Proullaud296

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  • Survol de "La route des Flandres"

     

    Bonsoir à tous – moil'nœud. C'est Collicause qui vous gnon, en cette énième émission de "Lumières, Lumières". Nous passerons au crible La route des Flandres de Claude Simon, Prix Nobel mieux mérité que celui de la paix pour Gorbatchev. Marie-Andrée aura composé une chanson. Théodorakis aussi, avec paroles traduites par moi. Et le catalogue (mars 2036) de Robert Laffont, pour lui faire de la publicité, en retard.

     

    / Audition de disques de variété /

     

    Voici un bon livre, un chef-d'œuvre même, juste le contraire du torchon de la semaine dernière. Et, flûte en bois, il va falloir se fatiguer. Mais je tiens à préciser notre propos : il ne s'agit pas de sonder les arcanes d'une œuvre, en termes obscurs et universitaires, pléonasme, mais d'ouvrir un public nouveau, populo, potachique, à une culture étrangère, du moins d'améliorer ceux qui stagnent sur sa bordure. Claude Simon est illustre représentant (dont je n'avais pas ouï parler avant le Prix Nobel) du nouveau roman, c'est-à-dire d'une façon d'écrire visant à reproduire exactement toute la sensation, tout le goût du réel. Chaque description est menée dans tous ses détails les plus intimes : mais ne sont décrits que les objets significatifs ; de même, chaque nuance de sentiment s'étire sous le scalpel jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que la corde.

     

    La ponctuation ici n'est faite que de virgules, en un perpétuel halètement, coupant les phrases avant la, passant de l'instant vécu à l'instant rêvé par associations d'idées. On ne résume pas un roman de cette catégorie. Il ne s'y passe que peu de choses, les évènements s'y emmêlent, chaque détail s'emmêle et s'étend aux connotations qu'il suscite. La technique restant implacablement la même, phrases longues et déstructurées parfois, utilisation forcenée des virgules donc – rien ne permet de distinguer stylistiquement Simon de Sarraute, Sarraute de Butor et Butor de Robbe-Grillet, sauf à chausser la double loupe. Ce qui différencie les écrivains de ce groupe est précisément ce qu'ils ont voulu évacuer, c'est-à-dire le contenu du discours : après avoir incidemment déclaré ici que Claude Simon est le seul de ces auteurs dont j'aie l'envie de relire bientôt un ouvrage différent sans qu'il doive être une resucée (je m'en suis bien gardé, N.D.L.A. Du 23 février 2045, confirmée le 3 avril 2060), j'en reviens au contenu, au continu chevalin et chevaleresque de cet ouvrage : cavalcades 14-18, courses montées d'Auteuil ou approchant, montages de chevaux et femmes, rafales mitraillées sur cavaliers, longues étapes équestres sous la pluie fantôme, apocalyptiques chevaucheurs lents dégoulinant du ciel à terre. Ce n'est pas tant l'obsession de l'animal avalanché de tous termes anatomiques et techniques, mais l'obsession de monter : l'homme monté, le centaure en fusion (dégoulinant), tel est le sujet de Claude Simon. Deuxième : le suicide, le meurtre au pistolet d'arçon, la menace au fusil, le jaloux qui se tire ou tire, et puis qui dégouline tout son sang du haut du crâne, avec de grands yeux de cheval étonné ; aussi bien seigneur du XVIIIe siècle que paysan des Ardennes, aussi bien Georges que son ancêtre ; seul Blum juif râleur et ratiocinant bien français fouille et retourne la plaie de vérité de son bâton de Juif errant et rrran !

     

    Soyons envoûté. Premier exemple p. 24, d'obsession, d'exaspération sensorielle :

     

     

    Taureaux, mais de loin....JPG

    / Lecture de cette page 24 /

     

    Ainsi le cheval est-il instrument, par son reflet du même au même, de goutte d'eau qui incessamment se reforme, et plus il trotte ou galope, plus les reflets et les bêtes se mêlent et se reséparent vélocement, plus règne l'immobilité, l'interchangeabilité. Qui raconte – on ne le sait jamais. Il y a un Georges. Il ya un Blum, hors du coup car juif ; il y a Iglesia, jockey sauteur de sa maîtresse ; tel ancêtre et tel colonel qui n'en finit pas de tomber sabre au clair dans une embuscade. Tel est l'envoûtement hindouïque du retour. Clipiclop.

