Proullaud296

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  • Et ceci se passait en des temps très anciens

     

    Cependant l'Empire poursuit ses écroulements, et ses Barbares sont chrétiens, tous hérétiques (niant la divinité du Christ). A 18 ans, l'Apollinaire (le nôtre, dont il ne reste aucun portrait) (fondue, la statue d'or de son vivant dans la bibliothèque ulpienne en ruines) – fut acclamé par la noblesse lyonnaise. On s'ébahit de sa virtuosité : l'écriture n'est plus qu'un jeu de mots - de quels siècles sommes-nous l'Antiquité ? ...la préhistoire ? donnerons-nous naissance à quelque cycle épique ? Roland, Guillaume d'Orange ? ...il était une fois, de siècle en siècle, une chaîne ininterrompue, atavique et sacrée, des moines de Saint-Michel-au-Péril-de-la-Mer à ceux de Munich ou Bobbio, dans ces atmosphères miasmatiques, intégristes, où l'on grattait et regrattait le parchemin de sa plume d'oie rêche ; priant, mourant vite, vite, le temps de passer le relais. Chateaubriand, Huysmans, haussent Sidoine aux premiers rangs.

     

    Tous les siècles sont là, immobiles, chacun dans son costume et sa mémoire, où les populations reproduisent en boucle de ville en ville à l'identique les gestes de ces temps-là - comment raisonnait-on ? comment les hommes s'accommodaient-ils de leur si courte vie, mendiants, malades, torturés ? Comment s'imaginaient-ils en vérité que Dieu vivait parmi nous – penser le contraire eût été impensable ? considérez la chaîne humaine au fin fond de laquelle nous tend la main, de l'autre extrémité du temps, ce jeune écervelé sportif qui court après les balles, s'essuie, se rafraîchit d'un Côtes de Bourg ; puis vient son fils. Son petit-fils vendu aux Wisigoths. Puis les moines disais-je incessamment renouvelés, par vocations successives. Puis une longue théorie d'érudits, depuis Scaliger l'Agenais jusqu'au sein du XIXe germanique : Mommsen (1871-1903), Willamowitz-Möllendorf son disciple ; portant chaussettes, fixe-chaussettes, mourant encore à 32, 52 ans. Les professeurs postillonnants de Leipzig, et Colmar annexé, se saluaient rasés jusqu'aux bourrelets de couënne de nuque, engoncés de celluloïd ; parmi les conflits mêmes les plus barbares et les exterminations, se répondent et s'affrontent dans leurs souterrains les controverses philologiques allemandes et latines : dans l'Europe à feu et à sang, de vieux maniaques perclus et grandioses, aveugles au crimes perpétrés sous leurs yeux, se passent de l'un à l'autre, par-dessus ruines et charniers, le flambeau insensible de la mémoire.

     

    Erudits desséchés par l'âge et par le cœur, éternels assis, disséquant conjectures et préciosités syntaxiques d'écrivains morts, hors du monde, eux-mêmes en gilets d'intérieur inclinés loupes en main, dévorés de tics et de phlegmons contre les poêles fumants, marmonnant sous leur monocle leurs anapestes et dactyles et ravagés de vieilles voluptés : ainsi se sont amendés et fumés, dans l'agonie du monde, les Institutions de Cassiodore et autres Epîtres de Symmaque ou de Sidoine, en bout de chaîne, sous leurs pincettes d'entomologistes. Ils ont pour nom Luetjohann, Mohr et Sirmont, Thilo, Leo. Rimbaud les traite de cadavres, leur tresse sur le cul un entrelacs de vieux fétus.

     

    Ils repoussent de la gueule, baisent peu, mais leurs valets révèrent profondément Herr Professor, sans mettre en doute la nécessité de leurs immenses balivernes. Hommage éternel aux Teubner, aux Brakmann, aux pérennisateurs de la Prusse éternelle, Luetjohann, pieux savant germanique aux favoris poivre et sel, haleine chargée – me voici désormais rehaussé au rang de ces vieux puceaux ressusciteurs de nos pères. garants de toutes les survies, complices involontaires des massacres de leur temps, à l'abri de leurs cols durs et de leurs préventions. Honte et gloire à eux, car c'est au même titre que tous les moines, de Cork à Byzance, des deux extrémités du monde à l'abri des Barbares, qu'ils ont sauvé le Verbe, l'arsis et la coupe hephthémimère ; ici, restituant telle préposition, là, tel optatif oblique ; fascinés par la lectio difficilior , la lecture la plusdifficile : quel vieux scribe en effet, vers la fin de quelque Xe siècle, épuisé de jeûnes et de vigiles, au sein d'un écritoire assiégé par les vents, ne se fût laissé entraîner par la graphie la plus commune, ou le « bourdon » nommé le « saut du même au même », sources d'inextricables obscurités, où sombraient un à un les raffinements de l'aède...

