Jamais trois sans quatre
A St-Rupt dans les Vosges vit un fou. Il surgit carabine en main. Il s'appelle Dominique PAZIOLS, tue sa mère, ses frères et ses soeurs. Emprisonné, il étudie Kant et Marivaux. Evadé, il rejoint une ville comme B., port de mer, où chacun se bat pour sa vie, où les maisons s'effondre sous les tirs d'obus, où l'on se tue de rue à rue, comme ça. Dans cette ville de MOTCHE (Moyen-Orient), Georges ou Sidi Jourji, fils de prince et de président, cherche tout seul dans son palais six ou sept hommes chargés de négocier la paix. A ce moment des coups retentissent contre sa porte, une voix crie « Ne laisse plus tuer ton peuple », celui qui frappait détale au coin d'une rue, le coin de la rue s'écroule.
Et c'est ainsi que l'histoire commence, Georges heurte à son tour chez son père : « Kréüz! ouvre-moi! » et le vieux père claqué son volet sur le mur en criant « Je descends ! prends garde à toi! » Les obus tombent. « Où veux-tu donc aller mon fils ? - Droit devant. - Il est interdit de courir en ligne droite ! » Ils courent. Lorsque Troie fut incendiée, le Prince Enée chargea sur son épaule non sa femme mais son père, Anchise ; son épouse Créuse périt dans les flammes – erepta Creusa / Substitit. Georges saisit son père sur son dos ; bravant la peur, il le transporta d'entre les murs flambants de sa maison.
Ce fut ainsi, l'un portant l'autre, qu'ils entrèrent à l'Hôpital. « Mon père », dit le fils, « reprenons le combat politique. Sous le napalm, ressuscitons les gens de bien. Il est temps qu'à la fin tu voies ce dont je suis capable. » Hélas pensait-il cependant, voici que j'abandonne mon Palais, ses lambris, ses plafonds antisismiques, l'impluvium antique et ses poissons. Plus mes trois cousines, que je doigtais à l'improviste. Les soldats de l'An Mil, poursuivaient-ils, se sont emparés du palais, ou ne tarderont pas à la faire ; et ceux du Feu nous encerclent – même les dépendances ne sont pas à l'abri puis il se dit Mon Père est sous ma dépendance Il montrera sa naïveté de vieillard.
X
Georges avait aussi son propre fils. Coincé entre deux générations. Le fils de Georges sème le trouble au quartier Jabékaa ; il s'obstine à manier le bazooka. « Va retrouver ton fils ! - Mon père, je ne l'ai jamais vu ! j'ai abandonné sa mère, une ouvrière indigne du Palais – une cueilleuse d'olives – père, est-ce toi qui a déclenché cette guerre ?... s'il est vrai que mon fils massacre les civils, je le tuerai de mes mains. A l'arme blanche. »
...Quant aux bombes, elles ne tombent pas à toute heure. Certains quartiers demeurent tranquilles pendant des mois. Leurs habitants peuvent s'enfuir ; la frontière nord, en particulier, reste mystérieusement calme. Gagner le pays de Bastir! ...le port de Tâf, cerné de roses ! ...pas plus de trente kilomètres... Georges quitte son vieux père. Voici ce qu'il pense : « Au pays de Motché, je ne peux plus haranguer la foule : tous ne pensent qu'à se battre. En temps voulu, je dirai au peuple : voici mon fils, je l'ai désarmé ; je vous le livre. » Il pense que son père, Kréüz, sur son lit, présente une tête de dogue ; avec de gros yeux larmoyants.
Puis, à mi-voix : « S'il était valide, je glisserais comme une anguille entre les chefs de factions ; je déjouerais tous les pièges. Avant de sortir du Palais, mon père s'essuyait les pieds. C'était pour ne rien emporter au dehors. » Le Palais s'étend tout en longueur. Des pièces en enfilade, chacune a trois portes : deux pour les chambres contiguës, la troisième sur le couloir qui les dessert. Chacune a deux fenêtres, comme deux yeux étroits juste sous le plafond. Georges évite les femmes: il emprunte le corridor, coupé lui aussi de portes à intervalles réguliers dans le sens de la marche afin de rompre la perspective.
Au bout de cette galerie s'ouvre une salle d'accueil, très claire, puis tout reprend vers le nord-ouest, à angle droit : le palais affecte la forme d'un grand L . Cet angle défend contre les fantassins ; grâce à Dieu, aucune faction n'est assez riche pour se procurer des avions. Cependant chaque terrasse porte une coupole pivotante. « Dans les tribus sableuses d'alentour, on nous considère avec méfiance : faut-il attaquer le palais, s'y réfugier ? ...nous n'avons rien à piller – personne ne découvrira les cryptes – et mon père, Kréüz – a fait évacuer presque toutes les femmes... Je reviendrai, ajoute Georges, quand l'eau sera purgée de tout son sable... » Ou : « ...quand les brèches seront colmatées. »
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A Motché, attaques et contre-attaques se succèdent sans répit. Il faudrait imprimer un plan de la ville par jour. Georges peine à retrouver son propre fils : «Ma mission prend une tournure confuse ; Kréüz m'a dit « Tu n'as rien à perdre » - je ne suis pas de cet avis. » Georges consulte les Tables de Symboles : cheval, chien , croix ; la Baleine, le quatre, le cinq; le Chandelier; le cercle et le serpent. « Il me faut un cheval, pense Georges, pour porter les messages et annoncer les victoires. Pour fuir. Pour libérer. Fuir et libérer.» Georges lance les dés : « Voici les parties de mon corps qu'il me faut sacrifier : la Tête, Moulay Slimane, Gouverneur du pays, assiégé dans son palais (« Ksar es Soukh », dont le nôtre est la fidèle réplique ; pourtant cet homme ne règne que sur quatre (4) rues. ) ; le Bras : Kaleb Yahcine, qui tient l'Est ( le désarmer, ou l'utiliser à son insu) ; la Main, qui désigne ou donne : El Ahrid. Le Sexe ou Jeanne la Chrétienne, enclavée de Baroud à Julieh ; elle ne rendra pas les armes si je ne la séduis.
Le Coeur battra pour Hécirah, forte de son peuple opprimé : chacun de ses héros se coud un cœur sur les guenilles. Tous portent le treillis, et souffrent de la faim. (Position : le Sud) ; l'Œil est celui d'Ishmoun, c'est à lui qu'il en faut référer ; quand à ma Langue, puisse-t-elle peler de toute mon éloquence. »
Commentaires
Créuse était en réalité l'épouse d'Enée, qui périt dans les flammes de Troie, parce que son mari avait préféré sauver, sur ses épaules, son propre père Anchise (prononcez Ankize, tas de Barbares).