Proullaud296

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  • Quousque non ascendam ?

     

    Le Diable m'accorde vingt-cinq minutes. Utilisons-les à commenter cette liste des personnages de Balzac, dernier tome de l'édition du centenaire, et figurons-nous Notre Honoré mort en 57 du siècle précédent. C'est ici un froid répertoire, en ordre alphabétique, où manque le couple Cibot, dont le mari fut occis à petit feu par une pièce de cuivre oxydé trempé dans sa tisane quotidienne, patiemment, année après année, par sa femme, portière. Mais les marquis, notaires et militaires abondent en ce répertoire. Il ne leur arrive la plupart du temps que des ascensions, et de s'agripper les uns sur les autres afin de parvenir à respirer, au sommet de la pyramide, un instant de plus.

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    Lucien de Rubempré assurément périt dans l'ignominie, César Birotteau connut défaite et humiliation ; mais nous les voyons tous contracter d'habiles et riches unions pour parvenir, tout court. Ils en deviennent interchangeables, tant vicomtes et comtesses en finissent par se ressembler, tout caractérisés qu'ils soient par l'immortel Balzac : à la fin, les voilà tous morts. Et si l'on peut dire que Balzac est le peintre de la bourgeoisie ascendante, Zola plus tard saura mieux partager ses soucis, montrant tout aussi bien le bas peuple qui s'enivre et qui coule : dans l'un, vitalité, chez l'autre, décadence. Tel est ma contribution à ce que je dois à mes lecteurs classiques. Il a alors 30.000 livres de rente – mais qui n'a pas, chez Balzac, « 30 000 livres de rente » ? Qui ne possède pas des « fauteuils en velours d'Utrecht » ou des « plinthes à hauteur d'appui » ? soit à trois pieds de haut, comme on en voit das les vieux immeubles. Chez Zola, nous aurons du « gros bleu » : c'est une couleur qu'il affectionne, vieux volets de Provence. On pense à Issoudun que Maxence Gilet est son fils naturel. Nous avons oublié tout cela. Notre mémoire immédiate n'a plus que des ombres à servir : il semble bien qu'il y ait du duel là-dedans.

     

    Ce qui nous fait penser à Gilardi de La Chartreuse de Parme, comédien tué par Fabrice. Ainsi serpentent les inspirations. Il a hérité de M. Descoings sa maison de la place Saint-Jean. Héritage, et rente : tout le roman de la bourgeoisie berrichonne. On hérite quelque chose de quelqu'un : règle utile à rappeler. Ce sont là choses primordiales : de l'argent. Puis on se hausse. Il en manqua souvent, le gaspilla pour des coléoptères, à sculpter sur sa canne : la lettre est conservée. Correspondance bien fastidieuse, bien au-dessoous de celle de Gustave. Nous aurons bien convoqué tout le XIXe siècle ! Ô naïfs : que de crétins possèdent l'argent ! Il n'en disait pas moins : il n'a pas évoqué ce nous semble les manques essentiels de la personnalité : l'audace en société, l'ignorance de tout ce qui n'est pas soi, l'humanité, l'infame obéissance à ceux qu'on aime. Ne voyons que ce que l'on montre : il meurt en 1805 (La Rabouilleuse ), soit : celle qui rabouille dans l'eau, pour en débusquer les écrevisses. Vous en souvenez-vous ? Qui cette misérable a-t-elle épousé ? Comment fit-elle fortune ? Retrouver aux deux bouts de sa vie la même musique, à présent oubliée, mais si formatrice en sont temps ; n'est-ce pas étrange de bâtir enfin la seconde culée du pont ? A vingt ans j'amorçais le Tome Un, à plus de 65 j'extrais du dernier le répertoire asséché de mon maître d'antan. JEAN-JACQUES ROUGET – Né en 1768, meurt en 1823. A cinquante-cinq ans.