     

    / Lecture de la p. 71 /

     

    ...où apparaît le thème de la dissolution, du "tout se vaut", appliqué non pas au politique mais au temps, au déroulement-essence du roman, ici nié, de la vie remise en question, dissolution du corps au point qu'on ne sait plus de quel corps on est fait ni à qui appartient ce bras. En même temps des gestes très précis, l'acquisition, dans un wagon, d'un quignon de survie, replace dans la matière la plus grossière, la plus indispensable, ce qui pourrait n'être qu'une abstraction vaseuse, et telle est la séduction de Claude Simon, son talent de grand basculeur, qu'il nous fait à la fois d'un coup de plateau passer des arguties les plus subtiles du cerveau à la présence la plus obsédante de la survie corporelle, car c'est dans la guerre, dans l'état de guerre, c'est-à-dire non pas dans l'assaut, qui n'est qu'aboutissement, paroxysme fatal, mais dans l'état d'attente, d'imminence au sens de menace, que prend le plus sa valeur l'absurdité du tout mais aussi consubstantiellement la nécessité de cette absurdité, afin de survivre et de vivre.

     

    / Lecture de la p. 118 /

     

    ...où se confirme ce que nous dîmes, aggravé cette fois par la valeur droguante du genièvre et du tabac réduit à sa plus simple expression de papier, pain, genièvre et brûlot de gueule étant seuls moyens survivants laissés par le gros rabotage guerrier, seuls moyens de capter l'éternel et le soi-même à partir des plus bas états de la matière qui se mange.

    / Lecture de la p. 165 /

     

    ...où passe la torpeur du spectateur de courses, comme vous ne les voyez jamais à Tiercé-Magazine mais ralenties, donnant à voir, à boire, tous visages, assiégeant vos yeux et vos nez à suffoquer l'inspiration, grandiose sur-place de l'anneau des courses chargées sans plus d'entretenir la course du soleil, ce dont c'était le sens aux temps antiques : faire courir les chevaux maintenait éternelle la course du soleil, mais aussi celle de la boue, n'oubliez pas que rien n'a existé, que rien n'existe que par l'interminable mouvement, d'aucuns disent le branle, de l'univers.

     

    / Lecture de la p. 212 /

     

  • Le canapé-lit

     

     

    La Cère à Aurillac.JPG

    Une double page de pub chez Miz, ça ne se refuse pas. Le lecteur glisse dessus comme un pet sur une toile cirée, mais l'image subliminale demeure, par définition. Demeure aussi l'impression d'être un demeuré pécuniaire, et d'appartenir à ces "minables" qui gagnent moins de 4000€/mois... Alors, comme "ils sont trop verts", il faudrait dénigrer ce vaste espace, donnant sur une vaste plaine brésilienne peut-être, bien défrichée, labours-buissons-labours (une grosse machine agricole décelable), verdure, un angle de colza, un horizon verdâtre et perdu dans le flou d'un ciel pâle. Baie glissante sur sept éléments, les deux derniers sur la droite donnant sur un retour de fenêtre ultralarge en petites briquettes pleines.

     

    À l'intérieur, bien agrandies par la perspective, trois énormes lampes à grosses douilles vissantes, suspendues au plafond supposé hors champ, au bout de trois filins parallèles dénudés, eux-mêmes doublés chacun d'un fil replié, pour faire pauvre ("l'ampoule au plafond" des romans réalistes). Ainsi, tout reste envahi de clarté, de jour comme de nuit. Au-dessous s'étale sur deux pages, donc, un immense "canapé d'angle composable" sur armature enveloppante d'acier chromé, dite "piétement patin". Le tout pour 6590€*, une affaire ! Au lieu de 8520 "dont 14€ d'éco-participation" – écologie, mais économie si l'on veut. Cependant si l'on a de quoi débourser 8520€, serait-on mesquinement intéressé par une remise de 230 ?