     

    Pour moi, que le sort et ma volonté astreignirent à l'isolement le plus absolu, infirme de toutes relations humaines constructives et utillitaires, j'aurai accumulé d'innombrables produits, souhaitant que dans mes studieuses ténèbres un jour quelque chercheur aventure le faisceau de sa torche, et que je lui apporte sinon de grandes joies, du moins de l'instruction, quelque intérêt. Poignante ampleur des civilisations drapées dans l'agonie, que nous devenons toutes. N'imaginez pas, modernes naïfs, qu'il ait été réservé à notre seul siècle d'incarner tout le sel de la terre. Il ne restera rien. Il y avait en ce temps-là un ciel, de l'air comme aujourd'hui, comme celui que tu respires.

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  • Le Monsieur, la Madame,le Monsieur

     

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    Debout contre une porte obscure de la rue St-Hugues, nous l'obstruons tous les deux. « Pardon... - Nous sommes encombrantes, n'est-ce pas...” - lapsus faisant de nous deux femmes dans le noir – à présent je ne puis plus désirer que celle-ci, ma bien-aimée, devenant aussi sottement exclusif qu'une femme : progrès, diront-elles ? je dis « aussi con ». Hanouki assure que c'est pour elle une occasion unique de faire l'amour avec une femme. Je me suis très tôt senti femme, ayant expérimenté dans ma chair l'impossibilité de parvenir à quoi que ce soit dans le domaine matériel (professionnel, ambitionnel). Disons « concret », qui n'est pas péjoratif – c'est qu'ils sont chatouilleux, nos « pratiques ».

     

     

     

     

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    Dans mes accès de misogynie, combien de fois me suis-je cru castré. mpuissant d'un côté, entravé de l'autre - l'impuissance a bon dos. L'amour impossible aussi. Hanouki s'étant livrée si vite, ravisée, puis refusée - coucher tout de suite, se refuser ensuite : est-ce leur nouveau truc ? tenant bon des semaines et des mois, jusqu'à plus d'un an – astucieux réhameçonnage ! je sentais bien pourtant toute sa rétention, sa discipline, « pour rester soi-même » - C'était, me dit-elle, parce que, dans le fond, j'étais indifférent. Quel fond ? - disciplinant, comme toutes les femmes en vérité ? - se régissant, se réprimant – depuis si peu de temps je pense avoir acquis certains élément du jeu : en paralysé, qui se relève. Je suis sûr et certain que les désirs d'une femme de 40 ans sont équivalents à ceux d'un hommme de 60. A celle qui s'indignait que les hommes n'aient pas appris, comme les femmes, à dominer leurs pulsions, je répondrai, vertement, que les femmes ne savent pas de quoi elles parlent. Que leurs pulsions sont faibles. Qu'elles n'ont jamais eu besoin d' « apprendre » à les dominer. Qu'elles n'en ont presque pas. Comparativement. Qu'elles s'apaisent d'un simple frottement. Qu'à nous autres les hommes, il nous faut plus. Quand nous verrons des agressions sexuelles de femmes sur des hommes, oui, nous pourrons dire alors qu'elles possèdent des « pulsions ». Je n'ai jamais dit que c'était mieux. Je déteste les viols.

     

    Dans un moment de délire, j'écris ceci : « Tu es grande (« at gadolè ») ; réduisant au fond de ton ventre les sexes par toi vaincus à ces filets de philtres ; qui te nourrissent : ta vie triomphe - riche de toi-même. » Est-il exact que des femmes se montrent si bornées, passionnées de perfection, au point de rabattre leurs bien-aimés déçus et refusés jusqu'aux bordels ? faut-il railler l'absence totale de solidarité féminine ? - mais qui parle de solidarité... «C'est plus facile pour moi si on ne va pas jusqu'au bout ; tu comprends ?» Je ne comprends pas. Et je comprends, par simple affaiblissement peut-être de mes facultés génésiques. De ma sécrétion de testostérone ; à quoi tiennent les opinions...