     

    Comme des mouches. Et je ferai cent ans. Inconnu au bataillon. Un jour, je me renseignerai. Nous écrirons en connaissance de cause. Jean-Jacques est apparenté au précédent. Il habite Issoudun. La mémoire n'a rien retenu de cet homme. Il est mort en duel, au fond du Berry. Car toutes les régions en ce temps-là vivaient. Il n'aura connu ni Sartre, ni Napoléon III. Il asiste aux mercredis de Mma Rabourdin (« Les Employés »). Plus aucun souvenir de ces « employés ». Le nom de « Rabourdin » renvoie aux vieux patronymes de paysans, et laisse augurer de cette vie sociale émouvante, où les femmes « tenaient salon », se laissaient courtiser, malgré leur nom de famille : nous pensons à la Muse d'Angoulême, Mme Bargeton. Rubempré lui-même s'appelais Chardon. Balzac, Balssa, avec deux s. Un arriviste, comme ses personnages. Frère d'Agathe Bridau, oncle de Philippe et Joseph Bridau. Un état civil en effet, mais aussi de longues allées de cimetière : quelques indications sur une dalle, dans une rubrique nécrologique. Même ces indications familiales n'éveillent aucun écho chez le lecteur des années passées. Il est le fils du docteur Rouget. Donc, d'une condition sociale primordiale en une petite ville comme Issoudun. Depuis les Guerres Révolutionnaires et de l'Empire, la médecine a fait des progrès : il ne s'agit plus simplement d'amputer, de cautériser au fer rouge.

     

    Ni de saigner. Le médecin, Benassis par exemple, peut philanthroper dans son canton, à l'instar de Voltaire, bienfaiteur du pays de Gex. « Les médecins dans la littérature du XIXe siècle » : cela doit exister. Y compris Bovary bien sûr, et jusqu'au médecin de campagne de Boulgakhov. Fils et fille de médecin : cela implique de belles unions, pour s'élever. C'est un grand niais. Voilà plusieurs fois que cette affirmation ponctue ces brèves chroniques biographiques. Cela heurte : comment décider que tel est un sot, tel autre intelligent ? Balzac typifie : pour lui, comme pour La Bruyère, il existe des étiquettes et des bocaux. De nos jours, nous sommes bien plus malins ; nous savons que la sottise parfois nous traverse, parfois nous délaisse. Nous savons que seules les circonstances (ou nous croyons le savoir) déterminent l'idiot ou le génie. Mais nous sommes pourtant perçus comme tels ou tels, de l'extérieur. Le roman permet de classifier, de simplifier, mais non de schématiser : en 1816 il reçoit chez lui Maxence Gilet. N'est-ce pas celui qui mourut en duel, inspirant le Gilardi de Stendhal ? Le fils Rouget peut donc resssentir de l'amitié, appliquer les règles spontanées de l'hospitalité. Comment, pourquoi reçut-il ce jeune homme ? N'était-ce pas la nuit de son duel ? Vers 1820 il vit en cocubinage (lapsus) avec Flore Brazier à Issoudun. Capable d'amitié, capable d'amour, aussi.

     

  • Exhumations

     

    Sur la noblesse de Sidoine, nous serions sarcastique. Il faudrait ensuite évoquer l'empereur

     

    El Gabal (Héliogabale) et les trois Julia - mais après L'anarchiste couronné comment écrire ? ...Devrais-je ensuite, après l'enfance mal connue, emboucher la trompette : premiers succès féminins du héros, conquête de Papianilla, épousailles ? Et Loyen de se féliciter de la virilité de son Sidoine, au livre VIII de sa correspondance, alors qu'il s'était vanté d'avoir beaucoup palpé lors du panégyrique de l'assassin de beau-papa ! Ô tempora... Résistance. Prison. Indignation, épisme. Citer les vers à Ragnehilde, gravés au fond d'une coupe, où "c'est la beauté de votre visage, Majesté, qui donne au métal son éclat"; la royale épouse de l'Occupant dut s'en montrer flattée.