     

    Les annonceurs en semblent persuadés ; il faut bien que le luxe se démocratise. En revanche, le goût semble affecté lui aussi d'une réduction : ces longues structures en "vachette fleur corrigée pigmentée", dont les "cale-reins 100% plumes", deux côte à côte à gauche et un tout seul à l'angle, tentent de racheter la monotone linéarité, n'inspirent qu'un sentiment d'aise et de confort ; et le vaste paysage agricole se situant dans le dos de tous (sauf le retour à droite), il reste à espérer que l'autre côté de la pièce en présente un aussi aéré, ou du moins d'excellents écrans géants. Vidchier. Par-devant, l'inévitable table basse transparente où se reflète une colonne de terrasse, et le tapis rectangulaire en moquette sobre et fine.

     

    Cette sobriété grand luxe est rehaussée, tout de même, par une structure en poly-je-ne-sais quoi, pince rudimentaire et arrondie enserrant une ampoule ronde et lactée, "design Sacha Lakic" ("lakits" j'espère, et non Laquique) – l'objet se reflétant symétriquement vers le bas – plus un hepta- (octa- ? ennéa- ?) - èdre bien aigu aux reflets prismatiques à leur tour reflétés en double dans le verre. Profitez-en, c'est une affaire

  • Ange, Térence, Vivette et les autres...

     

    Assis en rond comme des yacks contre les vents. Vivette ne dira pas qu'elle est enceinte ; Ange ferait un mauvais père : trop de ventre.Les cirés qui frissonnent. Quelques touristes mieux couverts qui passent en faisant des signes amicaux. Albertine enfile deux sandwichs. “Au point où tu en es” dit Ange. Térence fait le boute-en-train. Tous excursionnent ventre plein au sommet des falaises. Des exclamations sont poussées sur la vue, sur les bateaux anglais qu'on voit. Térence dit “Les convois qu'on voit.” Il soutient Vivette dans les montées, Joëlle est aux prises avec la grosse Albertine qu'elle ne connaissait pas la veille, Magdaléna empêche le pourceau de tomber, c'est Ange. “Nous sommes les premiers” dit Térence à la sœur de sa femme (Vivette ; il faut suivre). “Vois-tu l'Angleterre ?

     

    - Pas de si loin, Térence ! - Tu as souri, tu as dit mon nom. -Tu n'es pas le père, tonton.. Fous-moi la paix. - Qui va s'occuper de toi si le gros porc... - N'insulte personne.” Ils se rejoignent autour de la table d'orientation, se désignent les points de repère - “Tu es de bien bonne humeur Térence” observe Albertine en soufflant “Je me défends” dit-il, “je me défends”. - Dango, dit Vivette. Une fois redescendu tout le monde embarque sur le Trois-Couillons, des Frères Croche, affables, qui trimballent les touristes et leur enfilent des casquettes et des gants. Temps frais, noroît soutenu hors-saison. La bôme fauche au-dessus des têtes baissées parce qu'on remonte face au vent, les frères Croche se mettent à chanter, on ne se dit plus que des conneries ou on s'isole avec un air profond, sur cris de vagues et sous l'embrun. Le Croche-barreur dit “Bizarre, le vent tombe”... “...Mais ce n'est rien M'sieurs-Dames” ajoute le frère. “On voit moins loin que tout à l'heure”, “La mer est grise”, “Redresse au vent””Quel vent ?”. La voile faseye” -“bat au vent” - Takapétéddan dit le cousin, bien atteint. “Nous avons fait les Glénans, dit le barreur. Mesdemoiselles, ne craignez rien.” “ce ne serait pas du brouillard qui tombe, là ?” observe Térence. “Bien sûr Monsieur, rien de plus normal par ici.” “A cette heure-ci ?” “A toute heure Monsieur ; Joël, va écouter le poste.” “Moi?” “Je parlais à mon frère, Mademoiselle” “Madame”.

