Proullaud296

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  • Louis VI le Gros

     

     

     

    Mec vu d'en dessous.JPG

    Les yeux plus gros que le ventre. Il voulut tout savoir, survola tout et retint peu de choses. Apercevant sur les rayons de quelque obscure librairie catholique un volume de Suger, Vie de Louis VI le Gros, “Ludovici Grossi”, il en fit l'acquisition en se pourléchant ses babines de cuistre. Puis il le fit longuement sommeiller voire incuber sur ses étagères à lui, avant de s'en aviser de nouveau, bien plus de dix années s'étant écoulées : c'est peu de chose pour un garde-manger à lire. Mais le roulement de ses lectures ne ramenant un ouvrage qu'une fois l'an sous ses yeux (il avait en effet entrepris de lire simultanément plus de cent œuvres), il perdit le fil et l'intérêt de cette biographie comme de tant d'autres volumes, et n'y comprit plus rien, hors le fait qu'on s'y “foutait sur la gueule”.

     

    De plus, sa pédanterie rituelle voulant qu'il sût lire le latin couramment (ce qui n'était pas le cas, surtout pour le latin du Xe siècle), il n'avait à sa disposition que des lumières confuses, de celles que jettent des textes étrangers mal compris : les æ s'écrivaient (et se lisaient) “e”, par exemple. Et la lecture du texte français, en regard, ne lui présentait que des conflits d'héritages que l'on venait demender au roi de régler, au besoin (et le plus souvent) les armes à la main. Notre Philippe Ier (méconnu, sauf pour avoir épousé la fameuse Anne de Kiev) en découd avec tous les seigneurs de son entourage frontalier, leur casse la gueule, et revient se reposer, en véritable Héraclès ou Superman, plus près de nous. Et voyez-vous, tout cela restait si peu clair à notre lecteur qu'il ignorait encore si le père de Louis VI le Gros était mort ou non : apparemment non, puisqu'on le voit diriger son ost et prendre d'assaut des forteresses.

     

    Pendant ce temps, le paysan, le bourgeois, le noble rebelle surtout, souffraient mille mort, se faisant occire, ce dernier pour usurpation du pouvoir et faculté de piller les campagnes environnantes. Ce ne sont que principicules changeant de nom comme de chemise, s'alliant, cousinant et beaufrérisant à qui mieux mieux, se déshéritant et s'usurpant les fonctions, tandis que le peuple voir plus haut. Il faudrait se concentrer, rédiger des fiches, établir avec netteté les parentèles, et savoir si le conflit est justifié ou non. Pour les vaincus, pas de quartier : les impies se voient pieusement massacrés (c'est dans le texte, impios pie occidit), à moins qu'ils ne se rallient au souverain, voire en se roulant physiquement à ses pieds, au grand étonnement des barons rassemblés.

     

    Peu importe donc sous quelle autorité l'on vit, l'essentiel étant d'avoir un bon maître et de craindre Dieu et ses représentants. Pour étudier les secrets arcanes d'une œuvre aussi touffue, il faudrait la consécration d'une vie, se passionner pour ces prises de châteaux, dont il ne reste parfois que des murs de fermes à demi effondrés. Tout gît dans le détails : voici un seigneur qui, pour ne pas se faire trucider par ses proches, sepe lectum mutaret, changeait souvent de lit. Et souvent, par terreur nocturne (j'épargne souvent le latin, qui ne sert à rien c'est bien connu, à mes lecteurs éventuels) il multipliait les rondes de nuits, commandant de tenir prêts toute la nuit, pendant son sommeil, son écu et son épée : vous voyez, quand on veut s'en donner la peine, “s'en donner les moyens” comme disent les je-sais-tout, le texte prend de l'épaisseur et de la vie. Mais vérifions : ce ne sont pas les rondes nocturnes, qui auraient dérangé par leur tintamarres, mais les “veilleurs armés”. Qui ne bougeaient pas, ou si peu. Quant à son bouclier, à son épée, il ne fallait pas les “tenir prêts”, mais les “placer devant lui”. Mais seneçon là que des clausules de style, n'influençant pas réellement sur le sens. Horum vero unus, “mais l'un d'entre eux” (de ses chambellans) “nommé H.”, “intime de ses familiers” autrement dit de sa familiarité rapprochée, ...fit je ne sais quoi : en effet, la phrase énumère ici en latin et en appositions foison de qualificatifs élogieux pour le souverain. Si notre seigneur méfiant se trouve du parti opposé au roi, il possède auprès de lui un espion, un traître.

