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  • Le Robinson méconnu

     

    Mon sauvage n'attendit pas que l'espagnol fît le moindre effort ; comme il était aussi robuste qu'agile, il le chargea sur ses épaules, le porta jusqu'à la barque, et le fit assoir sur un des côtés du canot ; ce grand cœur chrétien aurait dû, aurait pu du moins enseigner à son maître tous les tours et les trucs de la vie "indienne", apportant à son maître autant de sciences indigènes que ce dernier lui en avait révélé d'européennes.

     

    Pas un instant notre colonisateur ne s'est avisé d'apprendre la langue de son colonisé, non plus que les principes de sa religion ou ses coutumes. On ne peut exiger d'un narrateur de trois cents ans plus vieux que nous de se muer en anthropologue contemporain, ni en partisan de l'égalitarisme. L'Espagnol reculera-t-il devant l'autre cuivré qui hante le fond du canot ? ...puis sortant de la barque il la lança à l'eau, et quoi qu'il fit un grand vent, il la fit suivre le rivage plus vite que je n'étais capable de marcher. En route donc pour le palais de Robinson.

    LES DENIERS DE LA LUNE ww.anne-jalevski.com

     

     

     

    Les deniers de la lune, par Anne Jalevski.JPG

    Il reste peu de choses à dire, sinon que je fus fort surpris de découvrir à quel point une excellente éducation à l'ancienne avait préparé les lecteurs d'âge tendre à lire ce chef-d'œuvre truffé d'imparfaits du subjonctif, et sans trop d'images. Mais, direz-vous, Robinson Crusoë n'a-t-il pas été tenté par l'évasion ? N'a-t-il pas eu du moins l'intention de faire le tour de son île en canot, par curiosité de marin ? Si. Et cela donne l'occasion d'une lecture, avant que Vendredi n'apparaisse : "Voilà donc mon petit canot fini ;" Robinson est d'une grande robustesse, on l'a choisi pour cela. "mais sa grandeur ne répondait point au dessein que j'avais lorsque je commençai à y travailler : c'était de hasarder un voyage en terre ferme, "(on la voit de très loin par temps clair, car Daniel Defoe plaçait son île dans la mer des Caraïbes) "et qui aurait été de quarante milles. J'abandonnai donc ce projet ;" (en effet, la terre ferme est peuplée de cannibales) « mais je résolus au moins de faire le tour de l'île, je l'avais déjà traversée par terre, comme je l'ai dit ; et les découvertes que j'avais faites alors me donnaient un violent désir de voir les autres parties de mes rivages. Je ne songeai donc plus qu'à mon voyage ; » Incorrigible Robinson. « et afin d'opérer avec plus deprécaution et plus de sûreté, j'équipai mon canot le mieux qu'il me fut possible ; j'y mis un mât et une voile. J'en fis l'essai, et trouvant qu'il prendrait très bien le vent, je pratiquai des boulins ou des layettes à ses deux extrémités, afin d'y préserver mes provisions et mes munitions de la pluie et de l'eau de mer qui pourraient entrer dans le canot. J'y fis encore un grand trou pour mes armes ; » Cet homme humain pense à tout ; à se demander comment il n'est pas mort dix fois de crise cardiaque pour efforts physiques excessifs prolongés. Mais ce roman comporte une grande part de démonstration et d'édification théologique. « ...je couvris ce trou du mieux que je pus. Je plantai ensuite mon parasol à la poupe de mon canot, pour m'y mettre à l'ombre.

     

    « D'abord je me servis de mon canot pour me promener de temps en temps sur la mer, mais néanmoins sans m'écarter jamais de ma petite baie. Enfin, impatient de voir la circonférence de mon royaume, je résolus d'en faire entièrement le tour. Pour cet effet je pourvus mon bateau de vivres. Je pris deux douzaines de mes pains d'orge (je devrais plutôt les appeler des gelettes), un pot de terre plein de riz sec, dont je faisais beaucoup d'usage, une autre pleine d'eau fraîche, une petite bouteille de rhum, la moitié d'une chèvre, de la poudre et du menu plomb pour en tuer d'autres ; enfi, deux des gros surtouts dont j'ai parlé ci-dessus, l'un pour me coucher dessus, et l'autre pour me couvrir pendant la nuit. » Le vrai manuel du parfait randonneur, si vous avez envie d'en faire autant.