     

    Hanouki s'aperçoit, horreur et confusion, qu'elle n'a pu se passer de moi plus de trente jours : elle a besoin, physiquement, de « ma tendresse ». « Tendresse », pas « coups de queue ». Je vire femme, la voilà qui vire homme : elle voudra bientôt, comme un homme, un rappel de tendresse par quinzaine, comme une baise, en soft – voire – on peut rêver – une baise authentique (« je ne suis pas une sainte » disait-elle naguère) – mystère...

     

     

     

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    Lorsque tu parleras de moi, Brocanteur - évoque une œuvre en perpétuel devenir, inachevée, commencée trop tard, comme un enfant qu'on a vers soixante ans. J'ai toujours vécu en grand écrivain, comme un grand homme. Avec la différence, tout de même, tout de même... que je n'y crois pas, que je me souris en coin, bien loin de me draper dans une suffisance douloureuse. « Ils peuvent toujours venir me chercher, avec leur Goncourt ! » s'exclame l'écrivain, pathétiquement logé au rez-de-chaussée d'un immeuble populaire. Autour de lui, par la porte entrouverte, tout un univers d'écrivain, le bureau, la bibliothèque, le cocon, où s'élabore une œuvre à tout jamais nulle et non avenue...

     

     

     

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    Crises de Nils : messages interceptés. « Viens, on va les écouter ensemble ». Autant dire goût pervers de l'humilation, de la scène pour la scène, sous couleur d'(ignoble) transparence. Le désir de bien mettre à l'autre le nez dans sa merde. Bassesse indigne. Hanouki refuse tout tribunal. Nils alterne insultes (“sac à foutre” ! - d'après elle - je m'indigne) et protestations d'amour : inculte. Ivrogne. Autodidacte. C'est ainsi du moins qu'il m'est dépeint. Manipulateur et sincère ; il existe donc chez l'homme du peuple une certaine profondeur, à laquelle jamais je n'aurais cru. Je croyais les hommes du peuple semblables à leurs conversations ; incapables de s'élever au-dessus du papier peint qu'il faut changer, ou de l'embrayage de sa bagnole. 

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    Elle refuse. Le héros le prend en pitié. « Ne faut jamais parler de l'autre”, paraît-il...

     

  • Saussure à son pied

     

    Saussure n'était pour moi qu'un nom. Très intrigant. Celui qui inspira la première ascension du Mont Blanc, Balmat. Celui aussi du linguiste, largement complété (Lévy-Strauss) ou combattu (Lacan) par la suite. Ayant exploré (linguistiquement) la Lituanie, (“on ne retourne pas en Lituanie”), pays dont la langue se rapprocherait le plus de l'hypothèse indo-européenne. Il s'agit même de patois lituaniens aujourd'hui disparus (schlektes vyrus pour “mauvais homme”, présentant à la fois deux racines, latine et germanique). Saussure interrogea des bergers, des vieilles femmes, des pasteurs (évangélistes ?).

     

    Il prenait des notes en allemand, ou en français, voire en latin. L'autrice est une Colombienne, profuse, parfois diffuse, incluant dans sa thèse tout ce qu'on relègue habituellement dans les notes finales : soulagement, mais aussi encombrement, car le lecteur avance dans les coulées de lave et de scories. Elle mêle à cela une admiration sans bornes pour Saussure et Freud, reliés tous deux par l'amour qu'ils ont eu séparément pour la recherche des origines, l'un du langage, l'autre de l'esprit et de sa symbolique. L'ouvrage de Claudia Mejía-Quijano navigue ainsi entre le récit et l'explication. Il nous fut longuement expliqué dans l'avant-propos, fonctionnant comme un mode d'emploi, que l'autrice a recours à l'intuition globale, qui peut ne pas être la nôtre ; nous devons lire cela à notre façon : elle ne fait que proposer.

     

    Mais avec tant de précisions, tant de ramifications rationalisantes, qu'elles entraînent la conviction. Cependant, relier l'expression géographique et les nombreux voyages de Saussure à son hérédité paternelle semble hasardeux. Voici notre grand théoricien genevois qui grave dans l'écorce d'un arbre, “< sans rien dire >, comme par plaisir, so für [s]ich hin. Nul doute, selon l'autrice, qu'il n'en tire une grande théorie plus ou moins fumeuse sur le signe et le symbole : “La personne qui m'accompagne garde l'idée de cette encoche, et il est incontestable qu'elle associe deux ou trois idées à cette encoche dès ce moment, alors que je n'avais pas moi-même d'autre idée que de la mystifier ou de m'amuser”. Vue d'Aurillac.JPG