     

    Sidoine enfin, dont chacun sait qu'après son indignation d'avoir vu livrer son Auvergne, il ne vit de salut qu'au sein de l'Eglise, devint modèle d'évêque, embauma et transmit tout un monde, celui de Rome engloutie, par l'inlassable diffusion de ses modèles. Sidoine à lui seul rafistole toute une civilisation grâce aux cours par correspondance : n'est-ce pas ainsi que va se régénérer l'éducation de notre XXIe siècle, par petites groupes de volontaires motivés minutieusement encadrés, au lieu de la réussite utopique de masse ? Nos contemporains ne se rendent pas compte à quel point pareil émiettement, devenu indispensable, correspond aux dispositions du haut Moyen Age: quelques clercs dans leurs forteresse, tandis que les autres se contentent du savoir prodigué par leurs ancêtres, familles ou groupes de familles ?

     

    Mais l'ignorance historique de nos politiciens est proverbiale. Je dois passer d'urgence à Cassiodore, Isidore de Séville, VIe et VIIe siècles. Puis à Jordanès, pour les Goths. Saxo Grammaticus, pour le Danemark (source de Hamlet !) - tous ces noms inconnus à qui je dois restituer la Gloire, tous ceux qui ont tissé le fil rompu, vite, avant de mourir – qu'un homme se soit souvenu d'eux, que cet homme soit moi ! de même, allant chez feu Dorimon, ai-je aperçu les quatre murs de son salon garnis jusqu'au plafond de rayonnages physico-chimiques, sans rien de littéraire, mais éclaircissant tel ou tel point de mécanique quantique. J'entends encore son mépris : «  Le grec et le latin, me jetait-il, ce sont des langues mortes » - anciennes, mon ami, anciennes.

     

    Il m'a toujours plu d'imaginer la mort de Sidoine, dont nous n'avons rien de précis, sur les remparts de sa ville de Clermont : tel Augustin sur ceux d'Hippone, Ovide à Tomès imaginé par Vintila Horia. 66 énigmes à déchiffrer – on m'a offert ça : je ne veux plus m'exercer à rien, juste me laisser aller - ainsi pour cet Apollinaire, Sidoine, que je poursuis de ma froideur. Pas une affinité réciproque, aucune empathie. À qui je n'ai strictement rien à dire malgré nos efforts à tous deux, et qu'il me faut pourtant sans cesse retrouver sur mon chemin. Sidoine Apollinaire et son univers totalement étranger, 1500 ans entre deux hommes. Je n'ai cessé au cours de mes années à moi de lire et de relire ces vieux volumes de carmina, si pleins de redondances métaphoriques, si évidemment imbibés de fatuité, gonflés de fausse importance et de faux talent. Si quis autem carmen prolixias catenus duxerit esse culpandum : voici bien de sa fausse modestie, par imitation de Pline et de tant d'autres – cette façon de s'abaisser juste au moment où l'on se livre aux pires acrobaties de vanité. Je suis en vérité incapable souvent de concevoir du grave, entraîné par cette vague aspirante au reflux du jour - quod epigrammatis excesserit paucitatem. Ces courbettes de fausses vierges, ces pudeurs rougeoyantes issues de la plus pure tradition épistolaire. Fin de page, qui ne donne pas envie de la tourner, précédée de plus par la lèpre des apparats critiques.

     

    ...Une de ces énumérations, de ces enfilades prétendûment spirituelles où gisait le plaisir des lecteurs d'alors, et rien que des poètes ; liquida patet : s'ouvre au liquide ? 1er juillet : dans l'herbe, aire d'autoroute Toulouse-Sud. Anne au bord de l'épuisement complet. Peut-être devrons-nous chercher l'hôtel avant Bordeaux. J'écris donc assis dans l'herbe, au sujet de Sidoine, point d'appui de mon exécration : il est tout ce que je déteste. Il vivait une époque grandiose, l'effondrement de Rome – et se préoccupait de nugas, de sottises. Des sursauts d'héroïsme certes ; mais production livresque au-dessous de tout. Copiage effronté de toutes les pensées païennes, puis pillage immédiat, effronté, de tout le suc chrétien.