     

    Nous ne le connaissons que par son initiale : le manuscrit G nous révèle qu'il s'agissait d'un certain “Henricus”, “Henri”. La note 2, en français, nous renseigne : ce serait “Hue”, d'après les Grandes Chroniques, traduisant le latin des clercs en français médiéval. “D'après Guillaume de Malmesbury, qui ne le nomme pas, il était de basse naissance et préposé à la garde du trésor royal”. Que tout cela reste naïf. Suivent les références relatives à l'histoire des rois anglais, Gesta regum anglorum. J'eusse aimé plonger dans certaines spécialisations, dont l'histoire médiévale : mais je me fusse privé de tous ces agréments de conversation érudite sans être pédante qui font l'essentiel de mon charme et de mon incomparable modestie. Oh, les cons ! …c'est de l'humour – comment, quoique ? Pour notre espion royal, une brouettée de compliments vient ici s'interposer, entre le sujet et son verbe : regis liberalitate ditatus, gagné par l'argent du roi, tiens donc, “puissant et renommé” (ou de petite extrace ?), “plus renommé encore par sa traîtrise, et convaincu (deprehensus) d'appartenir à la même faction” (celle des chambellans du seigneur rebelle) – mais vous nagez sans doute, entraînés à ma suite dans le labyrinthe. Ce traître trahira-t-il les traîtres ? J'en vois qui s'endorment au fond. C'est le moment de recourir au texte français : il s'agissait bien d'un traître, mais deprehensus veut dire non pas “convaincu” mais “pris sur le fait”. Et condamné, mes yeux ont lorgné, à perdre les yeux et les organes génitaux – pouah, les sauvages.

     

    Mais si j'ai bien compris la suite, me fiant plus à mon intuition qu'à mes faibles capacités grammaticales, on l'a exécuté “miséricordieusement” par une strangulation bien prompte : eh bien nom. On les lui a bien crevés (les yeux) et coupées (les genitalia) : car il “eût mérité la corde”. Aveugle et châtré, mais vivant. Ça se discute. Le roi, “qui ne se sentait en sûreté nulle part” ? Mais alors, cet homme ou désormais castrat faisait partie des proches du roi ! Changement de perspective ! Le roi le comblait de bienfaits, et malgré cela, il projetait de l'assassiner dans son lit ! Je dois me tenir à la langue française : conspicuus veut dire “bien connu”, “par sa magnanimité naturelle et son courage” (ici une double construction pas très classique). Le roi Philippe Ier se voit qualifié d' arto providus. Lançons les dés : “costaud”. Cela peut signifier tout autre chose. “Il prenait de mesquines précautions”. Je suis loin du compte. Il est providus, donc prévoyant, précautionneux. Mais arto, soit “dans l'étroitesse”. “Etroitement précautionneux”. Suger nous la joue Tacite...

     

  • Carolomacériennes

     

     

    Tout a commencé fort banalement, par un long trajet en bus, ma ville entière traversée en 35mn, sans émotion particulière, sans le moindre incident. Pas de Noir qui vous prenne à partie ni par les parties. Un train vers Paris sans histoire, la queue à Montparnasse pour un tiquet de métro : une fille très pâle et son mec à piercing, très pâle, dans une langue incompréhensible – esthonien ? islandais ? Puis la queue s'interrompt, l'employée tendant son ruban : "Désormais c'est fermé, voyez l'autre file." Que faire ? Couper "l'autre file" par le travers ? À quel endroit ? Nous nous résolvons à nous répartir près des points de vente automatique : "facile", disent-ils... pour ceux qui comprennent! "Nous ne rendons plus la monnaie", l'arnaque !

     

    Le temps perdu m'enlise la pensée, je compte les stations jusqu'à Gare de l'Est, sans même pouvoir profiter d'une excitation parisienne, m'inquiétant de mon retard. Voie 27, le Paris-Mézières, une fille qui dort avec une tronche grognonne de musaraigne aplatie, malgré son exaspération de me voir tournoyer puis m'abattre auprès d'elle (le temps de trier ce dont j'ai besoin). A mon arrivée, voyant la rareté en ce lundi de Pâques des bus "3" municipaux, je tente l'heure de traversée pedibus. Une mémé me baragouine Dieu sait quelle langue, iranien, portugais ? Je pars au pifomètre, sans plan, guidé mar mes seuls souvenirs d'internet. Mais tout est bien plus long ! Mézières s'étire lamentablement, premier pont, deuxième pont, l'avenue Carnot étire indûment ses numéros jusqu'à plus de 220.

