subtil, ou plutôt l'inquiétude, le malaise (« surréalisme » fut mis à toutes les sauces), dissimulé sous une apparente niaiserie, parfois seulement de la platitude : « Les feuilles des arbres devraient être numérotées. Ce serait plus commode pour celui qui les ramasse ». Ô inhumanité d'un tel monde, où l'on chasse déjà les feuilles avec une horrible et pétaradante soufflerie . Ou bien une expression prise au pied de la lettre : « Ne rendez jamais les intentions que l'on vous prête ».

     

    Et pour en revenir à ce que nous voulions dire, plus on lit Ylipe (et son ouvrage ne dépasse pas les vingt minutes montre en main, mais comme il le dit «faire un chef-d'œuvre ne prend pas plus de temps), plus au contraire on le trouve profond, tendre, amer et désabusé, humain, et proche. C'est l'esprit disions-nous Hara-Kiri, très différent de l'actuel Charlie-Hebdo qui mouline de la morale à longueur de page. Un peu Delfeil de Ton. Un peu Choron. Vaguement. Plus coup d'épingle, plus trait de pinceau : des traits d'humour. Cela date, mais cela rajeunit, rafraîchit. Lui-même se représente comme un homme voûté, affublé d'un profil d'Elephant Man, accablé, mais en marche, à grandes enjambées résolues : il baisse les yeux sans savoir où il va, mais il va.

     

    Quand j'étais petit, nous dit-il, on ne me laissait jamais placer un mot ; mais j'ai observé que ces grands bavards avaient parfois besoin de reprendre leur souffle ; alors j'en profitais pour glisser ma phrase à moi. Il fallait être bref. » Ce que nous ferons, pour correspondre à l'esprit de l'auteur. Voici une série d'aphorismes, « sentence énonbcée en peu de mots », comme les tweets, en moins con – une dernière de mémoire (c'est un homme qui parle) : « Mon sexe ne ressemble à aucune forme connue ». Et comme le premier de nos aphorismes nous dit « Mes goûts ne sont pas dans la nature » (contrairement à ceux de Jacques Dutronc, qui chante « Tous mes goûts sont dans la nature »), comme il a représenté une carte représentant d'un côté de la diagonale une reine, et, par-dessus, un roi, nous avions pensé à l'homosexualité, mais ceci ne nous regarde pas, d'autant plus qu'il écrit aussi « Je n'ai jamais pu faire un cunnilingus sans m'en foutre partout ».

     

    Suivant : « Je n'ai plus qu'un ami. Je me demande si j'aurai la patience d'attendre. » Qu'il apparaisse, ou qu'il disparaisse après tous les autres qui se sont fait virer ? Ses aphorismes en effet peuvent virer dans l'aporisme, qui est une impasse du raisonnement ; exemple : « Si Dieu peut tout, pourrait-il se détruire ? » Vous avez six heures, agrégation de philo. « Un gilet pare-balles ne protège justement pas les balles » - de même un cache-nez ne cache pas le nez. « Comprendre les choses à demi-mot, c'est n'en comprendre que la moitié ». Au pied de la lettre, oui. « La nappe est le linceul de l'animal comestible » - « L'émoi est haïssable ».

     

    Pureté. Immobilité. Vérité. Pétrification. Caricature ici indéchiffrable d'un scaphandrier (« Un scaphandrier doit prendre ses précautions avant », ça aussi c'est de lui ; notre plongeur torse nu style 1925 porte un casque en sac de courses en papier, avec l'anse, et deux rond opaques pour les yeux... Ah celle-là je l'adore : « Ça fait pauvre, de détester les riches. » A tout à l'heure, je vais voir Hélène. Bon, j'ai vu Hélène, c'était super. « L'homme ne peut pas se lécher partout, ça le rend mélancolique » - eh oui, Ylipe, sauf Molinier qui se faisait des autopipes avec un joug de mule, cong... « Le chien écrasé reste le meilleur ami de l'homme », et des journalistes, qui peuvent ainsi zapper les sujets qui fâchent. « Si la mort existe, elle devrait bien finir par mourir un jour », c'est encore plus excellent comme l'autre. Souvenons-nous en effet de cet ouvrier qui vient de perdre sa femme, et qui s'exclame devant le médecin : « Docteur, un jour, nous vaincrons la mort, mais quand ? quand ? » « French », répondit la Mort. « Pour qui s'y couche, la terre est plate » - c'est pas ta meilleure, Ylipe, on en peut pas le nier comme on dit au basket. C'est comme chez Ruquier, je me commente les vannes, j'espère être moins chiant. « La plupart des malades meurent par curiosité » - tiens, si j'essayais ? Voir Borgès : toute maladie est un châtiment, toute mort un suicide. « Qui combat la connerie l'engraisse de sa bêtise », très bon, car la connerie ne se combat pas avec les bons sentiments. Exemple : « Je suis une féministe, je ne couche pas. » « Un oiseau aveugle est inconcevable : avec quoi tiendrait-il sa canne ? » Humoristes, et non pas Dieudonné, à vos plumes. « Surprise, une femme nue ne cache jamais son visage » - pas faux !

     

    On trouve des femmes qui se retroussent jusqu'au cul pour voiler leur visage, mais ça, c'est au Sahara. Allez, deux de plus pour la route : « Désespéré, on espère encore » - eh oui, « Belle Philis, on désespère, Alors qu'on espère toujours », c'est du nommé Oronte dans son fameux sonnet du Misanthrope. Et « Le blessé est un mort in-achevé » - forcément. Sur ce je vous quitte, Carson, et vous incite à lire ces Textes sans paroles, par Ylipe, éditions du Dilettante.