     

    Glosons, et, s'il se peut, découvrons. “Encoche” se rapporte à “jeu d'enfants”, “jeu de piste”, “Indiens”. Plus le garde-chasse qui vient vous engueuler : “Détérioration de biens ! - Monsieur le garde-champêtre j'ai marché sur cette herbe : dois-je la rembourser ?” Toujours est-il que les signes sont toujours surchargés par leur signifié, qui est un brouillard individuel, luio-même dilué en divers signifiants, par éternel rebondissement de l'un à l'autre. Si du moins j'ai bien compris Lacan. Pour Saussure, cette encoche pouvait être mystification : elle a été faite devant témoin et peut fournir le point de départ d'une histoire improvisée. “Toute chose matérielle est déjà pour nous signe : c'est-à-dire impression que nous associons à d'autres <mais la chose matérielle paraît indispensable>,” ce qui est inexact, d'où la rature. “La seule particularité du signe linguistique est de produire une association plus précise que toute autre, et peut-être verra-t-on que c'est là la forme la plus parfaite de l'association d'idées ne pouvant être réalisée que sur un sôme conventionnel (BGE, Papiers Ferdinand de Saussure, Ms. fr. 3951/15,

     

     

    f. 18).” Maniaquerie référentielle mise à part, le sôme (“corpus”) pourrait être différent selon les ethnies, les “climats” comme on disait alors, les localisations géographiques ou sociologiques. Mais il faut suivre un fil jusqu'au bout sans pour autant dévider tout le faisceau à la fois. Le mot est-il matériel, non, car il n'est pas soumis au toucher. Mais l'ouïe n'est-elle pas dépendante du toucher, par le tympan ? “Le sôme” - qu'ailleurs il aura appelé, également, entre autres, l'aposème, est pour Saussure le “cadavre” du signe, à savoir ce qui reste d'un règne déjà utilisé ; il ne s'agit donc pas d'un signifié, ni d'un trampoline renvoyant indéfiniment d'un signifiant à l'autre ; “circulairement” serait plus adapté.

     

    L'autrice nous va sans doute “expliciter” tout cela. C'est comme un explication de texte... où tout se trouve déjà dans le document... Elle dit tout ; les thésards font cela. “Ce reste est recyclable autant de fois que les besoins langagiers des sujets l'exigent”. Nous prendrons pour exemple “bureau”, tissu, puis napperon, puis meuble et pièce, puis ensemble de responsables. “A chaque cycle ce reste prend une nouvelle forme associative, ce qui rend la langue unique pour chacun, et à chacun les étapes de sa vie” - tiens donc - autre bifurcation : “les mots sont “personnels”, ce sont des cadavres que la vie langagière de chacun a formés avec les résidus sémantico-sonores de sa propre activité de parole.” Laissons donc de côté l'aspect historique au profit de l'individuel : cela veut dire que le mot “orange”, pour moi, signifiait “amer”, alors qu'à présent il signifie “fade”.

     

  • Sidoine aussi tu m 'abandonnes...

     

    C'était un geste traditionnel des consuls : couronner le dieu Janus "d'un double laurier". Ils promettaient tous la même chose. Être consul n'était plus rien. Juste une titulature décernée par l'Empereur, lui-même consulaire. "L'année écoulée tirait son éclat de l'Empereur, le lustre de celle-ci lui vient du consul, et la trabée rehausse le prestige d'un diadème bien gagné, emerita (...) diademata." "Le lustre" est ici le verbe "coruscare", il n'a rien à voir avec la période de cinq années des censeurs de la République. Précisons : Avitus est déjà Empereur, et ce premier janvier 456, il "prend les faisceaux", comme faisaient les consuls en effet de la grande époque. C'est en sorte une consécration. De juillet à janvier, l'année s'est écoulée, s'est finie. Dorénavant, la dignité impériale sera augmentée de la dignité consulaire, comme si le général en chef (imperator) montait encore en grade en parvenant au sommet de l'Etat.