     

    Enfin, à une station service (spectaculaire évasion de 480 talibans dit la radio je n'en suis pas le pompiste me fait la grâce de rire, je suis échevelé, fatigué). Première chambre pas prête, c'est le cas aussi pour un couple de vieilles gouines avec leur chatte "bonne voyageuse", car je m'en suis enquis pour faire l'aimable. Numéro 202. Le gérant ressemble à Fabien. Télévision. Zapping effréné. Un dimanche à la campagne, avec le merveilleux Louis Ducreux, mort peu après. Quand j'éteins, je n'ai plus pour me contenter ni force ni envie. Mais je me promène en zone industrielle, sous une longue rangée de réverbères. Dans la forêt adjacente, juste des craquements, une vaste tranquillité.

     

    Au bout d'un diverticule, un bâtiment plat derrière des camions de Z.I., "Chambres funéraires – Tonnelier". Je n'ose pousser la porte, un macchabée en pleine nuit ? Le lendemain soleil, un bol de cornflakes au lait, je reprends mes 4 kilomètres, un bus 3 me double, dont le chauffeur m'indique du doigt l'arrêt suivant, il m'attend porte ouverte, je galope à couper le souffle, redescends rue de Nouzonville, beau panorama de Meuse, Pointe du Moulin. Au large un pagayeur pagaie à grands moulinets, 10h moins 10, les employés préparent l'ouverture, l'ancien Moulin abrite le Musée Rimbaud : ce ne sont que copies et photographies, le seul qui m'émeuve est le non moins tordu Camille Pelletan, qui se tripote un bâton d'un air farouche. Je tâche, à ce Coin de table, à me passionner. Le premier étage présente du Plossu. On ne s'appelle pas Plossu. Et ses clichés, en noir et blanc, se perdent au sein d'immenses marges encadrées. Tout relief se voit gommé, et les petits paysages ainsi étiquetés perdent toute puissance émotionnelle. Le catalogue, bien paginé, peut entraîner l'adhésion.

     

    Le deuxième étage présente encore moins d'intérêt si possible. Rien du tout n'en présente en fait. Et Plossu bat des records de banalité. Ce qui laisse libre cours à l'imagination bien sûr, mais cette paroi toute nue en laisse encore bien davantage. Et puis Rimbaud n'est pas mon poète. Trop sûr de lui, trop arrogant, grande gueule, sans manières. Sa poésie trop péremptoire. Dans sa maison quai de la Madeleine, des installations "à la page" masquant mal un vide intersidéral : oui, Rimbaud vivait là – et après ? Une double banquette, de la musique à partir de bruits, censée nous faire voyager. Dans une autre pièce, des extraits de poèmes balafrent le mur : c'est la chambre de notre poète.

     

    Rien que du conventionnel. Sauf au deuxième étage où retentissait la voix rauque d'un locuteur amharique, encore l'émotion demeura-t-elle bien rudimentaire. Mon souvenir amplifiera tout cela.

    MÂTS, PIQUES ET DJINNS www.anne-jalevski.com

     

     

    Mâts, piques et djinns.JPG

    Suite

     

    S'il n'y avait pas ce désir de repentance, de retour à la vraie Foi, jamais je n'écrirais. Il faut bien que je croie en quelque chose. Le mensonge mène à la banalité, qui mène au silence, et sans doute jamais ces paroles ici transcrites ne trouveront-elles de lecteur, puisqu'au moins trois ans passeront avant qu'elles ne soient imprimées. J'entends d'ici rire dans ce minable hôtel où se déchaînent les grosses rigolades et l'ivresse. Je viens de voir l'étrange dénouement auquel se livre l'adaptateur de Boule de suif. Pour ma part, je peine à raccorder les morceaux. C'est de mon plein gré que je me suis lancé dans ce parcours casse-gueule de la vérité. J'ai rencontré rue Dolet une Anne-Marie de mon âge, qui m'a demandé mon prénom.

     

    Elle m'a dit "Jai la diarrhée". Le flirt commençait bien. Tant elle se plaignait avec sa béquille que deux fois je l'ai embrassée, sa peau était d'une douceur satinée. Je n'aurais pu la secourir davantage, car il m'est venu à Bordeaux une vie et une famille. C'est par ici dans les Ardennes que je me sens bien, parce que j'y ai des attaches spirituelles, à 15 km de la Belgique : mon père a vécu et souffert ici, "à l'E.P.S. de Mézières". Puis il a commencé sa carrière cahotante, empreinte de misère et de coups de gueule, toute baignée par la peur et ces préjugés sur la domination du mâle. C'est ici que j'ai dit à Evelyne "Tu commanderas les jours pairs et moi les jours impairs". Nous étions à Mohon, dans une cité ouvrière peut-être disparue. Les femmes portent un précieux calice. Je lui disais, à cette Anne-Marie dont le prénom fut couvert par un passage de voiture, qu'à nos âges personne n'était plus libre.