     

    Albertine éclate de rire. Le cousin Ange se tait, mais il lui semble soit qu'on tourne en rond, soit qu'on dérive. Albertine soupire “Mon Dieu mon Dieu”. On entend un grondement Les rouleaux Madame, c'est la mer qui descend. Oùsommes-nous ? En mer.” “Dement” dit Ange. “Ça se gagne” dit Vivette. Le frère barreur : “Calmez-vous, on en a vu d'autres, ceux qui paniquent vont dans la cambuse”. Vivette descend dans la cambuse. Quand elle s'est cognée trois quatre fois aux parois elle remonte sur le pont, l'avenir, c'est la vague suivante. Ange dit “Elles sont courtes mais bonnes”, toujours ce genre de jeux de mots, Térence ferme sa gueule.

     

    Cependant le barreur aborda en pleine mer la Police Maritime, qui avait l'œil : “On vous suivait. Bouées de sauvetage... ? Trois en tout et pour tout ?” Térence : Qu'est-ce qu'elle leur a mis, la police ! Et puis (suite du récit), tout le monde s'était bien rendu compte que Vivette avait quelque chose dans le ventre, quand elle avait sauté lourdement sur la vedette des flics ; même qu'elle avait vomi en écartant les jambes ; Ange racontait pour sa part que tout le monde l'avait laissé sur la barque à voiles, aucun bras secoureur ne l'avait “euh... secouru ; et si j'étais tombé entre les deux bordages ? Ça se frottait, ça montait, ça descendait ! Trompes de voûtes.JPG

     

    - Tais-toi, grand douillet de vaurien de merde, dis-moi plutôt de qui ta cousine est enceinte. - Je ne sais pas Maman. - Tu crois que c'est Térence ?” Ce dernier suffoque d'indignation. La scène se passe dans un salon, à Morlaix. Une belle promenade en mer en vérité, fort instructive. “Joëlle, tu ne peux pas croire cet abruti !” (disons qu'ils sont revenus de l'expédition bretonne ; disons qu'ils se retrouvent dans le studio de photographie, où le professionnel de la profession les a regardés s'ébattre, avec des yeux de veau, en échange du studio lui-même, pour toute la nuit. - Pour une fois le studio pour nous tout seuls ! - Térence, Vivette est enceinte, c'est de toi, oui ou non ? tu me promets que tu n'y es pour rien ?” Le torchon brûle sous les sunlights. “Que faisions-nous avec eux ? si tu savais ce que je me suis fait chier... J'ai voulu te présenter. On ne présente pas une passade ! ...tout le monde me dévisageait ! Sau f Magdalena ma femme . C'est ce qui m'a le plus gênée. Jamais je n'ai autant regardé le paysage. Est-ce que je sais moi ? Il s'emporte d'un coup. Térence dit-elle, je trouve cela très laid cette grossesse de Vivette à ma place C'est la meilleure (s'étouffe Térence) Tu veux être enceinte ?

     

    OK dit-elle on commence – qui va élever l'enfant-de-la-sœur-de-ta-femme? le poussah, “Ange” ? T'as vraiment la famille de blaireaux. Magdaléna déteste sa sœur tu entends- ? elle la hait, elle l'a complètement abandonnée après la mort de leur mère C'est ce que Vivette m'a dit en voiture Je l'élèverai comme un fils Fais-en donc un, avec ta bourge, avec moi – plus tard (c'est l'été) dialogue : “Tu m'aimes pour faire joli. - Je te désire dit T. - Fais-moi l'amour derrière les troènes – En pleine circulation ?” Ils le font. La caravane de Joëlle est un monde complet : cassettes, CD, revues de photos, dans un renfoncement la TV peinte en rouge “Mes parents” dit-elle “n'entrent pas ici”.