     

    Mais c'est véritablement se tromper d'époque. Au Ve siècle, la situation s'est inversée. Le consulat gardait cependant tout son prestige. "C'est avec des hochets qu'on gouverne les hommes", dit à peu près Bonaparte. Réalité, prestige mythique : manque seulement la mythologie. La voici : "Tu t'alarmes en vain, Muse, parce que l'Auster a frappé les voiles de notre esquif" – non, elle s'en fout, la Muse. Le vent du sud serait ici Genséric, roi des Vandales, qui s'incruste en Afrique du Nord, et contre lequel, vous allez voir ce que vous allez voir, nous allons lever une flotte ravageuse. Et gonflé d'honneur familial, notre jeune Sidoine proclame : "si nous sommes au début de notre course sur la mer de la Renommée, pelago famae, voici l'astre qui sur l'azur des flots veillera sur nous." L'astre, c'est le beau-père, Avitus, le Gaulois, le wisigophile. VII, 16. 31 01 2013. "Un jour, le père des dieux jeta du haut du ciel ses regards sur la terre" : début digne de La Fontaine, qui eût préféré Jupin.

     

    Traces.JPGLisant Ammien Marcellin, nous nos apercevons à quel point cet homme révélait aux générations futures des faits qui demeureraient à jamais ignorés, inintéressants. Nous apercevons une foule grouillante et prétentieuse comme les nôtres, et que je réveille du faisceau de mon regard. Apprenant par les éditeurs à quel point Marcellinus est irrégulier, profus en digressions, recourant à des informateurs de plusieurs siècles (aurions-nous l'idée de nous référer à Voltaire pour connaître les mœurs des Allemands d'aujourd'hui ?), et constatant sa survie, nous concluons d'une part que le progrès du temps n'était pas contradictoire avec la stagnation des représentations, sauf en matière de religion ; d'autre part, que le manque de rigueur, de plan et de composition n'affecte pas l'entrée en petite gloire, que nous poursuivons par la seule persévérance de l'esprit.

     

    Ainsi mon Prince viendra, peut-être une princesse noire, et ses baisers m'éveilleront. Cette personne sera pour moi un reflet de moi-même, qui éveille les cendres encore si chaudes d'Ammien Marcellin. Salut à vous, quilles renversées des obscurs naufrages. Ma fraternité, ma démocratie, passe par le sauvetage de l'oubli, et non par l'égalité des contemporains, car ce dernier idéal fauche toute joie de vivre, et tout intérêt à la vie : que peut-on espérer, quand on est homme, sinon dominer justement les autres par sa réussite de caractère ? L'ambition est la plus noble des passions, pourvu qu'elle ne soit pas la morgue. Hélas, elle est souillée par ses moyens, qui sont la corruption de l'opinion publique. Ce qui nous a manqué fut l'entregent, l'audace des rapports humains et la confiance, assurément, mais surtout, l'excellence : qui est dans le creusement de soi, incessant, car le fond se dérobe toujours. Jupiter se penche sur moi : mais nous ne voyons jamais son visage, partagés que nous sommes entre l'expectative du dieu, et la reconnaissance méfiante de nos propres mérites : à nous de moduler ces deux justifications sans être dupe d'aucune, et remettons-nous au mystère, et surtout, au travail : "aussitôt tout ce qu'il voit prend vigueur : pour ranimer le monde, il a suffi de son regard ; un seul signe de sa tête réchauffe l'univers".

     

    Si Dieu ferme les yeux, la terre s'effondre ; le regard de Dieu n'étant que la force qui maintient la terre, nous nageons dans le truisme jusqu'aux mamelles. Sidoine croyait en ses clichés : un homme imbibé des préjugés de son époque les accepte comme siens. Mais nous ne savons pas si ce ne sont pas ici simples successions d'ornements sans poids. "Bientôt, pour rassembler les dieux, l'Arcadien de Tégée s'envole, Tegeaticus Arcas nunc plantis, nunc fronte volat, vole à la fois des talons et du front", nous reconnaissons Hermès et c'est là qu'il faut rire : avec Sidoine, nous sommes souvent dans l'almanach Vermot. Nous aurons mis 25 siècles à nous désencombrer de cette panoplie, "l'Olympe ! l'Olympe !" gémissait l'éditeur.

     

    Encore n'est-ce là qu'une éclipse, car Giraudoux, Camus, remirent la mythologie dans leurs pages, après les derniers feux des peintres pompiers, rions à notre tour. Chacun salua ce retour des dieux, comme les commentatrices de mode les retours de l'ourlet ou de la ruche, qui n'ont jamais disparu non plus que l'espace de trois années. Suivons ce messager zélé quadruplement ailé, sans omettre de rire encore un peu : "A peine a-t-il atteint la plaine, uix contigit arua, et descendu toute la montagne de son aïeul que la mer, la terre et l'air ont envoyés leurs divinités propres." Hermès descend lui-même de Maïa, fille d'Atlas, qui symbolise tous les monts connus. La note érudite précise que Sidoine imite Virgile : rien décidément chez notre homme qui ne soit de pièces et de morceaux, surtout en ces jeunes années où Monsieur Gendre devient de famille impériale.

