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Quousque non ascendam ?

 

Le Diable m'accorde vingt-cinq minutes. Utilisons-les à commenter cette liste des personnages de Balzac, dernier tome de l'édition du centenaire, et figurons-nous Notre Honoré mort en 57 du siècle précédent. C'est ici un froid répertoire, en ordre alphabétique, où manque le couple Cibot, dont le mari fut occis à petit feu par une pièce de cuivre oxydé trempé dans sa tisane quotidienne, patiemment, année après année, par sa femme, portière. Mais les marquis, notaires et militaires abondent en ce répertoire. Il ne leur arrive la plupart du temps que des ascensions, et de s'agripper les uns sur les autres afin de parvenir à respirer, au sommet de la pyramide, un instant de plus.

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Lucien de Rubempré assurément périt dans l'ignominie, César Birotteau connut défaite et humiliation ; mais nous les voyons tous contracter d'habiles et riches unions pour parvenir, tout court. Ils en deviennent interchangeables, tant vicomtes et comtesses en finissent par se ressembler, tout caractérisés qu'ils soient par l'immortel Balzac : à la fin, les voilà tous morts. Et si l'on peut dire que Balzac est le peintre de la bourgeoisie ascendante, Zola plus tard saura mieux partager ses soucis, montrant tout aussi bien le bas peuple qui s'enivre et qui coule : dans l'un, vitalité, chez l'autre, décadence. Tel est ma contribution à ce que je dois à mes lecteurs classiques. Il a alors 30.000 livres de rente – mais qui n'a pas, chez Balzac, « 30 000 livres de rente » ? Qui ne possède pas des « fauteuils en velours d'Utrecht » ou des « plinthes à hauteur d'appui » ? soit à trois pieds de haut, comme on en voit das les vieux immeubles. Chez Zola, nous aurons du « gros bleu » : c'est une couleur qu'il affectionne, vieux volets de Provence. On pense à Issoudun que Maxence Gilet est son fils naturel. Nous avons oublié tout cela. Notre mémoire immédiate n'a plus que des ombres à servir : il semble bien qu'il y ait du duel là-dedans.

 

Ce qui nous fait penser à Gilardi de La Chartreuse de Parme, comédien tué par Fabrice. Ainsi serpentent les inspirations. Il a hérité de M. Descoings sa maison de la place Saint-Jean. Héritage, et rente : tout le roman de la bourgeoisie berrichonne. On hérite quelque chose de quelqu'un : règle utile à rappeler. Ce sont là choses primordiales : de l'argent. Puis on se hausse. Il en manqua souvent, le gaspilla pour des coléoptères, à sculpter sur sa canne : la lettre est conservée. Correspondance bien fastidieuse, bien au-dessoous de celle de Gustave. Nous aurons bien convoqué tout le XIXe siècle ! Ô naïfs : que de crétins possèdent l'argent ! Il n'en disait pas moins : il n'a pas évoqué ce nous semble les manques essentiels de la personnalité : l'audace en société, l'ignorance de tout ce qui n'est pas soi, l'humanité, l'infame obéissance à ceux qu'on aime. Ne voyons que ce que l'on montre : il meurt en 1805 (La Rabouilleuse ), soit : celle qui rabouille dans l'eau, pour en débusquer les écrevisses. Vous en souvenez-vous ? Qui cette misérable a-t-elle épousé ? Comment fit-elle fortune ? Retrouver aux deux bouts de sa vie la même musique, à présent oubliée, mais si formatrice en sont temps ; n'est-ce pas étrange de bâtir enfin la seconde culée du pont ? A vingt ans j'amorçais le Tome Un, à plus de 65 j'extrais du dernier le répertoire asséché de mon maître d'antan. JEAN-JACQUES ROUGET – Né en 1768, meurt en 1823. A cinquante-cinq ans.

 

Comme des mouches. Et je ferai cent ans. Inconnu au bataillon. Un jour, je me renseignerai. Nous écrirons en connaissance de cause. Jean-Jacques est apparenté au précédent. Il habite Issoudun. La mémoire n'a rien retenu de cet homme. Il est mort en duel, au fond du Berry. Car toutes les régions en ce temps-là vivaient. Il n'aura connu ni Sartre, ni Napoléon III. Il asiste aux mercredis de Mma Rabourdin (« Les Employés »). Plus aucun souvenir de ces « employés ». Le nom de « Rabourdin » renvoie aux vieux patronymes de paysans, et laisse augurer de cette vie sociale émouvante, où les femmes « tenaient salon », se laissaient courtiser, malgré leur nom de famille : nous pensons à la Muse d'Angoulême, Mme Bargeton. Rubempré lui-même s'appelais Chardon. Balzac, Balssa, avec deux s. Un arriviste, comme ses personnages. Frère d'Agathe Bridau, oncle de Philippe et Joseph Bridau. Un état civil en effet, mais aussi de longues allées de cimetière : quelques indications sur une dalle, dans une rubrique nécrologique. Même ces indications familiales n'éveillent aucun écho chez le lecteur des années passées. Il est le fils du docteur Rouget. Donc, d'une condition sociale primordiale en une petite ville comme Issoudun. Depuis les Guerres Révolutionnaires et de l'Empire, la médecine a fait des progrès : il ne s'agit plus simplement d'amputer, de cautériser au fer rouge.

 

Ni de saigner. Le médecin, Benassis par exemple, peut philanthroper dans son canton, à l'instar de Voltaire, bienfaiteur du pays de Gex. « Les médecins dans la littérature du XIXe siècle » : cela doit exister. Y compris Bovary bien sûr, et jusqu'au médecin de campagne de Boulgakhov. Fils et fille de médecin : cela implique de belles unions, pour s'élever. C'est un grand niais. Voilà plusieurs fois que cette affirmation ponctue ces brèves chroniques biographiques. Cela heurte : comment décider que tel est un sot, tel autre intelligent ? Balzac typifie : pour lui, comme pour La Bruyère, il existe des étiquettes et des bocaux. De nos jours, nous sommes bien plus malins ; nous savons que la sottise parfois nous traverse, parfois nous délaisse. Nous savons que seules les circonstances (ou nous croyons le savoir) déterminent l'idiot ou le génie. Mais nous sommes pourtant perçus comme tels ou tels, de l'extérieur. Le roman permet de classifier, de simplifier, mais non de schématiser : en 1816 il reçoit chez lui Maxence Gilet. N'est-ce pas celui qui mourut en duel, inspirant le Gilardi de Stendhal ? Le fils Rouget peut donc resssentir de l'amitié, appliquer les règles spontanées de l'hospitalité. Comment, pourquoi reçut-il ce jeune homme ? N'était-ce pas la nuit de son duel ? Vers 1820 il vit en cocubinage (lapsus) avec Flore Brazier à Issoudun. Capable d'amitié, capable d'amour, aussi.

 

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