     

    Mais au retour de mon expédition, comme une pluie perçante commençait à tomber, j'ai préféré prendre le bus, tandis que les passagers poursuivaient leurs conversations à l'intérieur, et plus jamais je ne repasserais au 22 rue Etienne Dolet, pendu et brûlé gros et gras l'an de grâce 1546.

     

  • En errant

     

     

     

     

     

    Sidoine Apollinaire Lettre I, 5

     

     

     

    J'étais planqué à Marseille quand j'ai reçu ton fax. Tu te demandes si tes projets se réaliseront, et aussi par quelles traverses je suis réfugié ici, quels intermédiaires j'ai contacté, au moyen de quels codes indéchiffrables ; quels élus municipaux j'ai soudoyés, quelles montagnes de paperasses hantées de charançons j'ai fait brasser, quelles mornes plaines d'ennui (...) - tu trouves en effet je ne sais quel plaisir (à t'entendre) à ouïr de ma bouche édentée ces informations qui me suivent à la trace dans la rubrique des faits-divers. Dieu merci tu me permets toutefois de t'écrire, ce qui présente l'avantage d'échapper aux affectueuses écoutes de la flicaille.

     

    Commençons donc, sans nous éclaircir la voix (j'ai chopé une angine de première), et recourant à notre seule mémoire, par notre premier pas, qui fut d'écraser une merde au métro Saint-Germain.

     

    Il est de moins en moins rare de découvrir, dans les stations les plus huppées, des restes alimentaires tout chiés de nos illustres clochards. La puantueur qui se dégage de ces débris dépasse l'imagination. J'y vis cependant un heureux présage, car tous s'éloignaient de moi dans la rame, alors que je fuyais, précisément, les filatures. C'est ainsi que j'atteignis le terminus de la ligne 6. Le plus simple était de voler un véhicule. Comme il neigeait, je fis courir au-devant de l'auto un employé des pompes funèbres semant au vent des cendres humaines. A mesure que j'allais vers le méridien, les conditions climatiques s'amélioraient.

     

    Quoique j'évitasse les grands axes, le bombement des routes ne causa aucun frottement sous la caisse de mon véhicule d'emprunt. Je le fis rapidement verser dans un fossé à proximité de Lyon, jugeant le train plus sûr. Bien emmitouflé dans un recoin de compartiment j'ai repassé dans ma tête les vers extraordinaires de Sigourney Beaver où elle relate l'envol des anges au-dessus des peupliers de la plaine du Pô. Ce tableau figure au musée d'Edimbourg, à côté de cette “Vue par une fenêtre” si chèrement acquise “at Sotheby's”. Ainsi passèrent Vienne, Montélimar la nougateuse, Orange la fachotte, Avignon-la-Conne , qui reçoit chaque année bouche bée son festival implanté décati.

     

    Je me suis souvenu de Véra, qui parlait du nez en bouffant ses harengs, vitupérant lasottise des élus municipaux. Toutes ces gares brimballaient derrière un grillage mouvant de fils télégraphiques. Je voyais luire en un éclair l'éclat faïencé des toilettes en bouts de quais. Parfois des forêts de poteaux me cachaient le paysage, tant il est vrai que les humains se complaisent à bouziller. Je me tournais alors vers mon giron, palpant dans ma banane l'épaisse liasse de billets américains que j'avais fauchés, regrettant de n'en avoir pu dérobe rune deuxième. Car tout est argent, nourri par les cotisations des retraités morveux, croupissant dans une banque à demi-inondée au bord de la Seine. Lutrin de marchandises.JPG

     

    En gare de Marseille Saint-Charles, j'aperçus le Corse au crâne glabre tout prêt à m'assener un de ses soupirs ajacciens dont il a coutume d'amorcer les conversations. Nous entrâmes dans un bar au nom sympathique de “Téléfone” avec un f. La télé retransmettait la rowing-party entre Oxford et Cambridge de Dieu sait quelle année : vraiment de quoi meubler le vide intersidéral d'un dimanche après-midi. Tandis que je voyais les barques concourir, mon compagnon Angelo, refoulant mal de forts renvois d'ail, partageait mon maigre butin. “Il reste le magot de l'expédition précédente”, articula-t-il, “au fond du lit côté pied sur la droite à la chambre 106 du “Saint-Alphe”, rue du Maracandier. Quartier du Panier.” Je demeurai perplexe, car le Panier ne comporte pas cette rue. “Et puis c'est si tranquille, si fermé aux touristes ! “ En attendant, nous avons bouffé une de ces choucroutes marseillaises à la sauce tatami comme on n'en fait plus.