     

    Il ne faut rien de moins que les dieux pour annoncer l'ascension du beau-père au trône. Cataloguons : notre époque a bien la manie des dictionnaires ! "C'est ton frère (...), qui vient le premier, toi qui as coutume de sillonner les flots sur ton char vert, répandant aussitôt la sérénité parmi les vagues étonnées" – cela m'eût bien étonné, justement, que les éléments inanimés, les premiers venus, n'éprouvassent pas ces exaspérants sentiments qui les rendent si fades, si platement prévisibles . Sidoine manie après tant d'autres les cartes gondolées d'un trop vieux jeu : c'est ainsi que des cons nous ressassent "démocratie", "égalité" ou autres, à grands coups de pinceaux détrempés. "Phorcus accompagne les nymphes ruisselantes, et là vous venez aussi, Glaucus, vêtu de glauque", glaucus, Glauce, c'est, pour le coup, le comble de l'exaspération, "et toi, Protée, le plus vrai des devins, sous ta vraie forme", récidive.

     

    Ici se mêlent les tics de la jeunesse, qui, de Breillat à Defalvard, aujourd'hui bien éteints, parsèment leurs écrits de jeux de mots usés, car la jeunesse répète la tradition la plus éculée, croyant innover : c'est ainsi que Sisyphe est heureux, s'imaginant qu'il invente alors qu'il vomit ses merdes desséchées par l'usage.

     

  • Démocratie à bord

     

      1. Toujours est-il que sur ces navires, sans transition, régnait la plus parfaite démocratie : de nos jours, le capitaine est seul maître à bord après sa femme et après Dieu. Il n'en était pas de même sur les vaisseaux vénitiens : chaque décision importante, sauf en cas d'urgence (attaque brusque, tempête soudaine) se prend à la majorité des voix, du moins des principaux responsables. Un marin en effet se trouve aussi commerçant, puisqu'il peut emporter avec lui des denrées qu'il vendra au lieu de destination en son nom personnel ; même, il peut constituer avec des collègues une espèce de coopérative, où chaque participant reçoit une fraction du bénéfice des autres navires, même s'il n'y a pas participé en personne.

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        Ajoutons que les marins sont armés, constituant ainsi une autodéfense ; c'est au point que la différence entre "navire commercial" et "navire de guerre" s'estime parfois, tout simplement, au nombre de membres de l'équipage. Ainsi, un quart navigant, un quart actionnaire, un quart marchand et un quart soldat, le matelot peut-il prétendre légitimement à une voix lors d'une délibération du personnel de bord. Nous sommes donc à l'opposé du système de galère peuplée de forçats qui rament sous le fouet. Il règne dans une telle organisation une entraide totale, d'autant plus, et paradoxalement, que les supérieurs ont le droit de punir les inférieurs, mais que ces derniers ont le devoir de dénoncer leurs supérieurs une fois revenus sur terre s'ils ont observé un manquement aux devoirs de leurs officiers : responsabilités partagées, sans jalousies, sans prérogatives autres que l'intérêt général de la marine et de Venise.

      3. Ce n'est guère avant le XVIIe siècle que l'on verra des galères punitives, où les rameurs sont maltraités jusqu'à ce qu'ils crèvent. En face, chez les Byzantins, qu'il ne faut pas confondre avec les bites en zinc (je ne m'en lasse pas), le droit romain continue à s'appliquer : l'autorité du capitaine s'exerce pleinement et sans murmures... Le livre de Frederic Lane raconte aussi comment la croisade en 1202-1203 se transforma en expédition contre Constantinople, avec l'aide de la flotte de Venise, pour d'obscurs motifs, dont celui des soupçons qui pesaient lourdement sur l'empereur de s'être entendu avec les Sarrasins pour prendre les Croisés à revers depuis le nord. Ce fut, vous le pensez bien, un massacre. Très chrétien. Et l'on s'aperçut, plusieurs décennies plus tard, qu'effectivement l'empereur avait bien négocié avec l'ennemi une belle manœuvre traîtresse et postérieure... Il y eut donc un autre empereur, mais qui ne parvint pas à assoir son autorité.

