Comptes rendus de Diderot
Diderot poursuit son compte-rendu : « L’heure du dîner vint. Au milieu de la table était d’un côté Mme d’Épinay et de l’autre M. de Villeneuve ; ils prirent toute la peine et de la meilleure grâce du monde." Que veut dire "prendre toute la peine" ?
Celle de parler, de "tenir le dé de la conversation" ? Et qui fut ce Villeneuve ? Ma foi, il y en a trop. Et je suis là pour galipetter, non pour me confire en éruditions importunes. "Nous dînâmes splendidement, gaiement et longtemps. Des glaces ; ah ! mes amies, quelles glaces ! c’est là qu’il fallait être pour en prendre de bonnes, vous qui les aimez. » C'est niais. C'est con. Nous sommes, nous autres, bien plus sérieux, bien plus ânes bâtés. Nous ne savons plus converser, car nous avons voulu « être sincères ». Jean-Jacques a bien gâté la conversation, avec sa prise au sérieux d'Alceste. C'est bien lui qui s'ennuyait au point de chercher ce qu'il fallait répondre avant même que l'autre eût fini ses phrase, afin que le propos ne tombât point dans le silence.
C'est ainsi que nos forums télévisés ne sont plus que des gens qui disputent, qui n'entendent pas qu'on puisse être d'un autre bon sens que le leur et sombrent dans la stupidité de vouloir convaincre. Et voilà pourquoi nos amis québécois s'exclament à peine refermée sur nous la porte de sortie : « Maudits Français ! Il a fallu encore qu'ils défendent leurs opinions ! » Là-bas les conversations sont plates, on ne s'y dispute pas, mais c'est aussi qu'il doit être bien ennuyeux d'échanger sans cesse des platitudes ou des évidences, tout cela au nom du respect. C'est ce qui m'a retenu d'y aller vivre, sans compter mes irrésolutions bien entendu. Bref, M. Diderot s'empiffre et nous fait chier. « Après dîner, on fit un peu de musique. La personne dont je vous ai déjà parlé qui touche si légèrement et si savamment du clavecin nous étonna tous, eux par la rareté de son talent, moi par le charme de sa jeunesse, de sa douceur, de sa modestie, de ses grâces et de son innocence. » Ah, voilà bien la fausse note !
Pourtant que j'eusse aimé, pour plagier le style, assister à ce récital, si XVIIIe dans son jus, alors qu'ils ne le savaient pas ! Mais Diderot ne s'embarrasse pas de mélomanie : son truc à lui, c'est la jeunesse chaste et pure, le Greuze en chair et en os, la « douceur », la « modestie », oh que ça le chatouille les émotions malsaines, le petite-fillisme parapédo, « sans exagérer, Emilie à quinze ans » ! L'apogée de la fréquence masturbatoire chez la fille ! Emile fut publié en 62, l'éducation d'Emilie n'était que de plaire à son futur mari ! Emilie, Emilie ! comme tonne Elisabeth Badinter, pour indiquer avec empressement que l'on a carrément comme d'habitude « oublié » la fille ! Balayé, noyé de honte, Jean-Jacques ! Ah ! les belles petites oies blanches, vraies et fausses vierges, que le XIXe siècle nous a concoctées treize à la douzaine, les belles petites salopes frustrées qui empoisonnent les ménages et les maris à l'occasion !
Ce n'est pas bien de se moquer ; mais les curés y allaient fort eux aussi, parmi lesquels le propre frère de Diderot, qui recommandait la chasteté à sa femme alors que lui-même ne s'était jamais gêné pour courir le guilledou ! Une femme honnête n'a pas de plaisir, c'est bien cela, monsieur Tenenbaum, que l'Eglise recommandait officiellement en chaire ! Ô détestable époque ! Notez que le plaisir des femmes, bien des hommes ne savent toujours pas quoi en faire. Et les femmes s'imaginent encore parfois qu'il leur manque, qu'il n'est pas assez intense... Mais je sens que je vais dire des bêtises, si même elles ne débordent par hasard à ras bord des lignes...