     

    Facile, « y a qu'à » penser à tout. Mais vous sentez bien qu'il va arriver quelque chose : l'homme dans les épreuves, qui ne se décourage pas !

     

    « C'était le six de novembre et l'an sixième de mon règne ou de ma captivité (vous l'appellerez comme il vous plaira) » (c'est qu'il a de l'humour, notre Anglais d'origine allemande) «que je m'embarquai pour ce voyage qui fut plus long que je ne m'y étais attendu. L'îleen elle-même n'était pas fort large ; mais elle avait à l'est un grand rebord de rochers qui s'étendaient deux lieues avant dans la mer ; les uns s'élevaient au-dessus de l'eau, et les autres étaient cachés ; il y avaitoutre cela au bout de ces rochers un grand fond de sable qui était à sec et avancé dans la mer d'une demi-lieue ; tellement que pour doubler cette pointe, j'étais obligé de m'avancer beaucoup en mer.

     

    « A la première vue de toutes ces difficultés je fus sur le point de renoncer à mon entreprise, à cause de l'incertitude tant de la longue route qu'il me faudrait faire, que de la manière dont je pourrais revenir sur mes pas. Je revirai même mon canot et je jetai l'ancre ; car j'ai oublié de dire que je m'en étais fait une d'une pièce rompue d'un grappin, que j'avais sauvée du vaisseau. » Evidemment, nous ne sommes pas ici en compagnie du père de famille dans le film Liberté-Oléron.

     

    « Mon canot « était en sûreté, je pris mon fusil et je débarquai, puis je remontai sur une petite éminence, » (oh, Monseigneur...) « d'où je découvris toute cette pointe et toute son étendue, ce qui me fit résoudre à continuer mon voyage.

     

    « Entre autres observations néanmoins que je fis sur ces parages, je remarquai un furieux courant qui portait à l'est, et qui touchait la poinde bien près. Je l'étudiai donc autant que je pus ; car j'avais raison de craindre qu'il ne fût dangereux, et que, si j 'y tombais, il ne me portât en pleine mer, d'où j'aurais eu peine à regagner mon île. La vérité est que les choses seraient arrivées comme je le dis, si je n'eusse eu la précaution de monter sur cette petite éminence ; car le même couranr régnait de l'autre côté de l'île, avec cette différence cependant qu'il s'en écartait infiniment plus. Je reconnus aussi qu'il y avait une grande barre au rivage : d'où je conclus que je franchirais aisément toutes ces difficultés, si j'évitais le premier courant ; car j'étais sûr de pouvoir profiter de cette barre

     

  • Vieilles lunes et châteaux

     

    Chers auditeurs, nous avions déjà rendu compte, quelques semaines ago, des Châteaux fantastiques d'Henri-Paul Eydoux dans leur ensemble. Mais nous nous aperçûmes que le tome V et dernier n'avait pas été lu depuis son acquisition, id est 1973. Puis il est mort, comme dit l'autre. Toujours est-il que je me suis plongé dans ce tome cinq tout comme neuf, et que j'y ai retrouvé les mêmes qualités que dans les quatre autres, avec toujours en fin de volume les noms et la tomaison des bâtisses mentionnées par notre précieux guide. Les derniers mots qu'Eydoux a tracés : Une chaleur retrouvée. Voilà bien le projet en effet. Aider les vieilles constructions ignorées, ensevelies sous le lierre ou le gravat, à retrouver la chaleur de leur vie passée.

     

    Le voleur.JPGParfois, une association vient de se constituer pour sauver ce qui peut l'être encore (nous sommes dans les années 70) ; mais la plupart du temps, ces châteaux médiévaux sont à l'écart de toute route, à l'abandon, à demi-écroulés sans que nul s'en soucie. Car on s'est abondamment occupé de recenser et de commenter les églises, tandis que l'architecture militaire – et aussi de prestige – constituée par les murailles de nos forteresses n'ont que peu excité l'attention des chercheurs, historiens ou esthètes. Ce cinquième volume ne comporte pas de différence notable avec les quatre autres. Toujours autant de précision, d'amabilité, de facilité cependant érudite. Toujours un souci de s'adresser familièrement au lecteur, comme un qui raconte des histoire plus que comme historien.