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    Attendrissements, pathétismes, facilités. Quelques lignes sur ma vie de contraintes, au rebours de ce que je voulais vraiment : "Suivez vos rêves d'enfant", conseillait Jacques Brel à ses auditeurs, à l'instant de la dédicace : j'ai fait tout le contraire, et je vous emmerde.

     

  • Transistoriana

    TRANSISTORIANA                       
                           
                           
                                J'écoutais les voix de la nuit
                                  une chanteuse arabe criait, criait
                                  voix trouant la nuit
                                Comme une soie qui se déchire
                           Vitraux.JPG     Et modulait sa peine interminable
                                Amour - crieuse frêle - ta vie ta gorge de
                            soie déchirée
                                (mon âme vers toi par-dessus les ondes
                                ton souffle sur mon oreille - Souffle éternel)
                                d'Arabie
                                Voix du Monde
                                Et me voici vingt ans plus tôt
                                Nuits brûlantes indétachables de Tanger
                                Membres écartés l'oreiller au transistor neuf
                                      faisant glisser l'aiguille
                                "I BUDA-PEST" - "OUNA TANGER" - "ICI PEKIN"
                                Voix du monde
                                        Jazz tchèque    informations
                                        incompréhensibles voix si proches
                                (les stations portugaises, espagnoles, celles
                            qu'on entend le plus)
                                         Consolation nocturne des exilés
                                         Disques dédicacés
                                " Y ahora, a continuaciòn de nuestro programa
                            de discos dedicados..."
                        oû al-illah Mohammed
                            oû al-illah Khifa                           

                           Bribes classiques andalûs hachées de fadings
                                Crêtes aiguës, retombées aux trous nets
                            "point zéro"
                                (injections d'avenir anxieux "même l'amour ne
                            pourra me combler")
                                Les voix chères qui s'en vont...
                                    "La solitude, ça n'existe pas"
                                                            proximité nocturne
                                des étouffés
                                    gémissements chuintants de dauphins échoués                                                                                                                                                                                                               des stations mortes
                                Indicatifs désespérément jetés de dix secondes
                            en dix secondes comme un phare en éclats "Human
                            people here... Human people here... We won't die,
                            won't die, won't die, tâ-ti-ti-tâ,
                            tah-tee-tee-tah- - -
                              De quels rêves seront-nous
                            poursuivis dans la mort
                                :    Nous sommes le centre du monde !
                            Serrons-nous, l'extérieur est immense
                                Indicatif en carillon liquide "Ave Maria" de
                            Radio Vatican
                                Je tends l'oreille - Frères, que nous sommes
                            loin
                                Mon antenne d'insecte pivote vers vous
                            L'alphabet morse au chapelet mitraille - - noyaux
                            d'olives
                          Lents endormissements épuisés d'aube
                                Clarté dans la poitrine, puissance, certitude
                            illuminée
                                            Et
                                Les premiers moteurs s'enfoncent en titubant
                            dans la nuit
                                Glissent de l'horizon, me susurrent à
                            l'oreille
                                et s'éloignent dans un bruit de soie qu'on
                            déchire
                                               soie refermée
                                               soie retissée
                                à Valéry
                                à Valéry Larbaud
                                Valéry le soufflé
                                Valéry l'apeuré, Valéry le cireux
                                Valéry Larbaud l'asthmatique
                           
                                    19-05-2023,   3h. 30, nuit

  • Jamais trois sans quatre

     A St-Rupt dans les Vosges vit un fou. Il surgit carabine en main. Il s'appelle Dominique PAZIOLS, tue sa mère, ses frères et ses soeurs. Emprisonné, il étudie Kant et Marivaux. Evadé, il rejoint une ville comme B., port de mer, où chacun se bat pour sa vie, où les maisons s'effondre sous les tirs d'obus, où l'on se tue de rue à rue, comme ça. Dans cette ville de MOTCHE (Moyen-Orient), Georges ou Sidi Jourji, fils de prince et de président, cherche tout seul dans son palais six ou sept hommes chargés de négocier la paix. A ce moment des coups retentissent contre sa porte, une voix crie « Ne laisse plus tuer ton peuple », celui qui frappait détale au coin d'une rue, le coin de la rue s'écroule.