      4. Et l'empire de Constantinople ne tomba pas encore, mais d'autres se partagèrent ses belles dépouilles, en Asie Mineure, des Grecs, par exemple, et aussi des Vénitiens, dans les îles, en Crète, sur les côtes, pour surveiller toute la navigation intermédiaire entre Venise et le Moyen-Orient, comme autant de futurs petits Gibraltar. Je vous le dis en vérité, c'est passionnant, car il nous est fait le récit de la prise de la ville, à l'aide de passerelles depuis les mâts jusqu'aux murailles, d'incendies de maisons de bois, de charges de cavalerie sur la terre ferme. Très peu de combat naval, car les décisions militaires s'obtenaient bien plus souvent, à l'époque, par le moyen de sièges par terre et par mer, plutôt que par affrontements d'escadres.

      5. Et tout ce que l'auteur Frederic Lane accumule en ce gros volume de plus de 600 pages ennuie rarement, car il sait conjuguer les théories anciennes de l'histoire événementielle et les applications plus contemporaines de Braudel et de ses disciples. Nous achèverons petit patapon par un extrait concernant, car il en faut, certains aspects commerciaux : "Néanmoins, [les gens] qui, 150 ans après 1177, forgèrent la fable de l'humiliation impériale et de la gratitude pontificale s'appuyaient sur deux faits réellement survenus : en 1177, le doge Sebastiano Zani accueillit bel et bien le pape et l'empereur. Le traité de paix qui résulta de cette entrevue fut l'une des étapes de l'échec du grand projet impérial visant à soumettre toute l'Italie du Nord. Le pouvoir était désormais morcelé en une kyrielle de petites cités indépendantes. En jetant ces villes les unes contre les autres, Venise non seulement renforça son influence maritime, mais parvint à organiser le trafic commercial en sa faveur. Donc, d'un certain point de vue, c'est bien la paix de 1177 qui consacra sa souveraineté dans l'Adriatique. Second élément de vérité contenu dans la légende et auquel la cérémonie de l'anneau faisait symboliquement allusion : Venise scella sa domination par de nombreux traités. Le rituel du mariage était, selon l'usage de l'époque, le symbole de ces liens.

    1. Les croisades furent l'occasion de conquêtes territoriales, sauf pour les Vénitiens qui s'attachèrent davantage à étendre leur puissance maritime : celle-ci leur assurait le contrôle des voies commerciales qu'ils sillonnaient pour leur plus grand profit et celui de leur cité. Ils dirigèrent le commerce maritime en vue d'enrichir l'Etat et les particuliers : la prospérité des affaires signifiait en effet de nouveaux emplois et des facilités commerciales accrues.

     

  • Sans réel niveau littéraire

     

     

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    Deuxième dialogue : « Si le chat bondit ? - Bon sang, répond Briand, vous pourriez vous intéresser à moi, par exemple. - Vous ne vous intéressez pas non plus à ma vie dit la femme. - Pardon : je vous ai donné à manger. - Pardon encore : je suis venue vous sauver. Je m'appelle Vicki. - Je préfère Catia. Je suis un capitaine de vaisseau, disparu au droit de Grouin. Dans Capitaine, il y a Catia, avec un C. Ou Catai, l'ancien nom de la Chine. Choisissez. » Quel imbécile pense-t-elle : ôté "Catia" reste "pine". Son vagin frémit d'horreur sur toute sa longueur. « Etes-vous une femme bien née ? - Bien sûr! - Je ne voudrais pas baiser à la légère. » Il me ressemble pense-t-elle.

     

    Il n'est pas si parfaitement imbécile. « Mais qui parle de baiser ? - Moi, moi. - Je ne veux pas baiser du tout. » Ah le brave homme, etc. Vicki (c'est elle) revoit ses positions : cet homme ne bande pas spontanément ; il est vrai qu'il faut le sauver (nous ne pouvons exposer la totalité des complications psychologiques suscitées par un coup de foudre). S'ensuit un long moment de silence. Briand s'efforce d'ignorer le sexe, car il en est privé. La femme ignore si les poils de chat isolent de la pluie - or le ciel se couvre ; dès la première goutte, l'Hextrine s'est levée, puis ébrouée. La femme qui rêvait tomba, le gnome se laissa glisser, retrouva sa compagne engourdie par la chute, siffla la bête agenouillée qui vint récupérer sauveteur et sauvée, puis s'engouffra par un soupirail. Un saut, un tas de charbon, une chatière un escalier montant, puis porte entrouverte et tapis.