     

    Mélange agréable d'architecture et d'histoire locale au moment où les considérations techniques risqueraient de lasser. Variété des angles d'attaque : tantôt l'auteur décrit, tantôt il évoque les ombres, tantôt il élargit le champ de vision en retraçant une généalogie, en rattachant les seigneurs du cru à telle époque ou a telle anecdote bien connue de la chronologie nationale. On retrouve dans le cinquième volume des Châteaux fantastiques le même scrupuleux débat entre le désir de sauvetage et le désir d'intégrité : cette dernière a bien souvent souffert de l'invasion des touristes consécutive au succès, précisément, de ce qui est devenu la « collection » des Châteaux fantastiques. L'auteur préfère toujours en définitive les risques de la vie aux risques de la mort par abandon.

     

    Et jamais la fatigue ne se fait sentir, jamais Henri-Paul Eydoux ne donne l'impression de tirer à la ligne par lassitude ou de bâcler une rubrique. Les photos, datant de 1972, sur des lieux qu'il a toujours scrupuleusement visités voire hantés d'années en années, présentent désormais la double patine du Moyen Age et de l'époque plus récente où elles furent prises : sont-elles encore un témoignage fidèle ? Faisait-il beau cette année-là ? Les broussailles ont-elles gagné du terrain, cédé devant le défrichage ? On sait combien précieux sont les dessins ou les photos du XIXe ou du début du XXei, quant à l'état des châteaux. Le donjon de Coucy jusqu'à 1917, le plus gros du monde, était encore debout. Sont étudiés dans ce volume les châteaux de Villandraut, où erre encore le fantôme de Clément V, pape bordelais inhumé à Uzeste ; de Lavardin, qui traîne son éventration gravateuse au bord du Loir ; de Murol, en Auvergne. Notez qu'au passage Henri-Paul Eydoux mentionne maints autres châteaux dans les environs de celui qu'il étudie, car souvent ces constructions vont par lignes défensives ou par massifs compacts et impénétrables.

     

    Mais il ne veut retenir que ceux qui l'ont marqué par leur aspect mystérieux, soit que des ombres s'y promènent encore, soit que précisément rien ne soit su à leur sujet, ni sur leurs habitants, et que l'imagination y puisse ainsi se livrer plus libre cours. Mentionnons aussi l'énorme tas de pierres donc de Coucy dans l'Aisne, ruine pathétique s'il en fut, victime de la stupidité guerrière de notre siècle ; Beaucaire face à Tarascon, où combattirent les croisés du nord contre Raymond VII de Toulouse ; Rochebaron et son mur éperon, unique en France par cette originalité architecturale ; Montfort en Bourgogne et sa tour Amélie ; Vaujours, désormais sauvegardé grâce à une active association ; Rochechinard et le fantôme, peut-être, de Djem-Zizim ; et l'auteur de recenser tous les châteaux où ce prince ottoman est censé avoir légendairement séjourné.

     

    Chacun d'entre eux mérite le détour, et parfois le quart d'heure ou la demi-heure de marche à pied en terrain accidenté ; le Tournel de Lozère en particulier, mon préféré du lot, sur la route du Bleymard à Mende, brûlant l'été, balayé de tourmentes l'hiver, à 1060 mètres d'altitude ; l'extraordinaire complexité du château de Ranrouët, dans les terres gorgées d'eau de la Loire-Atlantique ; n'oublions pas la Haute-Guerche, dominant la vallée du Layon en Vendée ; Armentières dans l'Aisne, contemporain de la Ferté-Milon que construisit le duc d'Orléans, frère de Charles VI et amant de sa femme ; Saint-Ulrich en Alsace, au milieu d'une véritable constellation de forteresses frontière ; Arques près de Limoux, dans une région déjà surreprésentée, quasiment inépuisable ; Montaler, sur lequel nulle étude n'avait encore paru ; et Busséol, remonté par les soins et par la modeste fortune de son restaurateur, Henry-Claude Houlier, Normand converti à l'Auvergne.