     

    Et c'est ainsi que l'histoire commence, Georges heurte à son tour chez son père : « Kréüz! ouvre-moi! » et le vieux père claqué son volet sur le mur en criant « Je descends  ! prends garde à toi! » Les obus tombent. « Où veux-tu donc aller mon fils ? - Droit devant. - Il est interdit de courir en ligne droite ! » Ils courent. Lorsque Troie fut incendiée, le Prince Enée chargea sur son épaule non sa femme mais son père, Anchise ; son épouse Créuse périt dans les flammes – erepta Creusa / Substitit. Georges saisit son père sur son dos ; bravant la peur, il le transporta d'entre les murs flambants de sa maison.

     

    Ce fut ainsi, l'un portant l'autre, qu'ils entrèrent à l'Hôpital. « Mon père », dit le fils, « reprenons le combat politique. Sous le napalm, ressuscitons les gens de bien. Il est temps qu'à la fin tu voies ce dont je suis capable. » Hélas pensait-il cependant, voici que j'abandonne mon Palais, ses lambris, ses plafonds antisismiques, l'impluvium antique et ses poissons. Plus mes trois cousines, que je doigtais à l'improviste. Les soldats de l'An Mil, poursuivaient-ils, se sont emparés du palais, ou ne tarderont pas à la faire ; et ceux du Feu nous encerclent – même les dépendances ne sont pas à l'abri puis il se dit Mon Père est sous ma dépendance Il montrera sa naïveté de vieillard. Second gisant.JPG

     

     

     

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    Georges avait aussi son propre fils. Coincé entre deux générations. Le fils de Georges sème le trouble au quartier Jabékaa ; il s'obstine à manier le bazooka. « Va retrouver ton fils ! - Mon père, je ne l'ai jamais vu ! j'ai abandonné sa mère, une ouvrière indigne du Palais – une cueilleuse d'olives – père, est-ce toi qui a déclenché cette guerre ?... s'il est vrai que mon fils massacre les civils, je le tuerai de mes mains. A l'arme blanche. »

     

    ...Quant aux bombes, elles ne tombent pas à toute heure. Certains quartiers demeurent tranquilles pendant des mois. Leurs habitants peuvent s'enfuir ; la frontière nord, en particulier, reste mystérieusement calme. Gagner le pays de Bastir! ...le port de Tâf, cerné de roses ! ...pas plus de trente kilomètres... Georges quitte son vieux père. Voici ce qu'il pense : « Au pays de Motché, je ne peux plus haranguer la foule : tous ne pensent qu'à se battre. En temps voulu, je dirai au peuple : voici mon fils, je l'ai désarmé ; je vous le livre. » Il pense que son père, Kréüz, sur son lit, présente une tête de dogue ; avec de gros yeux larmoyants.

     

    Puis, à mi-voix : « S'il était valide, je glisserais comme une anguille entre les chefs de factions ; je déjouerais tous les pièges. Avant de sortir du Palais, mon père s'essuyait les pieds. C'était pour ne rien emporter au dehors. » Le Palais s'étend tout en longueur. Des pièces en enfilade, chacune a trois portes : deux pour les chambres contiguës, la troisième sur le couloir qui les dessert. Chacune a deux fenêtres, comme deux yeux étroits juste sous le plafond. Georges évite les femmes: il emprunte le corridor, coupé lui aussi de portes à intervalles réguliers dans le sens de la marche afin de rompre la perspective.