Sacré Diderot, qui prônait en chaire la plus complète liberté sexuelle y compris pour ce sexe féminin si opprimé, mais qui veilla si jalousement sur la chasteté de sa fille qu'il la maintint dans la chasteté jusqu'à 24 ans (comment voulez-vous après cela jouir avec un homme quand on s'est consciencieusement astiqué la moule depuis des années) afin de la marier avec un petit noble bien pourvu de thune ! « Les applaudissements qui s’élevèrent autour d’elle lui faisaient monter au visage une rougeur, et lui causaient un embarras charmant. » Nous concevons fort bien cela. Ce sont de tels témoignages de chasteté naturelle, charmes aujourd'hui disparus, qui poussent les vicieux dans les bras des trop jeunes demoiselles.
Il me viendra peut-être de ces troubles ambigus. Mais « On la fit chanter ; et elle chanta une chanson qui disait à peu près :
Je cède au penchant qui m’entraîne ;
Je ne puis conserver mon cœur.
Mais je veux mourir, si elle entendait rien à cela." Le complexe d'Arnolphe. Notre Denis dépassait largement la cinquantaine. De tels attendrissements nous révulseraient. Nous ne pouvons plus adhérer, nous autres si instruits, à ces fables de pure ignorance, car nous savons les troubles pensées des enfants, leurs tripotis, leurs inexpertes mais concrètes salacités. "Je la regardais, et je pensais au fond de mon cœur que c’était un ange, et qu’il faudrait être plus méchant que Satan pour en approcher avec une pensée déshonnête." En ce temps-là nous pouvions dire "Je suis honnête. Je suis sincère. Je pense, je ressens ceci, cela." On raisonnait clair, logique, mathématique, bourrin. On était au Siècle des philosophes : il y avait ceux qui pensaient bien, ceux qui pensaient mal ("La gazette de Trévoux" par exemple).
Les niaiseries criminelles et ecclésiastiques étaient à la lettre vécues dans les consciences chrétiennes comme de nos jours les dogmes de l'écologie, de l'égalité des chances, de l'excellence des autres y compris des terroristes, qui ne sont que les conséquences, les pauvres, de notre ignorance de l'autre, ignorance dont je me félicite. Seulement, il est facile de démonter la croyance en un enfer comblé de flammes où hurlent et se mettent à bouillir les damnés pour l'éternité des éternités. Cela est trop niais, cela est trop con. Les admirateurs des Philosophes n'ont pas assez de louanges pour leurs grands précurseurs, et croient voir (laissons-les faire) dans Le jeu de l'amour et du hasard un renversement révolutionnaire (pléonasme) de la hiérarchie sociale - mais pas du tout : à la fin, maîtres et serviteurs se retrouvent à leurs vraies places – ne pas cependant juger tout Marivaux à cette même aune.
Combien je préfère les doutes du siècle suivant, les déchirements du XXe, les houles grossissantes du XXI ! Ici tout est clair et net, mais pas au point que Diderot ne se penche sur les vertiges sataniques, éprouvant le besoin de les nier, sur les délices affriolantes d'un tel pucelage à cueillir : c'est ainsi que certains Espagnols prenaient plaisir à faire susurrer hijos de putas à une pauvre gamine de cinq ans, lors d'une manifestation contre l'E.T.A., qui en sont assurément, mais que dire des adultes qui s'attendrissent sur les grossièretés qu'ils font proférer à une petite fille. Fils de putes l'E.T.A. si l'on veut, mais au moins, pas obscènes.
Commentaires
C'est marrant, les filles demandent souvent si leur fréquence de masturbation n'est pas trop élevée. Ah, mes pauvres mecs, arrêtez de vous fatiguer, vous n'intéressez personne...