  • Ce qui nous joint

     

     

     

     

     

    Si je dis délivrez-mo d'elle,ils me regardent tous et se mettent à rire. (L'Avare). L'Histoire, celle des autres, la nôtre,nous  aligotésl'unàl'autre,nouspouvonsbien nousrejeterlafaute àl'infini(revenirsur

    cemonde intérieurdeSylvieNerval).

     

     

     

    X

     

     

     

    Nous avons tous deux subi les mêmes échecs ,les mêmes humiliations, les mêmesattentesdevantlesgrillescloses.(Exemple,dèslapremièreannéequenousavonsvécueensemble:cecriminelDirecteurdesBeaux-ArtsdeTours,l'incompétencecriminelledesarecommandationàSylvieNerval:Vousallezvousennuyer:nosélèvesnedépassentpas17ans.Elleenavait22.Cen'estqu'en1975,huitansplustard,qu'elleaétéadmiseàBordeaux,pardérogation.Criminel. Salopard. Sadique. Sous-merde.Toute uneviegâchée.Deux vies..Vous auriezfaitci,vousauriezfaitça:vousn'auriezr

    rienfaitdutout

    Cestmoi quiécris,c'estmoi quiinsulte.

     

    Jamais nous ne nous sommes séparés. “Scier nos chaînes”, comme vous dites, c'eût été retrouver , de l'autre côté, tous ces paquets de mâles vulgaires au lit, de gonzesses inquisitrices et crampons, tous et toutes dépourvus du moindre vernis cérébral, de la moindre folie. Toutes et tous exclusifs, exigeant tout sans restriction, conformistes jusqu'à la moëlle comme tout révolutionnaire qui se respecte, ayant bien su depuis virer de bord. J'aimerais, j'aimerais encore à vingt-cinq ans de distance pouvoir péter la gueule de cet Egyptien qui s'est permis, le pignouf, de faire éclater Sylvie Nerval en sanglots en plein café, au vu et au su de tout le monde, avec supplications

     

    L'inconnu d'Auteuil.JPGJ'ensouffreencorecommed'unaffrontpersonnel.Vousauriezfaitci,vousauriezfaitça.Vos gueules. C'estenraisondecettefidélité.quejen'aijamaispuévoluerBaudelairenonplusn'asuévoluer,cedontl'ablâméM.Sartre,ProfesseurdephilosophieauLycéeduHavre.Etcequenousremarquonsencore,SylvieNerval,chezlesAutres,lesConnards,c'estl'inimaginable,l'immondeetrépugnantecruautéaveclesquelsilsrompent,sedéchiquètentl'undel'autre,sanslamoindrenilaplusélémentairepitié,lamoindrenotiondelaplusminimehumanité,fût-cedusimplerespectdesoi-même.Aunomdel'illusoiregrandeuretbouffissureduDestinAmoureux,etdesamystiqueetignobleirresponsabilitéJe suis amoureux j'ai tous les droits ; jepiétine,jeconchie.Mortàl'aimé.Répudiationenpleinedéprime,risquedesuicideinclus;viragedemecsousprétextequ'ilatrouvésonpetitrythmedebaisequotidienne-veinarde!-etqu'ilse croit chez lui etautres,etmaintsautres.

     

    Onn'apasledroit,pas le droit defairedumal,pasledroitderompre.Tantd'atrocitésquiravalentl'humainauniveaudelacourtilièreoudelamantereligieuse.Jenevoulais,moi,confiermafemmequ'àdessuccesseurdûmentapprouvés,j'allaisdireéprouvésavantelle.Voilàcequ'estl'amour.Nepasfairesouffrir,nejamaisinfligerlapluslégèresouffrance.Tu ne tueras point. Tu ne mourras point. Plutôt millefoisnerompreavecrien,riendutout,traînantavecmoitousmespetitssacsdesaletés,pourassimiler,comprendreenfin,digérer,ruminer,incorporer.Revivresansfin.

     

    Au rebours exact de ce que vont prêchi-prêchant tous ces ravaudeurs de morale à deux balles, “savoir tourner la page”, “dépasser son passé, autrement il vous saute à la gueule”, que j'ai entendus toute ma vie. Tous ces moralistes. Tous ces étouffoirs, avec leurs formules inapplicables. J'ai conservé, absorbé, stratifié, j'immobilise, j'étouffe le temps et ma vie, momifiant, pétrifiant tout vivant, tordant le cou aux lieux commun et autres petits ragoûts de bonheur précuit.Constance, renaissance, éternité.