     

    Par un soir étouffant Térence étend ses membres nus et suants sur la couchette et comme ils n'ont pas encore bougé d'un poil c'est la télé qui se déclenche “Chaos à Moscou”, une brochette de vieux cons en casquettes militaires annonçant la destitution de Gorbatchev “popur raison de santé”, Térence couine d'indignation sous la petite coquille de plastique et Joëlle impassible se tourne pour mieux voir et dans la touffeur de la caravane ils baisent devant les généraux morts. “Térence tu penses à autre chose, Térence nous n'avons jamais qu'une heure au pifomètre devant nous, Térence la tolérance de ta femme me soûle – Térence ta femme d'occasion se fait chier. Marre de tes coups d'œil à ta montre, de baiser sur un quai de gare Je me demande pourquoi tu t'obstines à jouir Maintenant Térence tu dégages.

     

  • Parenthèses et songes

     

    50 10 19 Parenthèse

     

     

     

    Escalier sur les voies de Caen.JPGRéflexions : C'est moi qui ai voulu en rester à 18 ans. Je n'ai pas à me plaindre. Avec l'impuissance qui s'y rapporte. Je dois m'accepter. “Connais-toi toi-même”. Ma comédie sociale,mes faux-fuyants, j'en ai ma claque. Baiser je ne peux plus. C'est au-dessus de mes forces. E finita la commedia. Une autre comédie commence – crois-tu ? dormir.

     

     

     

    50 10 31

     

    Lors d'une discussion dont le début m'échappe, je déclare à ma femme : “Je suis impuissant”. Ce qui lui déplaît profondément : elle répète ma phrase avec acrimonie ; c'est un prétexte pour ne pas la satisfaire. Mais je ne suis pas seul responsable ! C'est à elle aussi qu'il appartient de me stimuler ! Mais il faut se lever, rejoindre sa voiture pour se rendre à son travail : il fait déjà grand jour. Mais à travers les murs, je l'entends s'écrier : “Sur quel ton il a dit ça ! C'est humiliant ! C'est humiliant !” Et dans cette rue très claire de Tanger, je me fais la réflexion qu'elle l'a bien cherché, sans pouvoir me départir d'un fort malaise. Il faut bien que ces sentiments procèdent d'une certaine réalité, puisque je les ressens toujours à mon réveil.

     

    50 10 31, nuit

     

    Les premiers instants du coucher sont douloureux. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que l'on parvient à surmonter l'angoisse de franchir les Portes de la Nuit. Portes du moi, mystère...

     

    Celui qui dans ses veilles ressent malgré lui des sentiments si discontinus, si disparates, possède peut-être après tout le don de personnalités multiples ; mais est-ce si sûr ? est-il possible, est-il facile et honnête pour lui d'en tirer parti, peut-il impunément se glisser sans dommages dans ces diverses personnes ?

     

    Cerrtains autres, peut-être les mêmes, s'aperçoivent avec désolation que c'est seulement au coucher que se révèlent de fortes résolutions, juste au moment qu'il n'est plus temps ; il ser tenté d'espérer une belle mort à venir, pleine de vaillance et d'enseignement pour son entourage s'il y en a ; mais c'est peut-être aussi qu'il se faut raffermir et recomposer avant de doser inconsciemment le bon mélange, devant produire les rêves sinon révélateurs, du moins réparateurs. Parfois, au réveil, cette résolution a traversé la nuit : mettez-le en pratique.

     

    Il vous faut donc dominer, discipliner les courants divergents, les utiliser, à des fins littéraires (pour ceux qui manquent d'ancrage concret). Les invocations, équilibrages et déséquilibrages cuisinés dans le rituel des pratiques et prières (d'aucuns diront superstitieuses) devraient dans l'idéal permettre une vie perpétuellement passionnée, que bien peu d'entre nous pourraient supporter. Il existe des livres de prières pour les trois cent soixante-cinq anges de l'année ; chacun peut se les procurer dans les librairies spécialisées. Peut-être y croirez-vous ; maintenez cependant toujours une distance, et n'oubliez pas que la sincérité rend fou, mais que la fausse science est bonne.

     

    Birobidjan P.S. Je ne sais pas quoi faire de mon sexe. Pourquoi ? Mourir perplexe.

     

    50 11 03

    J'ai rattrapé mon chat sur le fleuve Amour, gelé, en vagues.