     

    Repos. Briand évente le visage de Vicki, réveillée, qui pense encore : il n'est pas si stupide. Peut-être qu'il m'aime ; il n'a pas demandé la suprême chiennerie, qui est de coucher. Bien au contraire, il est descendu précipitamment de sa couverture quadrupède et mouvante pour me relever, moi qui ne lui suis de rien. Je lui dois donc une reconnaissance éternelle, etc - cette certitude d'abstinence la plonge dans cette euphorie précédant de peu généralement le paluchage bienfaiteur. Aussi pousse-t-elle un soupir qui fait que le gnome la lâche ; à peine eut-il détourné les yeux qu'elle s'enroula dans une touffe indécelable de poils de chat et commença une série de trois solitaires grand train comme toute femme qui se respecte, de celles que vous croisez dans la rue, tombant de ce fait en un puissant sommeil réparateur, trouvant la force d'espérer dans un dernier éclair assez de force au réveil pour le refaire deux ou trois fois encore.

     

    Sitôt réveillée Vicki demande à jouer aux cartes,alors que Briand ne jure que par les échecs. « Qu'à cela ne tienne, dit Catia, nous jouerons aux échecs avec des cartes. » Et le chat se remet à marcher. Le jeu quel qu'il soit démontre que tous ne naissent pas égaux : certains annoncent deux tierces, et d'autres un cinquante, d'autres enfin quatre sept, valant zéro. Les échecs en revanche ne peuvent être nés qu'au sein de l'aristocratie et de la République des Egaux. Tout homme est responsable. Mais quel est l'enjeu ? la possession du chat. Le droit de le mener à gauche ou à droite, dans le salon parfois garni de visiteurs, ou dans les combles ; aussi l'occasion de vérifier si le félin peut hanter les toits pointus et fortement glissants – l'Hextrine fait ce qu'elle veut. Intervient alors la partie de jambes en l'air entre les gnomes : jeu et silence, excitations comme il s'en voit dans les bibliothèques, où l'on bande en lisant, électrité statique des poils mêmes, obsessions de débauches - par ouï-dire, à moins d'être castré.

     

    Ces deux-là, dit l'Hextrine, m'emmêlent le poil ; je vais redevenir puritaine. J'aime pourtant ces fous copulant sur mon dos ; cela me passe l'entendement - bienheureux ceux qui jouent ; nous autres chats cessons de jouer passé un an. » Brian ne peut envisager l'abandon de son animal : il sait qu'à terre, il aura peu de chance de survie, du moins de celle qui ne soit pas exclusivement consacrée à survivre (se battre, etc.) Sur la chatte on ne manque de rien ; l'atmosphère est toujours pleine, voire constituée d'une vapeur nourricière, la manne du désert. Va-t-il devoir désormais lutter pour la préservation de son épouse-gnome, elle est de même taille, aurait-elle oublié ? Faudra-t-il écarter les ronces de son chemin, pourfendre les insectes, trembler après chaque averse ?

     

    Il se répond : "Je ne puis. Quitter L'Hextrine, c'est abandonner le Sol où je m'appuie, le garde-manger où je puise, l'inestimable sécurité qui permet la culture." La femme revient à la charge : "Il faut que nous vivions ensemble." Le gnome triple l'expression : "Ensemble. Ensemble. Ensemble. Repas ensemble. Distractions ensemble. Prières, promenades ensemble, sur ce domaine si restreint, mouvant d'un dos de chat - que dis-je ? les déjections ensemble, dans les poils arrière - « surtout, dit-il, je suis pris d'effroi - songe à ces nuits, interminables, successives, devant couronner, ternir, couvrir de cendres les plus beaux jours, les plus échevelés, tous engloutis dans ces milliers de nuits où nos corps étendus parallèles inconscients navigueront sans fin dans les infinis répétés du sommeil - auprès de toi reprendre ce voyage des morts où je l'aurai laissé, dérivons pour toujours.

     

    "Prenons le cas que nous ferions l'amour : nos sommeils suivraient leur orbite irrésolue sans conviction ni fin. Dormants ou éveillés, nous deviendrions mi-l'un mi-l'autre, sans autre forme d'être, mutilations bien plus que doubles » et la femme restait silencieuse, mais plus tard tous deux partagèrent le territoire, sans qu'il fût plus question de spectacles, car ils sont rares, ni d'amis, pour la même raison.  « Je propose, conclut-elle, que nous divisions l'Hextrine en quart , en vue de permuter nos établissements. »