     

    Au bout de cette galerie s'ouvre une salle d'accueil, très claire, puis tout reprend vers le nord-ouest, à angle droit : le palais affecte la forme d'un grand L . Cet angle défend contre les fantassins ; grâce à Dieu, aucune faction n'est assez riche pour se procurer des avions. Cependant chaque terrasse porte une coupole pivotante. « Dans les tribus sableuses d'alentour, on nous considère avec méfiance : faut-il attaquer le palais, s'y réfugier ? ...nous n'avons rien à piller – personne ne découvrira les cryptes – et mon père, Kréüz – a fait évacuer presque toutes les femmes... Je reviendrai, ajoute Georges, quand l'eau sera purgée de tout son sable... » Ou : « ...quand les brèches seront colmatées. »

     

     

     

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    A Motché, attaques et contre-attaques se succèdent sans répit. Il faudrait imprimer un plan de la ville par jour. Georges peine à retrouver son propre fils : «Ma mission prend une tournure confuse ; Kréüz m'a dit « Tu n'as rien à perdre » - je ne suis pas de cet avis. » Georges consulte les Tables de Symboles : cheval, chien , croix ; la Baleine, le quatre, le cinq; le Chandelier; le cercle et le serpent. « Il me faut un cheval, pense Georges, pour porter les messages et annoncer les victoires. Pour fuir. Pour libérer. Fuir et libérer.» Georges lance les dés : « Voici les parties de mon corps qu'il me faut sacrifier : la Tête, Moulay Slimane, Gouverneur du pays, assiégé dans son palais (« Ksar es Soukh », dont le nôtre est la fidèle réplique ; pourtant cet homme ne règne que sur quatre (4) rues. ) ; le Bras : Kaleb Yahcine, qui tient l'Est ( le désarmer, ou l'utiliser à son insu) ; la Main, qui désigne ou donne : El Ahrid. Le Sexe ou Jeanne la Chrétienne, enclavée de Baroud à Julieh ; elle ne rendra pas les armes si je ne la séduis.

     

    Le Coeur battra pour Hécirah, forte de son peuple opprimé : chacun de ses héros se coud un cœur sur les guenilles. Tous portent le treillis, et souffrent de la faim. (Position : le Sud) ; l'Œil est celui d'Ishmoun, c'est à lui qu'il en faut référer ; quand à ma Langue, puisse-t-elle peler de toute mon éloquence. »

  • On reprend tout, et on recommence

     

    Disons, si j'ai bien compris, que Viviane Forrester nous invite à ne plus nous en sentir déshonorés. Mais alors, il faudrait que nous ayons une allocation de subsistance, disons d'existence : tout être humain vivant aurait de ce fait droit à une pension, je dirais même d'indemnité, car ce n'est pas marrant d'être vivant puisqu'on doit crever.

     

    Elle nous invite en somme à une reconversion des esprits, analogue à l'esprit soixante-huitard - nous y revoilà : on l'accuse aussi de cela, le "soixante-huitardisme dépassé" - qu'est-ce que c'est que ces idées qu'on dit "dépassées", mais qui n'en finissent pas de remonter à la surface ?

     

    Moi je ne m'y connais pas en affaires, mais en éducation nationale. Or il se trouve que j'ai perçu avec un grand grincement de dents, et de façon bien plus palpable, les contradictions de Viviane Forrester au sujet de cette noble institution.

     

    En effet, elle déplore à la fois qu'une partie importantissime de la populatin dite scolaire refuse les bienfaits de la culture bourgeoise embrigadante et amie de l'ordre - c'est un peu vrai - et aussi qu'il ne soit plus possible de transmettre les valeurs et l'héritage de notre culture classique par exemple.

     

    Mais il faudrait savoir : ou bien on transforme les cours en initiation au karaoké ou au VTT comme nous y incitera bientôt notre suave ex-ministre M. Allègre, ou bien ou réaxe l'école sur la transmission de ce que j'appelle les savoirs réels, c'est-à-dire Mozart, Corneille et Léon Blum - parfaitement.