     

     

     

    X

     

     

     

    ToutmonemploidutempsserègleenfonctiondeSylvie.Qu'elleselève,jesuisdéjàdeboutdepuisuneheure.Deuxheuresc'estmieux.Jemesuisassisauxchiottes(jeneconservepastout).J'aientr'ouvertlesvolets,lu,regardédeuxminuteslachaînesuivantedetélévision,ouvertunpeupluslesvolets,mesuislavé.Faitchaufferlethé,ditlesquelquesmotsquiréveillentsansbrusquerie,ouvertengrand.Auparavant,j'auraijetél'œilsurl'Agendapourprendrenotedescorvées,projets,visitesetspectaclesdepuislongtempsprévues-sansquecelapuissememettreàl'abrid'exaspérantessurprises-jecoulemontempsautourdusiencommeunbrassurunetaille;horsdemoi,enrevanche,sipeuqu'elles'accordedevivresanstenircomptedemespropresobligations,passagesàl'antenne,cocktailsàvenir.Jenesaispourquoij'aimissilongtempsàvivreenfinheureuxàsescôtés,àmoinsquenemetransperceunjourl'épouvantableévidence(maisjelesaisdéjà)quel'onmettouteunevieàtransformerdesinconvénientsenavantages,destorturesendouceurs...J'aipensé,assurément,qu'ilétaithonteuxdeparaîtreamoureux,afindem'imaginerdisponibleàtouteslesdestinées,àtouteslesfemmesquipassent. J'aiditàSylvieNervalTu as modifié toute ma vie.

     

    Mais qu'ai-je proposé d'autre ? Bordel, soûlographies, flippers ? Que pouvais-je vivre d'autre ? “On peut transformer sa propre vie, encore faut-il en avoir la volonté” : de telles assertions, fusssent-elles signées Alice Miller, me font hurler de rire.

     

     

     

    X

     

     

     

    Direàprésentcombiennoussommesl'unetl'autreengagéssurlesvoiesdelamort.AcetteheurequejesuisengagéditMontaignedanslesavenuesdelavieillesseaucommencementdesesEssais. Certainssententvenirlamortdeloin.

     

  • Balzac le drôlatique

     

    Ajoutez à cela les digressions, tel débordement d'affection pour la ville natale de Tours, fendue en deux par une avenue "si large que jamais nul n'a eu besoin d'y crier "gare !", tels et tels bavardages, et toujours, cette référence au langage, à la bonne humeur, aux assauts de truculence de Rabelais, natif d'Indre-et-Loire, qui jamais n'aura écrit de français plus compliqué. Je ne vois guère, pour cette imitation forcenée, que Robert Merle dans ses histoires de princes valois. Oyez donc, bonne gens, ces histoires de faux étudiants ou goliards, qui tels Panurge s'amusaient à répandre sur les femmes des extraits d'essence de chiennes en rut, pour que les chiens viennent pisser sur leurs belles robes, et semaient un bordel digne des Rolling Stones dans les palaces anglo-saxons. (Noter aussi qu'une femme, dans un conte précédent, s'était interposée entre son mari furieux et son amant, s'écriant "Ne tue pas le père de tes enfants !" sur quoi le mari avait lâché son épée empoisonnée... sur le pied du dénonciateur, un bossu, qui mourut – belle réplique, ma foi, plate pourtant, et digne de la pire comédie de boulevard du plein XIXe siècle, mettons Alexandre Dumas fils, mais passons) – et Balzac va enfin se déployer, pour vos oreilles seules, suivez sur le texte, bizuths :

     

    "Puys, ils donnoient des poussées au monde, faisoyent des trouées aux sacqs de bled, cherchoient leur mousche-nez en l'aumosnière des dames," (sans accent à "aumonières", monsieur Balzac ! selon les règles du XVIe siècle !) et en relevoient les cottes, plourant, questant ung ioyau" (tous les "j" écrits "i", bien sûr) "tombé, et leur disant :L'ETREINTE www.anne-jaleh.com

     

     

    L'étreinte.JPG

    "- Mes dames, il est dans quelque trou !..." (finesse...)

     

    "Ils esguaroient les enfants, se tappoient en la pance de ceulx qui bayoient aux corneilles, ribloyent, escorchioyent, et conchioyent tout. Brief, le dyable" (avec un ygrec) "eust esté saige en comparaizon de ces damnez escholiers, qui se fussent penduz s'il leur avoit fallu faire acte d'honneste homme ; mais aultant auroyt valu demander de la charité à deux plaideurs enraigez.

     

    "Ils quittoyent le camp de foire non fatiguez, mais lassez de malfaisances ; puis, s'en venoient disner iusques à la vesprée, où ils recommençoient leurs ribleries, aux flambeaux. Doncques, aprez les forains, ils s'en prenoyent aux filles de ioye auxquelles, par mille ruzes, ils ne donnoyent que ce qu'ils en recepvoient, suyvant l'axiosme de Iustinian : Cuicum jus tribuere, à chascuns son jus." ("Selon son droit, mais "jus" en latin veut dire aussi "le jus"...) "Puis, en se gaussant après le coup, disoyent à ces paouvres garces :

     

      • Que le droict estoyt à eux" (étudiants en droit, bien droits en un certain endroit) "et le tord à elles."

