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Michel de St-Pierre, Les murmures de Satan

 

Ainsi l'humain sautille-t-il d'un pied sur l'autre pour soulager son fardeau : cette image me fut révélée par un élève de 17 ans, alors que j'en avais 21. Vous jugerez sur pièce, par cet explicit que je livre à vos « fiers appétits » : car on ne dit pas un « excipit », ô professeurs ignares, mais un explicit. Jean Dewinter, « L'Hiver » en flamand, se livre, devant le corps de Gros-Louis, à son ultime monologue : que faire de sa destinée, foudroyée par l'évêque, de son artiste, qui tente bien sa femme, de sa communauté, à vau-l'eau, et dit ceci, en un texte fiévreux :

 

« Avec un soupir, Jean retrouva son fauteuil et l'engourdissement : « Je me demande ce que fait [l'abbé] Muire en ce moment ? » S'astique-t-il dans ses burettes ? « Il ne dort pas. Nous l'avons laissé partir tout à l'heure après de molles poignées de main, sans un mot, sans un regard, sans un remerciement. Seule Monique a fait quelque chose. Le baiser au lépreux : c'est exactement ça ! Et moi, j'étais alors brisé, anesthésié. » Il venait d'apprendre l'abandon de l'institution ecclésiastique. « Puis il a fallu subir les rouspétances des autres. Pauvres gars ! » Pauvres inférieurs qui rouspètent, gens du peuple qu'il faut bien comprendre, n'est-ce pas, encore un petit gâteau sexe ? « Je me demande bien de quel droit je me suis permis de les engueuler par exemple ! Ils l'ont supporté. Ils supportent à peu près tout de moi. » J'ai tant de prestige et de modestie. « Et je suis parti – non seulement parce que Gros-Louis m'attendait, mais parce que je ne trouvais pas les mots qu'il fallait. Les mots sont des traîtres qui vous abandonnent toujours devant l'ennemi, devant la vérité. Que pouvais-je leur dire, moi ? » L'utopiste ? « Je ne comprends même pas comment j'ai pu accepter de me soumettre – et je sais bien que je vais souffrir ! Mais je reste sûr d'une chose à laquelle je m'accrocherai jusqu'au bout : les gens ont moins besoin d'un nouveau mode de vie chrétienne que d'un exemple d'obéissance... » - et voilà un mot terrible : notre héros a failli s'approcher de la politique.

 

 

Le grand pas rouge.JPGLE GRAND PAS ROUGE, d'ANNE JALEVSKI

Et la phrase reste en suspens, car le marquis de Saint-Pierre s'aperçoit qu'il développerait dangereusement son sujet. Mais une voie de garage s'offre à lui : la psychologie. Le cas du sculpteur, qui ne croit à rien :  « Il voulut s'interdire de penser à Léo. Il ne put. Léo lui revenait comme un ami acharné. L'image du sculpteur, son sourire, son masque et sa douleur – depuis le commencement de cette veillée – étaient présents dans l'esprit de Jean : volontairement cachés sous le bien-être, la méditation ou la prière. Léo se débattait, luttait contre la nuit qui le saturait lentement. Il avait fait de poignants efforts vers la tête du Christ, vers l'amitié de Jean. Mais chacun de ses pas soulevait des éclaboussures de reniements, d'appels troubles, de rires bas ou de blasphèmes. » Ce prêchi-prêcha digne d'un Claudel ou d'un Cesbron soulève d'irrespirables effluves de soutane et de sacritie. « Un fou ? reprend Dewinter. Oh non ! Pas le moins du monde. Un bluffeur, un mystificateur ? Oui, mais évoluant dans un domaine où la duperie s'élève au rang de la science et de l'art ! Léo est une machine de destruction compliquée, dont l'ingénieur n'est pas encore le maître. Une machine possédant une âme immortelle » - c'est bien ça qui fausse tout - «que nul au monde n'a le pouvoir de détruire, et pas même le Dieu créateur » qui cesse alors d'être tout-puissant si j'ai bien compris. « Et cette âme-là, prisonnière, peut bloquer les rouages comme un simple grain de sable... Mais l'ingénieur de la machine, il faudra bien maintenant l'appeler par son nom. Que disait donc le « Rituel romain », dont nous a parlé un soir l'abbé Muire ? Que la connaissance de faits distincts ou cachés, et la manifestation d'une force physique anormale sont des signes spécifiques de la possession... Je veux bien ! » - obscurantistissime concession, monsieur le personnage... « Mais laisser un homme se noyer dans l'ombre, sous mes yeux, alors que n'importe quel chrétien devrait se doubler d'un exorciste ? » Pourquoi, Marquis ? devenir chrétien est-il plus confortable ?

 

Guérit-on du tourment comme un lavabo se décrasse, « un bon coup de Jésus-Christ, et hop, ça brille» ? « Il est d'une folle impiété de courir des risques spirituels, quand le plan de Dieu sur vous ne le comporte pas. » Encore une sentence de théologien ! Il est d'une folle impiété de parler aux damnés, ou d'avoir pitié de Satan – de cette chute minérale dans la nuit et de cette horrible peine ! Il est d'une folle impiété de tendre la main au possédé, quand on voit sur son visage l'affolement et le mensonge, » - qu'est-ce que le mensonge, monsieur de Saint-Pierre ? - « la rage du meurtre et l'appel désespéré ! Mais cette fois, je prendrai le risque et je ne me dégonflerai pas ! Je reverrai Léo – car on ne sait plus, à la fin, ce qui nous resterait de nous-mêmes si nous abdiquions indéfiniment la révolte et le courage ! » - belle phrase.

 

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