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    Mais on ne peut pas vouloir les deux à la fois. Et là, j'ai grincé : parce que de toute façon -c'est devenu une habitude - les profs ont tort : s'ils transmettent Molière, ils sont bourgeois et dégoutent les jeunes beurs en planche à roulettes ; et s'il font du karaoké, ils balancent la culture ancestrale. Ils ont tort, vous dis-je, ils ont tort. Et sans doute les hommes d'affaires ont-ils eux aussi tiqué puissamment devant des élucubrations de raisonnement aussi absurdes dans leur matière.

     

    Cependant, on ne peut nier que Viviane Forrester n'ait mis le doigt sur des mensonges flagrants, colportés encore par Chirac et toute la clique : premièrement, aller dire que la France va à sa ruine m'a semblé une inexactitude calomnieuse:ce sont les patrons qui s'appauvriraient éventuellement, pas la France. Parce que si la France et ruinée, tas de cagots, qu'en sera-t-il donc de l'Albanie, je vous le demande ? et les deux Congos ?

     

    Deuxième affirmation qui me ferait boyauter si j'avais encore envie de rire : "Les entreprises créent des emplois" ! Où est-ce que tu as vu cela, Chichi ? ¨Parfois je me désole de passer à la Clef des Ondes, où je m'adresse à des convaincus en un seul mot, et j'aimerais être l'éditorialiste du Figaro, pour faire roter les bourgeoises de travers, ça leur remettrait le stérilet en place.

     

    Les entreprises font des bénéfices, engrangent les subventions à tant par camion, n'est-ce pas Nicole ? Notat, pour les attardés. Et plus elles font de bénéfices, plus elles licencient, afin d'augmenter leurs bénéfices ! Tout le monde sait cela maintenant ! Je vais même vous en dire une bien bonne : faisons comme à Athènes au Vè s. avant J.C. ; supprimons les salaires. Ca ira beaucoup mieux. Viviane Forrester nous le suggèrerait bien.

     

    En effet : qu'est-ce que c'est que ces ouvriers qui se plaignent de gagner insuffisamment ? Quoi ! les ingrats ! on leur donne une dignité, le travail ; une dimension humaine, une raison de vivre, et ils voudraient en plus un salaire ? Alors que les deux tiers du monde crèvent de misère ? Salopards, va! Les salaires, c'est pour ceux qui travaillent, qui prennent des risques, les "forces vives de la nation", qui s'empressent de faire travailler le burnous ou le gnaquoué à l'autre bout de la planète ou de planquer son argent en Suisse.

     

    Voilà des patriotes ! et non pas les ouvriers, d'origine polonaise ou pire. Les patrons, c'et ceux qui se présentent en costume cravate en face des camionneurs en cols roulés. Sans eux, l'entreprise n'existerait pas. C'est donc à eux de toucher le bénéfice. C'est comme le fils du mec cité plus haut : sans son père, il n'existerait pas ! eh bien, je propose qu'on lui limite le salaire à 400 euros, à ce petit salopiaud de 31 ans, tant que son père est encore vivant !

     

    Bien fait pour sa gueule ! c'est le père, c'est le patron, c'est le chef, qui doit gagner l'argent ! Et puis tant qu'on y est, nous dit Viviane Forrester dès les premières pages de son livre, supprimons carrément les pauvres. Pas en faisant une guerre, on n'en est plus là, mais en les réduisant à quia et en les empêchant de se reproduire, comme naguère dans les pays scandinaves. Et là, elle charrie.

     

    Elle charrie, parce qu'elle s'adresse à des gens qui ne peuvent pas la comprendre : en effet, elle fait de la littérature, et c'est là qu'elle est la plus faible. En effet, comment voulez-vous que des décideurs comprennent quoi que ce soit à la littérature ? Ils vont la renvoyer, Viviane, à ses métaphores. Ils ne la liront pas plus loin que les trente premières pages, parce qu'il y a du style, ça ne fait pas sérieux, ces gens-là ne lisent que des statistiques et des cours de la bourse, alors les paragraphes bien ordonnés, les énumérations, les images... Foutaises !