     

    "Enfin, à leur soupper n'ayant poinct de subjects à pistolander, ils se cognoyent entre eulx ou, pour se gaudir encores, se plaignoient des mousches à l'hoste en lui remonstrant qu'ailleurs lers hostelliers les faisoyent attacher, pour que les genz de condition n'en fussent poincs incommodez.

     

    "Cependant, vers le cinquiesme iour, qui est le iour critique des fiébures, l'hoste n'ayant iamais veu, encore qu'il escarquillast très-bien ses yeulx, la roïale figure d'ung escu chez ses chalands, et saichant que si tout resluit estoit or, il cousteroyt moins chier, commença de renfroigner son museau, et de n'aller que d'un pié froide à ce que vouloyent ces gens de hault négoce. Or, redoubtant de faire un maulvais" (m-a-u-l-vais) "trafic avec eulx, il entreprint de sonder l'aposteume de leurs bougettes." (la bosse de leurs bourses...)

     

    "Ce que voyant, les trois clercs lui dirent avecque l'asseurance d'ung prevost pendant son homme, de vistement leur servir un bon soupper, attendu que ils alloyent partir incontinent. Leur ioyueuse contenance desgreva l'hoste" (h-o-s, bien sûr) "de ses soulcis. Or, pensant que des draules sans argent debvoyent estre graves, il appresta ung digne soupper de chanoines, soubhaittant mesme de les voir ivres afin de les serrer sans desbats dans la geole, le cas eschéant.

     

    "Ne saichant comment tirer leurs grègues de la salle où ils estoyent aultant à l'aize que sont les poissons en la paille, les trois compaignons mangièrent et beurent de raige, resguardant la longitude des croisées," ("l'éloignement des fenêtres") espiant le moment de descamper, mais ne renconstroient ni joinct ni desjoinct. Maudissant toust, l'ung vouloyt (o-y-t bien entendu) aller destacher ses chausses en plein aër pour raison de cholique ; l'aultre quérir ung médecin pour le troisième qui s'esvanouyroyt comme faire se pourroyt.

     

    "Le maudict hostellier baguenaudoyt touiours de ses fourneaulx à la salle et de la salle aux fourneaulx, guettoyt les quidams, avançoyt ung pas pour saulver son dû, en resculoyt deulx pour ne poinct estre cogné de ces seigneurs, au cas où ce seroyent de vrays seigneurs, et alloyt en brave hostellier prudent, qui aymoit les denniers et haïssoyt les coups. Mais, soubz umbre de les bien servir, touiours avoyt une oreille en la salle, ung pied" (u-n-g, comme partout, ce qui est de la haute fantaisie philologique) "en la cour ; puys, se cuydoit touiours appelé par eulx, venoyt au moindre esclat de rire, leur monstroyt sa face en guise du compte et touiours leur disoyt :

     

      • Messeigneurs, que vous plaist-il ?

     

    "Interroguat en response duquel ils auroyent voulu lui donner dix doigts de ses broches dedans le gozier, pour ce que il faisoyt mine de bien sçavoir ce qui leur playsoit en cette conjuncture, vu que, pour avoir vint escus tresbuchants, ils eussent vendu chascun le tiers de leur esternité.

     

    "Comptez que ils estoyent sur leurs bancqs comme sur des grilz, que les pieds leur desmangeoyent très-bien, et que le derrière leur brusloyt ung peu. Déjà l'hoste leur avoyt mis les poires, le fourmaige et les compostes soubsle nez ; mais eulx, beuvant" (écrit "e-u" comme chez Rabelais) "à petits coups, maschant de travers, s'entre resguardoyent pour voir si l'ung d'eulx treuveroyt en son sacq ung bon tour de chiquane ; et tous commençoient à se dibvertir trez tristement.

     

  • Ma mère, la guerre et le dragon

     

    Je me rends au cimetière militaire de Sailly-Saillisel. Je vois des gratteurs de tombes, groins de porc sur la gueule, pulvérisateur en bandoulière, projetant des gouttelettes au chlore, méphitiques, vert sombre, dans la pénombre crépusculaire, sur les dalles british, dont la pierre exsude un imputrescible lichen. « Tous pédés » disait G-D. « On leur sciait la branche par-dessous, dans les feuillées. Ils tombaient tous dans la merde » - et Gaston imitait les gargouillis indignés de la langue anglaise. Çac'étaitdelavanne.