     

    (Dans l'autre monde, le chat s'est enfui de sur mes genoux. Je l'ai caressé sous la gorge, et le temps de sentir une grosse cicatrice, il m'est sauté des genoux et je ne l'ai jamais revu. Pouvait-il croire que je voulais l'achever ? Quelle terreur ai-je ravivée, quel égorgement animal, je l'ignore. Les deux occasions où je l'ai revu, il s'est enfui).

     

    Le fleuve Amour, séparant la Chine de la Sibérie, longeant le Birobidjan où Staline établit des juifs, signifie en réalité « fleuve boueux ». Dommage.

     

     

     

  • Comptes rendus de Diderot

     

    Diderot poursuit son compte-rendu : « L’heure du dîner vint. Au milieu de la table était d’un côté Mme d’Épinay et de l’autre M. de Villeneuve ; ils prirent toute la peine et de la meilleure grâce du monde." Que veut dire "prendre toute la peine" ?

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    Celle de parler, de "tenir le dé de la conversation" ? Et qui fut ce Villeneuve ? Ma foi, il y en a trop. Et je suis là pour galipetter, non pour me confire en éruditions importunes. "Nous dînâmes splendidement, gaiement et longtemps. Des glaces ; ah ! mes amies, quelles glaces ! c’est là qu’il fallait être pour en prendre de bonnes, vous qui les aimez. » C'est niais. C'est con. Nous sommes, nous autres, bien plus sérieux, bien plus ânes bâtés. Nous ne savons plus converser, car nous avons voulu « être sincères ». Jean-Jacques a bien gâté la conversation, avec sa prise au sérieux d'Alceste. C'est bien lui qui s'ennuyait au point de chercher ce qu'il fallait répondre avant même que l'autre eût fini ses phrase, afin que le propos ne tombât point dans le silence.

     

    C'est ainsi que nos forums télévisés ne sont plus que des gens qui disputent, qui n'entendent pas qu'on puisse être d'un autre bon sens que le leur et sombrent dans la stupidité de vouloir convaincre. Et voilà pourquoi nos amis québécois s'exclament à peine refermée sur nous la porte de sortie : « Maudits Français ! Il a fallu encore qu'ils défendent leurs opinions ! » Là-bas les conversations sont plates, on ne s'y dispute pas, mais c'est aussi qu'il doit être bien ennuyeux d'échanger sans cesse des platitudes ou des évidences, tout cela au nom du respect. C'est ce qui m'a retenu d'y aller vivre, sans compter mes irrésolutions bien entendu. Bref, M. Diderot s'empiffre et nous fait chier. « Après dîner, on fit un peu de musique. La personne dont je vous ai déjà parlé qui touche si légèrement et si savamment du clavecin nous étonna tous, eux par la rareté de son talent, moi par le charme de sa jeunesse, de sa douceur, de sa modestie, de ses grâces et de son innocence. » Ah, voilà bien la fausse note !

     

    Pourtant que j'eusse aimé, pour plagier le style, assister à ce récital, si XVIIIe dans son jus, alors qu'ils ne le savaient pas ! Mais Diderot ne s'embarrasse pas de mélomanie : son truc à lui, c'est la jeunesse chaste et pure, le Greuze en chair et en os, la « douceur », la « modestie », oh que ça le chatouille les émotions malsaines, le petite-fillisme parapédo, « sans exagérer, Emilie à quinze ans » ! L'apogée de la fréquence masturbatoire chez la fille ! Emile fut publié en 62, l'éducation d'Emilie n'était que de plaire à son futur mari ! Emilie, Emilie ! comme tonne Elisabeth Badinter, pour indiquer avec empressement que l'on a carrément comme d'habitude « oublié » la fille ! Balayé, noyé de honte, Jean-Jacques ! Ah ! les belles petites oies blanches, vraies et fausses vierges, que le XIXe siècle nous a concoctées treize à la douzaine, les belles petites salopes frustrées qui empoisonnent les ménages et les maris à l'occasion !