     

    La Marseillaise. Gaston-Dragon l'écoute au garde-à-vous, tandis que mon père s'est assis en tailleur, exprès, sur l'herbe : « Je ne me lève que pour L'Internationale. » Gaston grommelle : « Je te la lui ferais écouter la Marseillaise moi, à grands coups de pied dans le cul... »

     

    Gaston-Dragon a perdu (fait de guerre ? scie circulaire ?) une phalange. Un jour il réclame à l'administration une revalorisation de pension. Le préposé du guichet répond : « Pour avoir droit à la tranche supérieure, il faudrait que vous ayez perdu une phalange de plus. -Ma phalange, vous savez où vous pouvez vous la mettre, ma phalange ?

     

     

    Les flèches des Chartrons.JPG

    Pendant la sonnerie aux morts, Gaston-Dragon se sent envahi d'une extraordinaire émotion. C'est comme un frisson de larmes et de fierté. Cela commence par deux notes plaintives et nobles, chevauchées à l'arrière par des fla de tambours à contre-temps : un, un-deux, un-deux trois. Puis tout s'éteint dans un dernier roulement assourdi, le linceul retombe sur la plus grande mélancolie du monde...

     

    Alcmène jeune fille a visité tous les charniers. Douaumont. Lorette, où reposent les six autres Soldats Inconnus. Elle en a contracté une haine farouche de la mort. Ce qui ne se compense absolument pas, pas du tout, par un quelconque amour de la vie : elle ne la hait pas moins. Elle raâle, ma mère, elle geint, elle gâche tout.

     

     

     

    Note

     

    (138) Ce sont des anecdotes, relatives à Gaston-Dragon, sur le même sujet : la Patrie.

     

     

     

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    SAPIENTIA DRACONTEA (« de dragon »)

     

    Pour mettre un terme aux discussions sans fin, que ce soit en matière politique, ou religieuse, mon  aïeul Gaston-Dragon use d'une formule magistrale, ménageant toutes les susceptibilités ; pour peu que le ton vire à l'aigre, il coupe court : « Ecoute » dit-il, - tu as raison, et moi je n'ai pas tort. » Suprême sagesse -

     

    • FIN des oracles de Gaston.

     

     

     

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    • A MOI MAINTENANT (139)

     

    Je n'ai pu connaître l'épreuve de la guerre.

     

    Mon absence totale de ce qu'il est convenu d'appeler Virilité me permet en revanche de surmonter plus tard L'EPREUVE DE LA JALOUSIE.

     

     

     

    Note

     

      • (139) On le voit, la liste de mes épreuves réussies se limite à ces deux lignes ; il ne s'agit que d'un exploit négatif.

     

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    LES EPREUVES D'ALCMENE, MA MERE

     

    • Toute sa vie ma mère malade. Hideux sac à chagrin. Pourquoi ? Remontons un peu : Gaston-Dragon, poilu, cocu, la rime est bonne. On ne cocufie pas un poilu. Un héros. Beaucoup ont dû s'en accommoder. Mais pas Dragon. Dont le vrai fils, le Légitime, est mort (de la peste espagnole) tandis que le Bâtard, le fils de l'autre, a survécu. « On ne l'a jamais appelé que le Bâtard », dit ma mère, « je ne me souviens même plus de son nom » - honte au « bon vieux temps » : l'ivrogne, le boiteux, le cocu du village. Alcmène détestait tout ce qui rappelait le passé, jusqu'aux « films à costumes » : « Regarde-moi toute cette misère », disait-elle au milieu des plus belles mises en scène – « toute cette misère » - c'était vrai ; tout était miséreux dans le temps, préjugés, superstitions. Les hommes crevaient à trente ans et les femmes frottaient leurs linges tous les mois sur la planche.

    • Ma mère Alcmène, à sept ans, derrière les rideaux de sa fenêtre – Tu resteras à la maison pour garder l'bâtard - assista au départ du convoi funèbre du vrai petit frère. De mon petit oncle dehuit ans, Lucien fils légitime de Gaston-Gustave, dans la boîte -Tu n'as pas su le garder en vie celui-là – sans qu'on me l'ait dit je suis sûr qu'il l'a crié à sa femme, Delphine Bort, comme Bort-les-Orgues disait-elle, Tu n'as pas su le soigner celui-là répétait Gaston-Dragon - et Bâtard de survivre, Alcmène réquisitionnée « Toi, tu resteras à la maison pour garder le bâtard » - voyant s'éloigner son petit frère dans le cercueil à travers la vitre et la pluie (140)

      • S'étonner après cela qu'elle ait été si malheureuse, si dramatique. Si malade.

     

    (140) Je sais bien que je me répète, mais je trouve ça si poignant...