     

    Ce n'est pas bien de se moquer ; mais les curés y allaient fort eux aussi, parmi lesquels le propre frère de Diderot, qui recommandait la chasteté à sa femme alors que lui-même ne s'était jamais gêné pour courir le guilledou ! Une femme honnête n'a pas de plaisir, c'est bien cela, monsieur Tenenbaum, que l'Eglise recommandait officiellement en chaire ! Ô détestable époque ! Notez que le plaisir des femmes, bien des hommes ne savent toujours pas quoi en faire. Et les femmes s'imaginent encore parfois qu'il leur manque, qu'il n'est pas assez intense... Mais je sens que je vais dire des bêtises, si même elles ne débordent par hasard à ras bord des lignes...

     

    Sacré Diderot, qui prônait en chaire la plus complète liberté sexuelle y compris pour ce sexe féminin si opprimé, mais qui veilla si jalousement sur la chasteté de sa fille qu'il la maintint dans la chasteté jusqu'à 24 ans (comment voulez-vous après cela jouir avec un homme quand on s'est consciencieusement astiqué la moule depuis des années) afin de la marier avec un petit noble bien pourvu de thune ! « Les applaudissements qui s’élevèrent autour d’elle lui faisaient monter au visage une rougeur, et lui causaient un embarras charmant. » Nous concevons fort bien cela. Ce sont de tels témoignages de chasteté naturelle, charmes aujourd'hui disparus, qui poussent les vicieux dans les bras des trop jeunes demoiselles.

     

    Il me viendra peut-être de ces troubles ambigus. Mais « On la fit chanter ; et elle chanta une chanson qui disait à peu près :

     

    Je cède au penchant qui m’entraîne ;

    Je ne puis conserver mon cœur.

     

    Mais je veux mourir, si elle entendait rien à cela." Le complexe d'Arnolphe. Notre Denis dépassait largement la cinquantaine. De tels attendrissements nous révulseraient. Nous ne pouvons plus adhérer, nous autres si instruits, à ces fables de pure ignorance, car nous savons les troubles pensées des enfants, leurs tripotis, leurs inexpertes mais concrètes salacités. "Je la regardais, et je pensais au fond de mon cœur que c’était un ange, et qu’il faudrait être plus méchant que Satan pour en approcher avec une pensée déshonnête." En ce temps-là nous pouvions dire "Je suis honnête. Je suis sincère. Je pense, je ressens ceci, cela." On raisonnait clair, logique, mathématique, bourrin. On était au Siècle des philosophes : il y avait ceux qui pensaient bien, ceux qui pensaient mal ("La gazette de Trévoux" par exemple).

     

    Les niaiseries criminelles et ecclésiastiques étaient à la lettre vécues dans les consciences chrétiennes comme de nos jours les dogmes de l'écologie, de l'égalité des chances, de l'excellence des autres y compris des terroristes, qui ne sont que les conséquences, les pauvres, de notre ignorance de l'autre, ignorance dont je me félicite. Seulement, il est facile de démonter la croyance en un enfer comblé de flammes où hurlent et se mettent à bouillir les damnés pour l'éternité des éternités. Cela est trop niais, cela est trop con. Les admirateurs des Philosophes n'ont pas assez de louanges pour leurs grands précurseurs, et croient voir (laissons-les faire) dans Le jeu de l'amour et du hasard un renversement révolutionnaire (pléonasme) de la hiérarchie sociale - mais pas du tout : à la fin, maîtres et serviteurs se retrouvent à leurs vraies places – ne pas cependant juger tout Marivaux à cette même aune.

     

    Combien je préfère les doutes du siècle suivant, les déchirements du XXe, les houles grossissantes du XXI ! Ici tout est clair et net, mais pas au point que Diderot ne se penche sur les vertiges sataniques, éprouvant le besoin de les nier, sur les délices affriolantes d'un tel pucelage à cueillir : c'est ainsi que certains Espagnols prenaient plaisir à faire susurrer hijos de putas à une pauvre gamine de cinq ans, lors d'une manifestation contre l'E.T.A., qui en sont assurément, mais que dire des adultes qui s'attendrissent sur les grossièretés qu'ils font proférer à une petite fille. Fils de putes l'E.T.A. si l'on veut, mais au moins, pas obscènes.

     

  • Le combat avec l'ange

     

     

    La couverture du Traité d’athéologie d’Onfray présente des teintes extrêmement acidulées, pour un sujet qui peut-être n’en comporte pas. Il s’agit d’une reproduction du « Combat avec l’Ange » par Delacroix. Un détail, en bas, u bandeau rouge vif, aux deux tiers de la hauteur, un gros plan sur le visage des lutteurs, l’ange serein, à peine troublé par la lutte, l’homme tête baissée de tout son poids comme un bouc. Nous savons que Jacob fut vaincu, et gagna dans la circonstance le surnom d’ « Israel ». Une défaite, mais honorable, victoire en revenant à l’Ange, si sûr de soi, si dur, si hiératique. Mais dans l’esprit de Michel Onfray, c’est l’élan de bouc de l’humain , au sommet de l’effort puant, qui jettera bas l’envoyé du Seigneur et l’expédiera à l’abîme.

     

    Tout fut déjà écrit de cette lutte. Dans des tons verts, ocres, incroyablement heurtants, Jacob trace une diagonale, de deux-tiers dos. Il est déjà déséquilibré. Si l’ange tombe, l’homme lui roulera par-dessus. Il porte un sac de peau, reliée à l’épaule par un cordon de portage. Sa main droite étreint la main semblablement tendue de l’ange. Son genou gauche se lève à l’endroit des couilles, que les anges n’ont pas, mais celui-ci tout de même a dévié ce genou furieux, l’emprisonnant et le bloquant de biais sur son bas-ventre, afin de lui ôter toute énergie, toute faculté de revenir en arrière pour renouveler son élan.

     

    C’est ainsi que la hanche de Jacob en sera déboîtée. Et autour de ces deux corps mêlés un tourbillon de bras et de jambes , déréglé chez l’homme, tout- en extension, parfaitement serein chez l’ange, qui semble plutôt esquisser un pas de danse décidé : jambes fléchies à peine plus que pour marcher, le bras droit parallèle à la cuisse , la main gauche bloquant la prise, comme s’il s’agissait de contenir quelque fougueuse cavalière soudain devenue folle. C’est lui en vérité, dans sa fausse douceur , qui dégage l’impression de la plus calme virilité, l’assurance, le sang-froid, une certaine tendresse admirative, qui remportera la victoire . Et derrière lui, signe superflu, soigneusement empesées, les deux ailes, à peine dérangées, la plus éloignée ne montrant que sa pointe, au second plan.

     

    Autour de ces lutteurs, une nature échevelée, buissonnante, qui semble prise d’un tourbillon participatif, dans les verts, dans les roux, une de ces natures de création du monde, qui cerne et qui halète. Et franchement, la bande-annonce ou plutôt le titre, somme tout cela comme un bandeau limitateur, mesquin, l’auteur et son œuvre en vente l’emportant sur l’illustration. Tout rouge, épais, avec les renseignements blancs de lettres .Or le motif reprend, agrandi, dans les 22% d’espace restants.

     

    Il n’y a plus que les têtes, tant le combat se livre là. L’home fonce encore. Il est rouquin, sanguin, tête baissée comme un méditant musclé. C’est l’attention de l’ange qui fascine : toutes ses pensées passent dans sa tête. Il aime cet homme. Il le respecte de toutes ses forces. Il et si sûr de l’issue favorable du combat qu’il ne songe pas un instant à s’indigner de l’audace sacrilège du gardien de boucs. Dans son profil , dans son regard traversant la boîte crânienne se list l’admiration sans réserve pour celui qui ose une lutte perdue d’avance, celle de l’homme contre Dieu. C’est ainsi qu’une femme contient l’élan déchirant du mâle, prête à céder, prête à concéder l’amour si violemment sollicité.

     

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    L’ange aussi est roux, ses cheveux volent dans l’action. Il lui suffit de si peu de forces pour vaincre, mais de plus qu’il n’aurait pensé. Il s’est ressaisi. Il n’est pas le Dieu que l’homme va bouter hors de sa raison, mais du mystère de l’existence humaine , à laquelle revient et pour toujours le dernier mot.